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LA LITTÉRATURE LATINO-AMÉRICAINE

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LA LITTÉRATURE LATINO-AMÉRICAINE
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JEAN DESCOLA fi LA LITTÉRATURE LATINO-AMÉRICAINE Les racines La littérature latino-américaine est jeune.

On peut dire - un peu arbitrairement, sans doute, mais il est commode de fixer les époques - qu'elle est née au moment où l'indépendance des colonies espagnoles et du Brésil a été accomplie ou en passe de l'être, soit entre 1820 et 1830.

Ainsi en commémorons-nous aujourd'hui le cent cinquantième anniversaire. Un siècle et demi, c'est peu. Mais il faut remonter plus loin.

En réalité, l'originalité de la littérature d'Amérique latine réside à la fois dans la jeunesse de son inspiration immédiate - l'Illustration et ses philosophes - , dans le choc politique qui a provoqué son avènement - l'invasion de la Péninsule par Napoléon et l'émancipation qui s'en est suivie - et dans sa référence aux thèmes les plus anciens du monde : la terre et les hommes.

Les Espagnols et les créoles qui prendront la plume après l'Indépendance - car les métis, les Indiens et les Noirs se manifesteront plus tard - , bien que fortement marqués par l'idéologie du Siècle des Lumières, resteront fidèles aux modèles espagnols et aux classiques français, du moins par l'écriture et la construction.

Ils ne répudieront pas non plus les mythologies précolombiennes. D'abord, la primauté de la terre. Elle pèse sur l'homme, elle l'écrase.

Comment résister à son pouvoir ensorceleur ! D'où que l'on considère le paysage de l'Amérique latine, il confond par sa vastitude.

Tantôt, c'est une gigantesque falaise qui, de l'Alaska à la Patagonie, surplombe le Pacifique.

Tantôt ce sont de majestueux plateaux que survole le condor royal - hautes terres du Pérou andin et meseta mexicaine où les hommes-dieux imposaient leur loi aux peuples terrifiés de la côte et des vallées.

Puis c'est 284 LA LITTÉRATURE LATINO-AMÉRICAINE 1' " enfer vert » du Brésil qu'anime sourdement une faune hideuse, la jungle de l'Amazonie et ses ténébreux sous-bois, le monde grouillant de la forêt, frappé de mystérieux interdits.

Même dans la pampa argentine et le désert chilien, sans bornes, l'angoisse et la terreur des dieux sont présentes.

Même aujourd'hui - où la technique s'est emparée du paysage - la terre n'a rien perdu de son pouvoir d'envoûtement.

Ecrivains et poètes d'Amérique latine ne pourront s'en passer. Mais le paysage n'est pas toujours tragique. Parfois, il se fait suave. Le doux bruissement des palmes de la côte brésilienne.

Les prairies de l'Uruguay, ses bouquets d'eucalyptus, ses longs troupeaux sous le ciel d'un éternel été.

L'inspiration est alors pastorale. Ce n'est plus le drame, mais l'églogue. Enfin, il y a les villes, centres nerveux de cet immense continent.

Des cités où brilla la civilisation la plus raffinée, mais où se lèvera bientôt un prolétariat fougueux - Mexico, Lima ou Buenos Aires.

Des ports installés au bord de l'Océan ou à l'estuaire des grands fleuves. Un horizon nouveau pour les hommes de plume. Diversité du paysage et son tellurisme. Diversité aussi des hommes. D'abord, ethnique.

Au moment où les républiques américaines prennent en main leur destin, il leur faut intégrer dans les patries nouvelles sept familles qui souvent s'opposèrent : les Blancs, les créoles, les Indiens, les Noirs, les mulâtres, les métis et les zambos.

Plusieurs décennies seront nécessaires pour que s'opère cette difficile symbiose. Diversité sociale. La disparition des vice-royautés n'entraînera pas celle des classes sociales.

C'est pourquoi les premiers écrivains du nouveau régime se recruteront parmi les milieux bourgeois : intellectuels, universitaires ou diplomates.

On est encore loin de la production de masse et de la promotion des auteurs autochtones.

Mais déjà les caractéristiques de cette nouvelle littérature sont définies : elle sera mythologique, virgilienne, urbaine, humaine et nationale.

Les générations La première génération est celle qui va de 1808 à 1830.

C'est la période héroïque : commencée en Espagne sous les coups de l'empereur, la guerre de l'Indépendance se propage à l'Amérique et se termine par le triomphe des insurgents.

La littérature est patriotique.

L'Equatorien Olmedo chante la bataille de Junin où Bolivar écrasera les Espagnols : " L'effrayant grondement du tambour, le son des clairons stridents et le hennissement du fougueux alezan. » Le Vénézuélien Andrès Bello exalte les douceurs de la nature : " Le coton déploie sous la brise légère ses roses d'or et sa toison de neige. » Les influences néo-classiques envelop-LA LITTÉRATURE LATINO-AMÉRICAINE 285 pent encore cette poésie où passent cependant les premiers effluves du romantisme.

