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Revue européenne des migrations

internationales vol. 35 - n°3 et 4 | 2019

Danses,

musiques et (trans)nationalismes

Transpolitanisme, mobilités et appropriation

danser la salsa en Afrique de l'Ouest (Bénin/Ghana) Transpolitanism, Mobilities and Appropriation: Dancing Salsa in West Africa (Benin/Ghana) Transpolitanismo, movilidad y apropiación: bailar salsa en África Occidental (Benín/Ghana) Elina

Djebbari

Édition

électronique

URL : https://journals.openedition.org/remi/13397

DOI : 10.4000/remi.13397

ISSN : 1777-5418

Éditeur

Université de Poitiers

Édition

imprimée

Date de publication : 1 décembre 2019

Pagination : 63-83

ISBN : 979-10-90426-65-8

ISSN : 0765-0752

Référence

électronique

Elina Djebbari, "

Transpolitanisme, mobilités et appropriation

: danser la salsa en Afrique de l'Ouest (Bénin/Ghana) Revue européenne des migrations internationales [En ligne], vol. 35 - n°3 et 4

2019, mis

en ligne le 01 janvier 2022, consulté le 15 avril 2022. URL : http://journals.openedition.org/remi/13397 ; DOI : https://doi.org/10.4000/remi.13397

© Université de Poitiers

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REMiRevue Européenne des Migrations Internationales, 2019, 35 (3 & 4), pp. 63-83

Transpolitanisme, mobilités et

appropriation : danser la salsa en

Afrique de l'Ouest (Bénin/Ghana)

Elina Djebbari1

En janvier 2017 à Cotonou, la quatrième édition du Benin International Salsa Festival permettait aux salseros béninois de partager la piste de danse avec des danseurs venus des pays voisins, principalement du Ghana, Togo et Nigéria 2. La plupart d'entre eux se rencontrèrent de nouveau à plusieurs reprises au cours de l'année, lors de la tenue des festivals de salsa organisés dans les métropoles du golfe du Bénin3 - notamment en septembre à Accra puis en décembre à Lagos. En nombre croissant depuis le début des années 2010, ces événements deviennent des points de rendez-vous réguliers et des repères temporels dans le calendrier des salseros ouest-africains. Leur dimension internationale est principalement soutenue par les mobilités intra-régionales et transfrontalières de petits groupes de danseurs du Bénin, du Togo, du Ghana et du Nigéria. Ces derniers expliquent en effet volontiers que leur venue à tel ou tel festival est mue par leur désir de soutenir les initiatives locales visant à promouvoir la salsa en

Afrique.

Bénéficiant de l'existence préalable de réseaux d'interrelations développés par la forte mobilité des danseurs, les festivals de salsa de Cotonou, Lagos ou Accra deviennent ainsi, provisoirement, des " hubs transnationaux » (Kiwan et Meinhof, 2011), des noeuds d'interconnexion pour les danseurs circulant d'un festival à l'autre. Cet article propose d'aborder précisément ces mobilités d'ordre temporaire mais répétées à intervalles réguliers, qui se produisent particulière- ment dans le cadre des festivals organisés le long du golfe du Bénin 4.

1 Chercheuse senior, ERC Musicol, École Normale Supérieure, IHMC, 45 rue d'Ulm,

75005 Paris ; elina.djebbari@kcl.ac.uk

2 Auxquels s'ajoutent les quelques participants venus pour l'occasion d'Europe, d'Asie

ou des États-Unis.

3 L'expression " golfe du Bénin » désigne la façade océanique partagée par le Ghana, le

Togo, le Bénin et le Nigéria, inclus plus largement au sein du golfe de Guinée.

4 D'après les observations participantes menées notamment lors de trois éditions du

Benin International Salsa Festival (2015, 2016, 2017), du Nigeria Afro-Latin Dance and Music Festival (2017) et du Ghana International Kizomba Festival (2017), ainsi que par les

entretiens menés avec les organisateurs et les participants de ces différents événements.

