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Diapositive 1

Relativité historique des normes et seuils socio- culturels de tolérance. – Alcool au volant. – Tabagisme (le fumeur dans un hall de gare devient.



NORMES SOCIALES NORMES JURIDIQUES

dence la relativité historique des normes ? Enfin on peut se demander quelle relation les normes juridiques entretiennent avec les normes so- ciales.



Perception et normes sociales : une alternative à lintellectualisme

d'une norme sociale - de même qu'à sa formation historique dans un milieu relativiste



LA RESPONSABILITÉ SOCIALE ET ENVIRONNEMENTALE DE L

notamment à l'adoption de normes environnementales par les entreprises au-delà Afin de bien cerner les enjeux d'application de la RSE

Jean-Serge ELOI SOCIOLOGIE UTLB 2016/2017 1 NORMES SOCIALES, NORMES JURIDIQUES Les normes juridiques sont-elles des indicateurs pertinents des normes sociales ? INTRODUCTION L'homme est un animal social. La vie en société suppose le respect de certaines règles qui contraignent son comportement. Le problème de l'intégration de l'individu dans la société, est devenu la préoccupation de tous les sociologues depuis Durkheim. Plus en amont dans l'histoire de la sociologie, Auguste Comte évoquait le " pouvoir spirituel de la société », c'est-à-dire " l'établissement et le maintien des principe s qui doivent présider aux divers rapports sociaux». 1 On parle généralement de nor-mes pour désigner la façon dont s'exerce ce " pouvoir spirituel» sur les individus. Étymologiquement, norme vient du latin norma qui sign ifie l'équerre du maçon et du charpentier. Ce qui apparaît alors comme nor-mal entre en conformité avec un étalo n. Au passage, signalons que l'équerre du maçon formant un angle droit, on désigne comme droites normales en mathématiques deux droites perpendiculaires. Le terme de norme est cependant ambigu dans la mesure où il signifie, outre ce qui doit être, l' état habituel, co nforme à la majorité de s cas, voire à leur moyenne. En statistique, la courbe en cloche représente une distribution normale avec la majorit é des observations groupées autour de la moyenne. Les normes sociales sont donc des règles de conduite qui dé-coulent des valeurs, c'est-à-dire de ce que la société estime important. L'ordre normatif n'est pas homogène. Il convient sans doute de distin-guer les normes juridiques des normes sociales. Selon quels critères ? On remarque que les normes, qu'elles soient sociales ou juridiques, changent selon les sociétés, mais aussi selon les époques. Comment mettre en évi-dence la relativité historique des normes ? Enfin, on peut se demander quelle relation les normes juridiques entretiennent avec les normes so-ciales. Sont-elles des indicateurs pertinents de ces dernières ? Le propos développera trois points. Le premier point cherchera à montrer que les normes dérivent des valeurs et quels sont les critères re-tenus pour distinguer les normes juridiques des normes sociales (I). Le deuxième point insistera sur le caractère historique des normes en mul-tipliant les exemples concrets (II). Enfin, le dernier point s'interrogera 1 - Auguste Comte, 1826, " Considérations sur le pouvoir spirituel » in Système de politique positive, Paris, Larousse, 1895.

Jean-Serge ELOI SOCIOLOGIE UTLB 2016/2017 2 sur les normes juridiques en tant qu'indicateurs pertinents des normes sociales (III). I/ LES NORMES On peut s'appuyer, com me point de départ, sur la défin ition des normes proposée par Bernard Valade : " Indissociables d'un ordre de va-leurs qui dans chaque société oriente les comportements des acteurs et des groupes, les normes sont des règles qui régissent les conduites indi-viduelles et collectives ». 2 Qu'entend-on pa r " ordre de valeurs » ? Comment ces valeurs s e transforment-elles en normes, c'est-à-dire en règles capables de régir le comportement des individus et des groupes en société ? A/ LES NORMES DÉRIVENT DES VALEURS Chaque société définit le bien ou le mal, le beau ou le laid, le noble et l'ignoble, l'agréable et le désagréable. Elle définit aussi ce pourquoi vivre en vaut la peine et éventuellement mourir. 1/ La transcendance de la valeur Quand les parents inculquent ces valeurs à un enfant lors du proces-sus de socialisation, ils l'habituent, le plus souvent, à les respecter sans autre justificati on que l'évidence, même si la tendance actuelle es t à l'explication dans l'expérience parentale de l'éducation. Une valeur implique donc une forme de transcendance et de supé-riorité qui s'impose à l'individu et qu'il ne peut remettre en question. Les valeurs varient avec les civilisations et, à l'intérieur de ces dernières, se-lon les groupes sociaux qui les composent. L'ouvrier n'a pas les mêmes valeurs que le bourgeois (ENCADRÉ 1), mais ils en partagent un certain nombre. 2/ Les valeurs s'organisent en un " idéal » Selon Durkheim, une société ne peut pas se constituer sans créer de l'idéal. D ans une société donnée, les valeurs s'organisent se lon une échelle présentant un e certaine cohérence, même si elle n'est pas exempte de contradictions, on parle d'échelle des valeurs. La morale pra-tique peut différer de la morale théorique. 2 - Bernard Valade, Dictionnaire de la sociologie, Paris, Larousse, 1989.

Jean-Serge ELOI SOCIOLOGIE UTLB 2016/2017 3 Un sociologue américain, Edward.C Banfield (1916-1999) a étudié le système de valeurs d' un villa ge du sud de l'Italie et l'a qualifi é de " familialisme amoral ». En effet, tout individu agit en fonction des inté-rêts de sa famille et ne tient pas compte de la morale théorique c'est-à-dire des principes moraux que la religion, l'école et les institutions pro-clament et transmettent. 3/ Les valeurs se transforment en normes et en moeurs En se transformant en normes, les valeurs assurent la régulation de la vie des individus en société. Supposons qu'une dizaine de personnes soient réunies dans une salle et qu'elles soient toutes d'avis que fumer s'avère mauvais pour la santé. Il s'agit d'un jugement de valeur, cela si-gnifie qu'on ne devrait pas fumer, mais est-ce une norme ? Ce n'est pas nécessairement une norme. L'interdiction de fumer est une norme dans une salle de classe et transgresser cette " règle » expose ENCADRÉ 1 LA CULTURE OUVRIÈRE La sociologie définit la culture comme l'ensemble des valeurs, des normes et des pratiques acquises et partagées par une pluralité de personnes. On a long-temps parlé de culture ouvrière pour désigner les valeurs, les normes et les pra-tiques spécifiques du monde ouvrier dans la société française. Un ouvrier pou-vait se définir comme un salarié d'exécution, travailleur manuel du secteur in-dustriel. Les valeurs fondamentales du monde ouvrier renvoyaient à la primauté du travail manuel (les créateurs de richesses), au sens de la communauté (le par-tage d'un territoire urbain comme les cheminots ou les mineurs), à l'importance de la lutte collective (le syndicalisme, ses grèves et ses manifestations). Les loisirs ouvriers sont placés sous le signe de l'angoisse du temps vide et de l'impossibilité de ne rien faire. Ils prolongent le travail de l'usine, mais au-trement, pour soi, comme on aime. Travail autonome qui s'oppose au travail contraint dans l'atelier. Les jeux et la pratique sportive sont virils, la fête est souvent alcoolisée, l'amour de la " grande roue du vertige » (Michel Verret parlant du rapport de la culture ouvrière à l'alcool), les spectacles de masse prisés, le Tour de France, la Fête de l'Huma. Cette culture ouv rière est aujourd'hui d éstabilisée par l'éclatement du monde ouvrier : une fraction s'est enrichie et a pu accéder à la consommation de masse et rejoindre ainsi le mode vie des classes moyennes. La fraction la moins qualifiée, frappée par le chômage, la précarité et les délocalisations s'est appau-vrie et est parfois guettée par l'exclusion.

