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Corpus Dolens

Présentation

Notre projet de colloque est né dans l"ambiance de la commémora- tion : Montpellier, illustre s"il en fut parmi les universités de médecine, a donc 800 ans : nous restons au coeur des traditions médicales, qu"au demeurant un manque bibliographique nous désignait comme terrain de recherche. En effet, les études sur la représentation du corps sont nombreuses, mais sur la douleur même, pour nos temps modernes, il existe peu de recherches suivies, même dans l"impressionnante Histoire de la douleur de Roselyne Rey. Deux ans de conférences internes au Centre d"Étude de la Renaissance, une animation du campus, une exposition : nous avons cherché à nous préparer à ce qui est vite apparu comme un sujet délicat autant qu"immense. Le premier point qui me paraît ressortir de nombreuses communica- tions est la difficulté à dire la souffrance, qui ne semble avoir de " site » nulle part, ni dans la littérature, ni dans la parole individuelle. Certes nous n"avons pas abordé les genres littéraires de la plainte : mais ils nous auraient parlé de la souffrance psychique devant des corps défunts ; naenies, déplorations, complaintes et lamentos savent dire la perte, plus que le mal. L"exemple le plus frappant dans son extrême invraisemblance est bien la rédaction du Syphilidis sive de morbo gallico de Fracastor : quand le médecin devient poète, il lui faut aimer un sujet, le traiter

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comme digne de l"épopée par des embellissements, lui chercher une caution mythologique, dire la découverte du gaïac comme un mythe prométhéen, et la décomposition au plus minimal de l"abominable, farder la mort, pour qu"elle soit concevable et dicible (B. Tannier). Beaucoup d"autres textes réagissent ainsi par la dissimulation du fond et la parure verbale. Lors même que le genre littéraire est pourtant porteur d"une vraie intention de terreur et de pitié, méditation sur la mort, comme les tragédies qui mettent le supplice, le suicide et le meurtre au plein apogée de leur action, les stratégies de fuite dissimulent encore : les héros des tragédies (O. Millet) ne doivent pas souffrir, ni montrer une humaine faiblesse. Seules les souffrances de l"amour entraînent un luxe verbal qui nous paraît inverser les proportions dues à la souffrance, mais qui répond parfaitement au code aristocratique. Le corps noble ne souffre que de la souffrance noble : la passion. On ne souffre que de soi (par passions internes) et à la rigueur de ce double par vocation qu"est l"être aimé. Le vocabulaire fuit : le thème de la mort est innombrable littérai- rement, mais la souffrance ? On a parfois l"impression que la souf- france n"existe même pas : le support supporte (E. Berriot-Salvadore, J.-P. Benezet) et à tout le moins cette éventuelle souffrance n"a pas d"importance, on n"est pas là pour elle. Elle fait partie du domaine de l"acquis, de l"évident qu"il n"est plus besoin de formuler. On pourrait argumenter que nous ne souffrons pas de la souffrance des autres : les auteurs évoquent malades, femmes en couches, hurons torturés, toutes choses qu"ils voient mais ne " sont » pas. La compas- sion cependant pourrait les amener à décrire avec sympathie. Il est par ailleurs invraisemblable que les auteurs n"aient pas à un moment de leur vie connu la douleur. Or l"intérêt d"un Érasme pour sa gravelle est exceptionnel (la lettre a-t-elle sur ce point un statut différent des textes publiés ? C"est plus que possible). Il faut qu"il s"agisse pour Postel d"une crise exceptionnelle - une re-naissance, un auto-accouchement - pour évoquer aussi précisément spasmes et desquamation, valables comme preuves de la violence surnaturelle.