Ce terrain multi-situé a été rendu possible par mon postdoctorat effectué au sein du projet Modern Moves financé par le Conseil Européen de la Recherche (2013-2018), basé au King's College London et dirigé par Ananya Kabir. 64

Elina Djebbari

Si l'étude des mobilités intra-régionales en Afrique de l'Ouest a fait l'objet d'un certain nombre de travaux, ce sont principalement les mobilités de travail ou liées aux situations de crise qui ont été abordées

5. Il existe ainsi peu de

littérature portant sur les déplacements contemporains intra-africains liés à des pratiques de danse sociale, considérées sous le double angle du loisir et du divertissement et de la professionnalisation. Cette étude s'inscrit donc dans un élargissement des formes de mobilités analysées en Afrique de l'Ouest. De plus, en prenant pour cadre de ces mobilités les déplacements qui s'opèrent de ville en ville, il s'agit également d'accorder une attention croissante à des phéno- mènes relativement marginalisés jusqu'à présent par les travaux portant sur les migrations (Van Dijk et al., 2001 : 4). Au-delà de l'analyse de ces mobilités particulières motivées par la pratique de la danse, cet article se penche également sur les modes de performance des affiliations nationales, ou au contraire leur contournement, qui se jouent à travers l'appropriation de la salsa au niveau local. Alors que l'appropria- tion transnationale de la salsa

6, en tant que pratique dansée, a fait l'objet de

nombreux travaux

7, son développement en Afrique a cependant été peu étudié

jusqu'à présent (Carwile, 2017 : 187)

8. Cette lacune paraît d'autant plus surpre-

nante que les éléments " africains » qui participèrent à la constitution du genre au Nouveau Monde ont été célébrés par les amateurs de salsa du monde entier (Carwile, 2017 : 186 ; Washburne, 1995) ; et que la longue durée de l'apport des musiques caribéennes, et notamment cubaines, dans la constitution des musiques populaires modernes en Afrique a été remarquée (Collins, 2005 ;

Shain, 2002 ; White, 2002 ; Djebbari, 2015).

S'appuyant sur un travail ethnographique d'observation participante mené au Bénin et au Ghana

9, cet article propose d'explorer les processus contem-

porains d'appropriation de la danse salsa dans ces deux pays. Par cette visée comparative, l'objectif est de comprendre comment une pratique transnatio-

nale est investie localement d'enjeux différenciés, révélant ainsi les spécificités

respectives de ces contextes nationaux voisins aux histoires (post)coloniales différentes. Au Bénin, la salsa est aujourd'hui liée, dans les discours et les pratiques, à la mémoire locale de la traite esclavagiste (Kabir, 2018), tandis que le fonc- tionnement des différents clubs repose sur une économie essentiellement informelle. L'importance de la mémoire de la traite négrière s'inscrit dans le

5 Voir notamment le numéro spécial de la revue Hommes et Migrations consacré aux migrations internes au continent africain (2009) ; l'ouvrage collectif Mobile Africa (de Bruijn et al., 2001).

6 Le terme " salsa » désigne à la fois la musique et la danse de couple qui se sont cris-tallisées à New York sous le terme " mambo » dans les années 1940-1950 à partir de différents genres musicaux caribéens, principalement cubains et portoricains. Le terme " salsa » a commencé à être utilisé dans les années 1970, notamment en lien avec le développement du label commercial Fania Records (McMains, 2015).7 Voir Chasteen, 2004 ; Waxer, 2002 ; Hutchinson, 2014 ; Skinner, 2007 ; Kabir, 2013a et b ; Bosse, 2013 ; Pietrobruno, 2006 ; Hosokawa, 2010 ; O'Brien, 2016.

8 Notons cependant les travaux de notre connaissance ayant abordé la salsa au Ghana (Quayson, 2014 ; Carwile, 2016 et 2017), au Bénin (Kabir, 2018), en Afrique du Sud (Gibson, 2013).9 Et dans une moindre mesure au Nigéria et en Côte d'Ivoire.

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Transpolitanisme, mobilités et appropriation