Jean-Serge ELOI SOCIOLOGIE UTLB 2016/2017 4 à de s sanctions . La sanction devient donc le carac tère d istinctif de la norme. Elle peut ne consister, dans l'exemple cité précédemment, qu'en regards désapprobateurs à l'encontre de celui qui a allumé une cigarette, ce qui le conduit à l'éteindre. Dans un groupe, l'existence d'une norme fait que les membres du groupe sont prêts à sanctionner et à intervenir lorsque la norme est en-freinte. Une institution est un ensemble de normes qui s'appliquent dans une société donnée. C'est ainsi que se déf inissent le légitime et l'illégitime. Le mariage, la famille, l'école furent longtemps des institu-tions dont le déclin accompagnerait le caractère moins contraignant. B/ LES CRITÈRES DE DISTINCTION ENTRE NORMES SOCIALES ET NORMES JURIDIQUES L'univers des normes se confond avec l'existence de règles sociales qui prescrivent ou proscrivent, de manière explicite, un comportement intériorisé par les acteurs. Ces règles sont accompagnées de sanctions en cas de transgression. On présuppose l'existence d'un groupe social pré-alable aux individus et qui s'impose à eux (conception holiste). On dis-tingue alors les normes sociales et les normes juridiques et les critères de distinction proposés peuvent varier. 1/ Une distincti on qui repose sur l'origine des no rmes, leur contenu, leur degré d'obligation (William Summer) Parmi les normes, William Summer (1840-1910), sociologue améri-cain, distingue l e droit (law), les moeurs ( mores), l es coutumes (folk-ways).3 Les coutumes désignent l'ensemble des usages en vogue dans une société donnée : la manière de s'habiller (éventuellement différenciée se-lon les âge s, les sex es), la façon de s e tenir, de saluer, d'écrire, de s'adresser aux autres, les manières de table et l'ensemble des techniques du corps. Un système de coutumes bien connu est celui des règles de politesse qui consistent en l'observation de certaines formes dans les rapports en-tre individus. Comment adresser la parole à quelqu'un, qui doit saluer le premier, qui doit serrer la main ou pas ? La plupart du temps, il n'est nul besoin qu'on nous rappelle les règles de politesse, elles ont été intériori-sées au cours du processus de socialisation. Ne pas les respecter fait naî- 3 - William Summer, Folkways : a study of the sociological importance of usages, manners, customs and morals, New York, 1906.

Jean-Serge ELOI SOCIOLOGIE UTLB 2016/2017 5 tre en no us un sentiment de culpa bilité, de tell e sorte q ue l'individu s'applique à lui-même une sanction à l'occasion de la transgression des normes du groupe auquel il appartient. 4 Les manières de table obéissent à certaines règles. On doit se servir, non des doigts, mais d'une cuillère, d'un couteau, d'une fourchette. Quel convive doit déplier sa serviette en premier, à quel usage est destinée la serviette ? (ENCADRÉ 2) Les techniques du corps renvoient aux différen-tes manières de dormir. Il y a l'humanité à lit et sans lit, à natte et sans natte, à oreiller et sans oreiller, celle qui dort debout ou encore à cheval (ENCADRÉ 3). Les moeurs (interdit de l'inceste, du cannibalisme, du meurtre) se différencieraient des coutumes par un aspect d'importa nce et d'obligation que celles-ci ne possèderaient pas. L'obligation de respecter l'interdit de l'inceste ou du meurtre est plus forte que celle de bien se te-nir à table. On peut opposer la coutume et la tradition qui imposent aux mem-bres d'une collectivité de se comporter d'une manière donnée avec des sanctions qui tiennent de la pression sociale (ridicule, rumeur, ragot) à la loi qui a pour conséquence la répression physique et morale. La norme juridique ne serait donc que l'une des formes de la norme sociale, de degré plus élevé. La norme sociale oblige, mais laisse une cer- 4 - Henri Mendras, Éléments de sociologie, Paris, Armand Colin, 1967. ENCADRÉ 2 LES MANIÈRES DE TABLE On doit se servir à table d'une serviette, d'une assiette, d'un couteau, d'une cuiller et d'une fourchette : il serait tout à fait contre l'honnêteté de se passer de quelqu'une de toutes ces choses en mangeant. C'est à la personne la plus qualifiée de la compagnie à déplier sa serviette la première, et les autres doivent attendre qu'elle ait déplié la sienne, pour déplier la leur. Lorsque les personnes sont à peu près égales, tous la déplient ensemble sans cérémonie. Il est malhonnête de servir de sa serviette pour s'essuyer le visage ; il l'est encore bien plus de s'en frotter les dents et ce serait une faute de plus gros-sière contre la civilité de s'en servir pour se moucher... L'usage qu'on peut et qu'on doit faire de sa serviette lorsqu'on est à table est de s'en servir pour nettoyer sa bouche, ses lèvres et ses doigts quand ils sont gras, pour dégraisser le couteau avant que de couper du pain, et pour nettoyer la cuiller et la fourchette après qu'on s'en est servi. (Norbert Élias, La civilisation des moeurs, Paris, Calmann-Lévy, 1973)

Jean-Serge ELOI SOCIOLOGIE UTLB 2016/2017 6 taine latitude à l'acteur, elle a un caractère ouvert, alors que la norme ju-ridique a un caractère obligatoire. 2/ La distinc tion peut reposer sur le type d'ac teur chargé d'appliquer la sanction en cas de transgression (Max Weber) On peut distinguer une norme sociale d'une norme juridique par le type d'acteur chargé d'appliquer la sanction en cas de transgression. Elle peut être appl iquée par une collectivité publique, l'ap pareil d'État par exemple, dotée de la domination légitime mais aussi par une collectivité restreinte (communauté, groupe de pairs, groupe domestique). C'est à une catégorisation de ce type que se livre Max Weber quand il distingue la convention du droi t. Si l' on s'écarte de la conventio n, on ENCADRÉ 3 LES TECHNIQUES DU CORPS La notion que le coucher est quelque chose de nature l est complètement inexacte. Je peux vous dire que la guerre m'a appris à dormir partout, sur des tas de cailloux par exemple, mais que je n'ai jamais pu changer de lit sans avoir un moment d'insomnie : ce n'est qu'au deuxième jour que je peux m'endormir vite. Ce qui est très simple, c'est que l'on peut distinguer les sociétés qui n'ont rien pour dormir, sauf " la dure », et les autres qui s'aident d'instrument. Là " civilisation par 150 de latitude » dont parle Graebner se caractérise entre autres par l'usage pour dormir d'un banc pour la nuque. L'acc oudoir est souvent un tote m, quelquef ois sculpté de figures accroupies d'hommes, d'animaux totémiques. Il y a les gens à natte et les gens sans natte (Asie, Océanie, une partie de l'Amérique). Il y a les gens à oreil-lers et les gens sans oreillers. Il y a les populations qui se mettent très serrées en rond pour dormir, autour d'un feu, ou même sans feu. Il y a des façons primitives de se réchauffer et de chauffer les pieds. Les Fuégiens, qui vivent dans un endroit très froid, ne savent que se chauffer les pieds au moment où ils dorment, n'ayant qu'une seule couverture de peau (guanaco). Il y a enfin le sommeil debout. Les Masaï peu-vent dormir debout. J'ai dormi debout en montagne. J'ai dormi souvent à cheval, même en marche quelquefois : le cheval était plus intelligent que moi. Les vieux his-toriens des invasions nous représentent Huns et Mongols dormant, à cheval. C'est encore vrai, et leurs cavaliers dormant n'arrêtant pas la marche des chevaux. Il y a l'usage de la couverture. Gens qui dorment couverts et non couverts. Il y a le hamac et la façon de dormir suspendu.Voilà une grande quantité de pratiques qui sont à la fois des techniques du corps et qui sont profondes en retentissements et ef-fets biologiques. Tout ceci peut et doit être observé sur le terrain, des centaines de ces choses sont encore à connaître. (Marcel Mauss, 1950, Sociologie et anthropologie, Paris, PUF, 2001)

