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Ian Hacking Philosophie et histoire des concepts scientifiques

Le cours a deux aspects une partie théorique

Philosophie et histoire des concepts scientifiques

M. Ian H

ACKING, professeur

A. Cours

1. Introduction (leçons 1, 2)

Le cours de l'année 2001-2002 était intituléFaçonner les gens. Il traitait des gens et de la classification des gens. Il a porté avant tout sur la diversité des interactions entre les gens et la manière dont ils sont classifiés, et sur les trans- formations que nous, qui entrons dans des classifications, nous faisons subir en retour à ces classifications : c'est l'" effet de boucle » des classifications humaines. C'est peut-être là que réside la différence fondamentale entre sciences natu- relles et sciences sociales. Ce qui distingue principalement les sciences sociales, ce n'est pas tant qu'elles traitent de ce qu'on appelle des constructions sociales, ou qu'elles exigent leVerstehen, la " compréhension » des autres, plutôt que l'explication, la prédiction et le contrôle. Ce qui les distingue, c'est qu'il existe une interaction dynamique entre les classifications développées par les sciences sociales et les individus ou les comportements qui sont classifiés. Le fait d'appli- quer une catégorisation aux individus peut les affecter de façon directe. Cela peut même les changer. Ainsi, les traits caractéristiques des individus d'un genre donné peuvent changer. Notre connaissance de ces individus doit alors être revue en conséquence, et nos classifications elles-mêmes doivent peut-être être modi- fiées. La première hypothèse du cours est donc la suivante : nos classifications des gens interagissent avec les gens que nous classons. Les classifications des gens sont " interactives ». Il n'en va pas de même pour les classements des choses : ils n'interagissent pas avec les choses, ils sont " indifférents ». C'est l'aspect le plus important de l'idée qu'une classification est " naturelle », le sujet de notre cours de l'année 2000-2001.