contexte du développement des politiques mémorielles dans le Bénin contem- porain (Ciarcia, 2016 ; Forte, 2007). Ce contexte politico-économique doit donc être pris en compte pour contextualiser l'essor de la salsa au Bénin au tournant du XXIe siècle afin de comprendre comment les acteurs clés de la scène salsa béninoise travaillent autour de ces " injonctions mémorielles » (Ciarcia, 2016) pour promouvoir leurs activités10. Au Ghana, ce sont plutôt les notions de " branding », " packaging » et " marketing » qui figurent au coeur des stratégies discursives, l'espace de la salsa étant vu comme un marché économique à développer. Les acteurs déploient en effet des stratégies entrepreneuriales innovantes pour rendre ce " business » viable et en faire les voies de leur professionnalisation. En veillant à rendre compte des contextes différenciés dans lesquels s'inscrivent les régimes d'appropriation décrits dans l'article, il s'agit de montrer comment la pratique de la salsa au Ghana et au Bénin se situe à la croisée d'enjeux économiques et iden- titaires diversifiés et de régimes circulatoires mettant les danseurs en constante interaction les uns avec les autres. Dans cet article, je m'attacherai d'abord à décrire les régimes circulatoires en jeu afin de définir les réseaux dessinés par les circulations actives des danseurs entre les grandes métropoles du golfe du Bénin. Le terme " transpolitain » sera proposé comme alternative théorique pour penser ce paradigme circulatoire particulier, tout en montrant comment des affiliations nationales sont simultané- ment rejouées pendant les festivals. L'analyse portera ensuite sur les processus d'appropriation de la salsa au Bénin à la lumière d'une volonté de " béninisa- tion » de la danse par les acteurs, mise en pratique notamment à travers les performances offertes par les danseurs béninois lors du Festival international de salsa du Bénin. Enfin, une étude de cas au Ghana complexifiera l'exploration des dynamiques circulatoires et des affiliations identitaires véhiculées par la salsa en Afrique. L'analyse de la notion d'" afropolitanisme », telle qu'utilisée par certains danseurs-entrepreneurs ghanéens pour promouvoir leur pratique dansée, permettra de réfléchir différemment aux processus locaux de resémantisation déployés en réponse aux dynamiques globalisées des productions culturelles contemporaines.

Mobilités transpolitaines

En 2016 à Cotonou, lors de la troisième édition du Festival international de salsa du Bénin, je rencontrai Steven sur la piste de danse. Il m'était alors présenté par une danseuse béninoise de ma connaissance comme son cousin, récemment retrouvé. Deux ans auparavant, alors que Steven était venu du Ghana pour le festival, c'est en dansant ensemble puis en échangeant leurs contacts qu'ils se sont rendu compte qu'ils étaient des cousins éloignés qui ne se connaissaient pas encore. En me rendant plus tard au Ghana, je retrouve Steven à Accra, lors de la soirée qu'il anime avec un autre danseur ghanéen, Sani, que je connais depuis le premier festival de salsa béninois auquel j'ai participé en 2015. Nous nous recroisons à nouveau à Cotonou en 2017, puis à

10 Pour une analyse détaillée des liens entre pratique de la salsa et mémoire de la traite

au Bénin, voir Kabir (2018) et Djebbari (2020). 66

Elina Djebbari

Accra et ensuite à Lagos où je me rends successivement cette année-là pour participer aux différents festivals de salsa qui se déroulent dans ces villes. Avec son acolyte Sani, ils ont créé un hashtag (#S2DanceTrips) pour publi- ciser leur duo de voyageurs-danseurs sur les réseaux sociaux (leurs prénoms commençant tous deux par la lettre " s »). Cette appellation place l'emphase non seulement sur leur complicité, mais aussi sur l'activité à laquelle ils consacrent tous leurs moyens, voyager et danser. La conjonction du voyage pour danser et de la danse pour voyager nourrit également des projets plus larges : il s'agit pour eux d'expérimenter les scènes salsa locales dispersées en Afrique de l'Ouest, de s'en faire connaître, et à terme, de pouvoir les fédérer autour de projets de développement de la danse à l'échelle panafricaine

11. Au fur et à

mesure, ces voyages les ont fait connaître à tel point que des soirées spéciales sont organisées en fonction de leur venue, à Lomé, Cotonou, Lagos, et plus loin à Yaoundé, Libreville, Abidjan, Bamako, Dakar, et ils sont parfois défrayés, si ce n'est " bookés » 12. La trajectoire de Steven est ainsi marquée par l'importance des mobilités translocales qu'il met en oeuvre pour nourrir et développer sa pratique de la danse et activer des logiques de réseaux. Ce sont précisément ces circulations par et pour la danse qui ont permis à deux cousins animés d'une passion semblable de renouer les branches de leur famille dispersée entre le Bénin, le Togo et le Ghana13. L'exemple de Steven présente donc de nombreuses dynamiques circu- latoires que l'on retrouve avec plus ou moins d'intensité chez les salseros ouest- africains qui font de leur pratique dansée un élément clé de leur mode de vie 14. Les déplacements fréquents des salseros ouest-africains sont favorisés par le programme de dispense de visa dans le cadre des accords transfrontaliers de la CEDEAO (Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest) 15. Depuis 1975, les accords de coopération de la CEDEAO autorisent la libre circu- lation des personnes entre les pays partenaires