Jean-Serge ELOI SOCIOLOGIE UTLB 2016/2017 7 s'expose à une réprobation perceptible. La spécificité de la norme juridi-que tient au fait que sa transgression se traduit par des sanctions pro-noncées par " une instance humaine spécialement instituée à cet effet, qui force au respect de l'ordre et châtie la violation ».5 L'opposition en-tre la coutume conventionnelle et le droit ne réside donc pas dans le de-gré de con trainte, plus intense pour la norme juridiqu e que pour la norme sociale. C'est l'existence d'une insta nce spécialisée ch argée de prononcer la sanction qui fait la différence. Le type pur de cette instance spécialisée est représenté par la Jus-tice, mais el le peut, selon Weber prendre d'autres formes . Le lignage, dans le cas de la vendetta qui obéit à des règles précises, peut incarner cette instance. Entrent également, toujours selon Weber, dans cette caté-gorie : l'exhortation fraternelle dans certaines sectes religieuses, le droit garanti par les statuts d'une association, par l'autorité familiale, par les confréries et les corporations. Weber est rejoint par Durkheim qui, lui aussi, indique que ce qui fait la différence entre sanct ions mor ales et sanctions juridiques tient à la manière dont elles sont administrées : " la différence qui sépare ces deux sortes de peine ne tient pas à leur carac-tère intrinsèque, mais à la manière dont elles sont administrées. L'une est appliquée par chacun et par tout le monde, l'autre par des corps dé-finis et constitués ; l'une est diffuse, l'autre est organisée ». 6 Toutefois, la position de Webe r apparaî t bien plus relativiste que celle de Durkhei m pour ce q ui concerne les rapports entre éthique , convention et droit. Les normes éthiques relèvent, selon lui, de l'action rationnelle en valeur. À l'inverse, les normes juridiques ne renvoient pas forcément à l'éthique parce qu'elles sont généralement fondées rationnel-lement en finalité et non en valeur. À l'inverse, Durkheim tend à considé-rer que droit et mora le sont dans u n rapport b eaucoup plus étroit : " toute règle de conduite à laquelle est attachée une sanction répressive diffuse, que celle-ci soit seule ou non, est morale, au sens ordinaire du mot ». 7 Durkheim distingue les normes juridiques d'après " les différentes sanctions qui y sont attachées ». 8 Les règles juridiques les plus répressi-ves relèvent du droit pénal. Elles dominent dans des sociétés à faible di-vision du travail et à solidarité mécanique (le lien social naît mécanique-ment de la similitude des individus) dans lesquelles la conscience collec-tive absorbe les consciences individuelles. À l'inverse, il existe des règles 5 - Max Weber, 1922, Économie et société, Paris, Plon, 1971. 6 - Émile Durkheim, " Définition du fait moral » in Durkheim, Textes, tome 2 Religion, mo-rale, anomie, Paris, Minuit, 1975. 7 - Ibid 8 - Émile Durkheim, 1893, De la division du travail social, Paris, PUF, 1978

Jean-Serge ELOI SOCIOLOGIE UTLB 2016/2017 8 juridiques qui ont pour fonction de remettre les choses en état. Elles renvoient au droit restitutif qui, lors que la division du travail s'approfondit et que la solidarité devient organique (solidarité par com-plémentarité qui donne la possibilité aux consciences individuelles de se manifester), se substitue au droit répressif. Le droit des contrats (droit commercial) est restitutif dans la mesure où il vise à faire respecter à chaque partie ses obligations contractuelles. Le droit moderne est une combinaison de droit répressif et de droit restitutif. La sociologie juridique contemporaine tend à relativiser l'opposition entre normes sociales et normes juridiques. La plupart des auteurs sont d'accord pour admettre cependant une distinction : seules les normes ju-ridiques sont capables de prescrire des comportements nouveaux, elles ont un pouvoir d'édiction qui relève de la domination légitime. Les nor-mes sociales, quant à elles, sont l'émanation de la société et ne peuvent donc que refléter le changement social. II/ LA RELATIVITÉ HISTORIQUE DES NORMES Les mentalités évoluent, chacun d'entre nous le perçoit. Les normes se modifient sous l'effet du progrès technique, mais aussi de l'évolution des croyances politiques et religieuses. Des comportements que l'on pou-vait parfois considérer comme " naturels » se révèlent, en fait, comme des constru ctions sociales qui ne s'imposent à no us que temporaire-ment.9 On illustrera cette relativité historique à part ir d'exemples concrets qui donnent à voir que des comportements, autrefois sanction-nés, sont aujourd'hui admis alors qu'à l'inverse, des comportements jadis admis, sont aujourd'hui sanctionnés. A/ CERTAINS COMPORTEMENTS, AUTREFOIS SANCTIONNÉS SONT AUOURD'HUI ADMIS Ces comportements, autrefois sanctionnés mais admis aujourd'hui, portent, par exemple, sur la s uprématie mascu line, l' avortement, l'homosexualité, la mendicité, l'obéissance des enfants. 1/ La remise en cause de la suprématie d es hommes sur le s femmes était une déviance Dans nos sociétés occidentales, il y a encore seulement un siècle ou deux, la domination masculine, qu'elle s'exprime dans le domaine social, 9 - Laurent Muchielli, " Entre normes, transgression et stigmatisation », Sciences Humaines n° 99, Novembre 1999

Jean-Serge ELOI SOCIOLOGIE UTLB 2016/2017 9 moral ou juridique (propriétés, mariages, successions), n'était pas remise en cause. Le contraire eut été considéré comme une déviance que la so-ciété ne pouvait pas tolérer. Aujourd'hui, les filles héritent au même titre que les fils, les épou-ses ne sont plus juridiquement soumises à leurs maris, elles n'ont plus besoin de leur autorisation pour ouvrir un compte en banque. Pour assu-rer une certaine forme d'égalité dans le monde politique, même si cer-tains progrès sont encore à faire, la loi proclame la nécessité de la parité. 2/ L'avortement était jugé comme un crime particulièrement immoral En 1920, au sortir de la première guerre mondiale, l'Assemblée Na-tionale vote une loi interdisant l'avortement et la contraception, qui sont confondus dans la même répression (jusqu'à 10 ans d'emprisonnement et 72 000 francs d'am ende). La France vien t de perdre 1,5 million d'hommes jeunes et il s'agit de défendre la position nataliste pour lutter contre cette saignée de la population. Toute propagande pour la contra-ception est interdite, l'avorteme nt est un crime passible de la cour d'Assises. En 1923, toute impor tation d'articles anticon ceptionnels est prohibée et les jurys populaires des cours d'Assises se montrant trop fa-vorables aux accusés, l'avortement est désormais jugé en Correctionnelle où les peines sont prononcées par des juges professionnels. La loi de 1939 promulguant le Code de la famille, renforce l'arsenal répressif, des sections spéci ales de pol iciers sont créées qui punit les avortements comme les simples tentatives. Les avorteurs sont très sévè-rement condamnés. En 1941, ils peuvent être déférés devant le tribunal d'État et en 1942, l'avortement devient crime d'État. Une avorteuse est même condamnée à mort et guillotinée en 1943. Plus de 15 000 condam-nations à des peines diverses sont prononcées jusqu'à la Libération. La fin du régime de Vichy et la Libération ne remettent pas en ques-tion la répression de l'avortement, avec comme conséquences la multipli-cation d'avortements clandestins et son cortège de décès et de mutila-tions. Les procès contre les femmes ayant eu recours à un avortement et leurs complices auront lieu jusqu'au début des années 1970, même si les juges n'appliquent plus la loi dans toute sa rigueur. Cette longue période répressive qui causa la mort de bien des fem-mes ne prendra fin qu'à partir de la loi Neuwirth autorisant la contracep-tion (1967). En 1972, le procès de Marie-Claire, 16 ans et demi, et de sa mère devant le tribunal de Bobigny connut un certain retentissement. Il donna lieu au manifeste des " 343 salopes » (l'expression est de Charlie-Hebdo), publié par le Nouvel Observateur, et dans lequel des personnali-