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Pourquoi doit-on s'intéresseràla question de savoir si une classification est "naturelle»ou non ? La question n'est pas seulement théorique. Il y a des enjeux moraux et politiques. Certains, comme Anthony Appiah, affirment par exemple que les classements par race ne sont pas fondés dans la nature, mais sont simplement le produit de l'histoire occidentale du colonialisme et d'une science asservie au colonialisme. Il faut donc renoncer au concept de race. Certains anti-racistes rejettent cette idée : certes, les races ne sont pas des espèces naturelles, fondées sur les distinctions biologiques, mais elles sont des espèces humaines, constituées au cours d'une histoire d'oppression. C'est la thèse de W.E.B. Du Bois (1868-1963), qu'on trouve dans son beau livre de 1903, intitulé A ˆmes noires. Il soutient que la reconnaissance de ces groupes culturels et histo- riques est essentielle dans la lutte contre le racisme. La catégorie de race est toutàfait valable et constitue un classement interactif. Prenonségalement l'exemple de l'homosexualité, qui fournit une bonne illus- tration des implications politiques d'une théorie des classifications des humains. Certains pensent que l'homosexualitéest une construction sociale : une manière de classer des gens, certes, mais une classification qui est le résultat de l'histoire, et pas de faits gravés dans la nature. Ce sont les constructionnistes. D'autres pensent que l'homosexualitéest une classe naturelle. Ils pensent même que l'homosexualitéest une partie de l'essence d'un homme qui est homosexuel. Dans sa version la plus forte, cet essentialisme fait l'hypothèse qu'il y un"gène homosexuel». La question de savoir si le classement"homosexuel»est naturel et indifférent, ou au contraire interactif se trouve au coeur de ce débat. Il est important de garder toujoursàl'esprit les enjeux stratégiques liésàla question de savoir si X est une classification naturelle. Mais, dans ce cours, nous n'avons pas approfondi plus avant ces questions de la race, du sexe ou du genre. Plus que d'analyser ces enjeux, notre butétait d'essayer de comprendre de manière plus générale les structures des classifications des gens ainsi que l'effet de boucle. Cette dernière métaphore peut d'ailleursêtre trompeuse parce qu'elle suggère une fausse généralité. On se dit :"l'effet de boucle - quel joli mot. Je puis me le rappeler facilement. Je le comprends !». Cependant, il y a une grande variétéd'interactions. Il faut les décrire. Les effets de boucle sont très complexes et ils dépendent de mécanismes très divers. Il faut les décrire, eux aussi. Afin de poser un cadre dans lequel nous pourrons inscrire ces descriptions, nous avons commencépar une typologie provisionnelle de classifications des gens. La liste est loin d'être complète. De fait, il est sans doute impossible d'établir une liste exhaustive. En outre, dans la liste détaillée ci-dessous, les six types mentionnésnes'excluent pas mutuellement : il y a des rapports et des chevauchements entre eux. La quantification. On emploie les qualités et les quantités pour classifier les gens et leurs comportements. De plus en plus, les qualités ont tendanceàdevenir quantitatives. La corpulence devient l'obésité,définie par l'Indice de Masse PHILOSOPHIE ET HISTOIRE DES CONCEPTS SCIENTIFIQUES539 Corporelle. C'est une illustration de l'Impératif Numéro Un des sciences de l'homme : mesurons les qualités ! Rendons les qualités quantitatives ! La"biologisation».On cherche une origine biologique aux caractéristiques, aux troubles, aux comportements humains. C'est une illustration de l'Impératif Numéro Deux des sciences de l'homme : découvrons les fondements biologiques des traits de caractère et de comportement (la trisomie, par exemple). Les classifications inaccessibles. Il y a des classements apparemment inacces- sibles aux gens classifiés (par exemple l'autisme). Comment un"effet de boucle»est-il possible, dans ce cas ? Les classifications administratives. Beaucoup de termes classificatoires sont employés dans des buts administratifs (par exemple le seuil de pauvretépour définir des niveaux d'assistance sociale). Ainsi, l'autisme peutêtre considérénon seulement comme un trouble du développement mental, mais aussi comme une espèce administrative. L'auto-appropriation. On peut observer un phénomène d'apparition assez récente, et qui se révèle aujourd'hui très efficace : l'auto-appropriation d'une classe par ses membres (gays, handicapés, travailleuses/travailleurs du sexe - et RMIstes ?). La normalisation. Un troisième Impératif s'est fait jour vers 1850 : la normali- sation. Elle a deux aspects. (1) Trouvons la moyenne, la norme, des traits humains qu'on peut mesurer. Trouvons aussi la distribution desécarts de la norme. (2) Faisons des individus normaux ! Le premier aspect est affaire de statistique. Le deuxième aspect demande des institutions. Mais la statistique, elle aussi, requiert des institutions, comme l'INSEE, par exemple.

2. Illustrations (leçons 3-11)

Nous avonsétudiédes exemples de classifications de chaque type avec plus ou moins de détail. Dans chaque cas, on commence par un bref historique de la classe, suivi par une discussion des effets de l'introduction de ce classement. Il s'agit toujours de classifications dites"scientifiques». La plupart de nos illustra- tions sont tirées de circonstances récentes et d'événements de la deuxième moitié du XIX e siècle parce que c'estàcetteépoque que les sciences sociales commen- centàexercer une influence dominante sur des institutions et des coutumes de nos sociétés. Même la recherche des origines génétiques des caractéristiques psychologiques et des troubles mentaux plonge ses racines dans les doctrines reposant sur les idées de stigmates héréditaires et de dégénérescence. Trisomie(type II).En premier lieu, un grand succèsdela"biologisation»: la trisomie. Un groupe de chercheurs dirigépar Jérôme Lejeune a découvert que les enfants dits"mongoliens»ont un chromosome 21 en plus. Dans un ovule humain fécondé,laprésence d'un chromosome surnuméraire dans une paire

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chromosomique conduira, s'il vientàterme,àla naissance d'un enfant porteur des symptômes caractérisés longtemps auparavant par le docteur Down. Trois chromosomes 21 : d'oùle nom de"trisomie».Cen'est pas un hasard si, vers

