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Religion et philosophie chez Averroès et Maïmonide

Mémoire réalisé par

Arthur Dorin Teodorescu

Promoteur(s)

Marc Maesschalck

Lecteur(s)

Abdessamad Belhaj

Année académique 2016-2017

Master en sciences des religions, à finalité approfondie

Faculté de théologie (TECO)

Arthur Teodorescu, Religion et philosophie chez Averroès et Maïmonide, UCL, 2016-2017 1

Introduction

" Conficitur inde veram esse philosophiam veram religionem, conversimque veram religionem esse veram philosophiam » (Erigène, De praedestinatione, dans Gilson, 1921, p. 7).

De quelque manière les philosophes questionnés dans ces pages auraient-ils pu se rapporter à

peut-être pas tellement assuré, en raison de la séparation de longue date intervenue entre des

domaines qui sont devenus, en ce qui nous concerne, imperméables.

philosophique, sans pourtant se subsumer à une philosophie de la religion, telle que la discipline

positiv ou déjà au- avec deux penseurs issus de traditions religieuses différentes, mais do

manière insigne sa respective tradition et pas seulement, nous entendons explorer la façon dont

traditions a ultérieurement englobée, réfutée ou oubliée, tout en gardant ses traces. Pour cette tâche nous avons choisi deux philosophes de premier rang, Averroès/Ibn

Rushd (1226-1198) et Maïmonide/(Rabbi) Moshe ben Maïmon (1238-1204), non seulement en raison de leur quasi-contemporanéité, ou de leur origine commune cordouane, mais surtout

parce que, même si leur biographies ne se sont jamais intersectées, leur parallélisme traverse,

avec des détours dus aux traditions religieuses respectives pourtant significatifs, un même milieu intellectuel qu

Arthur Teodorescu, Religion et philosophie chez Averroès et Maïmonide, UCL, 2016-2017 2 encore, tous les deux se sont explicitement posés le problème du rapport entre religion et au

Le besoin de penser la relation entre la vérité de la foi révélée et celle obtenue par

abrahamiques, ou parfois même deux ou toutes à la fois. Comme " la vérité ne peut contredire

la vérité fausse » toujours, religieuse). Au besoin, le bras séculier était là pour trancher la dispute. Méthodologiquement, nous allons nous adresser à nos philosophes mêmes, à travers un choix de textes, accompagnés bien entendu de leurs commentaires datant de notre époque, concernant les lieux de ren exemple, à l

à la causalité divine, étaient abordées en égale mesure par les philosophes et les théologiens

opriée les outils, ce

qui rend plus difficile, et parfois impossible, la différenciation, surtout lorsque le philosophe et

le théologien habitent la même personne). On peut constater en ce sens un double mouvement dans la connexion entre le philosophique et le religieux. Dans le premier, allant de la philosophie à la théologie, les -à-dire des thèmes ou des concepts, mais aussi des exigences et des finalités -même. Nous nous proposons de montrer comment, au carrefour de cet échange pourtant

primaire, " naturellement » héritée par le même individu dans le cadre de sa communauté

philosophie permet à celui qui y est e appellerons " identité croyante Arthur Teodorescu, Religion et philosophie chez Averroès et Maïmonide, UCL, 2016-2017 3 ne identité " textuelle nous reste des penseurs du passé On se trouve, historiquement parlant, au XIIème siècle, loin encore du changement de paradigme qui a permis dès les débuts des Temps Modernes anachronismes avaient quand même hérité de leurs ancie âme », avec une fonction même partiellement analogue dans leurs constellations conceptuelles. Retrouvée et archéologie

constitution de la nouvelle identité. Finalement, notre identité croyante sera confrontée avec

des perspectives qui nous sont contemporaines, fournies par la sociologie ou la psychologie sociale des religions. Nous avons pensé utile, tout au début, de précéder notre démarche, en indiquant aussi

philosophie et religion dans le Moyen Âge -à-dire là où il nous reste le plus

accessible. Deux éminents historiens-

nous guideront ici, Étienne Gilson et Alain de Libera. Avec le premier, en partant de sa défense

philosophie chrétienne », on essayera surtout de comprendre

médiévale juive et musulmane et ses conséquences sur plusieurs traditions philosophiques à