L'influence du romantisme s'exercera pleinement sur la génération de 1830 à 1860 et se prolongera même jusqu'à celle de 1860 à 1880.

Le Cubain José-María de Heredia, chimérique et dolent, joue les Byron et les Chateaubriand, lorsqu'il décrit le cours tumultueux du Niagara, semblable au " destin irrésistible et aveugle ».

L'Argentin Sarmiento - le gaucho intellectuel, le grand voyageur à travers l'Europe et les Amériques - , s'exclame : " Je suis Moi. » Le romantisme est donc bien importé d'Espagne, de France et d'Angleterre.

Mais, au contact des hommes et de la nature exotiques, il devient national et s'adapte aux moeurs - c'est le costumbrisme - et aux passions.

Le Péruvien Ricardo Palma, le délicieux chroniqueur des traditions liméniennes, l'historiographe attendri de la Périchole, a sa recette : " Un petit peu et même un petit peu beaucoup de mensonge et une certaine dose de vérité ; beaucoup de soin et de travail dans le style ; et voilà la recette pour écrire des traditions. » Au Brésil, le métis luso-indien, Gonçalves Dias, exaltera la première race de son pays : Ma patrie a ses palmiers Où chante le sabia ; Les oiseaux d'ici qui gazouillent Ne gazouillent pas comme là-bas.

De 1880 jusqu'au début du xxe siècle, la littérature latino-américaine revient à l'Europe.

C'est la fascination pour le Parnasse français - Leconte de Lisie, Baudelaire, Théophile Gautier - , pour Poe et Heine.

C'est aussi la tentation du naturalisme.

Ce sera, surtout, en réaction contre le réalisme, la théorie de " l'art pour l'art », personnifiée par le Nicaraguayen Rubén Darío.

Eternel errant - il vivra au Chili, au Guatemala et, naturellement, dans son pays, mais il voyagera dans toute l'Europe - , cet Ulysse créole aura pour Paris une fervente adoration.

Il y rencontrera Verlaine, son maître préféré dont il fera sienne la formule célèbre : " De la musique, avant toute chose. » Sensible à l'extrême, Rubén aimera la vie et il en ressentira douloureusement la fragilité : Jeunesse, divin trésor, Tu t'en vas pour ne plus revenir.

Puis, le modernisme jette ses derniers feux. Il s'incorpore à la réalité américaine. La production littéraire est considérable, mais désordonnée.

Jusqu'en 1925, les écrivains sont à la recherche de 286 LA LITTÉRATURE LATINO-AMÉRICAINE leur propre expression.

Quelques-uns s'essaient au cubisme, au dadaïsme et au futurisme.

De grands noms surgissent de la foule : la Chilienne Gabriela Mistral, le Vénézuélien Romulo Gallegos et le Mexicain Alfonso Reyes.

La génération suivante, celle de l'entre-deux-guerres - de 1925 à 1940 - ouvrira une voie princière.

Fatigués par les genres littéraires, les écrivains de cette génération, après avoir tâté de l'avant-gardisme et s'être perdus dans de confuses querelles d'écoles, se sont ressaisis et quelques-uns d'entre eux se révéleront des maîtres incomparables.

Les trois princes Nombreux sont les grands écrivains en Amérique latine, nombreux aussi ceux qui pourraient, à juste titre, se prétendre les plus grands.

Pourquoi alors donner ici une place prééminente à Miguel Ángel Asturias, Pablo Neruda et Jorge-Luis Borges ? Moins, peut-être, à cause de leur gloire actuelle - les deux premiers ont obtenu le prix Nobel - que parce que leur oeuvre répond parfaitement aux définitions de la littérature latino-américaine ; l'exaltation et la transposition des mythes, l'intégration à la terre et l'universalité de l'homme.

Les Légendes du Guatemala sont la plus saisissante introduction au monde maya. L'homme y affronte la fable et l'histoire, le rêve et la réalité.

Claude Couffon écrit : " Sous la baguette magique de l'imagination d'Asturias, la montagne, l'arbre ou la plante s'humanisent, la pierre, la feuille ou le son s'animalisent, créant un univers insolite dans lequel le lecteur, à la suite de Peau d'Ane, s'avance ébloui. » Voilà Asturias " dans un bois d'arbres humains ; les pierres voyaient, les feuilles parlaient, les eaux riaient et le soleil, la lune, les étoiles, le ciel et la terre remuaient de leur volonté propre. » Mais, avec Monsieur le Président et le Pape vert, Asturias sort de sa forêt enchanté pour entrer dans la ville que terrifie le dictateur et que l'United Fruit Company exploite.

Défenseur des Indiens, adorateur de la terre, il chante les grands ancêtres dans une langue d'une richesse unique où flamboient les couleurs et retentissent " les trilles du zenzontle ou du guarda-barranca ».

Il a créé pour exprimer à la fois la réalité sociale et politique, les traditions sacrées des Mayas et ses propres songes, un mode nouveau : le réalisme magique. " J'écris pour une terre à peine sèche, encore fraîche de fleurs, de pollen, de mortier. » Cette terre, c'est le Chili, patrie de Neruda, dont il évoque également, dans son Chant général, les aïeux intrépides et fiers " mes pères Araucans », car il revendique comme siens ces primitifs du Sud qui tiendront en échec les conquistadores.

