[PDF] SORTIES FINALES CHEZ RACINE : La Thébaïde et Andromaque





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LA THÉBAÏDE ou LES FRÈRES ENNEMIS TRAGÉDIE.

TRAGÉDIE. RACINE Jean. 1664. Publié par Gwénola





A propos de la problématique polyphonie racinienne: les ambiguïtés

6 mar 2021 1 Pierre Fontanier Les Figures du discours



SORTIES FINALES CHEZ RACINE : La Thébaïde et Andromaque

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ODIARE IL FRATELLO. LOPERA IN MUSICA ETEOCLE E

8 ago 2017 1 La datazione relativa alla prima messa in scena di questo dramma rimane ... e con la Thébaïde ou les Frères ennemis di Jean Racine andata.



La Thébaïde Jean Racine Travail de Marylise

http://blog.ac-versailles.fr/residenceheros/public/Textes_eleves/La_Thebaide_-_groupe_1.pdf



LAvare

Acte I . . Questionnaire sur la scène 1 . ... Corneille et Racine auteurs de tragédies

1 SORTIES FINALES CHEZ RACINE : La Thébaïde et Andromaque MICHAEL HAWCROFT Que se passe-t-il à la fin des tragédies de Racine 1? La réponse n'aura rien à voir avec le dénouement conventionnel de l'act ion tragi que. Ce sont les toutes dernières secondes des tragédies que je me propose d'étudier ici : premièrement, pour mieux saisir la dernière i mage scénique que Racine voulait exhiber à ses spectateurs et l'éventuelle signification de celle-ci ; ensuite pour mieux comprendre les contraintes dramaturgiques imposées par une pratique théâtrale toute particulière et relativement négligée par la critique, à savoir le fait que le rideau d'avant-scène ne fût typiquement pas utilisé pour indiquer la fin de la représentation2. On aurait peut-être tendance de nos jours à croire que les tragédies de Racine se terminent par le spectacle d'un tableau tragique - une scène statique. La mise en scène de Phèdre par Patrice Chéreau (2003) se termine précisément par ce genre de tableau : Phèdre au sol, morte, recouve rte d'un dra p ; Thésé e immobile devant le cadavre d'Hippolyte, son visage ruisselant du sang de son fils. Ce genre de tableau serait typiquement suivi par la baisse soit du rideau soit de l'éclairage pour indiquer définitivement que l'action est achevée et que les applaudissements peuvent commencer. Au dix-septième siècle, en revanche, les acteurs indiquaient la fin de l'action en quittant le plateau et le laissant entièrement vide. Le dramaturge était donc obligé d'inventer un moye n d'effectuer la sort ie finale de t ous les personnages présents dans la dernière scène de la pièce. Si nous nous focalisons sur seulement deux pièces, c'est que le sujet exige des analyses minutieuses et que La Thébaïde et Andromaque posent au dramaturge le même problème : comme nt débarrasser la scène d'un personnage délirant? On ne peut, en effet, comprendre ce qui se passe sur scène dans les derniers moments de la pièce à moins de reconstruire la dynamique des scènes précédentes. D'ailleurs, pour comprendre les derniers déplacements des personnages et leur rapport avec le décor - rapport essentiel - il faudra tenter de reconstruire les différents points d'accès à la scène, et ce que ceux-ci pouvaient signifier pour les spectateurs. Bref, il faut un travail d'archéologie scénographique. Ce jeu de reconstructi on s'impose aux lecte urs précisément parce que la théorie dramatique du di x-septième siècle encourageait les auteurs à éviter les didascalies externes et à présent er leurs ouvrages textuellement de sorte que les lecteurs, " sans rien voir, ont pré sentes à l 'imagina tion par la force des vers, le s personnes et les actions qui y sont introduites » (je souligne)3. D'Aubignac établit une équivalence entre l'appréhension d'une pièce " sur le Théâtre » et " sur le papier ». Cependant, pour que cette équivalence se réalise, " toutes les pensées du Poète, soit pour l es décorations du T héâtre, soit pour les mouvements de ses Personnages, habillements et gestes nécessaires à l'intelligence du sujet, doivent être exprimées par les vers qu'il fait réciter » (ibid.). Nous verrons qu'il faut aux lecteurs une sensibilité pointue aux didascalies internes, même les plus implicites, s'ils veulent comprendre 1 Notre édition de référence : Ra cine, OEuvres complètes I : théâtre, poésie, éd . Georges Forestier, Paris, Gallimard, 1999. 2 Pour une mise au point des recherches sur le rideau d'avant-scène, voir Le Mémoire de Mahelot, éd. Pierre Pasquier, Paris, Champion, 2005, p. 91. 3L'abbé d'Aubignac, La Pratique du théâtre, éd. Hélène Baby, Paris, Champion, 2001, p. 98.