Les deux chapitres suivants abordent la pensée de Maïmonide à partir des textes de son Guide des égarés et, en moindre mesure, de la Mishné Torah, en cherchant de comprendre pourquoi et comment le rabbin- ?) du monde (chapitre III), à la lumière du même rapport celui qui va de la philosophie vers la théologie. Arthur Teodorescu, Religion et philosophie chez Averroès et Maïmonide, UCL, 2016-2017 4 Comme le recours à la dialectique en tant que discipline et méthode de pensée est extrêmement important et non moins suspect, en cas de mauvais usage, chez tous les deux

philosophes étudiés, le bref excursus comparatif qui lui est dédié (chapitre IV) est censé éclairer

notre démarche en amont, vers Maïmonide, comme en aval, vers Averroès. son Discours décisif harmonie » entre la philosophie et la religion évoquée par des philosophique entreprise avec les moyens (dialectiques) de la science du droit religieux islamique sera interprétée dans la perspective du deuxième sens du mouvement mentionné, -à-dire de la religion vers la philosophie. Le même sens du mouvement sera poursuivi dans la première partie du chapitre VI,

comparatif comme le IV, où le traitement du problème de la causalité divine chez Maïmonide

" épanchement », qui, en dépit de sa parenté avec le concept néo-

premier sens de la relation, donc de la philosophie vers la religion, pourra être mis en évidence

à partir de la conception sur la causalité avancée par Averroès, dans son Incohérence de

tant que concept fonctionnellement " ancêtre chapitre (VII), où Alain de Libera guidera de nouveau notre recherche, cette fois-ci avec son

Archéologie du sujetculier de

aussi mis en évidence. Arthur Teodorescu, Religion et philosophie chez Averroès et Maïmonide, UCL, 2016-2017 5

I. Préliminaires chrétiens

1. Raison et foi au Moyen Âge latin

1.1. Philosophie chrétienne, un cercle carré ?

du sens de la " philosophie chrétienne manière insigne ce que les historiens de la discipline appelaient et continuent enc la " philosophie médiévale

mentionné risquait de ne correspondre à aucune réalité, fût-elle révolue, et même de se montrer

médiévale. Son argumentation (Gilson, 1944) commence par faire apparemment valoir des

positions opposées, comme celles des rationalistes et des néo-scolastiques (et même des certains

néo- sembl

domaine (et la méthode, également) du philosophique est le rationnel, celui de la religion étant

-scolastiques, ils

aux rationalistes. Ils admettent la primauté de la Révélation, en exigeant en même temps de la

philosophie un exercice purement rationnel, qui aboutisse ex machina à un accord avec la vérité

révélée, car la vérité / les vérités ne sauraient jamais se contredire, en vertu de leur nature

véridique même. Toutes les deux orientations visées, malgré leurs essentielles différences (et

différends) sur le Arthur Teodorescu, Religion et philosophie chez Averroès et Maïmonide, UCL, 2016-2017 6 ne saurait être " dans les limites de la pure raison ». En principe.

Pour ce qui relève de

passé médiéval ne laisserait pas grand-chose à la postérité philosophique :

Des lambeaux de doctri

tout ce que les penseurs chrétiens nous ont laissé. Tantôt ils empruntent à Platon, tantôt à Aristote, à moins

ble synthèse et, comme le disait déjà Jean (Gilson, 1944, p. 2). A la lumière de pareilles considérations historiques et théoriques, concevoir une philosophie chrétienne équivaudrait à une contradiction dans les termes : "

serait très difficile, voire impossible, de trouver dès ses débuts un " christianisme pratique »,

dépourvu de toute spéculation, et que même si les Ecritures ne soient aucunement des textes modifie :

Pourquoi refuserait-on a priori

pas encore découvertes Ce qui pour Gilson est historiquement vérifiable non seulement pour la et pour le Moyen Age, semble manifeste jusque dans le cas de la pensée classique des Temps Critique, au moins). Une philosophie chrétienne serait donc une qui ne se fonde pas sur une

impensable " raison chrétienne », mais sur un très possible, voire probable " exercice chrétien

de la raison ». Arthur Teodorescu, Religion et philosophie chez Averroès et Maïmonide, UCL, 2016-2017 7

