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Dossier LA FOLLIA - CORELLI

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Variations sur la Métamorphose

musicale au cours des siècles. On a pu écrire qu'en musique toute composition ramenait genres et formes au principe générateur de la variation



Laccès à la musique et la condition dauditeur chez Schoenberg

L'ACCESSIBILITÉ DE LA MUSIQUE : INTELLIGIBILITÉ ET RÉPÉTITION. La notion centrale chez Schoenberg de « variation développante » [Entwickelnde.



Phrases musicales : la musique dans la philosophie de Wittgenstein

musique est capable de nous renvoyer dans la même mesure où «elle vise le vrai » comme a dit Adorno après Schoenberg. Le thème



répétition variation

le concerto ou la musique religieuse. Une variation harmonique consiste à ... Sur cette partition entoure les petites variations faites par le ...



LARLÉSIENNE Thème et Variations :

5ème – Musique pure. Thème et Variations : Thème : Phrase musicale servant de base à la structure d'un morceau. ... Variation 1. Très doux.



De la musique atonale vers la musique dodécaphonique sérielle

atonale vers le dodécaphonisme sériel dans la musique de Schoenberg. variation du motif générateur difficile à percevoir à la première écoute c'est non.





Diapositive 1

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La partition sonore et musicale de Dunkerque (C. Nolan 2017). Une

variation « Nimrod » des Variations Enigma op. 36 d'Edward Elgar. Nous montrerons que la conception sonore et musicale de Dunkerque répond à une volonté de 

Tous droits r€serv€s Revue Interm€dialit€s, 2007 Ce document est prot€g€ par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des d'utilisation que vous pouvez consulter en ligne. l'Universit€ de Montr€al, l'Universit€ Laval et l'Universit€ du Qu€bec " Montr€al. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche.

https://www.erudit.org/fr/Document g€n€r€ le 23 oct. 2023 07:26Interm€dialit€sHistoire et th€orie des arts, des lettres et des techniquesIntermedialityHistory and Theory of the Arts, Literature and Technologies

Schoenberg

Nicolas Donin

Donin, N. (2007). L'acc...s " la musique et la condition d'auditeur chez

Schoenberg.

Interm€dialit€s / Intermediality

, (9), 135†153. https://doi.org/10.7202/1005534ar

R€sum€ de l'article

‡ Pourquoi la musique de Schoenberg est-elle si difficile " comprendre? ˆ, demande Alban Berg en 1924. On pourrait traduire aussi: ‡ Pourquoi est-elle si peu accessible? ˆ, et sentir que la r€ponse n'est alors plus seulement celle que Berg fournit (" savoir, de fa‰on internaliste : parce que ses partitions ont su faire l'€conomie des r€p€titions th€matiques qui, dans la musique ‡ ordinaire ˆ, permettaient la stabilisation mn€sique de l'€coute), mais bien aussi une affaire d'acc...s " la musique, et de conditions de possibilit€ de l'€coute. Schoenberg lui-mŠme a tent€ une r€ponse en inventant et animant un dispositif d'€coute singulier, la Soci€t€ d'ex€cutions musicales priv€es (1918-1921), qui bouleverse de fa‰on volontariste toutes les conventions du concert viennois de l'€poque : pas d'applaudissements, pas de compte rendus de presse, pas d'annonce des programmes " l'avance, et une €conomie nouvelle de la r€p€tition du concert. ' partir de l", se dessine une pens€e schoenbergienne de l'acc...s " la musique, tout juste ant€rieure " l'industrialisation phonographique de la musique, et qui entretient avec elle une relation b€n€fiquement conflictuelle. Expliciter cette derni...re implique une analyse, ici esquiss€e, en mettant un accent particulier sur la question de l'interpr€tation, des divers projets de dispositifs de diffusion imagin€s par

Schoenberg et son entourage.

intermédialités n o

9 printemps 2007

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L"accès à la musique et la condition

d"auditeur chez Schoenberg 1

NICOLAS DONIN

" Pourquoi la musique de Schoenberg est-elle si diffi cile à comprendre 2 demande malicieusement Alban Berg en 1924, affrontant sans détour ni polémi- que la vive suspicion de ses contemporains. On pourrait traduire aussi, quitte à donner quelques gages supplémentai- res à l"honnête mélomane qu"on imagine devoir être le locuteur : " Pourquoi la musique de Schoenberg est-elle si peu accessible ? » Formulée ainsi, sans égard pour sa fi nalité rhétorique, l"interrogation ne serait plus justiciable d"une réponse internaliste3 comme celle fournie, au fi l de l"article, par Berg (soit en substance :

