On peut voir le langage mathématique comme un jeu de construction, dont le but est de fabriquer des énoncés vrais La règle de base de ce jeu est qu'un énoncé mathématique ne peut être que vrai ou faux Une des contraintes sera donc d'éviter toute ambiguïté et chaque mot devra avoir un sens mathématique précis
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Université Joseph Fourier, Grenoble Maths en Ligne
Langage mathématique
Eric Dumas, Emmanuel Peyre et Bernard Ycart
Ce chapitre vous explique la règle du jeu mathématique. Rien n"est vraiment nou- veau ni compliqué. Pour donner des exemples d"énoncés, nous ferons appel à quelques notions de base sur les nombres entiers, que vous connaissez depuis longtemps.Table des matières
1 Cours 1
1.1 Assertions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1
1.2 Ensembles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6
1.3 Quantificateurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10
1.4 Applications . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
1.5 Cardinaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14
1.6 Relations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19
1.7 Raisonnements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23
2 Entraînement 27
2.1 Vrai ou faux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
2.2 Exercices . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32
2.3 QCM . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42
2.4 Devoir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44
2.5 Corrigé du devoir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47
3 Compléments 52
3.1 La quantification des prédicats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52
3.2 Ces longues chaînes de raisons . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54
3.3 Le Docteur Illuminé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55
3.4 Ramener l"infini au fini . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57
3.5 Lettres à une Princesse d"Allemagne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58
3.6 Froid dans le dos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59
3.7 Le rêve de Hilbert . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61
3.8 La langue universelle de Peano . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62
3.9 Les cardinaux infinis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64
3.10 Ensembles quotients . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65
3.11 Démonstrations non constructives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67
3.12 L"ensemble de tous les ensembles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68
18 juillet 2015
Maths en LigneLangage mathématiqueUJF Grenoble1 Cours1.1 Assertions
On peut voir le langage mathématique comme un jeu de construction, dont le but est de fabriquer des énoncés vrais. La règle de base de ce jeu est qu"un énoncé mathématique ne peut être que vrai ou faux. Il ne peut pas être " presque vrai » ou" à moitié faux ». Une des contraintes sera donc d"éviter toute ambiguïté et chaque
mot devra avoir un sens mathématique précis. Selon le cas, un énoncé mathématique pourra porter des noms différents. •assertion :c"est le terme que nous utiliserons le plus souvent pour désigner une affirmation dont on peut dire si elle est vraie ou fausse. •théorème :c"est un résultat important, dont on démontre ou on admet qu"il est vrai, et qui doit être connu par coeur. •proposition :nous utiliserons ce terme pour désigner un résultat démontré, moins important qu"un théorème. •lemme :c"est un résultat démontré, qui constitue une étape dans la démonstra- tion d"un théorème. •corollaire :c"est une conséquence facile d"un théorème ou d"une proposition. Dans ce cours les démonstrations se terminent par un carré blanc, plutôt que par lecélèbre CQFD (" ce qu"il fallait démontrer »). Pour écrire formellement des énoncés
mathématiques, on utilise des lettres représentant des concepts (nombres, ensembles, fonctions, vecteurs, matrices, polynômes...) avec des symboles logiques et des relations. Le but de ce chapitre étant d"illustrer la manipulation du langage, il ne comporteraaucune difficulté mathématique. Nous en resterons à des énoncés très simples, que l"on
prendra soin de toujours traduire en langage courant pour bien les comprendre. Dans ce qui suit les lettresmetndésignent des entiers naturels (0,1,2,...). Nous n"utiliserons que les symboles de comparaison (<,>,6,>) et de divisibilité (|). Rappelons que m|n("mdivisen») sinest égal au produitkmpour un certain entierk. n <5l"entiernest strictement inférieur à 5 n>3l"entiernest supérieur ou égal à 3 n|12l"entierndivise 122|nl"entiernest divisible par 2 (il est pair)
Pour combiner entre elles des assertions, on utilise les connecteurs de base suivants : •lanégation(" non »), notée¬ •laconjonction(" et »), notée? •ladisjonction(" ou »), notée?. Le tableau suivant est unetable de vérité. Il décrit l"effet des connecteurs sur deux assertionsAetB, selon qu"elles sont vraies (V) ou fausses (F), en disant dans chacun 1Maths en LigneLangage mathématiqueUJF Grenobledes 4 cas si l"assertion composée est elle-même vraie ou fausse.