1960, les attitudes vis-à-vis des enfants atteints du syndrome de Down ont

changé. De nouvelles dispositions institutionnelles furent prises afin de"normali- ser»ces enfants. Il est devenu courant de souligner que les caractéristiques de la trisomie ne sont que l'un des aspects de la personnalitéde l'enfant. En même temps, les foetus trisomiques peuventêtre identifiés et donner lieuàun avorte- ment. C'est un exemple de l'influence excessive sur lesêtres humains potentiels de notre connaissance d'une qualité. Lejeune, furieux de ce résultat, disait que "nous leséliminons». Autisme(types III, IV).Sur les causes de l'autisme infantile, en revanche, nous n'avons pas de bonnes hypothèses. Le mot"autiste»existait depuis 1911 (Eugen Bleuler), mais il n'aétéappliquéaux enfants qu'en 1943 par le docteur Léo Kanner. Kanner a mis l'accent sur l'absence de vie relationnelle. Il aécrit des textes sur les parents quiélevaient leurs enfants dans des"réfrigérateurs émotionnels». Vers 1955, on voyait làla cause principale de l'autisme. C'était la faute des parents. On conseillait donc aux parents de ces enfants anormaux d'entreprendre des thérapies intensives, qui duraient des années. Observez le glissement vers le terrain moral. Avant Kanner, ces enfants avaientétéécartés d'emblée et jugés stupides, faibles d'esprit (et par conséquent faibles et mauvais), ou sourds (et donc muets et stupides). Ilsétaient mauvais, même si ce n'était pas de leur faute. Après Kanner, les voici libérés. Ce sont leurs parents qui sont des réfrigérateursémotionnels. Les parents sont mauvais, et ils ont besoin d'aide. Aujourd'hui, cet aspect moral a presque disparu. La plupart des cliniciens actuels pensent que l'autisme est d'origine neurologique. Le diagnostic met l'accent plutôt sur les problèmes sociaux, sur l'absence de jeux avec les autres enfants, sur l'absence de jeux imaginatifs avec les objets, le manque d'empathie, ou l'incapacitéàreconnaître lesémotions des autres. La moitiédes enfants ne parvient pasàdévelopper le langage courant. Les descriptions données par les personnes habituées au contact avec les enfants autistes sont très variables. Les gens qui ont le temps et la patience d'essayer de les connaître disent souvent que ces enfants comprennent très bien ce qui se passe et qu'ils ont tendanceà être manipulateurs. Ils savent qu'on pense qu'ils sont autistes, ils connaissent les symptômes officiels, et ils utilisent implicitement ces informations. Il y a beau- coup d'effets de boucle. Un article bien documentéaffirmait récemment qu'"il est grand temps de considérer l'autisme comme une catégorie administrative plutôt que comme une maladie spécifique. L'autisme n'est pas une maladie, pas plus que le retard mental : c'est un terme générique [ce n'est pas le nom d'une maladie spécifique] qui recouvre une grande variétéde maladies, ainsi que certains traits de comporte- ments communs». Cette remarque peut contribuer utilementàla typologie des PHILOSOPHIE ET HISTOIRE DES CONCEPTS SCIENTIFIQUES541 classifications interactives : l'autisme n'est pas seulement une espèce de trouble du comportement : c'est aussi une catégorieadministrative. Dans notre sociétéindustrialisée, avec les systèmes massifs d'éducation et de santé, nous ne laissons pas les enfants autistes seuls dans leur famille. Il faut créer des systèmes de traitement, d'éducation, même de rééducation."La prise en charge des enfants autistes doitêtre le plus précoce possible. Elle doit se faire individuellement et en groupes dans lesétablissements spécialisés, par une équipe pluridisciplinaire (socio-éducative et psychothérapeutique). Cette prise en charge peut s'accompagner, si nécessaire, d'une rééducation du langage (ortho- phonie) et de la motricité.»C'est un fait : de nos jours, lesétablissements spécialisés et leséquipes pluridisciplinaires sont nécessaires. L'existence d'ex- perts et de bureaux qui prennent des décisions administratives est devenue une nécessité. Or le placement d'un enfant dans un telétablissement a beaucoup d'effets sur lui. Il se trouve parmi des enfants qui ont des troubles de comporte- ment. Il est conscient d'être une personnecomme cela. Il acquiert un peu du comportement des autres enfants qu'il côtoie dans l'institution. On a observéque les enfantsétudiés par Bruno Bettelheim dans sonécole pour les autistes - l'École orthogéniqueàChicago - deviennent très différents des enfants pris en charge par d'autres institutions. Les symptômes et le comportement des autistes ontétémodifiés par les institutions et les théories institutionnelles depuis 1943. La normalisation(type VI).Nous avons présentéune histoire de l'idéedu normal qui doit beaucoup aux recherches de Georges Canguilhem. L'idéedela normale est le produit de plusieurs facteurs : l'éducation révolutionnaire (L'école normale) ; la médecine polémique (de Broussais en particulier) ; l'exportation des idées techniques du normalàla politique,àla littérature etàla vie quoti- dienne (Comte, Balzac) ; la nouvelle bureaucratie chargée de compter, qui produit "l'avalanche de nombres imprimés»(1815-1830) ; les régularités qui apparais- sent parmi ces nombres, et l'idéedel'homme moyen (Quételet) ; le fait que l'utilitéde l'idéenedépend pas seulement de l'idée du normal comme moyen, mais aussi desécarts par rapportàla moyenne (Galton). Il serait trompeur de se focaliser uniquement sur le mot"normal»lui-même et sur la dichotomie normal / anormal. Pensez aux autres paires de contraires : rationnel / irrationnel ; sain / malade ; sain d'esprit / fou ; stable / instable ; responsable / irresponsable. Ces idées sont toutes dans l'arène de la normalité. Chacune est l'expression d'une ou de plusieurs normes. Ces idées sont beaucoup plus anciennes que l'idée de normal elle-même, mais toutes sont maintenant organisées dans le cadre des normes. Toutes ces idées sont sous la domination d'un concept organisateur : le normal. Chacune de ces dichotomies est associéeàdes institutions. Il y a des institu- tions dont le but est de régulariser, surveiller,énumérer, contrôler, réformer, vérifier, guérir, confiner, interner - en un mot,normaliser. Il y a des personnes dont le métier est d'établir les normes, de déterminer lesécarts par rapportàla