1. Ce texte est celui d"une conférence prononcée le 29 mai 2004 au Centre cultu-

rel de Cerisy-la-Salle (France) dans le cadre du colloque La lutte pour l"organisation du sensible organisé par Georges Collins et Bernard Stiegler. Depuis lors, Esteban Buch a publié un livre sur les premières périodes créatrices de Schoenberg (jusqu"en 1913), abordées selon un ordre de préoccupations comparable au mien : Le cas Schoenberg. Naissance de l"avant-garde musicale, Paris, Éditions Gallimard, coll. " Bibliothèque des

idées », 2006. En relisant le présent texte pour en préparer la publication, j"ai été frappé

par la proximité (involontaire de part et d"autre) entre la conclusion de son livre et la con- clusion de cet article, signe d"une affi nité certaine malgré les nuances importantes qui distinguent nos démarches. Expliciter ces nuances demanderait encore un autre article... À défaut, et comme jalons d"un dialogue à poursuivre, j"ai pris soin de ne rien gommer ici ni de la coïncidence, ni des éléments divergents.

2. Alban Berg, " Pourquoi la musique de Schoenberg est-elle si diffi cile à compren-

Christian Bourgois Éditeur, 1985, p. 24-39.

3. L"article commence ainsi : " Pour répondre à cette question, l"on pourrait être

tenté de rechercher les intentions mises par Schoenberg dans ses oeuvres, [d"expliquer sa musique] comme on l"a fait trop souvent, au moyen de considérations philosophiques, littéraires ou autres. Tel n"est point mon propos. Je ne veux envisager dans les oeuvres de Schoenberg que les événements proprement musicaux et le mode d"expression stricte- ment compositionnel. » (Alban Berg, " Pourquoi la musique de Schoenberg est-elle si

diffi cile à comprendre ? », p. 24-25)Jouer_3es eŮpreuves.indd 135Jouer_3es eŮpreuves.indd 1358/21/07 2:29:13 PM8/21/07 2:29:13 PM

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l'accès à la musique et la condition d'auditeur chez schoenberg les oeuvres musicales abondent généralement en répétitions thématiques per- mettant aux mélomanes une écoute synthétique sans décrochage ; la musique de Schoenberg est insaisissable avant tout à cause de sa densité d"informations musicales non redondantes). Elle poserait un problème bien plus indéfi ni, celui des conditions de possibilité de l"écoute. Si la musique de Schoenberg reste encore aujourd"hui diffi cile d"accès, c"est d"abord parce que la plupart de ses oeuvres sont en fi n de compte peu jouées en concert — on n"y accède le plus souvent que par des enregistrements. Mais bien sûr, l"idée d"accès est ici surtout psychologique et cognitive — comme dans la question lancée par Berg à son lecteur. Nous aurons à utiliser le terme dans les deux sens : accessibilité matérielle et institutionnelle, comme lorsque l"on parle d"accès à la culture ; et plus ou moins grande accessibilité d"une musique sur le plan du langage musical. Ce faisant, nous insisterons sur le lien entre les deux, comme le fait du reste Jeremy Rifkin dans de nombreux passages de son ouvrage sur L"âge de l"accès 4 . Interroger les phénomènes que nous considérerons à travers les questions formulées par Rifkin 5 serait dangereusement anachronique ; on en retiendra cependant l"accent mis sur les techniques et les organisations par lesquelles une économie donnée peut exploiter notre expérience individuelle en tant que matière première 6 Si Schoenberg n"a pas cherché à composer une musique accessible, il n"a pas

pour autant dissout la référence à un public, ni à une écoute située. Pour résou-

dre cette tension, il a d"ailleurs conçu tout au long de sa vie des dispositifs d"accès à sa musique : société de concerts, répétitions publiques commentées et bien sûr enseignement de la composition ; mais aussi conférences, guides d"écoute, émissions de radios, bibliothèque d"étude de la musique moderne, etc. Le mili- tantisme schoenbergien a donc joué de toutes sortes d"organes pour forcer l"at- tention auditive, pour ne pas adresser la musique d"avant-garde au seul cercle des fi dèles. En mettant en relation plusieurs éléments de ce répertoire militant, nous tenterons de décrire l"émancipation esthétique opérée par Schoenberg en des

4. Jeremy Rifkin, L"âge de l"accès. La révolution de la nouvelle économie, trad. Marc

Saint-Upéry, Paris, Pocket, 2004, p. 29.