2 les tout derniers déplacements des personnages de La Thébaïde et d'Andromaque. Imprimer une pièce de théâtre de sorte qu'elle puisse se lire aussi facilement qu'elle peut être appré ciée sur scène est une tâche plus diffic ile que les observations de d'Aubignac ne le laissent supposer4. La Thébaïde Disons d'emblée que le s derniers moments de La Thébaï de posent un problème d'interprétation tout particulier : on a du mal à savoir définitivement si Créon meurt. Rappelons le tout dernier quatrain de la pièce, prononcé par Créon lui-même, et la didascalie externe qui suit : Arrêtez, mon trépas va venger votre perte [la perte de ses deux fils], La foudre va tomber, la Terre est entrouverte, Je ressens à la fois mille tourments divers, Et je m'en vais chercher du repos aux Enfers. Il tombe entre les mains des Gardes. (1653-56) Même si elle es t externe, l a didascalie est loin de dire tout ce que les lecteurs voudraient savoir. Voici le commentaire de Georges Forestier, qui signale l'ambiguïté concernant le destin du personnage, sans pourtant trancher : " En s'effondrant dans les bras de ses gardes, Créon perd-il seulement les sens ou la vie ? Les paroles de Créon invitent à pencher pour la mort, mais Racine s'est gardé de toute indication explicite. »5. Or, pour comprendre ce qui arrive à Créon, il faut savoir ce que voyaient les spectateurs de 1664 sur la scène du théâtre du Palais-Royal. Il faut donc d'abord enquêter sur le décor scénique. Quand Racine publia la pièce en 1664, il indiqua que " La Scène est à Thèbes dans une Salle du Palais Royal » (p. 60). Quand la pièce fut reprise quelques années plus tard par les comédiens de l'Hôtel de Bourgogne, Michel Laurent, décorateur de la troupe, nota, à propos du décor, qu'il " Est un palais a volonté »6. Ces indications peuvent sembler pauvres, mais avec l'ajout de quelques didascalies internes, il est possible d'envisager un décor qui montrai t une sall e de palai s ayant deux points d'accès. De toute évidence, ces deux points d'accès se trouvaient aux côtés opposés de la s cène. En eff et, toutes les ent rées et toutes les sorties de s personnages s'expliquent par référence soit au monde se trouvant à l'extérieur du palais, soit aux endroits privés du palais. La salle où se déroule l'action est un endroit qui relie ces deux mondes différents. Or, à l'époque, le moyen le plus simple et le moins coûteux de monter un décor convenable était l'usage d'une toile de fond représentant la salle d'un palais, renforcée par des séries de châssis côté cour et côté jardin, qui, eux, représentaient, par exemple, des colonnes. Les acteurs accédaient donc à la scène en passant entre les châs sis soit côté cour, soit côté j ardin. On aurait pu enrichir et compliquer le décor en aménageant deux portes praticables dans deux de ces châssis. Cependant, aucune porte n'est mentionnée explicitement dans le texte de la pièce, et un accès entre des colonnes représentées par ces châssis est tout à fait envisageable et suffisant pour le déroulement de l'action. 4 Voir, pour le sujet dans son ensemble, Véronique Lochert, L'Écriture du spectacle : les didascalies dans le théâtre européen aux XVIe et XVIIe siècles, Genève, Droz, 2009, et Alain Riffaud, L'Aventure éditoriale du théâtre français au XVIIe siècle, Paris, PUPS, 2018. 5 OEuvres complètes, I, p. 1272, n. 5. 6 Le Mémoire de Mahelot, p. 328.