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norme, et d'effectuer des normalisations : la police et la gendarmerie, la magistra- ture, les militaires, les gardiens de prison, les infirmières dans les maisons de retraite, les sondeurs, les techniciens de l'AFNOR, les contrôleurs de tests de QI et d'innombrables autres tests psychologiques. Citons encore les employésde l'administration et des services : les inspecteurs des impôts, les fonctionnaires de la sécuritésociale, les mécaniciens qui réalisent les contrôles techniques des voitures, ou encore les experts qui vérifient la normalitéde votre installation électrique ou du gaz, ou des centrales nucléaires. Pour conclure, pensons aux gens qui font l'objet de vérifications de la normalité: les RMIstes, les autistes, les contribuables coupables de fraude fiscale, les immigrants sans papiers, vous et moi. Quelle est la plus grande classe d'individus normalisés ? Lesélèves, les étudiants et lesétudiantes. Quelle est la plus grande classe d'individus normalisa- teurs ? Les instituteurs, institutrices, professeurs, fonctionnaires du ministère de l'éducation, jusqu'au ministre de l'éducation lui-même. L'obésité et l'anorexie(types I, VI).L'impératif numéro un des sciences de l'homme est : mesurons des qualités ! Les qualités deviennent les quantités : par exemple, la corpulence devient l'obésité, mesurée par l'Indice de Masse Corpo- relle."Obèse»signifie désormais"trop loin de la moyenne». Pour calculer dans quelle catégorie de poids vous vous situez, il suffit de diviser votre poids en kilogrammes par le carréde votre taille en mètre. C'est l'indice de Quételet, rebaptiséaujourd'hui IMC. Quand l'indice vaut plus de 30, c'est l'obésité. Au- delàde 35, l'obésitéest dite sévère ; et au-delàde 40, morbide. Pourquoi ces nombres ? Quand ces définitions ontétéétablies, on pensait que dans la popula- tion humaine, ou du moinsàBruxelles, la moyenne de l'IMCétait de 22,5. On croyait que la distribution de ce rapportétait conformeàla loi de Gauss-Laplace, la loi normale. Et on croyait que deux tiers des adultes ont un IMC situéentre