5. La place de la musique (et de l"art en général) est d"ailleurs limitée dans L"âge

de l"accès. Malgré l"insistance de Rifkin sur les formes de contrôle de l"expérience mises

en jeu dans le capitalisme cognitif et leur dimension politique — questions tradition- nellement poético-musicales s"il en est —, c"est principalement le phénomène de la world music qui retient l"attention de l"auteur (p. 403-407), en tant que symbole de l"invasion de territoires esthétiques locaux par l"industrie sans considération à long terme sur les déséquilibres qu"elle provoque dans ces écosystèmes culturels.

6. Aspect du livre bien annoncé par son sous-titre anglais : " The New Culture of

Hypercapitalism Where All of Life is a Paid-for Experience ».

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l'accès à la musique et la condition d'auditeur chez schoenberg termes qui ne soient ni strictement " autonomistes », comme le voudrait l"écri- ture moderniste de cette histoire, ni strictement " réceptionnistes » — comme on pourrait le dire ironiquement des travaux musicologiques basés uniquement sur les réactions de la critique musicale à telle ou telle oeuvre et dans lesquels les oeuvres " reçues » fi nissent par s"avérer interchangeables. Partant de quelques textes de Schoenberg sur la compréhensibilité en musi- que, nous en viendrons à sa conception de la réalisation sonore de la musique écrite ; puis nous indiquerons comment ces deux problématiques ont été articu- lées pratiquement, sous la forme d"une institution (la Société d"exécutions musi- cales privées, active dans les années qui suivent la fi n de la Première Guerre mondiale). Ce qui est en jeu à travers cette enquête généalogique sur le noeud schoenbergien, c"est plus généralement une politique d"avant-garde de l"accès à la musique. Nous suggérerons, au terme de cet article, qu"elle ne peut être simplement décrite comme une dénégation du public (identifi é à un marché), doublée d"un mépris pour les techniques de reproduction et de diffusion, mais qu"au contraire elle a eu une consistance théorique et une fécondité esthétique, sinon institutionnelle. L"ACCESSIBILITÉ DE LA MUSIQUE : INTELLIGIBILITÉ ET RÉPÉTITION La notion centrale chez Schoenberg de " variation développante » [Entwickelnde Variation] est souvent présentée par lui comme un dépassement de l"antagonisme

entre répétition trop littérale et variation trop rapide (ou trop éloignée). Entre ces

deux termes, ce qui sert le plus souvent de point de départ au raisonnement, c"est bien la répétition à l"identique (comme si la variation ou l"insertion de nouveau matériau constituaient d"abord un défaut de répétition). Elle est en même temps un repoussoir puisque le but de Schoenberg est de l"éviter le plus possible ; ainsi au début du chapitre sur " La construction de thèmes simples » dans les Fon- dements de la composition musicale : " L"intelligibilité [Faßlichkeit] en musique semble impossible sans répétition 7 Dans différents textes, Schoenberg oppose divers usages de la répétition, ce qui lui permet de tracer une double frontière : entre le ressassement et la fécon- dité d"une part, entre la musique populaire et la musique sérieuse d"autre part (ces deux couples ne se recouvrant que partiellement). Entre ressassement et fécondité, tout d"abord. En 1946, il écrit dans " Critères de jugement de la musique » :

7. Arnold Schoenberg, Fondements de la composition musicale, trad. Dennis Collins,

Paris, Lattès, coll. "

Musiques & musiciens », 1987 [1967], p. 37.