3 L'essentiel, pour la compréhension de l'action, est la distinct ion entre les sorties vers l'extérieur du pal ais et les sorties ve rs les endroi ts plus privés de l'intérieur du palais. Donc, au premier acte Jocaste s'inquiète pour le sort de ses deux fils " rangés en bataille » (I. 1, 8) à l'extérieur du palais ; elle fait chercher sa fille pour lui raconter cette nouvelle et pour l'encourager à sortir avec elle et arrêter les parricides bras d'Étéocle et de Polynice. Antigone entre donc en I. 2 du c ôté représentant, pour les spectateurs, les endroits privés du palais. Mais c'est vers la sortie du côté opposé de la scène (donc vers le monde extérieur) que sa mère la pousse au cours de cette deuxième scène. S'approchant de la sortie, Jocaste s'arrête et tombe en faiblesse lorsqu'elle voit entrer (de l'extérieur) son fils Étéocle, taché de sang (I. 3). Tout le jeu des entrées et sorties des personnages s'explique par référence à ces deux points d'accès, visuellement plus éloquents s'ils se trouvent aux côtés opposés de la scène. A propos du point d'accès aux endroits privés du palais le texte nous donne, à deux reprise s, un rens eignement supplémentaire . Quand Étéocle entre avec Créon pour parl er à son frè re en présence de leur mère, son oncle le prépare à éc outer Polynice. Voyant entrer Attale, confident de Créon, Étéocle lui demande si Polynice et Hémon (fils de Créon) " sont bien près d'ici » (1065). La réponse d'Attale est éclairante sur la géographie du palais : " Oui, Seigneur, les voici. / Ils ont trouvé d'abord la Princesse, et la Reine, / Et bientôt ils seront dans la chambre prochaine » (1066-68). Après quoi, mère, soeur, frère et Hémon entrent. Or, cet échange nous indique que Polynice et Hémon étaient arrivés dans le palais avant Étéocle et Créon, qu'ils avaient pénétré dans les e ndroits privés du palais pour retrouver Jocas te et Antigone, et que, Attale leur ayant signalé l'arrivée d'Étéocl e et de Créon, il s reviennent tous rejoindre ceux-ci dans la salle du palais qui relie les mondes extérieur et intérieur. Pourtant, le détail qui s'avérera essentiel pour les derniers moments de la pièce, mais qui ris quera de passer inaperç u ici, e st la mention de la " chambre prochaine ». Si Polynice était allé retrouver sa mère à l'intérieur du pal ais et doit maintenant passer par " la chambre prochaine » pour rejoindre son frère, cela veut dire que les spectateurs doivent imaginer que le point d'accès vers l'intérieur du palais mène directement de la salle représentée sur scène dans une chambre avoisinante. Or, cette chambre, qui peut paraître peu signifiante, revêt une importance capitale à l'acte V. Le dernier acte commence par l'entrée sur scène d'Antigone, qui vient dire, dans un monologue, que sa mère vient de mourir dans ses bras, s'étant percé le flanc (V. 1, 1332, 1348). A la fin de V. 3 Antigone quitte la scène pour ne plus revenir. Olympe, confidente de Jocaste, entre en V. 5 " toute en larmes » (1602), pour raconter à Créon le suicide d'Antigone. Sa na rration est hautement significative d'un poi nt de vue géographique : Elle n'a fait qu'entrer dans la chambre prochaine, Et du même poignard dont est morte la Reine, Sans que je pusse voir son funeste dessein, Cette fière Princesse a percé son beau sein. (1605-08) D'où l'on peut conclure que c'est dans cette chambre avoisinante que Jocaste s'est suicidée juste avant le dé but de l'acte V et que c'est dans c ette même chambre qu'Antigone, dans la présence du cadavre de sa mère et avec le même poignard dont celle-ci s'est servie, se frappe mortellement tout de suite après avoir quitté la scène à la fin de V. 3.