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Mais plus encore réagissent par le silence, l"aveu reste l"exception. Nous n"avons pas directement évoqué Montaigne : les souffrances de la gravelle, bien présentes pendant quinze ans, laissent des traces dans les Essais, mais infimes. Encore est-il le seul à oser dire publiquement cette souffrance de la chair à la première personne, sans la diaboliser ni en faire un châtiment, juste dire et accepter l"humiliation de dire et de n"être pas un héros. Il est déjà si rare de parler de soi, si inouï de scruter son corps et son âme, et d"en faire un objet de publication. D. Duarte au XIV e siècle en analysant ses troubles psychiques n"était pas moins original, mais ne s"offrait pas en lecture à l"anonyme groupe des inconnus. Comment révéler mieux - mais nous faisons là parler du silence - que la souffrance relève de l"intime, de l"indicible, sinon de la pudeur, et qu"elle est en chacun une part à dissimuler, l"intense signe de son humaine faiblesse : non point l"humaine condition, mais pire, sans doute, notre part de mort enclose dans notre chair, sûrement ce qui nous fait corps, matière, communs, inférieurs à l"humanitas qui est culture et splendeur. La douleur est un affront permanent à la dignitas hominis. On pourrait argumenter aussi que parler de sa souffrance, c"est vivre dans un souvenir de souffrance : on n"écrit pas pendant la crise même. La douleur est irreconstituable si l"on n"a pas de mots antérieurs pour l"évoquer. Peut-on " inventer » sa propre expression sur sa propre sensation si les codes collectifs ne vous offrent pas de formules, même clichées, c"est-à-dire communes, identifiables, intelligibles pour communiquer le secret de la sensation ? Or l"expression collective, lorsqu"elle parle de corps souffrants, fabrique un codage des effets : on ne peut dire la souffrance intérieure, mais on peut montrer à travers une symptomatique qui vaudra tant pour la torture que pour l"amour passion. Spasmes, cris, grimaces, coloris du visage, craquement des os, gonflement des veines, brûlure du sang. Le rôle du théâtre, qui donne à voir de façon exacerbée (Y. David- Peyre, C. Whithworth) est fondamental dans cet apprentissage sinon du

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" comment supporter » du moins du " comment reconnaître ». On ne dit pas la sensation, mais un corps patiens plus encore que dolens. Le répertoire des symptômes est donc codé, et plus qu"ailleurs dans le code des souffrances amoureuses, les plus universelles et les plus intéres- santes du monde aristocratique. Le spectateur en tout paradoxe est donc éduqué à réagir aux signes simulés (théâtre) ou verbaux (poésie) alors que son regard est bien rapide sur les souffrants réels (lui compris), le vrai n"est décidément pas intéressant (et Montaigne, encore lui, s"en est étonné). Secondairement, on peut renouveler ce code par un codage des causes grâce à un vocabulaire concret, voire trivial : en particulier en poésie, des feux aux fournaises et tisons, ou des flèches aux tenailles, des poignards aux poinçons et couteaux, l"objet très réel se charge de transmettre au lecteur les sensations brutes, que développent ensuite des adjectifs " poignants », " acérés », " tranchants » : l"objet suscite la sensation. L"obsession de ces mots répétés, du terme " sang », des termes négatifs (" défiguré », " informe ») tout à la fois parle du corps, ne le montre pas vraiment, et immobilise l"imagination sur une image, une couleur. Iconographiquement le code existe aussi : tête penchée de la mélan- colie, corps hydropique de la convoitise, et il peut même se restreindre à un signe minimal, d"où la souffrance est comme effacée : les saints et les martyrs portent qui un fragment de leur corps mutilé, qui un instrument de leur supplice, et en tout arbitraire leur costume hiératique et leur visage souriant démentent que les seins coupés fassent une blessure, et qu"on meure de décapitation ; Saint Pierre Martyr se promène au vert paradis des retables dominicains avec un tranchoir au milieu du crâne. Mais il s"agit de saints, admettons temporairement qu"ils ne sont pas de notre race, ou préservés du mal. Mais autant que du théâtre l"apprentissage de la diction du corps souffrant vient de la religion : rite et liturgie, contemplation de la souffrance christique, exposent un dicible qui est aussi un montrable. La spécificité des genres est là très marquée (O. Millet, C. Winn, Y. Quenot) : un discours religieux multiple et multiplié, des pré- dications, des images pieuses, des hagiographies, des méditations,