Jean-Serge ELOI SOCIOLOGIE UTLB 2016/2017 10 tés conn ues et des femmes ordinaire s d éclaraient avoir eu recou rs à l'avortement. L'avocate de Marie-Claire et de sa mère, Gisèle Halimi avait fondé une association, Choisir la cause des femmes, militant pour la légalisa-tion de l'avortement, comme le Planning familial qui en pratiquait clan-destinement et le Mouvement pour la liberté de l'avortement et de la contraception (MLAC) qui s'y livrait plus ouvertement. Gisèle Halimi fe-ra du procès un acte politique, elle obtint l'acquittement, mais la mère de Marie-Claire sera condamn ée à 500 fran cs d'amende. Elle fait appel, mais la Cour d'Appel ne fut jamais réunie d'où la prescription des faits. La loi sur l'interruption volontaire de grossesse (IVG) portée par Si-mone Veil fut votée, non sans mal, en 1975. Le droit avait entériné le changement des moeurs. Alors qu'a utrefois les avortements étaient ré-primés, aujourd'hui la répression frappe les commandos d' intégris tes catholiques qui cherchent à les empêcher. 3/ L'homosexualité était considérée comme une perve rsion haïssable et méritant de sévères châtiments En 1942, sous le régime de Vichy, la loi introduit une discrimination fondée sur l'orient ation sexue lle. La majorité sexuelle sera désormais fixée à 21 ans pour les homosexuels alors qu'elle n'est que de 15 ans pour les hétérosexuels. En 1960, un député gaulliste de Moselle la qualifiera de " fléau social » et , en 1968, l a France adoptera la class ification de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) qui fait de l'homosexualité une " maladie mentale ». En 1981, le Garde des Sceaux, Robert Badinter, met fin au caractère discriminatoire de la loi. L'homosexualité n'est plus une " maladie men-tale ». L'OMS n'abandonnera le qualificatif que le 17 mai 1993 et cette date sera ret enue pour la jo urnée de commémoration de lutte contre l'homophobie. L'homosexualité apparaît aujourd'hui com me une revendication identitaire perçue comme légitime. Avec la loi du 17 mai 2013 sur le ma-riage pour tous, la France est devenue le 9 e pays européen et le 14e pays au monde à autoriser le mariage homosexuel. Cette loi a ouvert de nou-veaux droits pou r le mariage, l'adop tion et la succ ession, a u nom des principes d'égalité et de partage des libertés. En 2014, les mariages de couples de même sexe ont représenté 4% du total des unions. L'évolution des moeurs a précédé celle du droit.

Jean-Serge ELOI SOCIOLOGIE UTLB 2016/2017 11 4/ La mendicité était un délit qui pouvait conduire un clochard aux travaux forcés à vie dans un bagne Au dix-neuvième siècle, le vagabond, potentiellement dangereux, est stigmatisé et réprimé depuis le Code Pénal de 1810. C'est l'invention du délit de mendicité, mais les juges adhèrent peu à cette logique répressive. Du début du vingtième siècle aux années 1970, le vagabondage semble disparaître sous l'effet du développement économique du pays, notam-ment pendant l a période de forte cr oissance économique des " trente glorieuses ». Avec l'urbanisation, le développement des chemins de fer, la fixation de la main d'oeuvre ouvrière (encouragée par les stratégies pa-ternalistes de certaines entreprises), la figure du " clochard » se substi-tue à celle du " chemineau ». Le " clochard », figure urbaine, apparaît plus sympathique que le " chemineau ». L'entrée dans la cr oissance molle, au milieu des années 1970 , va mettre fin au déclin apparent de l'errance pauvre. Ce qui désormais ca-ractérise le vagabond ce n'est plus l'absence de travail, mais l'absence de logis, le SDF (sans domicile fixe) est né. Depuis le nouveau Code Pénal de 1994, la mendici té et le vaga bondage sont dépénalisés. Les tribun aux poursuivent rarement le vagabondage en tant que tel s'il n'est pas associé à d'autres infractions. Alors qu'ils avaient été pendant longtemps la cible des interventions répressives de l'État, les SDF sont devenus l'objet des interventions étatiques de lutte contr e l'exclusion.10 Le regard social a changé : alors que le vagabond, au dix-neuvième siècle, était jugé respon-sable de sa situation par défaut de prévoyance, il soulève aujourd'hui une indignation relative à un ordre social injuste. Le corps social oscille entre rejet du SDF et peur de sombrer soi-même dans l'exclusion.11 Le SDF fait donc l'objet de compassion et de prise en charge croissante. Les SDF réapparaissent donc, en tant que problème social, dans les années 1980. Une présence qui conduit à leur prise en charge sociale par des politiques d'assistance, mais l'aspect répressif n'a pas disparu avec la multiplication d'arrêtés municipaux " anti-mendicité ». On assiste à un retour des débats et des mesures visant à réprimer ou seulement à re-pousser les vagabonds. 10 - Julien Damon, " La prise en charge des vagabonds, des mendiants et des clochards : une histoire en mouvement », Revue de droit sanitaire et social, vol. 43, n° 6, 2007, pp. 933-951. 11 - André Gueslin. D'ailleurs et de nulle part. Mendiants vagabonds, clochards, SDF en France depuis le Moyen Âge. Paris, Fayard, 2013

Jean-Serge ELOI SOCIOLOGIE UTLB 2016/2017 12 5/ L'obéissance des enfants était une obligation indiscutable Au dix-neuvième siècle et en grande partie au vingtième, l'enfant doit obéir à ses parents et ce devoir d'obéissance tient de l'évidence, il se passe d'explication. Le père de famille apparaît tout puissant même si cette toute puissance est concurrencée par l'école. Le processus de socia-lisation et d'éducation admet un certain usage de la violence de même que l'école où les coups peuvent pleuvoir sans que cela apparaisse comme un scandale. Que l'on pense aux romans de Zola (L'Assommoir), de la Comtesse de Ségur (Un bon petit diable, Les malheurs de Sophie) ou plus récem-ment d'Hervé Bazin, dont le roman Vipère au poing est largement auto-biographique, et de François Mauriac (Le Sagouin), la référence explicite aux châtiments corporels sur les plus jeunes, aux insultes et aux humilia-tions jalonne la littérature romanesque. Qui mieux que ces écrivains des dix-neuvième et vingtième siècles ont décrit le martyr des enfants ?12 La société n'a rompu que très tardivement avec cette vision des cho-ses malgré l'adoption de lois qui visaient, à la fin du dix-neuvième siècle, à réduire l'autorité parentale lorsque les enfants étaient victimes de sévi-ces. Les normes éducatives ont changé, l'enfant est devenu un sujet de droit et le non respect des droits de l'enfant est aujourd'hui considéré comme un abus d'autorité. Depuis les années 1980, les médias se sont emparés du problème de l'enfance maltraitée, au sens de victime de sévi-ces. La violence physique n'est plus perçue comme une norme éducative. Désormais la place est à l'explication et l'autorité parentale va moins de soi de même que l'obéissance des enfants. B/ CERTAINS COMPORTEMENTS, AU TREFOIS ADMIS, SONT AUJOURD'HUI SANCTIONNÉS Si cert ains comportements, autref ois sanctionnés, sont aujourd'hui admis, de manière symétrique d'autres comportements autrefois admis sont aujourd'hui sanctionnés : on citera par exemple certaines formes de corruption, certaines atteintes à l'environnement, les violences morales. On peut aussi prendre en compte l'évolution des normes sanitaires. , 12 - Mélina Eloi " Du silence à l'indignation : la découverte de l'enfant maltraité. Pratiques et normes de l'Aide sociale à l'enfance d'hier et d'aujourd'hui en Dordogne (1960-2000) », Thèse de sociologie de l'Université Victor Segalen, Bordeaux-2, 2007.