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l'accès à la musique et la condition d'auditeur chez schoenberg Alors que ses prédécesseurs [...] se faisaient une règle de ne répéter les phrases, motifs et autres éléments constructifs qu"en en changeant la forme et en utilisant si possible ce que j"appelle " la variation développante », Wagner se contenta, pour graver ses leitmotive dans la mémoire du public, de les répéter par séquences [...], autrement dit sans aucun changement ou avec des changements minimes 8 Ailleurs, en 1948, il s"en accuse aussi lui-même : La plupart [des longueurs de l"époque] tenaient à l"emploi de phrases musicales courtes et nombreuses, que l"on répétait sans guère les varier [...]. Je pris conscience de l"indigence esthétique de ce procédé quand je composai la section fi nale de mon poème symphonique Pelleas und Melisande. Dans la plus grande partie de cette

oeuvre, j"avais trop sacrifi é le discours musical à la nécessité de développer l"exposé

des thèmes, de façon qu"ils fussent plus aisément compris. Dès le départ, je me rendis compte que je pourrais opérer cet indispensable redressement de deux façons : en condensant et en juxtaposant. (si, p. 62) La tension entre les deux types d"utilisation de la répétition passe aussi, et surtout, entre deux " niveaux de langue » (pour reprendre une comparaison effec- tivement utilisée par le compositeur) distinguant musique populaire et musique sérieuse. L"essai " Brahms le progressiste » de 1947 dérive ainsi de la question de

l"intelligibilité de la forme à celle de la répétition, et de là à une caractérisation

du public que présupposent ses propres oeuvres : La forme dans la musique sert à réaliser l"intelligibilité au moyen de la remémorabi- lité [Form in der Musik dienst dazu, Faßlichkeit durch Erinnerbarkeit zu bewirken].

L"égalité, la régularité, la symétrie, le partage en subdivisions, la répétition, l"unité,

l"affi nité entre le rythme et l"harmonie, la logique elle-même, [...] chacun de ces facteurs permet d"édifi er une structure qui rend intelligible la présentation d"une idée musicale. [...] C"est la façon plus ou moins complète dont on exploite les pos- sibilités de l"un ou l"autre de ces facteurs qui détermine la valeur esthétique d"une oeuvre et qui situe son style par rapport aux critères de profondeur ou de popularité. [...] [Dans] la confection de la musique populaire, [on] trouvera de nombreuses répétitions à peine variées, comme dans Le Beau Danube Bleu, qui est d"ailleurs une très belle oeuvre : {citation musicale} On y relève six répétitions [...]. Un artiste, un auteur, savent fort bien qu"il leur faudra accommoder leur style aux capacités de leur auditoire. (si, p. 306-307) Cette démonstration ne conduit pas Schoenberg à se demander, par exem- ple, quelle musique devrait correspondre à son auditoire américain, mais plutôt à défi nir le type d"auditeur présupposé par sa musique :

8. Arnold Schoenberg, Le style et l"idée, trad. Christiane de Lisle, Paris, Buchet/

Chastel, 1977, p. 107. Pour certaines citations ultérieures de ce recueil (désormais désigné

par le sigle " si », suivi de la page), la traduction sera parfois modifi ée.

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l'accès à la musique et la condition d'auditeur chez schoenberg Un compositeur tient compte de son auditoire. Il se gardera de le mécontenter en répétant indéfi niment ce qui pouvait être compris du premier coup, même si c"est quelque chose de nouveau, à plus forte raison si c"est un lieu commun déjà passé de mode. Une grille suffi t à faire saisir au champion le déroulement complet d"une

partie d"échecs [...]. Un esprit vif et bien entraîné se refuse à écouter du babillage et

veut qu"on s"adresse à lui dans une langue concise et directe. (si, p. 308-309) Mais à force de concision, on court le risque de parler un langage privé. On pourrait lire ainsi la remarque de Mahler au sujet du 1 er quatuor (1907) telle que Schoenberg l"a consignée bien plus tard : " J"ai dirigé les partitions les plus diffi - ciles de Wagner ; j"ai moi-même écrit des partitions dont les pages comportent trente portées de musique et davantage. Or voilà que vous m"apportez une parti- tion où il y a seulement quatre portées et je suis incapable de la lire. » (si, p. 29) Précisant que la partition était plus diffi cile pour l"oeil que l"oreille, Schoenberg ajoute pourtant que la présence de passages sans aspérités, beaucoup plus acces- sibles, n"avait pu suffi re à calmer le public lors de la première audition (si, p. 31). C"est précisément ce quatuor que Berg commente dans le fameux article " Pourquoi la musique de Schoenberg est-elle si diffi cile à comprendre ? ». Il y fait exactement le chemin inverse de l"auditeur-joueur d"échecs rêvé par Schoenberg : Berg récrit et déplie des passages du quatuor afi n d"indiquer comment Schoenberg aurait pu délayer ses idées musicales pour garantir leur perception par tout un chacun. Ce qui importe à Berg n"est pas tant d"altérer l"original que de le ralen- tir — comme l"a souligné Peter Szendy 9 en commentant ce texte. Pour ce faire, Berg exploite son outillage de compositeur-analyste (annotation des extraits de partition en fonction du commentaire dans le texte, réduction harmonique du passage étudié, pastiche caricaturalement symétrique d"un phrasé asymétrique). À mesure qu"il répète le quatuor en le décomposant-recomposant, Berg requalifi e l"inintelligible " orgie de dissonances » perçue par " le public de la création » en une " surabondance » exceptionnelle, une " plénitude harmonique », etc. 10 On pourrait s"étonner de ce que Berg, en 1924, prenne pour exemple de musique diffi cilement compréhensible une oeuvre tonale composée plus de quinze ans auparavant. Cela procède, presque mécaniquement, d"une rhétori- que de la continuité qui permettait à l"École de Vienne de mettre en avant le caractère immuable de certaines techniques d"écriture — que la musique soit