négationconjonctiondisjonction nonetouAB¬AA?BA?BVVFVV
VFFFV FVVFV FFVFF Le " ou » est toujours inclusif :AouBsignifie que l"uneau moinsdes deux assertions est vraie (peut-être les deux). Par opposition, le " ou exclusif » est vrai quand l"une des deux assertions est vraie mais pas les deux. Voici quelques assertions composées et leur traduction. ¬(n <5)l"entiernn"est pas strictement inférieur à 5. (n <5)?(2|n)l"entiernest strictement inférieur à 5 et divisible par 2. (2|n)?(3|n)l"entiernest divisible par 2 ou par 3. Observez l"usage des parenthèses qui permettent d"isoler des assertions simples au sein d"une assertion composée. À partir des connecteurs de base, on en fabrique d"autres, dont les plus importants sont l"implicationet l"équivalence. Par définition, l"implicationA=?Best vraie soit siAest fausse soit siAetBsont vraies toutes les deux. L"écritureA=?Best donc une notation pour(¬A)?B(" nonAouB»). L"équivalenceA??Best une double implication :? (A=?B)?(B=?A)? ("AimpliqueBetBimpliqueA»). Voici les tables de vérité des implications et de l"équivalence entre deux assertionsAetB. Constatez que l"équivalenceA??Best vraie quandAetBsont toutes les deux vraies, ou bien toutes les deux fausses.ABA=?BB=?AA??BVVVVV VFFVF FVVFF FFVVV L"implication et l"équivalence sont les outils de base du raisonnement mathématique. Il est essentiel de bien les assimiler, et de comprendre toutes leurs formulations. 2Maths en LigneLangage mathématiqueUJF GrenobleA=?BAimpliqueBAentraîneBsiAest vrai alorsBest vraiBest vrai siAest vraiAest vrai seulement siBest vraipour queBsoit vrai il suffit queAle soitAest une condition suffisante pourBpour queAsoit vrai il faut queBle soitBest une condition nécessaire pourAPour bien comprendre l"implication, reprenez chacune des formulations en remplaçant
Apar "n >3» etBpar "n >2».A??BAest équivalent àBAéquivaut àBAentraîneBet réciproquementsiAest vrai alorsBest vrai et réciproquementAest vrai si et seulement siBest vraipour queAsoit vrai il faut et il suffit queBle soitAest une condition nécessaire et suffisante pourBPour bien comprendre l"équivalence, reprenez chacune des formulations en remplaçant
Apar "n>3» etBpar "n >2».
Les principales propriétés des connecteurs sont résumées dans le théorème suivant. Théorème 1.SoientA,BetCtrois assertions. Les équivalences suivantes sont tou- jours vraies. •Commutativité :? A?B? B?A? .(1) "AetB» équivaut à "BetA». A?B? B?A? .(2) "AouB» équivaut à "BouA». •Associativité :?A?(B?C)?
(A?B)?C? .(3) "Aet (BetC) » équivaut à " (A etB) etC».A?(B?C)?
(A?B)?C? .(4) "Aou (BouC) » équivaut à " (A ouB) ouC». 3 Maths en LigneLangage mathématiqueUJF Grenoble•Distributivité :A?(B?C)?
(A?B)?(A?C)? .(5) "Aet (BouC) » équivaut à " (AetB) ou (AetC) ».A?(B?C)?
(A?B)?(A?C)? .(6) "Aou (BetC) » équivaut à " (AouB) et (AouC) ». •Négations :?¬(¬A)?
??A .(7) " non (nonA) » équivaut à "A».¬(A?B)?
(¬A)?(¬B)? .(8) " non (AouB) » équivaut à " (nonA) et (nonB) ».¬(A?B)?
(¬A)?(¬B)? .(9) " non (AetB) » équivaut à " (nonA) ou (nonB) ». Il est conseillé de remplacerA,BetCpar des assertions sur les nombres entiers pour bien comprendre les énoncés de ce théorème (par exempleApar(n66),Bpar (2|n),Cpar(3|n)). Démonstration: Pour démontrer l"équivalence de deux assertions, nous n"avons pas d"autre moyen pour l"instant que de vérifier que leurs tables de vérité coïncident : les deux assertions sont équivalentes si elles sont toujours soit toutes les deux vraies soit toutes les deux fausses. Voici la vérification pour (5).A?(B?C)??(A?B)?(A?C).
L"équivalence est vraie car dans la table ci-dessous, les colonnes correspondant aux deux assertions sont identiques.A B C(B?C)A?(B?C)(A?B) (A?C) (A?B)?(A?C)V V VV VV V VV V FV VV F V
V F VV VF V V
V F FF FF F F
F V VV FF F F
F V FV FF F F
F F VV FF F F
F F FF FF F F
4Maths en LigneLangage mathématiqueUJF GrenobleNous laissons au lecteur le soin de vérifier de même chacune des autres équivalences.