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fournissent des modèles explicites et variés. L"expansion d"une piété doloriste dans les dévotions féminines y complète, mais sans s"y confondre, la contemplation et la dévotion aux plaies du Seigneur, les pratiques des flagellants, ou l"iconographie simplifiée des instruments de la Passion. Parallèlement les moyens cathartiques sont eux aussi codés : parole, chant des Psaumes, ou cris et lamentations qui extériorisent, musique douce, ont leur application spécifique. Les seuls textes acceptant de parler de souffrance directement, la vraie, qui fait mal à tout le monde sans gloire, seraient donc issus du milieu médical, et encore faut-il sans doute souligner que Paré est bien un novateur lorsqu"il prend en compte cet élément comme critère de réussite de la cure médicale. Novateurs aussi ces quelques médecins qui admettent que la souffrance féminine n"est pas utile à la naissance, encore qu"elle soit inévitablement présente : novateurs parce qu"ils acceptent de parler phénoménologie et vie concrète quand les autres parlent de morale et de valeur. Le second point qui nous stupéfie souligne donc la mise en scène ostensible et culturelle des souffrances pour transmettre un mes- sage social et idéologique. La plupart des textes consentent à s"occuper de douleur dès qu"elle ne relève plus du corps : quand elle met en valeur d"autres forces à l"oeuvre, quand elle est un signe qui va permettre d"allégoriser la vie morale. Bref, souffrir n"intéresse que le médecin, et encore à cause de la maladie. Ce que dit la souffrance secondairement est par contre capital, voire essentiel pour définir l"ordre du monde. Parlons rapidement des impressions de hiérarchie qui naissent de ces discontinuités d"évocation : classements collectifs comme la hiérarchie des valeurs sociales attachées aux maladies, ou classements tout subjec- tifs comme cette Maria qui manque de vin et regrette le bon temps de la

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peste (Y. David-Peyre) : le rang d"importance définit les groupes par rapport à la souffrance, le corps se fait test et démonstration. D"une certaine façon, nous reprocherions alors aux auteurs de mar- quer un excès de zèle aussi dommageable que l"excès de zèle des bour- reaux : en choisissant de centrer nos travaux sur la représentation qui n"inclut pas toutes les significations sociales, nous n"avons parlé ni des bourreaux de l"exercice judiciaire le plus coutumier, ni des bourreaux des inquisiteurs, ni des procédures d"exception, ni même des bourreaux ordinaires, d"ailleurs. Nos textes ne nous ont " offert » sur ce point que souffrances " extraordinaires » des guerres civiles, (D. El Kenz), et souffrances " exotiques » des tortures indigènes (M. Bideaux). Ou la démonstration exemplaire de la puissance de la justice royale dans la vengeance de Pedro sur les meurtriers d"Inès de Castro (A. Roig) : la puissance de mort est un des traits de la puissance en acte. Mais déjà la leçon en apparaît : la souffrance est alors justifiée, provocable comme purification, et dicible parce que la purification peut revêtir un aspect didactique. Une partie des spectacles affreux sont conçus comme rassurants et satisfaisants dans une logique du talion et de l"extirpation du mal. Alors pourvu que le Mal soit grand pour qu"on puisse lire en couleurs plus simples le triomphe du juste ! Pourvu que les miraculés de Saint Denis soient bien tordus et que leur transe miraculeuse soit bien douloureuse pour le plaisir de les voir repartir bien droits pour la plus grande gloire de Saint Denis (N. Chareyron) ! Pourvu que les sup- plices des martyrs soient bien " exquis » pour que leur sourire démente l"oeuvre des bourreaux C"est que la souffrance quand elle est volontaire et infligée par des représentants d"un univers moral mauvais est gloire. Toutes les civi- lisations font de la douleur le test de la noblesse d"âme : hara-kiri, supplices hurons, supplices chrétiens, le défi lancé au bourreau à travers un corps pourtant faible, faillible et progressivement anéanti, proclame le prix de ce pourquoi on se laisse torturer, soi, son roi, sa foi. La théologie calviniste l"élabore en espérance pour les prisonniers (D. El Kenz). Avec logique dans ces répartitions morales binaires, le déni de la valeur de la souffrance d"autrui évite de compatir et même de