Jean-Serge ELOI SOCIOLOGIE UTLB 2016/2017 13 1/ Certaines formes de corruption, d'atteinte à l'environnement, de violences " morales " ne sont plus tolérées La corruption qui consiste à donner, proposer ou recevoir un avan-tage injustifié pour influencer le comportement de quelqu'un (un homme politique ou un décideur quelconque) fait l'objet de plus d'attention de la part de la Justice qu'autrefois. Les rétributions ne sont pas seulement matérielles (des soutiens, des in formations) et peuvent ne profiter qu'indirectement à leurs auteurs. Les règles pour lutter contre la corrup-tion ne manquent pas, l'arsenal s'enrichit tous les jours. Cependant on en confie l'application à des institutions qui ont peu de pouvoirs : service central de prévention de la corruption, commission pour la transparence financière de la vie politique, commission de déontologie,13 Les faits de corruption sont difficiles à prouver et font donc encore l'objet d'une cer-taine tolérance, notamment pour les petits arrangements. L'activité industrielle génère des externalités négatives c'est-à-dire un dommage à autrui sans compensation (il peut y avoir des externalités po-sitives quand l'activité procure à autrui un avantage, c'est le cas des acti-vités induites par l'implantation d'une entreprise qui entraîne celle de commerces ou d'autres entreprises, par exemple les sous-traitantes). On s'est fort peu préoccupé pend ant longtem ps des externalités négatives sur l'environnement, par exemple de la pollution. Le principe pollueur-payeur consiste à faire prendre en charge, par une entreprise, dans ses coûts de production, celui de la pollution (tax es, disp ositifs anti-pollution). Dans un autre registre , les violences morales (harcèlement sexuel, propos racistes) sont aujourd'hui condamnées. La loi du 1er juillet 1972 crée un délit nouveau de provocation à la haine, à la discrimination ou à la violence. Ce délit est passible d'un mois à un an d'emprisonnement et d'une amende de 2000 à 300 000 francs. Elle ne se limite pas à la diffa-mation et à l'incitation à la haine, elle punit également les discrimina-tions raciales dans les domaines du travail ou du logement, tout comme les injures ou les violences morales (le harcèlement sexuel simplement oral, le propos raciste). Elle autorise la dissolution des groupes qui inci-tent à la haine raciale et reconnaît encore la faculté aux associations anti-racistes de plus de cinq ans de se constituer partie civile. Certains dénoncent ce " politiquement correct » en tant que " sanction informelle de l'individu qui prononce certains mots tabous ou 13 - Pierre Lascoumes, " La corruption ronge la démocratie. Une déviance largement tolérée », La Croix, 2 décembre 2011.

Jean-Serge ELOI SOCIOLOGIE UTLB 2016/2017 14 qui ne prononce pas certaines formules rituelles s'agissant du respect des femmes, des minorités raciales, de certaines règles de politesse ».14 2/ L'évolution des normes sanitaires conduit aussi à pénaliser certaines pratiques autrefois répandues. Aujourd'hui, l'individu qui allume une cigarette dans un hall de gare commet un délit puisqu'il enfreint la loi. Il y a quelques années, cette situation était considérée comme parfaitement normale. Aujourd'hui, le contrevenant est simplement invité à éteindre sa cigarette, mais il est fort probable que, dans vingt ou trente ans, dans un souci de santé publique, la sanction automatique se sera substituée à la recommandation bienveil-lante. De façon similaire, notre société réprime aujourd'hui fortement la conduite en état d'ivresse alors qu'elle la tolérait jadis. Dès l'entre-deux-guerres, l'intensification de la circulation automobile avait posé le problème de la conduite sous l'empire d'un état alcoolique qui est à dis-tinguer de la condu ite en éta t d'ivress e manifeste. L'individu en état d'ivresse manifeste étant souvent incapable de conduire, le conducteur sous l'emprise de l'état alcoolique se révélait en fait le plus dangereux. Cependant, la conduite automobile comme la consommation d'alcool re-levant des libertés individuelles, elles échappaient à l'action du législa-teur. Au tout début des années 1970, les conducteurs qui passaient de-vant le juge et devaient justifier de leur comportement, pouvaient mettre en avant le fait qu'ils avaient bu et n'avaient pas forcément conscience des risques qu'ils prenaient et faisaient courir à autrui. Il arrivait aux ju-ges de considérer que, dans ce cas, l'alcool était une circonstance atté-nuante. Les choses vont changer à partir de l'année 1972. Cette année-là, la France comptera 18 000 morts sur ses routes, soit l'équivalent de la population de Mazamet. Aujourd'hui l'alcool est une circonstance aggra-vante, mais cela ne date que de 2007. D'abord limité aux seu ls conducteurs respo nsables d'ac cident, le dispositif de contrôle de l'alcoolémie fut étendu à tout conducteur lors de contrôles aléatoires. Aujourd'hui, les sanctions varient en fonction du de-gré d'imprégnation alcoolique : une conduite avec une alcoolémie com-prise entre 0,25 et 0,39 mg/litre d'air expiré (entre 0,5 et 0,8 g/litre de sang) est passible d'une amende pouvant aller jusqu'à 750 €, de la perte de six points et à titre complémentaire d'une suspension du permis de conduire pouvant aller jusqu'à 3 ans. Quand l'alcoolémie d'un conduc- 14 - Laurent Muchielli, " Entre normes, transgression et stigmatisation », Sciences Humaines n° 99, Novembre 1999

Jean-Serge ELOI SOCIOLOGIE UTLB 2016/2017 15 teur est égale ou supérieure à 0,4 mg/litre d'air expiré (0,8 g/litre de sang) ou quand son état d'ivresse est manifeste le délit est passible d'une peine principale pouvant aller jusqu'à 2 ans d'emprisonnement. La perte de six points est de plein droit et l'auteur encourt des peines complémen-taires comme la suspension du permis pouvant aller jusqu'à trois ans, la condamnation à un travail d'intérêt général ou l'obligation de participer à un stag e de sensibilisati on à la sécurité ro utière. Le taux maximum d'alcoolémie autorisé est donc de 0,5 g/litre de sang. C/ LE CARACTÈRE HISTORIQUE D'UNE NORME JURIDIQUE : L'EXEMPLE DU DIVORCE Pendant l'Ancien Régime, le divorce était interdit. Dans un pays ca-tholique, la monarchie ne reconnaissait pas de caractère révocable à un sacrement religieux. C'est la Révolution qui, par la loi du 20 septembre 1792 institue la possibilité du divorce. 1/ Le divorce, norme juridique sensible C'est historiquement la résultante d'un grand mouvement d'idées : les philosophes y étaient favorables. Montesquieu pensait que le main-tien artificiel du mariage était de nature à nuire à la natalité, pour Vol-taire, les règles de l'Église lui paraissaient contraires à la nature et au bon sens. Diderot et Rousseau songeaient, primordialement, à l'intérêt des enfants. Le mariage étant un contrat, il doit être possible de le rompre. Cette conception entraîne une large ouverture des cas de divorce : consentement mutuel, répudiation unilatérale. Dès l'an VII, un mariage sur trois sera dissous par le divorce. Mais les rédacteurs du Code civil vont sentir la nécessité de réagir contre ces " abus ». Bonaparte y joua un rôle considérable. Sans être hostile au divorce, il fit adopter un système où le principe est celui de l'admission pour causes déterminées : fautes invoquées par le conjoi nt innocent. Le di vorce pour incompatibil ité d'humeur est supprimé et le divorce par consentement mutuel est main-tenu, mais ne peut aboutir qu'au terme d'une procédure si complexe qu'il devient un cas exceptio nnel. La statistiq ue est révélatrice, on n'enregistrera plus qu'une cinquantaine d'exemples par an. Le catholicisme redevient religion d'État en 1816 : la loi du 8 mai, dite loi Bonald, enregistre la conséquence du retour des Bourbons. Socia-lement, le divorce est considéré comme un " poison révolutionnaire ». Religieusement, l'indissolubilité du mariage est une règle de l'État donc la suppression du divorce s'impose. La réforme, par principe essentielle,

