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ARCHITECTURE CONTEMPORAINE ET PATRIMOINE

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34LES ANNALES DE LA RECHERCHE URBAINE N°82Florent ChampyARCHITECTURE CONTEMPORAINEET PATRIMOINELA CONSTRUCTION OU L"INTERVENTION DANS UN SITE?En 1998, les directions de l"Architecture et du Patri-moine du ministère de la Culture ont fusionné.Cet événement pourrait à terme modifier les modali-tés selon lesquelles s"articulent les pratiques qui onttrait au patrimoine et celles qui concernent la créationarchitecturale.

Pleinement conscient de ces enjeux,François Barré, directeur de l"Architecture et du Patri-moine, a chargé Joseph Belmont d"animer un groupede réflexion sur "les conditions de l"interventionarchitecturale dans les espaces protégés» (Belmont,1998), avant même la fusion des deux directions.

Cethème de travail laisse de côté un pan du problème : ilconviendrait en effet également de réfléchir auxmoyens d"améliorer le respect du site, ou encore del"existant, dans les espaces non protégés.L"évolution de la notion de site est en elle-mêmerévélatrice des difficultés rencontrées dans l"articula-tion de la création architecturale avec l"existant.

LaFrance a longtemps été en retard sur d"autres pays, laloi du 31 décembre 1913 sur le classement et l"ins-cription ne protégeant que des monuments (Houlet,1996).

La loi du 2 mai 1930 sur la protection dessites étend ces dispositions à des ensembles dont lacohérence et l"intérêt sont reconnus1.

Ce texte modi-fie ainsi l"échelle de la réflexion pour la protectiondu patrimoine.

De plus, en mettant l"accent sur desensembles cohérents, il incite à être plus attentif à ladiversité de leurs identités : sites militaires, mari-times, industriels, ruraux Mais le site reste une réa-lité administrative : c"est une zone dont le statutappelle des précautions particulières lors de touteintervention.

Cette notion participe ainsi d"une divi-sion du territoire entre espaces protégés et espacesnon protégés.A l"opposé de cette démarche, on peut considérerque toute création architecturale modifie un site, fût-il ordinaire, dégradé, ingrat voire invivable, et que leconcepteur devrait en tenir compte, que ce site soitprotégé ou non.

Nous nous proposons ici d"essayerde comprendre quels sont les obstacles à la prise encompte du site dans l"architecture ordinaire, et demontrer l"intérêt, dans cette optique, de changerl"échelle du référent de l"activité architecturale et latemporalité des interventions des acteurs.Protection proliféranteet revendication de créationPour qui s"intéresse avant tout à l"architecturecontemporaine, les protections dont le patrimoinebénéficie seraient des obstacles à la création.

Selond"autres à l"inverse, c"est la création qui constitue unemenace pour le patrimoine.

Les textes qui mettent l"ac-cent sur cette opposition sont nombreux et parfoisanciens2.Le système de protection sélective par classement etinscription est la traduction dans les pratiques de cetantagonisme, surmonté grâce à un partage du terri-toire.

Il a permis d"éviter des destructions dramatiques,mais il a aussi des effets pervers : il permet la coexis-tence d"endroits scrupuleusement préservés et de réali-sations peu respectueuses du passé, destructrices delieux pourtant non dénués d"intérêts esthétique et his-torique, là où les seules contraintes sont celles du droitde l"urbanisme et de la construction (dépôt d"un per-mis de construire, respect du plan d"occupation dessols, respect des normes).

Pour éviter ces erreurs, laseule solution consiste à protéger de plus en plus debâtiments et de sites.

L"histoire de la notion de patri-1.

Les autres grandes étapes de l"élaboration des outils de protection du patri-moine sont le décret de 1943 définissant les règles d"intervention 500 mètresautour des monuments historiques ainsi que dans les lieux de covisibilité, la loiMalraux de 1962 sur les secteurs sauvegardés et enfin la loi de 1983 quiconfie la responsabilité des sites aux collectivités locales et les transforme en43 ZPPAU (zones de protection du patrimoine architectural et urbain, deve-nues en 1995 ZPPAUP par l"ajout d"une dimension paysagère).2.

Ainsi Gustavo Giovannoni écrivait-il dans un ouvrage paru en 1931 etrécemment traduit en français : "Hier comme aujourd"hui, deux conceptionss"affrontent lorsqu"il est question de rénover un centre ancien et de définir lesrapports entre contexte et développement nouveau : selon la première, lesvestiges du passé - à l"exclusion des oeuvres et des monuments les plus remar-quables - sont autant d"entraves à la réorganisation urbaine; la seconde, enrevanche, les considère comme des bases intangibles.

Une telle divergence depoints de vue a toutes les apparences d"une opposition irréductible entre laVie et l"Histoire : d"un côté, les besoins positifs du développement et du modede vie modernes; de l"autre, le respect des souvenirs historiques et artistiqueset le maintien du cadre général de la ville ancienne.» (Giovannoni, 1998,p. 3.

5) Des exemples plus anciens pourraient aisément être cités.Les Annales de la Recherche Urbaine n° 82, 0180-930-III-99/82/p. 38-47 © METL.

LES ÉCHELLES DE LA VILLE 35tative récente de dépasser l"antagonisme entre archi-tecture et patrimoine a présenté la création contempo-raine comme le "patrimoine de demain».

Cette repré-sentation de l"architecture comme patrimoine a inspiréune part importante de la création contemporaine,notamment la conception des grands projets présiden-tiels.

Bien avant la fin des travaux de la BibliothèqueFrançois-Mitterrand, Dominique Perrault, son archi-tecte, avait explicité un des critères essentiels du suc-cès: que dès son ouverture, on y fasse les plus bellescartes postales de Paris.