4 L'importance de " la chambre prochaine », même si elle n'est plus évoquée textuellement, n'est pas encore épuisée. Avant de l'approfondir, il nous faut nous pencher davantage sur les personnages présents dans la toute dernière scène de la pièce, sur leurs déplacements et sur leurs motivations. D'après l'indication en tête de scène, sont présents uniquement Attale et Créon, Olympe étant sortie après l'annonce du suicide d'Antigone (1618). Et cependant, le lecteur se rend compte au bout de quelques vers que Créon et Attale ne sont pas seuls sur la scène. Après la sortie d'Olympe, Créon ne parle pa s à At tale, i l s'adresse, sous forme apostrophi que, à Antigone. Rappelons-nous que, tout au long de la pièce, Créon a voulu attiser la haine d'Étéocle et de Polynice pour qu'ils finissent par s'entre-tuer parce qu'il veut être roi lui-même, et il a toujours nourri un intérêt pour Antigone, même si son fils Hémon et celle-ci s'aimaient mutuellement. Or, après la mort des deux frères et celle d'Hémon, en V. 3 Créon offre la couronne à Antigone, et c'est suite à son insistance qu'elle quitte la scène. Ayant appris le suicide d'Antigone, Créon, désespéré, l'accuse de s'être donné la mort uniquement pour s'éloigner de lui, mais promet de la suivre aux enfers. Il prend tout de suite la résolution de se suicider et essaie de passer à l'acte : " Mourons donc ... » (1633). A ce moment précis intervient la didascalie la plus étrange de tout le théâtre de Racine : ATTALE, et des Gardes. Ah ! Seigneur quelle cruelle envie ... (1633) Cette didascalie pose au moins deux problèmes aux lecteurs et aux acteurs. Mais notons d'abord la réponse de Créon qui indique implicitement ce qui doit se passer sur scène : " Ah ! c'est m'assassiner que me sauver la vie » (1634). Privé d'Antigone, furieux qu'elle lui ait échappé, Créon essaie de se suicider au moyen de son épée, mais il en est empêché par Attale et les gardes qui interviennent rapidement et, on peut bien le croire, physiquement, en le désarmant. Cependant, faut-il croire qu'Attale et les gardes disent, à l'unisson, " Ah ! Seigneur quelle cruelle envie ... » ? ou faut-il plutôt croire que ce soit Attale qui parle pendant que les gardes s'approchent de Créon pour lui retirer l'épée ? Quoi qu'il en soit, la présence des gardes ne va pas de soi. Ils ne sont pas mentionnés dans la liste en tête de s cène. Faut-il imaginer qu'ils se trouvent en coulisse, prêts à réagir dès qu'on les appelle ? Cette solution pourrait servir pour leur intervention en IV. 3, où Antigone les appelle directement, mais conviendrait moins bien à leur intervention en V. 6, où ils sont obligatoirement déjà présents pour pouvoir désarmer Créon dès qu'il essaie de se tuer. Il faut peut-être imaginer qu'ils entrent avec Créon et Attale en V. 3. Ce serait la solution la plus satisfaisante. Cependant le texte n'indique pas cla irement les intentions de l'auteur concernant l'entrée des gardes. Or, Racine aurait pu terminer sa tragédie par le suicide de Créon. Qu'aurait-il à gagner, d'un point de vue dra maturgique, en faisant interveni r les gardes pour l'empêcher et en accordant à Créon une dernière tirade ? Certes, il évite l'inconvénient de montrer un acteur tomber sur son épée, puisque l'acteur aurait dû, par la suite, être déplacé de la scène d'une façon ou d'une autre - difficile à réaliser vraisemblablement sans provoquer des rires, comme l'avaient noté les théoriciens7. D'ailleurs, Racine offre aux spectateurs et à l'acteur qui jouait Créon une scène de délire. En effet, furieux de n'avoir pas pu se tuer, Créon s'en prend au Ciel et aux 7 Voir Emmanuelle Hénin, " Faut-il ensanglanter la scène? Les enjeux d'une controverse classique », Littératures classiques, 67 (2009), 13-32.