Jean-Serge ELOI SOCIOLOGIE UTLB 2016/2017 16 n'eut d'ailleurs qu'une portée limitée, le divorce n'ayant jamais été prati-qué à l'époque qu'en milieu urbain. Elle fut accueillie avec indifférence. Le divorce ne sera rétabli qu'en 1884 avec la célèbre loi Naquet, mais le divorce y est conçu comme la sanction d'une faute : adultère, sévices, injures.15 L'histoire du divorce sera pratiquement immobile jusqu'à la loi du 11 juillet 1975 qui, tout en maintenant le divorce pour faute, réintro-duit la notion de divorce par consentement mutuel sur requête conjointe des époux ou sur la demande de l'un d'entre eux acceptée par l'autre. 2/ Le débat La position conservatrice consiste à poser que la loi dit ce qui doit être et qu'elle n'a pas à se conformer à l'évolution des moeurs. Le divorce ouvre la voie à l'individualisme, entendu dans son sens le plus négatif d'oubli des devoirs familiaux. De plus, il aurait pour conséquence la dé-natalité, ce qui est loin d'être prouvé. En France, la fécondité baisse dès le milieu des années soixante, soit une dizaine d'années avant la libéralisa-tion du divo rce. En rev anche, l'argument qu'un e telle libéral isation contribuera à l'augmentation des divorces est recevable. Par exemple, dans notre pays, le divorce augmente : 40700 en 1972, 81000 en 1980, 116000 en 1997, 116 723 en 2000, 155 253 en 2005, 134 000 en 2010, 123 500 en 2014. Les partisans de la libéralisation font valoir qu'il faut mettre la loi en harmonie avec les moeurs. Si l'on se marie par sentiment amoureux, il faut admettre que ce dernier puisse s'émousser et que la possibilité de rupture du mariage est inscrite dans son fondement amoureux. Un ma-riage qui ne serait plus fondé sur ce sentiment deviendrait une caricature de lui-même. Enfin, la modernisation de la loi entend faire cesser une hypocrisie judiciaire. Bien qu'interdit par la loi le divorce par consentement mutuel existait dans les faits et les deux conjoints se livraient à une " comédie judiciaire » (fausses lettres d'injures, témoignages de complaisance) qui faisait perdre tout crédit à la Justice elle-même. Désormais, ce qui pré-vaut c'est l'intérêt des enfants, leur droit à un avenir vivable, à la dédra-matisation, au respect d'autrui. 15 - L'adultère masculin y fait l'objet d'une tolérance de fait. Le mari peut tromper li-brement s a femme pourvu que ce soit hors du domicile conjugal mais l'inverse n'est pas possible. Que l'on songe au couple de Georges Clémenceau. Lassée des frasques conjugales de son mari, Mary Plummer finit par le tromper. Georges Clémenceau la fit expulser de France de manière mesquine, il était Ministre de l'Intérieur, elle était américaine.

Jean-Serge ELOI SOCIOLOGIE UTLB 2016/2017 17 III/ LES NORMES JURI DIQUES SONT-ELLES DES INDIC A-TEURS PERTINENTS DES NORMES SOCIALES ? Cette question ap pelle une réponse nuancée. O n peut considérer avec Durkheim, Weber et Marx que les normes juridiques sont grossiè-rement des indicate urs pertinents des normes sociales. Cependant, les théoriciens du droit affirment la spécificité absolue de la norme juridi-que. De plus, il existe des sociétés sans droit d'où les normes sociales ne sont pas absentes. A/ LES NORMES JURIDIQUES EN TANT QU'INDICATEURS DES NORMES SOCIALES En premier lieu, pour Durkheim, il n'y a guère de différence entre normes sociales et normes juridiques si ce n'est le caractère plus formali-sé et plus organisé de ces dernières. Pour Weber ensuite, les normes juri-diques sont les normes sociales les plus rationalisées. Enfin, pour Marx, elles reflètent les normes de la classe dominante. 1/ Elles sont les normes sociales les plus formalisées, les plus organisées La norme juridique ne serait que l'une des formes de la norme so-ciale, un de ses degrés les plus élevés. La norme juridique est une norme sociale plus formalisée, plus organisée que les autres (ENCADRÉ 4). La distinction entre norme sociale et norme juridique est donc relativisée : " nous croyons e n effet que ces deux domaines sont trop i ntimement unis pour être séparés. Il se produit en eux des échanges continuels : tantôt ce sont des règles morales qui deviennent juridiques et tantôt des règles juridiques qui deviennent morales. Très souvent, le droit ne sau-rait être détaché des moeurs qui en sont le substrat, ni les moeurs du droit qui les réalise et les détermine ». 16 La vie en société ne peut exister de manière durable sans une tendance à s'organiser et le droit n'est pas autre chose que cette organisation. La vie sociale ne peut s'étendre sans que ne s'étende la vie juridique. Cette dernière reflète même " les varié-tés essentielles de la vie sociale ». 17 Le signe infaillible de l'existence d'une norme sociale, de nature mo-rale car le li en social est un lien moral qui c ontraint, repose sur l'existence d'une sanction. La présence de sanctions prouve l'existence de 16- Émile Durkheim, 1893, " Définition du fait moral » in Textes (réunis par Victor Karady), Paris, Minuit, 1975. 17 - Émile Durkheim, 1893, De la division du travail social, Paris, PUF, 1978

Jean-Serge ELOI SOCIOLOGIE UTLB 2016/2017 18 normes qui ont été transgressées. Dès lors que l'on note la présence d'une sanction, c'est qu'il existe une règle. Cependant, Durkheim a tendance à ne pas prendre en compte la spécificité des différents types de normes. L'intérêt de Durkheim v ient cep endant, malgré tout, du fai t qu'il prend en compte les sanctions diffuses, rires, moqueries et sarcasmes, tellement importantes dans la vie sociale. Durkheim précise en effet que ENCADRÉ 4 (...) La vie sociale, partout où elle existe d'une manière durable, tend inévitable-ment à prendre une forme définie et à s'organiser, et le droit n'est autre chose que cette organisation même dans ce qu'elle a de plus stable et de plus précis. La vie générale de la société ne peut s'étendre sur un point sans que la vie juridique s'y étende en même temps et dans le même rapport. Nous pouvons donc être certains de trouver reflétées dans le droit toutes les variétés essentielles de la solidarité sociale. On pourrait objecter, il est vrai, que les relations sociales peuvent se fixer sans prendre pour cela une forme juridique. Il en est dont la réglementation ne parvient pas à ce degré de consolidation et de précision ; elles ne restent pas indéterminées pour cela, mais, au lieu d'être réglées par le droit, elles ne le sont que par les moeurs. Le droit ne ré-fléchit donc qu'une partie de la vie sociale et, par conséquent, ne nous fournit que des données incomplètes pour résoudre le problème. Il y a plus : il arrive souvent que les moeurs ne sont pas d'accord avec le droit ; on dit sans cesse qu'elles en tempèrent les ri-gueurs, qu'elles en corrigent les excès formalistes, parfois même qu'elles sont animées d'un tout autre esprit (...) Mais cette opposition ne se produit que dans des circonstances tout à fait excep-tionnelles. Il faut pour cela que le droit ne corresponde plus à l'état présent de la société et que pourtant il se maintienne, sans raison d'être, par la force de l'habitude. Dans ce cas, en effet, les relations nouvelles qui s'établissent malgré lui ne laissent pas de s'organiser ; car elles ne peuvent pas durer sans chercher à se consolider. Seulement, comme elles sont en conflit avec l'ancien droit qui persiste, elles ne dépassent pas le stade des moeurs et ne parviennent pas à entrer dans la vie juridique proprement dite. C'est ainsi que l'an-tagonisme éclate. Mais il ne peut se produire que dans des cas rares et pathologiques, qui ne peuvent même durer sans danger. Normalement, les moeurs ne s'opposent pas au droit, mais au contraire en sont la base. Il arrive, il est vrai, que, sur cette base, rien ne s'élève. Il peut y avoir des relations sociales qui ne comportent que cette réglementation diffuse qui vient des moeurs ; mais c'est qu'elles manquent d'importance et de continuité, sauf, bien entendu, les cas anormaux dont il vient d'être question. Si donc il peut se faire qu'il y ait des types de solidarité sociale que les moeurs sont seules à manifester, ils sont cer-tainement très secondaires ; au contraire, le droit reproduit tous ceux qui sont essentiels, et ce sont les seuls que nous ayons besoin de connaître. (Émile Durkheim, 1893, De la division du travail social, Paris, PUF, 1978)