20 et 25. Donc l'écart type de cette distribution est de 22,5. Eˆtre"normal»,

c'est avoir une IMC comprise entre 20 et 25. Quételet aétabli uneéchelle qui fait des sauts de 5 unités : normal jusqu'à25, embonpoint jusqu'à30, obèse jusqu'à35. Obèse sévère jusqu'à40, morbide au-dessus de 40. Il y a des corrélations entre l'IMC et la santé. Aujourd'hui, on pense que le facteur de risque augmente au-dessus de 28. L'obésitéest considérée comme un facteur de risque dans diverses affections : hypertension, insuffisances corona- rienne et cardiaque, diabète, etc. L'IMC des populations du monde industrialisé augmente. AuxÉtats-Unis on parle maintenant d'uneépidémie d'obésitéparmi les enfants et les adolescents. A `l'échelle mondiale, le nombre des personnes sous-alimentées estégalàcelui des obèses. Nous, qui vivons dans des sociétés qui répartissent l'abondance de façon si irrégulière, avons acquis au fil du siècle passéun nouveau sens de ce que c'est qu'être une personne en bonne santéet ayant bonne mine. Apparemment, on est arrivépresqueàl'antithèse de ces femmes plantureusesétalées sur les toiles de Rubens ou de Renoir. Voilàen tout cas une belle illustration de ce que j'appelle"façonner les gens». Une nouvelle espèce de personne est là, devant nous : le gros quantifiable. Une qualitéest PHILOSOPHIE ET HISTOIRE DES CONCEPTS SCIENTIFIQUES543 devenue une quantité. Et cela n'est pas sans effets. Car nous nous sommes littéralement fondus dans de nouvelles formes. Il y a des conséquences encore plus graves. Adolescentes et jeunes femmes s'imposent des régimes draconiens, et dans 10 % des cas les plus obstinés, elles vont jusqu'àse laisser mourir. L'anorexie touche majoritairement le sexe féminin - qui représente au moins 80 % des cas. L'anorexique est souvent intelligente, active, bien insérée dans la vieétudiante ou la vie professionnelle. Obsédée par son poids, elle peut abuser des laxatifs ou des diurétiques dans l'intention de maigrir. Les crises de boulimie sont possibles - un besoin incontrôlable de manger, suivi par des vomissements provoqués. L'idée de grosseur, le sempiternel discours des journaux, de la télévision et des magazines de mode, les institutions qui l'accompagnent comme les Weight Watchers, tout cela agit sur nous. Pas forcément en faisant le détour par l'indice de Quételet qui est pourtant présent implicitement, devant nous, tous les jours. Le pèse-personne dans la salle de bains comporte deux tables de comparaison. L'une pour les hommes, l'autre pour les femmes. Le poids qui convient en fonction de la taille est clairement affiché,c'est exactement l'échelle de Quételet,

étalonnéeàl'indice 22 (kg/m

2 ). Ce qui nous travaille, ce ne sont pas tant des mots comme"obèse»que des appellations plus crues comme"le bourrelet» ou"les poignées d'amour». Mais le principe-cléqui commande toutes ces expressions aétéforgépar Quételet il y a bien plus d'un siècle. Nous vivons actuellement l'accélération toujours croissante de la quantifica- tion. Mais remarquez bien que ce n'est pas tant sur la quantification elle-même que je voudrais attirer l'attention. C'est plutôt sur la manière dont des qualités quantifiées se montrent plus efficaces sur nous, plus aptesànous façonner,à changer ce que nous pensons de nous-mêmes et des autres. Car nous avons atteint la connaissance objective de nous-mêmes, ou c'est ce que nous avons souvent tendanceàcroire. C'est un révélateur des processus profonds par lesquels la quantitéprend le dessus sur la qualitédans les affaires humaines. Le seuil de pauvreté(types IV, VI).Cette idée prend sa source vers 1890, dans les travaux de l'un de ces philanthropes victoriens typiques, incroyablement zélés : Charles Booth. Il a défini cinq catégories de revenu familial pour les habitants du Londres. A `moins de 18à21 shillings par semaine, on est classé comme pauvre. Booth créel'expression"seuil de pauvreté»en 1887. (Les célèbres propagandistes socialistes Beatrice et Sidney Webb ont utiliséun peu plus tard, en 1894, l'expression"poverty line», qui s'est imposée en anglais.) Ce seuil de pauvretéest fondésur l'usage d'une sorte de police des familles, exercée par des inspectrices des commissions scolaires. Celles-ci avaient pour mission de vérifier que les enfantsétaient effectivement envoyésàl'école. Elles faisaient du porteàporte, visitant chaque famille d'une région, etétaient chargées d'établir des rapports sur les conditions matérielles et sociales de chacune. L'édu- cationétait obligatoire jusqu'àonze ans ; il y avait une petite taxe hebdomadaire