9. Peter Szendy, " La fabrique de l"oreille moderne. De Wagner à Schoenberg et

au-delà », dans Peter Szendy (dir.), L"écoute, Paris, Ircam/L"Harmattan, 2000, p. 37.

10. " Ceci nous ramène au propos central de notre discussion, à la diffi culté

d"entendement de la musique de Schoenberg, dont la cause même, nous l"avons vu, réside dans sa richesse en beautés thématiques, contrapunctiques et rythmiques. » (Alban Berg,

Écrits, p. 32)

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l'accès à la musique et la condition d'auditeur chez schoenberg tonale ou atonale —, afi n de construire une téléologie historique. Cette mise en continuité, Schoenberg lui-même en use et en abuse dans tous ses textes rétrospectifs des années 1930 et 1940 en soutenant, par exemple, que tel quatuor plus perfectionné. Mais cet argument artifi ciel peut avoir un effet inattendu, en sapant l"autonomie des oeuvres ou leur effet de clôture. Le rapprochement entre deux oeuvres apparemment éloignées (comme La nuit transfi gurée et le 3 e quatuor [1927]) ne fonctionne en fait que lorsqu"il est présenté généalogique- ment. Dans plusieurs textes, Schoenberg reconnaît en effet qu"il est impossible de comprendre certaines de ses oeuvres sans connaître les oeuvres précédentes : les plus anciennes (par leur plus grande popularité et leur style déjà familier) sont un moyen d"accès aux nouvelles. En ce sens, les plus récentes procéderaient à des ellipses perceptives par rapport aux précédentes ; d"où les comparaisons récurrentes avec le jeu d"échecs ou les mathématiques — on résout des termes redondants, on élabore de nouveaux théorèmes ou de nouvelles stratégies sur des prémisses déjà communément partagées par les lecteurs de la démonstration. Les ellipses perceptives consciemment pratiquées par Schoenberg s"appuient sur la conviction que son auditeur en sait déjà long ; aussi ne doit-on pas prendre tout à fait à la légère la boutade selon laquelle il aurait aspiré à ce que sa musique soit

siffl otée par le facteur, comme du Tchaïkovski : ç"aurait été l"un des critères de la

force propre de ses motifs, la preuve la plus évidente de leur " remémorabilité ». Le défaut de répétitions caractérise une économie d"écriture qui présup- pose (et appelle de ses voeux), du côté de l"auditeur, le modèle d"une mémoire enregistreuse très performante, qui se lasse de toute redite — un archiauditeur, pour paraphraser Riffaterre et son archilecteur. Cette construction logique a une fonction stratégique, à en croire l"étude par Leon Botstein des pratiques musica- les viennoises au tournant du siècle, sur le fond desquelles Schoenberg pense et adresse sa musique. Pour Botstein, le propre des habitudes d"écoute des contem- porains de Schoenberg est de s"appuyer sur la musique pour imaginer des narra- tions et " utiliser le temps musical psychologiquement 11

» — pratique à laquelle la

musique de Schoenberg présenterait intentionnellement des obstacles : [Alors que] dans la littérature [de l"époque], les instruments d"opposition frontale

à la fi ction réaliste étaient la répétition et le statisme, chez Schoenberg les moyens

11. " The radical condensation of form in Schoenberg"s Op. 9 and the strangeness of

the instrumentation (in contrast to, for example, the 1916 Kammersymphonie of Franzquotesdbs_dbs46.pdfusesText_46
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