Jean-Serge ELOI SOCIOLOGIE UTLB 2016/2017 19 " si, en m'h abillant, je ne tiens aucun compte des usages suivis d ans mon pays et dans ma classe, le rire que je provoque, l'éloignement où l'on me tient produisent, quoique d'une manière plus atténuée les mêmes effets qu'une peine proprement dite». 18 Le rire châtie les moeurs et sanc-tionne les transg ressions des normes et des usages. Il est l'équivalent d'une peine légale sans pour autant lui être identique. Le rire ne peut en effet se comparer à l'emprisonnement. De plus, il représente une sanc-tion que tout le monde peut prononcer, n'importe qui peut se moquer de son voisin, alors qu'une sanction légale ne peut être prononcée que par un corps spécialisé. Quoiqu'en dise Durkheim qui tend à considérer toutes les formes de sanction sur le même modèle, celui du châtiment légal, il existe des sanc-tions diffuses (rires, sarcasmes et moqueries) qui ont un caractère plus incertain que les sanctions légales. La sanction légale a un caractère cer-tain : quand on est condamné, on doit s'attendre à purger une peine. Au contraire, les sanctions diffuses sont plus incertaines. Un individu peut se moquer des rires et des sarcasmes d'autrui. De plus, si les exécutions, les amendes et les privations, les emprisonnements sont observables et graduées, donc objectives, les sanctions diffuses se prêtent plus difficile-ment, du fait de leur caractère qualitatif, à la mesure bien que Durkheim affirme que la sanction diffuse " peut aller de la flétrissure infamante jusqu'à la simple désapprobation, en passant par toutes les nuances du mépris ». 19 Ruwen Ogien est conduit à distinguer parmi les sanctions diffuses, celles qui relèvent de la morale, c'est-à-dire une sanction intérieure qui renvoie à la culpabilité. Ainsi, on devrait distinguer le droit et ses sanc-tions légales, la morale et ses sanctions intérieures, l'interaction et ses sanctions diffuses.20 Au total, pour Durkheim les normes sociales, parce que leur trans-gression engendre des sanc tions, apparaissent com me un droit moins formalisé, plus embryonnaire, mais on peut considérer que les normes juridiques sont un indicateur pertinent des normes sociales. 18 - Émile Durkheim, 1895, Les règles de la méthode sociologique, Paris, PUF, 2013. 19 - Émile Durkheim, 1893, " Définition du fait moral » in Textes (réunis par Victor Karady), Paris, Minuit, 1975 20 - Ruwen Ogien, " Sanctions diffuses. Sarcasmes, rires, mépris. » in Revue Française de sociologie, XXXI, 1990, 591-607.

Jean-Serge ELOI SOCIOLOGIE UTLB 2016/2017 20 2/ Elles sont les normes sociales les plus rationalisées Droit, rationalité et domination sont étroitement asso ciés dan s la pensée de Max Weber. Les sociétés qui ont connu une rationalisation des activités sociales ont vu le droit étendre son champ d'influence. Il définit et précise en effet la tradition et il en vient même à se substituer totale-ment à elle comme fondement légitime de la domination. Les individus n'obéissent plus à la tradition, m ais ils se conform ent à l a loi. L'obéissance ne se fonde plus sur l'autorité personnelle, elle ne repose plus sur le caractère sacré de la tradition et donc de la coutume, mais sur un système de règles rationnelles apparaissant comme des normes vala-bles pour tous.21 Au-delà de Weber, on peut considérer que, plus sûrement que les sanctions diffuses chez Durkheim, les peines sont évaluables et connues à l'avance. C'est en ce sens que les normes juridiques sont rationnelles. Dans l'écono mie du crime, elles peuvent fair e l'objet d'un calcul coût/avantage qui conduirait le criminel à passer à l'action dans l'hypothèse où les avantages de son comportement l'emporteraient sur ses coût s (on reconnaît ici le modè le de Gary Becker qu i voyait de l'économie partout). 22 Le droit apparaît donc, dans l'oeuvre de Weber, comme une entre-prise normative. La régulation, mise en oeuvre par les individ us eux-mêmes lors des interactions et produisant ce que Durkheim considérait comme des sanctions diffuses, doit être considérée comme une catégorie indépendante de la norme juridique. Cela n'exclut pas cependant que les normes juridiques soient des normes sociales rationalisées et qu'elles en constituent des indicateurs. 3/ Les normes juridiques sont le produit de la domination so-ciale La remise en cause la plus radicale de la position des juristes vient de l'analyse marxiste. Les normes juridiques ne sont que l'expression de la domination de classe que la bourgeoisie exerce sur le prolétariat. Marx développera une analyse poussée de l'expropriation de la po-pulation campagnarde angla ise par les célèbres Bills for enclosu res of common. Amorcé à la fin du quinzième siècle, ce mode d'appropriation des terres par les gr ands propriétaires fon ciers est passé, au dix- 21 - Max Weber, La domination, Paris, La Découverte, 2013. 22 - Gary Becker, économiste américain, né en 1930 et disparu en 2014.

Jean-Serge ELOI SOCIOLOGIE UTLB 2016/2017 21 huitième, par des formes légales. La loi devient l'instrument de la spolia-tion.23 B/ LES NORMES JURIDIQUES NE SONT PAS FORCÉMENT DES INDICATEURS DE NORMES SOCIALES On retrouve ici une idée déjà contenue chez Weber : les normes juri-diques ne dérivent pas de la réalité sociale. Elles ont une existence auto-nome et leur essence est radicalement différente de la norme sociale. La spécificité absolue de la norme juridique est défendue par Hans Kelsen, un théoricien du droit. De plus, pour illustrer le fait que l'existence de normes juridiques ne dérive pas forcément de la présence de normes so-ciales, on montrera qu 'il exis te des sociétés sans droit, mais pas sans normes sociales. 1/ La norme juridique est d'une spécificité absolue Reconnu comme un des p lus grands jurist es du vin gtième sièc le, Hans Kelsen a publié sa Théorie pure du droit en 1953. Il s'agit d'une tentative pour fonder une " théorie pure du droi t » qu i participe de l'effort des juristes pour construire un ensemble " de règles totalement indépendant des contraintes et des pressions sociales ». Le droit trouve en lui-même son propre fondement et Kelsen se limite au seul énoncé des normes juridiques en écartant toute référence aux fonctions sociales as-surant la mise en oeuvre de ces normes.24 Le principe méthodologique fondamental consiste à débarrasser la science du droit de tous les élé-ments qui lui sont étrangers. Il faut rejeter toute définition du droit qui ne le caractéris e pas comme un ordre de contraintes. La contrainte doit être exercée par des hommes contre d'autres hommes. Le droit ne peut être distingué de la morale (normes sociales autres que juridiques), étudiée par une disci-pline que l'on peut nommer éthique, que si on le conçoit comme un ordre de contraintes, c'est-à-dire un ordre normatif qui cherche à provoquer des conduites humaines. La morale n'établit pas de semblables sanctions en cas de conduite contraire aux normes. La force physique n'est pas em-ployée. La validité d'une norme ne peut avoir comme fondement que celle d'une autre norme. Il est cependant impossible que la quête du fonde-ment de la validité d'une norme se poursuive à l'infini. Elle doit nécessai- 23 - Pierre Lascoumes, Marx : du " vol de bois » à la critique du droit, Paris, PUF, 1984. 24 - Pierre Bourdieu, " La force du droit : éléments pour une sociologie juridique du champ juridique », Actes de la recherche en sciences sociales,