16. Malgré cette relative facilité

administrative, les voyages entre les différentes métropoles - Accra, Lomé, Cotonou, Lagos - effectués principalement par voies terrestres, restent longs et périlleux, les routes étant plus ou moins mauvaises et les contrôles policiers fréquents. Le passage aux postes-frontières et les éventuelles extorsions par les douaniers représentent autant d'embûches sur le parcours du voyageur, rendant particulièrement sensibles les frontières nationales, quand bien même la libre circulation des personnes est en théorie assurée (Choplin et Lombard, 2010).

11 Ils viennent par exemple de lancer le projet " Panafrican'Kiz » en 2018.

12 Par ce terme, il s'agit d'exprimer que leurs frais de transport, d'hébergement et de

nourriture sont pris en charge, mais qu'ils reçoivent également un cachet, leur venue ayant été spécialement requise par les organisateurs.

13 Steven est en effet né à Lomé (capitale du Togo) d'une mère ghanéenne et d'un père béninois.

14 Sur la mobilité comme mode de vie, complexifiant les définitions des phénomènes

migratoires, voir van Dijk, Foeken et van Til (2001).

15 Les pays actuellement partenaires au sein de la CEDEAO sont les suivants : Bénin,

Burkina Faso, Côte d'Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Togo, Cap-Vert, Gambie,

Ghana, Guinée, Libéria, Nigeria et Sierra Leone.

16 Ces droits de libre circulation peuvent cependant être limités ou suspendus en

fonction des intérêts de chaque État membre pour des motifs d'ordre, de sécurité et de

santé publiques (Choplin et Lombard, 2010). 67

Transpolitanisme, mobilités et appropriation

Les organisateurs des festivals se font ainsi une priorité d'aller accueillir leurs invités à la frontière ou d'aller à leur rencontre dans la mesure du possible17. Ces déplacements induisent ainsi un certain nombre d'obligations en termes logis- tiques (logement, repas, transports) entre les hôtes et leurs invités lors de ces événements qui cherchent à accueillir le plus de participants possible. Comment concevoir ces mobilités spécifiques, intermittentes, mais régu- lières, qui font partie intégrante du mode de vie des salseros ouest-africains, comme l'exemple de Steven met en avant ? En circulant activement d'une ville à l'autre pour nourrir leur pratique de la salsa, les danseurs traversent différents espaces nationaux tout en connectant des localités précises. Monika Salzbrunn a développé la notion d'" espace social translocal » (2017) pour qualifier le " résultat de nouvelles formes de délimitations qui reprennent en partie, mais aussi dépassent les frontières géographiques ou nationales. Ces espaces trans- locaux conduisent à de nouvelles sources d'identification et d'action fondées sur des systèmes de référence locaux et globaux spécifiques » (2017 : 5)

18. En

suivant cette proposition théorique et en se basant sur l'ethnographie multi- située mobilisée pour cet article, les festivals de salsa ouest-africains peuvent être compris comme des " espaces sociaux translocaux » au sein desquels s'articulent à la fois des dynamiques translocales - les danseurs circulent entre des lieux précis qui informent et limitent leur perception du cadre national qui les inclut - et transnationales - des identités et des imaginaires " nationaux » se confrontent sur la piste de danse (cf. infra). Si la notion d'" espace social translocal » s'avère opérante pour comprendre l'articulation de ces dynamiques en prenant en compte le contexte local dans lesquelles elles s'inscrivent, comment qualifier les circulations qui génèrent justement l'émergence de ces espaces sociaux translocaux, aussi éphémères soient-ils que les festivals de salsa abordés ici ? Afin de justement " suivre la pratique sociale des acteurs » (Salzbrunn,

2007 : 17) et de préciser les mécanismes à l'oeuvre dans ces mobilités motivées

par la poursuite d'une pratique globalisée, je propose le terme " transpoli- tain » comme alternative heuristique. Par ce terme, constitué des racines latine