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comprendre : le martyr d"une autre foi est un fou, sinon un martyr du diable. C"est la cause qui fait le martyr, on le répète à l"envi après saint Augustin. En incitant à jeter dans la bagarre l"intégrité de son corps, on évite ainsi de prendre le signe pour la valeur, choisir la mort ne suffit pas. Mais dominant le tout, le spectacle des souffrances qui n"ont plus de corps réel s"organise en didactique explicite et collective. Les scènes des tragédies où la vengeance s"exerce en menus détails de vocabulaire concret enseignent la morale tout comme les spectacles infernaux (J. Lacroix). Les scènes surtout de la Passion du Christ donnent un sens à ce qui, apparemment, sans eux n"en aurait point. La signification de la souffrance, son accès, dirait-on, à la conscience et à l"analyse, naissent de la contemplation du corps d"autrui. Il a souffert cela. Il a souffert pour vous. Vous pouvez bien souffrir pour lui. Vous lui avez fait souffrir cela. Il vous évitera d"en sentir bien plus. La surnature se dit dans le paradoxe et dans l"excès, faute de mieux. La complexité de l"univers religieux sert d"expression cumulée de tous les savoirs et de tous les affects, comme un " medium » remar- quable. Nous avons pu d"abord y observer la coexistence des discours internes sur la douleur. Sophie Cassagnes-Brouquet discernait ainsi trois " moments » discursifs des messages religieux : l"ordonné, l"im- promptu, l"apocryphe, le discours contrôlé et traditionnel généralement assez modéré, le discours qui s"invente comme un besoin d"explication face à une situation donnée, le discours déviant qui construit des formes nouvelles par croisement. Là aussi se voit pleinement la coexistence de niveaux d"utilisation et d"expression des signes ; le consommateur des livres d"heures n"est pas dans la même situation que l"auditeur d"un sermon, que le savant théologien : chaque groupe trouve selon ses besoins affectifs et intellectuels. Là enfin se révèlent les pulsions haineuses contre le corps, pulsions qui contrairement à la croyance facile ne proviennent pas nécessaire- ment du seul discours religieux (M. Péronnet), mais y trouvent leur lieu d"expansion et de justification : non seulement en provoquant à la joie dans le martyre (ce qui n"est pas suicide mais soumission à la loi), mais

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en lui faisant guerre dans l"autodestruction minutieuse et dans la pénitence, et dans la macération, et dans l"abjection volontaire. En prin- cipe la chose n"est pas approuvée par l"Église, sauf comme pénitence occasionnelle (les flagellants), et fort surveillée (rôle des directeurs de conscience), il est vrai en grande ambiguïté, car toutes les hagiogra- phies contiennent ce discours fort bivalent : le grand saint ou sainte se voit interdire certaines macérations par son directeur, et infailliblement il n"en fait rien, on découvre au contraire à sa mort que le pire n"était pas visible... Cela dépend donc aussi un peu de ce que nous décidons de regarder comme typique et significatif : le fou de Dieu ou la structure ecclé- siastique qui déteste les stigmatisés. Notre découpage chronologique excluait aussi l"apparition des ouvrages de piété sur le bon usage de la douleur et des maladies, qui succèdent aux ouvrages sur la bonne mort : un art de bien souffrir dans le quotidien involontaire, que les livrets des jésuites inaugurent au début du XVII e siècle. D"ailleurs d"où souffre-t-on ? nous n"en savons rien, et sommes prêts à accepter nos modernes souffrances psycho-somatiques. Pourtant il nous est commode de croire que les anciens croyaient en un dualisme tranquillement post-platonicien et post-stoïcien opposant le corps souffrant et l"âme invaincue, le corps en ce monde, et l"âme dans l"autre. Tous nos textes résolument semblent avoir travaillé dans une pratique autrement complexe où tous les cas de liens sont permis, alors qu"ils connaissent mieux que nous leur catéchisme dualiste. De l"amour comme maladie mélancolique aux thérapies par la musique, de l"imagination qui crée la douleur comme de l"imagination qui l"efface, de l"âme qui se souvient assez des souffrances du corps pour souffrir dans l"Au-delà les douleurs que sentirait un corps absent, de l"osmose entre le corps contemplé du Christ et le corps contemplant du méditant, tous les trajets brouillant les limites du corps et de l"âme semblent possibles. Nous butons donc sur des affirmations dualistes, que toutes les analyses des mêmes auteurs démentent allégrement. La plupart du temps les brouillages connotent l"excès : on aime tellement que..., on croit tellement que... Mais le cas semble plus général, et l"origine de la

