[PDF] Rivière-du-Loup – New-York – Königsberg / La fiancée américaine

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La fianc€e am€ricaine

d"...ric Dupont, Marchand de feuilles,

568 p.

La fianc€e am€ricaine

Spirale

, (250),

43†44.

SPIRALE 250

AUTOMNE

201443

P eut-on lire La fiancŽe amŽricaine, Ç symphonie du Bas- du-fleuve Èselon la formule d"Elsa PŽpin 1 , dans la pers- pective nŽorŽgionale ˆ laquelle se consacre ce dossier? Les dŽdoublements et redoublements de la territorialitŽ de mme que l"usage ambigu que le roman fait des reprŽsen- tations traditionnelles de l"identitŽ incitent plut™t ˆ inter- au re g roupement des textes quŽbŽcois contemporains. Car, comme sa jaquette de livre de cuisine que vient troubler en couverture l"illustration de Kaï McCall, La fiancŽe amŽricaine brouille les signes. MalgrŽ la prŽcision de la rŽfŽrence gŽographique et historique, moins un lieu ou un territoire qu"un point que le hasard des rŽcits entrecroisŽs pl ace a u c entre d "un r Žseau d e dŽplacements dans l"espace aussi bien que dans le temps.

LES Ç FIAN‚AILLES AVEC L"AMƒRIQUE

2 Cette expression de l"auteur, filant la mŽtaphore de son titre, insiste sur la proximitŽ avec les ƒtats-Unis, dont l"ins- cription dans le roman oscille entre la nouveautŽ et le recy- clage des principaux lieux communs de la reprŽsentation quŽbŽcoise de l"AmŽrique. Louis Lamontagne, f ils de cette AmŽricaine Ç aux yeux sarcelle È,trait qu"il a hŽritŽ d"elle et surnommŽ Cheval Lamontagne; il se produit dans les foires et se reproduit - Ç des yeux sarcelle en Ohio, en Iowa, au Michigan et bient™t dans l"ƒtat de New York È- dans une Žtonnante reconqute par l"amour de l"AmŽrique franaise des explorateurs. C"est dans Ç laUS Army [...], unevraie armŽe qu"on voit au cinŽma! Èqu"il fera la guerre. Mado effectue deux voyages ˆ New York : le premier en autobus pour subir un avortement auquel elle renoncera, le second dans sa luxueuse Jaguar, pour y ouvrir un de ses restau- rants (et Ç rŽgler de vieux comptes È). Si la distance est mar- quŽe chaque fois par le rŽcit du trajet, cette AmŽrique-lˆ n"est pas pour autant perue comme un territoir e Ž tr anger, les personnages y ont des souvenirs, des attaches, des liens de parentŽ, sus ou tus. Or la nouveautŽ qu"apporte la de nommer le rapport du QuŽbec ˆ l"AmŽrique, rapport

longtemps posŽ en termes de rŽsistance ˆ l"hŽgŽmonie, estmise en tension avec le recyclage de plusieurs clichŽs. La

i- cai ne, associŽe au g‰teau renversŽ ˆ l"ananas, et, par sa mort en couches pendant la messe de la NativitŽ, inscrite dans l"imagerie religieuse canadienne-franaise, se trouve rŽcupŽrŽe, gr‰ce au prŽcieux livre de recettes, dans l"esprit d"entreprise de sa petite-fille. Self-made-womanfaon QuŽbec Inc. (difficile de ne pas penser que les restaurants l a syn- des crpes au sirop. En construisant un point de vue qui les dŽsigne comme accessibles et partiellement appropriŽs, le roman Ç dŽsexotise È les ƒtats-Unis tout en reconduisant leur caractŽrisation conventionnelle de puissance militaire et Žconomique, de terre d"accueil de tous les Ž migrants , de

LE MIROIR ALLEMAND

L"Allemagne est un autre p™le important de la territorialitŽ romanesque; l"un des jumeaux de Madeleine, Gabriel, le sŽjourne ˆ la fin des annŽes 1990. ConstituŽe de la corres- e ˆ l tion du roman consacrŽe ˆ l"Allemagne est cristallisŽe par la rencontre du protagoniste avec Magdalena Berg, bava- roise d"origine, qui a survŽcu ˆ la guerre et ˆ l"‰pretŽ de la vie en Allemagne de l"Est. Magda raconte sa vie ˆ Gabriel au cours de trois chapitres, les cahiers de Magdalena Berg. grer au roman dŽpayse radical ement la fiction en racon- tant le destin d"une Allemande malmenŽe par l"histoire du XX e victime, c"est de nouveau par la parentŽ qu"il se trouve pourtant ramenŽ ˆ l"intrigue : Ç J"ai eu un flash : elle s"ap- pelle Magdalena Berg, ce qui est plus ou moins l"Žquivalent allemand de Madeleine Lamontagne. Tu ne trouves pas a bizarre? Surtout que les La sont d"origine allemande, leur nom a ŽtŽ francisŽ au dix-

PAR ƒLISABETH NARDOUT-LAFARGE

LA FIANCƒE AMƒRICAINE

d"ƒric Dupont

Marchand de feuilles, 568 p.