5 dieux qui lui ont ravi tout ce qu'il avait espéré. C'est le moment où l'on se rend compte le plus facilement que Créon est le personnage central de la pièce, le héros tragique. C'est lui qui, subrepticement, a conduit toute l'action, content de voir mourir les frères ennem is, ses propres fils , et même Jocaste, pourvu qu'i l puisse se voi r couronner roi. Sauf que, en V. 3, quand il croit être sur le point de triompher, il se voit rejeter par Antigone - rejet confirmé par l'annonce du suicide de celle-ci en V. 5. En quittant la scène à la fin de V. 3, Antigone a déjà refusé l'offre du diadème (1550). Mais Créon ne veut pas y croire. Il insiste pour savoir ce qu'il pourra faire pour mériter le partage de la couronne avec Antigone. La réponse de celle-ci donne des espoirs à Créon : elle lui dit de l'imiter (1556), que " nous verrons » (1559), qu'il doit patienter (1560). Créon se persuade qu'Antigone veut prendre du temps pour réfléchir. En reva nche, les spectateurs entendent déjà dans les m ots d'Antigone l'intention de se suicider, acte confirmé par Olympe en V. 5. On comprend donc qu'en exigeant que Créon l'imite, Antigone lui dit que, pour la mériter, il lui faudrait le courage de se suicider lui-même. Si Créon ne la comprend pas au moment où elle le dit, il pensera précisément aux mots d'Antigone quand il sera à l'apogée de son délire dans le dernier quatrain de la pièce. Il s'adresse, sous forme d'apostrophe, aux six personnages qu'il a perdus, disant " mon trépas va venger votre perte » (1653). C'est le moment où il se reconnaît coupable et responsable. Et à l'aide des dieux qu'il vient d'invoquer, il se sent déjà en train de mourir : " Je ressens à la fois mille tourments divers, / Et je m'en vais chercher du repos aux Enfers » (1655-56). La didascalie " Il tombe entre les mains des Gardes » peut sembler ambiguë. Créon pourrait tomber mort. Il pourrait s'évanouir. Il pourrait avoir le début d'une faiblesse. Les deux dernières options p ourraient se conjuguer dans l'esprit des spectateurs ou des lecteurs avec l'idée d'une mort imminente. Mais réfléchissons à ce que, probablement, les spectateurs voyaient sur scène à ce moment. Et n'oublions pas que Racine doit faire sortir Créon, Attale et les gardes pour indiquer la fin de sa pièce plutôt que de la clore par un tableau statique. Si Créon s'affaiblit ou perd conscience, il est tout à fait vraisemblable que les gardes le soutiennent et l'emmènent, dans la compagnie de son confident Attale, dans un endroit plus privé. Et cet endroit est justement " la chambre prochaine » dont il a déjà été question. Cependant, cette sortie dans la chambre avoisinante est lourde de signification pour tout spectateur averti : ce que voient Créon, Attale et les gardes en quittant la scène et en entrant dans la chambre est le spectacle de deux morts, celle d'Antigone et celle de Jocaste, provoquée s par le s desseins égoïstes et m eurtriers de Créon lui-même, dont il va maintenant payer le prix - prix d'autant plus élevé si, en mourant, Créon se voit confronté au cadavre d'Antigone baigné dans le sang de sa mère (" Et dans son sang, hé las, el le est s oudain tom bée », 1610). D'un poi nt de vue dramaturgique, cette sortie fi nale serait donc plus émouva nte si Cré on était, au moment de passer dans la chambre avoisinante, seulement affaibli, sans avoir perdu conscience. Racine y aurait-il pensé, en choisissant de ne pas dire explicitement que Créon meurt ? Nous ne le savons pas. Cependant il est clair que la sortie finale de La Thébaïde permet de voir une image scénique où décor et déplacements se combinent pour créer un moment riche en significations et riche en émotions tragiques : Créon quittant la scène, tout en faisant face, littéralement, à ses crimes. Andromaque Plusieurs éléments rapprochent les derniers moments d'Andromaque de ceux de La Thébaïde : le dé lire du personna ge principal, hallucinat ions, envie de mou rir,

6 affaiblissement, présence d'un confident et d'autres qui soutiennent le personnage principal quand il tombe en défaillance et qui le guident vers la sortie, refermant ainsi la pièce. P ourtant, dans le cas d'Andromaque la dernière ré plique - et le dern ier quatrain - revient à Pylade, confident d'Oreste : Il perd le sentiment. Amis, le temps nous presse, Ménageons les moments que ce transport nous laisse. Sauvons-le. Nos efforts deviendraient impuissants, S'il reprenait ici sa rage avec ses sens. (1689-92). En un sens, les vers de Pylade (didascalie interne) remplacent la didascalie externe " Il tombe entre les mains des Gardes » qui se trouve à la fin de La Thébaïde. Grâce à ces vers, le lecteur sait qu'Oreste s'évanouit, abattu et rendu fou par son parricide totalement inutile et par la perte d'Hermione. Pylade encourage les soldats à soutenir Oreste et à l'éloigner de l'espace scénique. Mais quelle est la nature de cette sortie finale ? Et, plus précisément, par où sortent les deux personnages et les soldats ? Bref, par quel spectacle Racine clôt-il sa pièce ? Pour répondre à ces questions il faut procéder au même genre d'archéologie scénographique qui a été de mise pour La Thébaïde. Il nous faudrait apprécier le dynamisme tout particulier des dernières scènes, ma is d'abord il faut tenter de reconstruire le décor que voyaient les premiers spectateurs et surtout ce que pouvaient signifier les différents points d'accès sur la scène. Le lecteur sait, selon l'indication paraissant en début de la pièce, que " La Scène est à Buthrot, ville d'Épire, dans une Salle du Palais de Pyrrhus » (p. 198). La notice de Michel Laurent, datant des années 1670, donne plus de précisions sur ce que voyaient les spectateurs de l'Hôtel de Bourgogne. Pour le public parisien, le " Theatre este un palais a colonnes et dans le fonds une mèr avec des vaisseaux »8. La phrase " dans le fond une mèr avec des vaisseaux » suggère fortement une toile de fond qui donnait l'impression que la salle du palais s'ouvrait sur un paysage marin. David Maskell a évoqué les connotations importantes de cette mer et ces vaisseaux, qui rappellent sans cesse aux spectateurs le statut d'Oreste, voyageur et ambassadeur, et le fait qu'il a pour projet tout au long de la pièce de quitter le palais et de regagner son vaisseau, accompagné par la princesse Hermione9. Rien n'indique que la toile de fond représentant mer et vaisseaux incorporait un point d'accès praticable. En revanche, le reste de la description de Michel Laurent " Theatre est un palais a colonnes » laisse deviner une série de châssis des deux côtés de la scène, chacun représentant une colonne (ou des colonnes). Auc une mention n'étant faite dans le te xte de portes praticables, nous déduisons que les entrées et les sorties des personnages se faisaient des deux côtés de la scène entre les châssis. Tout comme dans La Thébaïde, le texte d'Andromaque invite assez clairement à rattacher des significations tout à fait distinctes entre les points d'accès situés aux côtés opposés de la scène. Dans Andromaque plus d'endroits situés en marge de la scène sont évoqués que ce n'est le cas dans La Thébaïde. Il y a une distinction assez nette entre, d'un côté , le s endroits privés du palais, e t, de l'autre, l'endroit où Astyanax est gardé, le tombeau d'Hector, la porte principale du palais du haut de laquelle Hermione se suicide, le temple où Andromaque et Pyrrhus se marient avant l'assassinat de celui-ci, et le fort où Astyanax est emmené vers la fin de la pièce, censé être un endroit plus sécurisé. La salle représentée sur la scène est un endroit 8 Le Mémoire de Mahelot, p. 329. 9 David Maskell, Racine : A Theatrical Reading, Oxford, Clarendon Press, 1991, p. 21.