" trans » (par-delà, à travers) et grecque " polis » (cité), il s'agit d'opérer une

concaténation articulant les dynamiques translocales et transnationales d'une part, et les dimensions cosmopolite et urbaine d'autre part, à l'oeuvre dans la pratique dansée ici étudiée. Le terme " transpolitain » permet ainsi de décrire un mode de vie fait de mobilités de villes à villes tout en contournant le référent national. Partant, il s'agit de comprendre comment certaines identités se forgent davantage dans les localités traversées par ces individus mobiles que dans le cadre national plus large qui les administre (Conradson et McKay, 2007). La prise en compte de la " polis » indépendamment de la référence au national combine ainsi les approches post-nationales (Appadurai, 1996 ; Corona et Madrid, 2008 ; Knudsen, 2011) à la valorisation du local dans les processus de transnationali-

17 Parfois, il s'agit aussi de prendre le relais en termes de transport. J'ai par exemple

accompagné les organisateurs du Benin International Salsa Festival à la frontière avec le Nigéria pour accueillir les danseurs invités en route depuis Lagos. Leur moyen de transport les laissant à la frontière, nous les avons ramenés à Cotonou dans un minibus loué pour l'occasion par l'organisateur du festival en janvier 2017.

18 Toutes les traductions de l'anglais au français sont le fait de l'auteure.

68

Elina Djebbari

sation (Glick Schiller, 2003 ; Capone, 2004 ; apo et Halilovich, 2013 ; Salzbrunn,

2007 ; Conradson et McKay, 2007 ; Smith, 2011).

Par l'usage de la racine polis, je souhaite accentuer la prise en compte du contexte urbain comme creuset de pratiques sociales telles que la salsa, considérée comme un " genre urbain » (Pietrobruno, 2006 : 2). Le terme trans- politain réfère également à la notion de cosmopolitisme en articulation avec sa dimension locale, telle qu'elle a pu être analysée au sujet des pratiques musicales (Stokes, 2008 ; Turino, 2000). Dans son étude comparative de la salsa à Belfast, Hambourg et Sacramento, Jonathan Skinner (2007) a montré comment les danseurs et les professeurs activent des formes de cosmopolitisme tout en inscrivant leur pratique dans un contexte local précis19. Par ces références multiples, le terme " transpolitain » permet ainsi de carac- tériser l'expérience à la fois circulatoire et urbaine qui marque profondément le contexte dans lequel se pratique la salsa en Afrique de l'Ouest. Les danseurs voulant développer leur pratique de la salsa ne voyagent pas au hasard, ils se rendent dans des lieux précis (studios de danse, clubs) situés dans des villes identifiées par la localisation des acteurs clés de la scène salsa ouest-africaine. Ce fonctionnement en réseaux d'interconnaissances qui culminent lors des festivals révèle la spécificité des mobilités mises en jeu. De plus, ce terme souhaite aussi éviter l'écueil idéologique du cosmopoli- tisme et de l'afropolitanisme, critiqués pour leur caractère élitiste (Musila, 2016). Par l'usage de la racine " trans » - plutôt que les trop génériques " cosmo » ou " afro » - , le terme transpolitain se veut plus neutre afin de permettre son application dans divers contextes sociaux et géographiques. Ainsi, un individu comme Steven qui circule entre Accra, Lomé et Cotonou, entre autres, est d'abord transpolitain avant toute chose, ces villes pouvant par ailleurs être qualifiées de cosmopolites. Le terme transpolitain permet ainsi de décrire des modes de vie en termes de mobilités impliquant des ancrages - plus ou moins longs - dans des villes spécifiques sans qu'il s'agisse nécessairement de migra- tions ou de trajectoires diasporiques (Van Dijk et al., 2001 : 6). En faisant de ces circulations transpolitaines leur mode de vie, les danseurs en font un élément central de l'expression de leurs identités et de leurs " modes d'appartenance » (Glick Schiller, 2003). Cependant, malgré l'affranchissement du cadre national induit par la notion de transpolitanisme pour décrire les circulations des danseurs, la pratique de la salsa en Afrique de l'Ouest reste aussi traversée par la présentation d'affiliations nationales, et ce notamment dans le contexte des festivals qui sont justement organisés par ces danseurs transpolitains.