Rares sont les démonstrations mathématiques qui utilisent explicitement les tables de vérité. Une démonstration typique est un enchaînement d"implications ou d"équiva- lences, partant des hypothèses pour aboutir à la conclusion. Ces enchaînements utilisent latransitivitéde l"implication et de l"équivalence. Proposition 1.SoientA,BetCtrois assertions. L"énoncé suivant est toujours vrai. (A=?B)?(B=?C)? =?(A=?C).(10)SiAimpliqueBetBimpliqueC, alorsAimpliqueC.
On en déduit facilement la transitivité de l"équivalence : Corollaire 1.SoientA,BetCdes assertions, l"énoncé suivant est toujours vrai. (A??B)?(B??C)? =?(A??C). SiAéquivaut àBetBéquivaut àC, alorsAéquivaut àC. Démonstration: Nous utilisons (une dernière fois) les tables de vérité, pour vérifier que quelles que soient les valeurs de vérité deA,BetC, l"implication (10) est vraie.Notons
•I1l"assertionA=?B, •I2l"assertionB=?C, •I3l"assertionA=?C.A B CI 1I2I1?I2I3(I1?I2) =?I3V V VV VV VV
V V FV FF FV
V F VF VF VV
V F FF VF FV
F V VV VV VV
F V FV FF VV
F F VV VV VV
F F FV VV VV
Nous utiliserons des enchaînements d"équivalences pour démontrer le résultat sui- vant, qui décrit le comportement de l"implication par rapport à la négation. Proposition 2.SoientAetBdeux assertions. Les équivalences suivantes sont tou- jours vraies. 5 Maths en LigneLangage mathématiqueUJF Grenoble1.¬(A=?B)?
A?(¬B)?
.(11) " L"implicationA=?Best fausse si et seulement siAest vrai etBest faux ». 2. A=?B?¬B=? ¬A?
.(12) "AimpliqueB» est équivalent à " nonBimplique nonA». Démonstration: Nous pourrions démontrer ces équivalences directement à l"aide destables de vérité (nous conseillons au lecteur de le faire). Nous allons plutôt les déduire
du théorème 1. Voici la démonstration de la première équivalence. ¬(A=?B)?? ¬((¬A)?B)par définition de l"implication ?? ¬(¬A)? ¬Bpar (8) ??A? ¬Bpar (7). Voici la démonstration de la seconde équivalence. A=?B? (¬A)?B? par définition de l"implication (¬A)?(¬(¬B))? par (7) (¬(¬B))?(¬A)? par (2) (¬B) =?(¬A)? par définition de l"implication. L"équivalence (11) est la méthode habituelle que l"on utilise pour démontrer qu"une implication est fausse : il suffit d"exhiber une situation oùAest vraie etBfausse pour infirmer l"implicationA=?B. Par exemple, l"implication "(n63) =?(n|3)» est fausse, car on peut trouver un entierntel que(n63)soit vrai et(n|3)soit faux : 2 est inférieur ou égal à 3 mais ne divise pas 3. On appelle cela "trouver un contre-exemple». L"équivalence (12) est aussi une technique de démonstration classique. L"implication "(¬B) =?(¬A)» ("nonBimplique nonA») s"appelle lacontraposéede l"implication A=?B. Par exemple, la contraposée de "(n >3) =?(n >2)» est "(n62) =? (n63)». Il est parfois plus facile pour démontrer une implication de démontrer sa contraposée, nous y reviendrons.1.2 Ensembles
Unensemblepeut être vu comme une collection d"objets mathématiques, appelés éléments, comme l"ensembleNdes entiers naturels. Contentez-vous pour l"instant del"idée intuitive d"un paquet d"éléments possédant une propriété commune, sur lequel on
6Maths en LigneLangage mathématiqueUJF Grenoblea mis une étiquette rappelant cette propriété. Un ensemble n"est bien défini que si on
peut dire sans ambiguïté si un élément appartient ou non à l"ensemble. Les sommets des Alpes ne forment pas un ensemble (comment décider qu"un endroit particulier est un sommet?). Par contre l"ensemble des sommets cotés sur une carte donnée est biendéfini. Deux ensembles sont égaux si et seulement si ils contiennent les mêmes éléments.
Le fait qu"un élémentxappartienne à un ensembleAse notex?A, et son contraire x /?A("xn"appartient pas àA»). Par exemple2?N(2 appartient àN) et⎷2/? N(racine de 2 n"appartient pas àN). Certains ensembles souvent utilisés ont une notation propre, comme l"ensembleNdes entiers naturels, l"ensembleRdes nombres réels, l"ensembleCdes nombres complexes. Pour les autres, on utilise une définition,que l"on écrit entre accolades pour dire qu"il s"agit de l"ensemble des éléments vérifiant
cette définition. On peut écrire un ensembleen extension, en donnant la liste de seséléments. Voici deux définitions de l"ensemble des entiers naturels strictement inférieurs