LA LITTÉRATURE LATINO-AMÉRICAINE 287 Charnellement attaché au passé de son pays et à sa substance physique - le minéral y prédomine - , Neruda dans ses Odes élémentaires, célèbre les pierres.

Pierres du ciel, pierres du Chili : éme-raude, rubis, améthyste et turquoise et les roches en forme de harpe ou de tortue qui parsèment la côte chilienne où se dresse sa maison. " Ma compagne en poésie Gabriela Mistral a dit un jour qu'au Chili on nous voyait vite le squelette, tant nous avons de roches dans nos montagnes et sur nos sables. » Neruda, pieusement, cherche à traduire les hiéroglyphes des pierres de son pays. " Mais la pierre a gardé le souvenir. » Il est aussi le témoin engagé de son temps et l'avocat de l'opprimé.

La terre et l'homme. Pour Borges, la métaphysique, le lyrisme et l'analyse de l'homme forment un tout. C'est un esthète de l'intelligence.

D'abord, il débute par une période ostentatoire et paradoxale : le culte de la métaphore pour la métaphore.

Puis, il met en images les concepts et inversement.

Enfin il entre dans le temps de la réflexion : il se limite à l'allusion, comme s'il voudrait dire quelque chose, mais ne le dit pas : " Cette imminence d'une révélation qui ne se produit pas, c'est peut-être le jait esthétique. » Ni surréaliste, ni existentialiste, Borges, bien que persuadé de l'absurdité du monde, pense que l'homme crée sa propre réalité et tente de lui donner un sens.

Trop intellectuel ? En tout cas, difficile à saisir, tant sa pensée est profonde et son inspiration va loin dans l'espace et dans le temps. " Au commencement de la littérature était le mythe, et ainsi jusqu'à la fin des siècles. » Les novateurs Les deux générations, de 1940 à 1955 et de 1955 à nos jours, ont été fortement marquées par leur histoire.

La fin de la Deuxième Guerre mondiale, le triomphe des pays libéraux sur le totalitarisme - qui continuait encore à sévir dans certains pays d'Amérique latine - , la " guerre froide », entre les Etats-Unis et la Russie, les idéologies du Tiers Monde, la naissance du premier régime communiste et du premier gouvernement catholique de gauche en Amérique du Sud - tous événements sensationnels qui ne pouvaient pas ne pas se traduire par un bouleversement des procédés littéraires.

Néonaturalisme, existentialisme, voire nihilisme seront les nouvelles écoles. L'écrivain s'engage et prend des positions tranchantes ou passionnées.

Cependant et surtout dans la littérature actuelle, on est frappé par le renouvellement de l'écriture.

Le mot, désormais, est roi.

Est-ce un retour à cette rigueur implacable du style, première qualité des grandes oeuvres ? A propos de Cobra du Cubain Severo 288 LA LITTÉRATURE LATINO-AMÉRICAINE Sarduy, Roland Barthes écrit : " Un livre vient nous rappeler qu'il y a un plaisir du langage, de même étoffe, de même soie que le plaisir erotique, et que ce plaisir du langage est sa vérité. » Juste définition, valable pour la plupart des romans et essais des Latino-américains d'aujourd'hui.

Qu'il s'agisse de Sarduy, de son compatriote José Lezama Lima, du Chilien José Donoso, du Brésilien Osman Lins, du Péruvien Mario Vargas Llosa, de l'Argentin Julio Cortazar, - et de tant d'autres écrivains - , il n'y a pas à s'y tromper.

Leur langage insolite - et son étincelante mathématique - n'est pas artifice ni jeu de dilettante.

Au-delà du plaisir physique qu'il nous procure - ces mots qui éclatent, ces phrases qui ondulent - , il exprime une totale sincérité.

Il nous conduit vers l'homme et sa vérité. Jeunes dans leur pays respectif, les littératures d'Amérique latine sont aussi jeunes en France.

Pendant longtemps, elles n'ont jamais franchi ni la pampa, ni la forêt, ni la Cordillère des Andes.

Même à l'intérieur de leur continent, la diffusion est difficile. La consécration est, pour elles, la traduction en français ou en anglais.

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, de grands efforts ont été tentés et réussis pour traduire et publier en France les oeuvres latino-américaines.

Dès son retour d'Argentine, Roger Caillois a créé la collection " La Croix du Sud » chez Gallimard qui, maintenant, accueille des" ouvrages d'Amérique latine dans les collections " Du monde entier » et " Les essais ».

De même chez Denoël, " Lettres nouvelles » ; chez Robert Laffont, " Pavillons » ; au Seuil, " OEuvres de la littérature latino-américaine » ; chez Albin Michel, Seghers, Stock et la plupart des éditeurs.

C'est là faire oeuvre utile.

La littérature qui nous vient d'Amérique latine - roman, poésie et essai - sera celle de demain.

JEAN DESCOLA