1.2. Interroger les philosophes

" méthode de salut », et en outre une " efficace " pour le Platon du Phédon Ethique à Nicomaque (Gilson, 1944, p. 25). Tout comme chez les stoïciens qui pratiquaient la philosophie comme mode de vie, pour évoquer encore un e

Pierre Hadot, des chrétiens qui se prenaient également pour des philosophes (et des très

différents, tels que Justin, Lactance, Augustin ou Anselme) ont compris leur condition dans un sens totalisant où vie et pensée étaient censées aller de pair.

moyens de la simple raison, lumen naturale, les vérités de la foi attestées par les Écritures, sans

relig

interprète ainsi le célèbre fides quaerens intellectum lme à partir du nisi crediteritis, non

intelligetis médiévaux, Gilson mobilise encore Anselme, " porte-parole répandue au Moyen Age sur la hiérarchie des types de connaissance qui arrangeait dans le sens

montant, dans une série, la foi, la raison (intellect) et la visio beatifica : " Inter fidem et speciem,

intellectus quem in hac vita capimus esse medium intelligo. ». (Gilson, 1944, p. 31). La position

moyenne de la raison, entre le statut de " simple succédané du savoir » attribué au croire et

oire, comme résolument inaccessible pendant cette vie, sert à légitimer son usage philosophique :

Tant que le croyant fonde ses assertions sur la conviction intime que sa foi lui confère, il reste un pur

Arthur Teodorescu, Religion et philosophie chez Averroès et Maïmonide, UCL, 2016-2017 8

1944, p. 31-32)

En synthétisant, une possible philosophie chrétienne peut être identifiée, pour Etienne

surnaturel », ce qui est une condition nécessaire, mais non suffisante, car pas nécessairement

pas laisser ce surnat texture » de la démarche, mais seulement " dans bien que

distinguant formellement les deux ordres, considère la révélation chrétienne comme un

auxiliaire indispensable de la raison » (souligné dans le texte). Troisièmement, en résistant à

une " vana » ou " turpis curiositas », elle devrait opérer dans sa pratique un choix dans ses

philosophèmes, en abordant " uniquement ou surtout - en principe à la spéculation, comme tout le domaine, par exemple, de la philosophie naturelle,

Contra Gentiles,

" pourvu que ses vérités soient de celles dont la connaissance est nécessaire au salut ».

Finalement, une telle philosophie ne devrait jamais oublier que son éminent outil, la raison debilitas » in maximis ignorantiae tenebris, selon une formule de saint Thomas assumée ici par Gilson.

1.3. Un problème philosophique et historique

Le problème de la possibilité et, conjointement, de la réalité historiquement identifiable

en suivant son déroulement, un sens et un contenu de cette philosophie parviennent à trouver

avertit, à juste titre, contre le danger de confusion entre les démarches philosophique et,

Arthur Teodorescu, Religion et philosophie chez Averroès et Maïmonide, UCL, 2016-2017 9 offre entre les deux est assez sommaire et peu

éclairante :

intelligence la croyance par laquelle elle adhère à ses principes, ce qui reviendrait pour elle à détruire son

propre objet. 31)
Dans la compréhension, conjointement de Gilson et des auteurs auxquels il se réfère,

théologie et philosophie sont également des sciences assignées au domaine du rationnel, dont

Gilson, -à-fait

difficulté fondamentale de distinguer, pour certaines époques de la pensée, la spécificité des

démarches. Ce problème sera aussi le nôtre. En même temps, Gilson met en garde contre une source importante de la

mécompréhension qui a pu barrer tout chemin à la tentative de concevoir une relation

" légitime » entre religion et philosophie : un regard " abstrait » (dans le sens hégélien de

" pauvre en déterminations », donc opposé à un " concret » qui en serait " riche ») qui oppose

x

décontextualisées, anhistoriques. Pour ce qui est de la philosophie, mais on ne voit pas pourquoi

cela ne serait aussi valable pour la religion, t Ma-philosophe de la pensée médiévale reste,

dans cette suite de conférences gilsoniennes, confinée aux limites du Christianisme, le problème

ports entre la religion Arthur Teodorescu, Religion et philosophie chez Averroès et Maïmonide, UCL, 2016-2017quotesdbs_dbs11.pdfusesText_17

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