7 relativement public qui d'une part convient au rendez-vous accordé par le roi Pyrrhus à l'ambassadeur Oreste (I. 2), mais qui d'autre part est fréquenté par ceux qui se déplacent entre les espaces privés du palais et les autres lieux évoqués ci-dessus. On voit claire ment à la pre mière entrée d'Andromaque (I. 4) l es significations bien distinctes qu'il faut rattacher aux deux côtés de la scène. Elle entre dans la salle quand Pyrrhus s'y trouve. Il lui demande : " Me cherchiez -vous, Madam e ? » (258). La réponse d'Andromaque es t éloquente sur le s ens qu'il faut rat tacher aux points d'accès : " Je passais jusqu'aux lieux, où l'on garde mon Fils » (260). Cette réponse n'a de sens que si Andromaque fait son entrée de l'un des côtés de la scène pour sortir de l'autre côté. Bien sûr, sa sortie est retardée par sa rencontre inopinée avec Pyrrhus. Mais à la fin de son échange avec ce dernier Andromaque sort par où elle avait prévu de sortir au début : " Allez, Madame, allez voir votre Fils » (380). En effet, tous les déplacements des personnages peuvent s'expliquer par les significations contrastées des points d'accès situés aux deux côtés de la scène. De l'un côté, on pénètre plus profondément dans le palais, de l'autre on avance vers le monde extérieur. Si j'insiste sur cette distinction, c'est d'abord parce qu'elle est difficilement visible pour le lecteur de la pièce, mais ensuite parce qu'elle est d'une importance capitale pour la compréhension des derniers moments de la pièce. Retournons à la fi n de la pièce où le délire d'Ores te se déroule dans une situation où tout semble arriver en cata strophe s ans qu'Oreste lui-même en soit pleinement conscient - ce qui alimente, précisément, la tension dramatique. Oreste délirant est entouré de Pylade et de soldats. Dans la version originale de la pièce, Pylade entre en V. 5, où il trouve Oreste déjà en compagnie de ses soldats qui avaient amené Andromaque sur scè ne en V. 3. Dans la version rem aniée, et suite à la suppression de la présence d'Andromaque en V. 3, Oreste se trouve seul en V. 4 à contempler les conséquences de son acte régici de et celles du dépa rt furieux d'Hermione10. Si l'on s'est souvent demandé les raisons de la suppression du retour d'Andromaque en V. 311, on n'a pas remarqué l'avantage t out à fait théâtral concernant le début de V. 5. Puisque, dans la version remaniée, Oreste se trouve seul en V. 4, la scène 5 peut commencer par l'entrée sur scène non seulement de Pylade, mais aussi des soldats. Oreste et les spectateurs se trouvent alors plongés dans une situation inopinément catastrophique. L'effet visuel de cette irruption sur scène de plusieurs personnages (dans la version remaniée) sert mieux à augmenter la tension dramatique que l'entrée de Pylade tout seul (dans la version originale). On sait qu'au cours de cette scène Oreste s'enfonce de plus en plus dans le délire avant d'être em mené par Pylade et les soldats. Pour com prendre la nature précise de leur sortie finale nous devons nous rappeler l'aggravation de la situation telle qu'elle est racontée par Pylade dès son entrée en V. 5. Andromaque, la nouvelle épouse du roi mort, a ordonné à tout le peuple d'Épire de poursuivre les Grecs " à main forte » (1630). Ell e ve ut que la mort de Pyrrhus soit vengée (1635). Nous déduisons que tout un peuple armé e ssaie d'entre r dans le palais à la recherche d'Oreste : " Nos Grecs pour un moment en défendent la Porte » (1628). C'est donc de toute urgence que Pylade et les soldats viennent trouver Oreste pour l'emmener en toute sécurité vers ses vaisseaux et vers la fuite. Le besoin pressant de sortir se fait entendre de façon récurrente dans les vers de Pylade : " Il faut parti r, Seigneur. Sortons de ce Palais » (1627), " Allons. N'attendons pas que l'on nous environne » (1637), " Voilà notre chemin, sortons en 10 Pour la version remaniée, voir les variantes dans OEuvres complètes, I, 1367-68. 11 OEuvres complètes, I, 1342-43.