Performer les affiliations nationales

Lors de la soirée d'ouverture du Benin International Salsa Festival de Cotonou de l'édition 2016, le présentateur commentait les arrivées du jour : " On a avec nous ce soir la team Nigéria qui est arrivée aujourd'hui, welcome welcome ! On

19 Turino insiste sur le caractère local, et translocal, du cosmopolitisme musical qu'il

analyse au Zimbabwe (2000). 69

Transpolitanisme, mobilités et appropriation

applaudit Buddy et sa team venus spécialement du Nigéria ! »20. Dans les mots du présentateur, l'emphase est mise sur le pays de provenance des danseurs, ici le Nigéria, et non sur les individus composant la " team Nigéria ». Seul le prénom de celui qui est considéré comme le chef du groupe, Buddy Agedah, par ailleurs organisateur du Nigeria Afro-Latin Dance and Music Festival, est mentionné à ce moment des présentations. La ville de provenance des danseurs - Lagos - est effacée au profit du référent national, alors même que ce sont justement les circulations transpolitaines des acteurs qui permettent cette mise en scène du national. L'accent sur les nationalités des participants - dont la multiplicité garantit le caractère international de l'événement - apparaît également en amont du festival. Associés aux photos des danseurs, les drapeaux des uns et des autres ainsi que le nom du pays figurent sur les différents supports promo- tionnels (affiches, flyers) circulant sur les réseaux sociaux (Facebook, Instagram). Ainsi, quel que soit la nationalité ou le parcours du danseur - nombreux sont-ils à être binationaux ou à avoir vécu dans un ou plusieurs autres pays, comme l'exemple de Steven le montrait - , le festival de salsa labellisé comme

événement " international » génère la nécessité d'identifier les danseurs partici-

pants par une affiliation nationale. Ces observations montrent que l'assignation identitaire en termes de nationalité, ou du moins de pays de provenance, reste importante pour les acteurs de ces festivals de salsa ouest-africains. Il se met en jeu une dialectique confrontant d'une part l'individualité du danseur reconnu pour ses talents propres au niveau local par ses pairs et d'autre part, sa capacité à " performer la nation » (Askew, 2002) dans des contextes internationaux auprès d'une audience plus large. Partis, par exemple, de Lagos ou d'Accra pour se rendre à Cotonou au Benin International Salsa Festival, les salseros endossent une nationalité lors de la traversée des frontières - ils doivent montrer leurs passeports aux douaniers malgré la dispense de visa - et se sentent investis d'une mission dépassant leurs individualités : ils vont représenter un pays, et pas seulement leur club de danse, lors de cet événement international. En arrivant sur les lieux du festival à Cotonou, ils seront ainsi présentés par les organisateurs comme faisant partie de la " team Ghana » ou de la " team Nigéria ». Le capital symbolique des labellisations nationales mises en jeu dans le festival est ainsi à saisir dans le contexte particulier qui les génère. Même si les salseros béninois, togolais, ghanéens et nigérians cultivent une certaine soli- darité - chacun se faisant un devoir de participer aux festivals organisés dans ces quatre pays au cours de l'année - , un rapport d'émulation et de concur- rence existe néanmoins entre les danseurs. Alors que les festivals n'incluent pas une dimension compétitive à proprement parler, des formes de rivalité tacite peuvent se manifester à travers la performance sur la piste de danse. Par exemple, lors de la grande soirée clôturant le Nigeria Afro-Latin Dance and Music Festival

21 à Lagos en décembre 2017, il se produisit un événement

particulièrement saisissant pour comprendre les enjeux liés aux affiliations nationales. Après les prestations des danseurs du Nigéria, du Bénin, de Côte d'Ivoire, du Togo, du Ghana, et du Gabon, la piste de danse fut ouverte à tous. Au

20 Journal de terrain, Cotonou, 28 janvier 2016.

21 Ce festival a été créé en 2013 par Buddy Agedah, danseur de salsa et entrepreneur, et

se produit depuis lors chaque année en décembre. 70

Elina Djebbari

milieu des danses de couple comme la salsa et la kizomba22, certains morceaux d'afropop23 ou d'azonto24 ont donné lieu à des chorégraphies de groupe appelées line-up ou line dance. L'ensemble des danseurs présents sur la piste de danse reproduit une même séquence de pas qui est ensuite répétée tout au long du morceau, en changeant parfois d'orientation dans l'espace à chaque réitération de l'enchaînement. La chorégraphie, relativement simple, est répétée plusieurs fois. Alors que les hôtes nigérians achevaient leur démonstration de la line dance effectuée sur le succès du moment, la chanson " My Girl » du duo togolais

Toofan avec le chanteur nigérian Patoranking

25, le morceau fut immédiate-

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