Territoires imaginaires

DOSSIER

44SPIRALE 250

AUTOMNE

2014
Nouvelle variation sur le nom Ç Madeleine È,Magda appa- ra"t ainsi ˆ la fois dans sa singularitŽ, mŽmoire vivante des horreurs allemandes et des tragŽdies europŽennes, et, gr‰ce ˆ la sŽrialitŽ ouverte par le nom, dans une sorte de communautŽ gŽnŽrationnelle de femmes d"une Žpoque, batailleuses et malgrŽ tout rŽsilientes. Dans cette construction typique de la saga, o la gŽme llitŽ de s per- sonnages et des destins est structurŽe par les coïncidences et matŽrialisŽe dans des objets (petite croix que portent au cou les diffŽrentes Madeleine, Mise au tombeau de la vierge que le G. I. Lamontagne a ŽchangŽe contre sa ration de cho- colat avec une Ç fraüleinbavaroise, une blonde costaude qui au mur du rŽfectoire du couven l "Allemagne est moins un ailleurs qu"un miroir dŽformant. ser le r™le que joue la guerre dans le destin de Louis. Ë son retour d"Allemagne, comme si la mort Žtait devenue sa nou- pose jusqu"ˆ les confo mands : Ç Il Žtait ailleurs, lˆ o l"alcool faisait parfois voyager son esprit, au bord du lac Starnberg. Une lune allemande illumi- nait le paysage allemand. ÈDans une sorte de sidŽration, ses souvenirs, Ç image lancinante des corps gelŽs empilŽs dans les wagons Èet Ç crissement des roues des trains allemandsÈ,l"im- mobilisent dans la neige, sur la voie ferrŽe, o une locomotive le heurtera mortellement. La rŽinterprŽtation de l"un des topoï du roman quŽbŽcois vient donner ˆ cette mort dans la neige la rŽsonance du pire : Ç La neige tombait dru, tournoyait, rap- pelait le nom du juif trouvŽ dans la neige. ÈToute distance morte en 1945 È. Dans une dŽterritorialisation gŽnŽrŽe par la menace, la ville natale ressemble ˆ Ç n"importe quel endroit dont la destruction est imminente È.

FLéCHES DE TOUT BOIS

Ainsi on n"a pas affaire ici ˆ un territoire que les dŽplacements des personnages esquisseraient autour d"un centre, selon un rapport binair e entre le lieu d"origine et le vaste monde, le local et l"universel, mais bien plut™t ˆ la construc tion d"unrŽseau de liens dont le roman raconte l"histoire. Parmi les multiples figurations de ce relais par lesquelles La fiancŽe amŽricaine mŽtaphorise un tel dispositif, on retiendra celui de la curieuse reprŽsentation du Freischütz de Weber ˆ n de l"Žpilogue, le 1 er janvier 2000, elle Ç se fiche dans la terre devant une pierre tombale blanche, celle d"une religieuse canadienne emportŽe en 1945 par la bombe atomique È.Juste avant, dramatique et le sacrifice de Magda qui saute dans le vide en chantant l"ariafinale de laTosca.

Constr

uit selon une logique qui doit davantage ˆ la mŽmoire (comme le rappellent ces Madeleine successives) qu"ˆ la gŽographie, rŽcupŽrant les grands genres popu- laires et rŽactualisant leurs clichŽs, La fiancŽe amŽricaine entretient, on le voit, un rapport pour le moins oblique avec ce que la critique commence ˆ appeler, peut-tre impru- demment, le Ç nŽoterroir È. Martine-Emmanuelle Lapointe situe d"ailleur s l e livre d"ƒric Dupont dans une filiation littŽ- raire urbaine de Ç romans fleuves parus au QuŽbec dans les annŽes 1980-1990.Les Chroniques du Plateau-Mont-Royal de Francine Noël, best-sellers reus favorablement par la cri- tique, entretiennent eux aussi un rapport "dŽcomplexŽ" ˆ l"Žcriture et ˆ l"Histoire 3 On peut y lire Žgalement des indices d"une reprise parodique du projet d"Ç ŽpopŽe nationale Ède Victor-LŽvy Beaulieu qu"Žvoquent non seulement le Bas-du-Fleuve mais aussi la famille dŽjantŽe des Lamontagne et les couples fraternels Gabriel fort et direct, ne sont pas sans rappeler le tandem de Salut Galarneaude Jacques Godbout, et le r™le du vieux

Zucker dans la rŽussite de Mado four

nirait d"intŽressantes comparaisons avec celui que joue Ratablavsky dans le destin avec son dŽfilŽ de la Saint-Jean-Baptiste, son croque-mort discipline, appartient moins ˆ une reprŽsentation renouvelŽe des rŽgions qu"ˆ un passŽ dŽjˆ stylisŽ, mythifiŽ, filtrŽ par la lit- tŽrature et ironiquement offert ˆ la complicitŽ du lecteur.

1.Elsa PŽpin, Ç Symphonie du Bas-du-Fleuve È, Voir, en ligne : voir.ca/livres/2012/

(consultŽ le 22 avril 2012).

2. ƒric Dupont, entrevue avec Chantal Guy, en ligne: www.lapresse.ca/arts/livres/

entrevues/201210/05/01/4580557-eric- dupont-que-la-joie-demeure.php (consultŽ le 22 avril 2014).

3. Martine-Emmanuelle Lapointe, Ç GŽomŽtries variables È, Voix et images,vol. 38,

n o

2, 2013, p. 132-137, disponible en ligne : www.://id.erudit.org/ ierudit/1015170ar

(consultŽ le 22 avril 2012).

La fiancŽe amŽricaineentretient

un rapport pour le moins oblique avec ce que la critique commence

à appeler, peut-être imprudemment,

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