8 sûreté » (1640), " Amis, le temps nous presse » (1689), " Sauvons-le » (1691). La tension dramatique de cette scène dépend du conflit entre l'urgence provoquée par la situation dégradée (articulée pa r Pylade) et le refus d'Ore ste de réagir de façon rationnelle, son délire croissant de plus en plus depuis l'annonce du sui cide d'Hermione dont le corps est tombé justement sur le cadavre de Pyrrhus (1655-56). Ne pensant aucunement à fuir malgré les instances de Pylade, Oreste s'imagine se battant avec Pyrrhus (1676), il se voit poursuivi par les Filles d'Enfer (1681), et il désire aller retrouver Hermione pour qu'elle lui déchire et dévore le coeur : " Et je lui porte enfin mon coeur à dévorer » (1688). Est-ce que le peuple d'Épire réussira à enfoncer la porte du palais et à se venger de la mort de Pyrrhus avant que Pylade ne puisse faire sortir Oreste ? Cette question exprime le dynamisme de l'action et le jeu de suspense qui s'opère dans cette dernière scène. Pour y me ttre fin, terminer l'histoire et mé nager une sortie finale, Racine a recours à un évanouisse ment : Oreste " perd le s entiment [...] / Ménageons les moments que ce transport nous laisse » (1689-90). Or, les analyses précédentes à propos du système des entrées et sorties par les côtés opposés du théâtre se révèlent essentielles pour l'appréciation des déplacements des personnages dans la toute dernière scè ne et tout particulièrement en fin de scène. Commençons par l'entrée précipitée des soldats avec Pylade en début de scène. Le fait de faire entrer les soldats avec Pylade (dans la version remaniée) renforce de façon importante le sens d'urgence qui s'exprime dans les premiers vers prononcés par Pylade et dans les gestes qu'il esquisse de façon récurrente vers la sortie. Mais vers quelle sortie, justement ? Pylade et les soldats entrent forcément par le côté qui mène vers l'extérieur du palais, vers le temple, vers le fort, et vers la porte d'entrée du palais que d'autre s soldats grecs sont en t rain de défendre contre les efforts du peuple d'Épire pour l 'enfonc er. Alors, quand, en ent rant, Pylade dit à Oreste, " Sortons de ce palais [...]. / Voilà notre chemin, sortons en sûreté » (1627, 1640), il est improbable qu'il invite Oreste à sortir par le côté par où Pylade et les soldats viennent d'entrer : il recherche la sûreté, non pas le danger. Cependant le côté opposé de la scène a été assoc ié tout au long de l'action aux endroits privés de l'intérieur du palais. Il pourrait donc nous paraître peu probable que, voulant quitter le palais pour regagner leurs vais sea ux, Pylade essaie de conduire Oreste plus profondément dans le palais. Et cependant des dida scalies i nternes prononcées par Oreste i ndiquent que c'est précisément le côté menant vers l'intérieur du palais qui est indiqué par Pylade. Oreste a bien compris les gestes de Pylade qui le poussent vers l'un des côtés du théâtre, mais obsédé, dans son délire, par l'image d'Hermione et de Pyrrhus mourant ensemble, il ressent une forte envie d'aller les voir : " je les veux regarder » (1667). Deux impératifs donc : aller voir les mourants (Oreste), sortir en sûreté (Pylade). Et le contraste de ces impératifs s'exprime précisément par référence au décor. Oreste se demande dans sa confusion : " De quel côté sortir ? » (1670). Il s'agit presque d'une expression méta-théâtrale. Sa question nous montre que les deux impératifs sont associés à des points d'accès visuellement opposés l'un à l'autre. Ce même jeu scénique se répète quelques vers plus loin quand Oreste, juste avant de s'évanouir, se dit prêt à aller voir Hermione pour qu'elle lui dévore le coeur. Quand il dit " Mais non, retirez-vous, lais sez-faire Hermione » (1686), il croit s'adresser aux Filles d'Enfer , le ur demandant de lai sser place à Hermione. Mai s seraient-ce en réalité Pylade et les soldats qui s'approchent de lui, précisément parce qu'il est en train de se diriger vers le côté du théâtre menant vers la porte d'entrée, vers le cadavre d'Hermione, et donc vers un extrême danger ? L'hypothèse d'une