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pour chaque enfant scolarisé. Une commission scolaire pouvait dispenser de cette taxe les enfants dont les parentsétaient jugés incapables de s'acquitter de ce montant en raison de leur pauvreté. Dans les faits, les commissions suivaient une règle tacite et accordaient ces dispenses aux familles dont le revenuétait inférieuràune somme d'environ 20 shillings par semaine. Booth n'a pas expliqué cette origine du seuil de pauvretéqu'il avaitétabli, mais c'est l'origine concrète - et contingente - des seuils de pauvreté,définis de façon absolue, de 1890

ànos jours.

Les seuils relatifs sont plus récents. Le seuil de pauvretépour une unité(par ex. une famille) d'un groupe donné(par ex. la population française) vaut 50 % du revenu disponible moyen des unités de ce groupe. Mais de quelle moitié s'agit-il : la médiane ou la moyenne arithmétique ? Dans les sociétés industrielles, le revenu médian est plus bas que la moyenne arithmétique (plus la sociétéest inégale, plus la différence est grande). L'ONU et la Communautéeuropéenne utilisent la moyenne. Les seuils servent pour définir le revenu minimum"normal»pour une société. Les seuils relatifs sont formulés dans le style statistique d'aprèsQuételet,àl'aide de moyennes. Les seuils absolus sont formulés dans le style quantitatif mais spécifique de Ferdinand Le Play. Tous deux sont des normalisations du type le plus simple. Le seuil de pauvretés'est emparédu monde anglo-saxon. C'est un outil bureau- cratique, mais aussi une arme puissante des idéologues, comme on le voità travers des slogans sur le nombre d'enfants vivant"au-dessous du seuil de pauvreté». LesÉtats-Unis ont adoptéun seuil absolu après la deuxième guerre mondiale : on parle des"poverty thresholds».Ladéfinition de ces mesures est toujours un enjeu politique. Au Canada on a des seuils relatifs ("low income cutoffs»), qui sont plusélevésde30%qu'auxÉtats-Unis. Les"pauvres»aux États-Unis sont donc beaucoup plus pauvres que les"pauvres»aux Canada. Le fait est bien connu des services concernés auxÉtats-Unis : ils savent parfaitement que leur"thresholds»sont trop bas pour la sociétécontemporaine, mais une augmentation du seuil, même limitéeà15 %, aurait pour effet de doubler le nombre de pauvres, ce qui n'est pas envisageable pour des raisons politiques. Le concept de pauvretén'aqu'une dimension. Le seuil de pauvretédivise le peuple en deux catégories, avec une apparence d'objectivité. En Europe, bien avant Booth, on employait des concepts plus complexes fondés sur les budgets familiaux mis enévidence par Ferdinand Le Play. Ernst Engel, un savant prus- sien, a quantifiéla pauvretéen fonction de la proportion des dépenses nécessaire pour une vie minimum, référence quiétait aussiàl'origine des mesures améri- caines. Les Français ont préférédes concepts pluridimensionnels comme l'exclu- sion. LeMinistère de l'emploi et de la solidariténote en 1997 que"le terme "exclusion"connaît actuellement une grande vogue». Sous ce vocable, on inclut souvent pauvreté,précarité,chômage, RMI et bien d'autres concepts encore. PHILOSOPHIE ET HISTOIRE DES CONCEPTS SCIENTIFIQUES545 Mais avec l'arrivéedel'Union européenne, les bureaucraties ont réclamédes mesures qui traversent les frontières. Ils ont choisi le seuil relatif fondésur le revenu moyen arithmétique. Il est devenu, non sans controverses, la mesure la plus couranteàl'INSEE ; il est employépar l'Observatoire français sur la pau-quotesdbs_dbs12.pdfusesText_18
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