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douleur n"est pas résolue, ni par les médecins, ni par la " vulgate » d"une opinion littéraire diluée. Tout le débat sur l"amour est exemplaire, par sa circularité : on souffre d"amour qui est une passion de l"âme. Mais on souffre physi- quement de l"amour déçu, qui se fait désir et mélancolie, ravage corporel. On se soigne en désaimant, on se soigne en étant aimé. Et cet enchaînement des faits est si assuré que tous les poèmes le colportent, que tous les récits, Stratonice et Antiochus, Tristan et Iseut (J. Cho- cheyras) le commémorent ; et puisque tout le monde le dit, les méde- cins ont beau jeu de renvoyer leurs patients à la littérature qui explique très bien leur cas et prouve l"existence de la dépression amoureuse. Le rôle de l"imaginaire comme lieu de jonction entre corps et âme apparaît constant, y compris pour ces corps mémoire de l"Enfer, dont les sens spirituels sont mémoire des sens ou imaginaire mémoriel. La découverte des maux psychiques, du mal-être qui n"est pas à pro- prement parler une douleur, mais qui est tout aussi toxique et morbide, cherche aussi dans la perturbation imaginaire les sources de l"angoisse. On n"ose pas dire que la croyance en l"imagination est une chance en face d"une pharmacopée faible : on ne sait pas forcément mieux soigner les maux d"esprit - et parfois par la souffrance physique ! - que les maux physiques. Comme le dit N. Chareyron, heureusement qu"il y avait les saints thaumaturges, derniers recours. Autre surprise : les textes s"entreconfirment, brouillant constamment ce qui pourrait être du domaine du référentiel/réaliste et ce qui pourrait être de l"allégorique, du fictif. On a beau savoir que le champ littéraire n"a pas de bordure-frontière, on reste surpris du nombre de fois où les divers domaines d"expression se renforcent l"un l"autre. Nous avons déjà mentionné la collusion entre traité de médecine et poésie d"amour.

Inversement la poésie amoureuse de la fin du

XVI e siècle renforce ses effets dramatiques par l"intrusion d"un vocabulaire médical de l"ana- tomie et des ravages corporels, resémantisant ses clichés par le " mixage » qu"opère un lexique supposé référentiel dans le cadre d"un poème qui est symbolique. Il faudrait plus encore mentionner les liens entre image et thème narratif ou discours, exemplairement montré pour