9 tentative de sortie par ce côté du théâtre est confirmée deux vers plus loin quand Oreste dit " Et je lui porte enfin mon coeur à dévorer » (1688), just e a vant de s'évanouir12. Alors quand Pylade et les soldats profitent de la perte de conscience d'Oreste, c'est pour le faire sortir de l'autre côté du théâtre. L'invraisemblance d'une sortie vers les endroits plus privés du palais n'est qu'apparente. Pylade connaît très bien des chemins secrets pour sortir inaperçu de l'enceinte palatiale. Il l'a déjà dit, quand Oreste espérait pouvoir enlever Hermione : Nos vaisseaux sont tous prêts, et le vent nous appelle. Je sais de ce Palais tous les détours obscurs. Vous voyez que la Mer en vient battre les Murs. Et cette Nuit sans peine une secrète voie, Jusqu'en votre vaisseau conduira votre Proie. (794-98) Ces vers, prononcés à l'acte III dans un but tout a utre, serve nt à justifier, rétrospectivement, la sortie finale d'Oreste, de Pylade et de s soldats par un point d'accès qui risquerait autrement d'être incompréhensible pour les spectateurs. Grâce à son évanouissement, Pylade et les soldats réussissent à empêcher Oreste de sortir par le point d'accès qui l'aurait conduit vers la porte d'entrée et un danger certain et à le faire emprunter le point d'accès situé de l'autre côté de la scène, qui les conduira par le biais de détours obscurs, mais en toute sûreté, à la mer, à leurs vaisseaux, et à la fuite. Les tout derniers moments d'une pièce de théâtre de cette période se prêtent à des effets visuels très particuliers, liés au besoin conventionnel de vider la scène pour indiquer aux spectateurs que la pièce est terminée. La critique a peu pensé à ce que le dramaturge a dû inventer spécifiquement pour faire sortir, de façon vraisemblable, tous les personnages qui restent. On a pensé encore moins à la signification de ces déplacements finals et du point d'accès emprunté par les personnages qui sortent. Racine, lecteur des t ragiques grecs, a voulu juste ment comprendre les déplacements des personnages tels qu'ils peuvent être reconstitués à partir du texte imprimé. Nous le voyons da ns les annot ations m arginales qu'il nous a laissé es13. Selon Tristan Alonge, Racine " décortique » les tragédies grecques " avec une attention particulière pour les détai ls de scène » ; il " se montre trè s curieux de l'identification des mouvements de scène qui peuvent influencer l'intrigue »14. Ce que j'ai appelé " archéologie scénographique » nous permet de lire Racine comme il a lui-même lu ses prédécesseurs grecs, en décortiquant les didascalies le plus implicites. Lisant ainsi, nous sai sissons mieux la signific ation tragique de la chambre dans laquelle les gardes conduisent Créon défaillant et nous ressentons mieux le suspense quand Oreste hésite entre le côté de la scène qui le conduirait vers un péril certain et l'autre, plus susceptible de faciliter sa fuite. Racine vide la scène de personnages délirants en véritable homme de théâtre. 12 En revanche, Marc Szuszkin semble négliger les didascalies implicites, en prétendant, à propos de cette scène, que " ce que met en avant [...] Racine, [...] c'est l'immobilité de la scène » (L'Espace tragique dans le théâtre de Racine, Paris, L'Harmattan, 2005, p. 101). 13 Voir Racine, OEuvres complètes II : prose, éd. Raymond Picard, Paris, Gallimard, 1966, p. 843-80. 14 Tristan Alonge, Racine et Euripide : la révolution trahie, Genève, Droz, 2017, p. 24-25.

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