Philippe Genestier a bien ana-lysé la perte de sens associée à cette démarche architec-turale concernant les grands projets, pour lesquels la"recherche débridée de l"originalité» (Genestier, 1992,p. 86) se substitue aux débats sur les fonctions socialesdes bâtiments et sur la technique.

Il montre commentcette quête narcissique prive le bâtiment de "la relationsyntagmatique, liant l"édifice public à son environne-ment, et l"opposant aux bâtiments privés» (p. 87) 4.D"autres programmes sont aussi concernés.

RicardoBofill, architecte catalan très actif en France, a réintro-duit dans le logement social le décor historisant quiavait été abandonné en même temps que la pierre detaille, au motif que le peuple aussi a droit, à son tour, àmoine est ainsi pour une large part l"histoire des ajoutspar lesquels on est passé de la redécouverte de l"archi-tecture antique à la Renaissance, à la réhabilitation desstyles médiévaux après la Révolution française puis àl"intérêt pour les architectures industrielles et vernacu-laires au vingtième siècle (Choay, 1992).Les adeptes du patrimoine en viennent à revendi-quer "la conservation de l"ensemble des bases maté-rielles de la mémoire collective», tandis que les parti-sans d"une priorité donnée à l"aménagementprétendent également imposer leurs pratiques à la tota-lité de l"espace.

La séparation spatiale entre espacesprotégés et espaces où la création contemporaine estmoins entravée (il y a toujours des contraintes!) n"estainsi plus tenable parce qu"aucun accord ne peut plusêtre trouvé sur les frontières entre ces espaces (Soucy,1998).Suivant la tendance qui l"emporte, deux risques seprésentent.

Le premier est celui de la protection proli-férante, par laquelle tout ou presque dans les villes3serait inscrit ou classé à plus ou moins long terme.Nous vivrions alors dans un musée où les obstacles à lacréation contemporaine seraient omniprésents, le cultedes monuments étant devenu facteur de mort, dontseraient victimes non seulement l"architecture, maisaussi l"urbanisme, l"aménagement du territoire, lespolitiques de transports publics.

L"histoire serait alorsvenue à bout de la vie, comme l"annonçait Nietzsche(1988Le deuxième risque est le corollaire inversé du pré-cédent.

Pour échapper à cette muséification et pourcontourner les obstacles qu"elle met à la création, ons"autoriserait de plus en plus d"entorses à la protection,et l"extension de cette dernière se traduirait par unrecul de la protection réelle.

La protection n"a de sensque par opposition à la relative liberté qui prévaut dansla plus grande partie des espaces constructibles.

Si toutest désormais protégé, il y a fort à craindre que lesforces du marché ne reprennent le dessus, parfois aumépris des sites les plus précieux historiquement etesthétiquement.Dans les milieux professionnels concernés, les offen-sives de l"architecture et de la construction contre lepatrimoine sont actuellement plus virulentes et fré-quentes que celles du patrimoine contre l"architecture.Les enjeux économiques de la construction et l"atta-chement à la liberté d"entreprendre contribuent à cedéséquilibre.

De plus, comme nous le verrons, la visi-bilité même de l"acte de construction et les bénéficessymboliques qui peuvent en être retirés expliquent queplus d"acteurs s"engagent en faveur de la création quede la conservation, souvent moins lucrative et plusingrate.Les attaques de l"architecture et de la constructioncontre le patrimoine se cachent souvent derrière desformulations en apparence équilibrées.

Ainsi, une ten-3.

Cette restriction est rendue nécessaire par les saccages réalisés dans lesentrées de villes, qui suscitent peu d"émotion et montrent que des pansentiers du territoire restent offerts sans entrave et quasiment sans oppositionaux bétonneurs.4.

François Loyer a aussi analysé le malaise auquel cette tendance à la pro-duction de monuments tente vainement de répondre : "la production actuellede monuments immédiatement assimilés à notre patrimoine historique (jus-qu"à faire partie intégrante des tours organisés pour les visiteurs étrangers),reflète une recherche angoissée de certitudes culturelles dans un mondedépaysé par la surconsommation médiatique des signes» (Loyer, 1992,p. 101).Montpellier : Antigone, place de l"Europe. 36LES ANNALES DE LA RECHERCHE URBAINE N°82Architecture contemporaine/Champydes colonnes.

Il n"est cependant pas certain que ses réa-lisations (à Marne-la-Vallée, à Montpellier, dans lequartier de la gare Montparnasse à Paris), soientdemain reconnues comme faisant partie du patri-moine.

Le décor obsolète qu"il plaque sur des pro-grammes qui n"en restent pas moins pauvres ne suffitpas à faire de la belle architecture.

Si on s"y intéresseencore dans vingt ans, cela risque fort d"être commetémoin de ce que notre époque a de plus superficiel :l"utilisation mensongère de codes qui jusqu"au débutdu siècle allaient de soi.Outre cette perte de sens de l"architecture et l"oublide fonctions constitutives de l"activité architecturale,deux raisons rendent impossible la légitimation de laconstruction contemporaine avec les valeurs du patri-moine.

Tout d"abord, cette formule suppose une symé-trie spécieuse entre passé et futur : on ne peut prendrele risque de sacrifier le passé et les richesses qu"il nouslègue à un futur qui n"existe pas encore, personne nesachant aujourd"hui ce qui demain sera patrimoine.

Ilfaut de plus noter que ce type de formule ne nous ditrien, concrètement, sur la façon de faire de l"architec-ture, de respecter le site et de rendre acceptables lesconstructions contemporaines.L"incohérence des interventions architecturales suc-cessives dans les villes s"explique aisément par l"absencede régulation forte, c"est-à-dire par le fait que chaqueédifice ait son maître d"ouvrage, et qu"il soit difficil