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le cas de la Messe de saint Grégoire où la liturgie s"explicite par l"image (le Christ dans l"hostie) et où l"image se crée à partir d"un élé- ment textuel " biographique » onirique. La multiplicité de ces branchements témoigne de la fécondité littéraire, idéologique et imaginaire des processus de transferts, mais aussi pour nous de la difficulté dans laquelle nous nous trouvons pour évaluer le statut d"un argument, la pragmatique d"un texte et ses implications. Les lecteurs spectateurs du XVI e siècle y étaient-ils plus habiles que nous, ou cette réception brouillée fait-elle partie justement des règles de compréhension ? Dans ce grand étalage, tout nous invite donc à une méditation sur la sémiotique et notre lecture : car si le corps souffrant est bien le signe extérieur de l"amour, il est aussi celui de la dépression mélancolique non amoureuse ; si l"anesthésie est le bienfaisant produit d"un médica- ment adapté, elle est aussi le signe d"une crise de la maladie amoureuse, ou bien le produit d"une lèpre, ou bien le cadeau du diable à ses disciples ; tout signe signifie... une chose et une autre. Inversement beaucoup de signes se simulent, ou deviennent des codes si convenus qu"ils perdent de leur puissance pragmatique émo- tive : encore un amoureux mourant... est ce bien signe de sincérité et de réalité. Après la justesse des signes, méditons sur la fabrication et la consommation des représentations : dans quel usage et dans quelle motivation le long de la chaîne de communication trouvons-nous images et formules ? Si les calvinistes (D. El Kenz) font d"abord du corps souffrant un modèle pour la piété des martyrs, ils font ensuite du corps mort une accusation contre le monde des bourreaux, une pragmatique politique succède à une imitatio Christi intime. Pourquoi la piété doloriste est-elle le fait des femmes ? et pas seulement la piété mariale. Pourquoi une telle montée des corps souffrants dans l"iconographie religieuse, succédant au corps en gloire ? Sens croissant du péché et de la responsabilité, sens croissant de ce que signifie l"incarnation ? Sens croissant du Moi que révèle l"évolution des discours, ici particulièrement visible dans l"exploitation manifeste de

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l"imagination pour fabriquer en soi la souffrance par participation : contemplation à tendance mystique, qui cherche l"identification à Dieu ou à la Vierge, discours de la manipulation de l"image comme spectacle extérieur et comme site où se mettre (C. Winn, Y. Quenot). Ou intérêt croissant... pour le corps, jusque dans ses désagréments ? Ainsi sommes-nous ramenés in fine à la question du spectateur. Si le souffrant (de grande ou de petite souffrance d"ailleurs) parle peu de lui, le corps souffrant est le centre des regards et de beaucoup d"actes. Passons sur le fait primordial que le regard-contemplation éduque, car ce processus est vrai de tout regard, de l"emblème à l"allégorie, en passant par le spectacle de beaux corps comme des beaux tableaux. Qu"y a-t-il de plus à regarder la souffrance ? la décision de ne pas se mettre en cas de la subir, vieil alibi éducatif des exécutions et des scènes infernales, la didactique de la peur, chère à beaucoup de prédicateurs, un peu plus de volupté sadique ? Sentirait-on si bien le

Paradis, s"il n"y avait pas d"Enfer ?

Corpus dolens, représentation de la souffrance, regard sur la repré- sentation de la souffrance : ce qu"on lit et ce qu"on vit s"entrelacent en mimétisme, nous renvoient de toutes façons au statut du corps. Notre humaine condition est d"être esprits captifs, notre corps est notre seul critère (souffrant/jouissant) de l"être (mal) au monde. Selon qu"on envisage ces notions toutes métaphysiques avec optimisme (alors les corps se relèveront en gloire) ou de façon pessimiste (notre corps est l"occasion du péché et la punition du péché), la compréhension de la souffrance s"inverse. La race humaine est-elle coupable au point que toute souffrance en soit la punition par statut ? La race humaine est-elle élue au point que toute souffrance ne soit que sa purification ? Toute souffrance n"est pas le signe des victimes... Et pourtant ? Nos textes nous semblent marquer appréhensions et suspicions sur l"agrément - il est vrai que notre thème nous a fait choisir sélective- ment les plus affreux ! - : un corps jouissant sera forcément un corps souffrant (J. Lacroix), c"est une sorte de fatalité, - comme si seul le péché apportait de l"agrément, d"ailleurs. Mais dans une ambivalence

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plus intime et plus grave, la souffrance et la jouissance s"unissent l"un à l"autre dans des mixtes inquiétants : dans l"ardeur d"amour (J. Cho-quotesdbs_dbs46.pdfusesText_46
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