Jean-Serge ELOI SOCIOLOGIE UTLB 2016/2017 22 rement prendre fin avec une norme que l'on supposera dernière et su-prême. Le fondement de sa validité ne peut plus faire l'objet d'une ques-tion, elle relève du pouvoir, d'une autorité créatrice de normes.Une telle norme, supposée suprême, est appelée norme fondamentale. Une norme fondamentale se rapporte immédiatement à une Consti-tution posée soit par la coutume (Constitution anglaise) soit par un acte conscient de création (Constit ution de la Cinquième République par exemple). La Constitution éta tique est h istoriquement première et les normes sont posées conformément à cette Constitution. Pour le dire plus simplement, on doit se conduire de la façon prescrite par la Constitution. 2/ Il existe des sociétés sans droit, mais pas sans normes socia-les Il s'agit ici de reprendre l'exemple qu'Howard Becker emprunte à Bronislav Malinovski pour montrer que la déviance naît des réactions des autres.25 Un jeune homme des îles Trobriand s'est suicidé en se précipi-tant du haut d'un cocotier. L'opinion publique ne s'était pas senti outra-gée par la connaissanc e du com portement du jeune homme coupable d'inceste avec une jeune fille de son clan. La communauté n'a réagi qu'à l'annonce publique du crime quand le fiancé de la jeune fille provoqua un scandale en insultant le jeune homme. Lorsqu'une telle affaire se déroule sans bruit, sans trouble, l'opinion publique se contente de jaser sans exiger de châtiment sévère. Lorsque les choses aboutissent à un scandale, tout le monde se dresse vers le cou-pable, victime d'ostracisme et d'insultes qui peuvent le pousser au sui-cide. On a ici l'exemple d'une société sans droit, c'est-à-dire sans normes juridiques. Cela ne signifie pas pour autant qu'elles sont sans normes so-ciales. La morale, puisqu'il s'agit de normes sociales, s'y révèle même très contraignante puisqu'elle pousse un jeune au suicide. L'inexistence de n ormes jur idiques dans une sociét é sans droit n'indique pas l'absence de normes sociales. En général, les normes juri-diques sont jugées p lus contraig nantes que les normes s ociales car la sanction peut contraindre physiquement le délinquant. On a l'exemple ici du caractère contraignant de la morale car le jeune homme est conduit au sacrifice suprême, celui de sa vie. 25 - Howard Becker, Outsiders, Paris, Métailié, 1985.

Jean-Serge ELOI SOCIOLOGIE UTLB 2016/2017 23 CONCLUSION Parmi les normes sociales qui structurent le comportement des indi-vidus, il en est qui sont plus organisées, plus formalisées, plus rationali-sées, les normes juridiques qui apparaissent plus contraignantes. Toute transgression de la norme, sociale ou juridique, appelle sanction. Aller à l'encontre des normes sociales, comme les manières de table ou les règles de politesse, n'expose qu'à des sanctions diffuses (moqueries, sarcasmes et ma uvaise réputation) mises en oeuvre par n'importe l equel d'en tre nous. En revanche, la transgression des normes juridiques entraîne des sanctions pour le contrevenant, mais dans ce cas, elles sont prononcées par un corps spécialisé, la justice. Les normes, qu'elles soient sociales ou juridiques, ont une réalité historique. Elles peuvent en effet changer avec le temps, l'évolution des manières de table en témoigne comme les trans-formations de la législation concernant l'avortement, le divorce ou la peine de mort. Pour finir, on peut considérer que les normes juridiques ne sont que le reflet de la réalité sociale. Si la législation sur l'avortement a changé en 1975, elle n'aurait fait que suivre l'évolution des moeurs. Les mentalités ne considéraient plus l'avortement comme un crime. La norme juridique s'est mise en conformité avec les moeurs, les normes sociales, la morale dont elle serait un indicateur pertinent. Certains, ne voulant expliquer le juridique que par le juridique, affirment la spécificité de la norme juridi-que. La loi peut être en avance sur les moeurs : alors qu'une majorité de français était favorable à la peine de mort, le nouveau pouvoir l'abolit. N'arrive-t-il pas un moment où la force du droit dépend d'un acte de pouvoir ?

Jean-Serge ELOI SOCIOLOGIE UTLB 2016/2017 24 BIBLIOGRAPHIE Becker (Howard), Outsiders, Paris, Métailié, 1985. Bourdieu (Pierre), " La force du droit : éléments pour une sociologie juridique du champ juridique », Actes de la recher che en sc iences so-ciale.s Comte (Auguste), 1826, " Considérations sur le pouvoir spirituel » in Système de politique positive, Paris, Larousse, 1895 Damon (Julien), " La prise en charge des vagabonds, des mendiants et des clochards : une histoire en mouvement », Revue de droit sanitaire et social, vol. 43, n° 6, 2007, pp. 933-951 Durkheim (Émile), 1893, " Définition du fait moral » in Textes (ré-unis par Victor Karady), Paris, Minuit, 1975 - 1893, De la division du travail social, Paris, PUF, 1978 - 1895, Les règles de la méthode sociologique, Paris, PUF, 2013. Élias (Norbert), La civilisation des moeurs, Paris, Calman-Lévy, 1973 Eloi (Mélina) " Du sile nce à l'indignation : la découverte de l'enfant maltraité. Pratiques et normes d e l' Aide sociale à l'enfan ce d'hier et d'aujourd'hui en Dordogne (1960-2000) ». Thèse de sociolog ie de l'Université Victor Segalen, Bordeaux-2, 2007. Gueslin (André). D'ailleurs et de nulle part. Mendiants vagabonds, clochards, SDF en France depuis le Moyen Âge, Paris, Fayard, 2013 Lascoumes (Pierre), Marx : du " vol de bois » à la critique du droit, Paris, PUF, 1984. - " La corruption ronge la démocratie. Une déviance largement tolérée », La Croix, 2 décembre 2011. Mauss (Marcel), 1950, Sociologie et anthropologie, Paris, PUF, 2001 Mendras (Henri), Éléments de sociologie, Paris, Armand Colin, 1967 Muchielli (Laurent), " Entre normes, tr ansgression et stigmati sa-tion », Sciences Humaines n° 99, Novembre 1999 Ogien (Ruwen), " Sanctions diffuses. Sarcasme s, rires, mépris. » in Revue Française de sociologie, XXXI, 1990, 591-607 Summer (William), Folkways : a stu dy of the sociologica l impor-tance of usages, manners, customs and morals, New York, 1906 Valade (Bernard), Dictionnaire de la sociologie, Paris, Larousse, 1989 Weber (Max), 1922, Économie et société, Paris, Plon, 1971 - La domination, Paris, La Découverte, 2013

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