[PDF] Recherches sur le paternalisme et le clientélisme contemporains





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Recherches sur le paternalisme et le clientélisme contemporains

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22 oct. 2009 Nudge ou le paternalisme bienveillant. Émilie FRENKIEL. Dans Nudge Richard Thaler et Cass Sunstein s'inspirent des enseignements de.



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John Stuart Mill et le paternalisme libéral. CHRISTOPHE BÉAL. Université de Tours. Les critiques libérales du paternalisme politique et juridique font sou-.



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28 févr. 2018 moments où le paternalisme en santé publique ... analyser l'éthique des politiques paternalistes en santé publique?



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guer < patronage > et <( paternalisme ) comme deux moments bien dis- tincts du rapport patron-ouvriers dans la grande industrie metallurgique (2).

Ecole des Hautes études en sciences sociales

RECHERCHES SUR LE PATERNALISME ET LE CLIENTELISME CONTEMPORAINS : M

ETHODES ET INTERPRETATIONS

ALAIN MORICE

Mémoire pour l'habilitation à diriger des recherches 2 3

SOMMAIRE

P

RESENTATION 7

P REMIERE PARTIE. Méthodologie : reconstitution d'un itinéraire

1. Rétrospective 13

Sociologie ou anthropologie ? 13 Premier terrain (Sénégal, 1980) : un désordre fondateur 15 Une enquête à répétition (Sénégal, 1981-1982) 19

L'homme pressé 20

Le questionnaire 22

Le travail généalogique 24

L'exploitation 29

Deux courtes expériences du socialisme à l'africaine 31

Angola (1984) 31

Guinée (1985) 33

Importance du climat chez les chercheurs 36 Long séjour dans la Paraíba (Brésil, 1987-1990) 38

Terrain 39

Enseignement de méthodologie 44 Transition et élargissement théorique (1990-1995) 49 Une enquête en région parisienne : immigration et travail illégal 51

2. Résumé, principes et discussion 58

Point de départ : ne pas forcer les faits 58 Le projet : problèmes de langage 61 La collecte face au travail théorique 67 Principe de simultanéité 67 La ramification en réseaux : réseaux réels, réseaux de l'enquête 70 Statistiques et finalisme 75

Les biographies 79

Le modèle : analyse et interprétation 82 Conclusion : de l'instrumentalisation mutuelle du chercheur et du " cherché » à la neutralité impossible 91 4 DEUXIEME PARTIE. Résultats et interprétations : du paternalisme aux systèmes de clientèle

1. La composition du salaire : le salaire politique 102

Introduction : la répartition comme témoin et ressort du pouvoir 103 Un premier exemple : les formes particulières du pseudo-salaire dans l'artisanat paternaliste 105 Un deuxième exemple : le paternalisme bâtard dans une relation salariale demi-contractuelle 112

2. Statut versus contrat : deux lois en concurrence 124

Questions de vocabulaire 125

Paternalisme vs capitalisme ? 125

Loi et lois 127

Pourquoi opposer contrat et statut ? 129 Deux modes de mise au travail théoriquement irréductibles 131

3. Le contrat de travail comme lien de subordination :

les limites de la liberté 134

4. Quatre formes du modèle paternaliste, envisagé comme

un déni du salariat 140

Le modèle Babar 141

Le modèle des maîtres de forge : " bienveillance et surveillance » 143 Le paternalisme hybride : quelques exemples 156 Au Brésil, du bâtiment à la fazenda 156

Le travail des enfants 159

Le cas des immigrés irréguliers en Europe 162 Que reste-t-il du contrat salarial ? Les bûcherons français entre tâcheronnage et indépendance 165

5 Limites d'un modèle 175

Relation de travail et relations de travail 176

Domination et exploitation 178

Du rejet de l'Etat à la domestication de l'Etat 180 5

6. Les systèmes de clientèle 182

Deux formes du clientélisme 184 Le clientélisme administratif 185 Le clientélisme politico-économique 188

La pénurie administrée 191

Analogie entre la corruption et le marché noir : la mise en scène 191

La mafia 193

Le parti-Etat et le marché administré : le marché noir de la faveur 196 Pyramides et noyaux : des systèmes au modèle 201

7. Sur le mythe de Damoclès : violences et symboles 204

Conclusion : les ressorts matériels et psychiques de la domination, de la dette à la peur 206 P

ERSPECTIVES 212

R

EFERENCES DES TEXTES CITES 217

B

IBLIOGRAPHIE DE L'AUTEUR 223

6 7

Présentation

Ce mémoire vise à retracer un itinéraire de recherches. Il débute, comme s'il s'adressait à un

étudiant, par un tentative de montrer qu'il est nécessaire et possible de tirer des conclusions

générales en réfléchissant sur son propre travail d'enquête. Ce n'est pas une autobiographie

mais un examen rétrospectif et, autant que possible, ordonné. L'exercice s'est parfois révélé

(jeu de mots mis à part) quelque peu déroutant. En effet, si, d'un côté, la quête d'un fil

directeur amène à conclure à la continuité d'une problématique, si l'on s'attache à montrer

combien les résultats d'aujourd'hui étaient en filigrane dans les premières hypothèses, c'est au

risque de garder (et de donner) l'impression de n'avoir pas progressé. Mais, de l'autre côté, on

s'aperçoit vite, en reconstituant une vingtaine d'années de travaux d'enquête et d'écriture,

qu'on a avancé par bonds, par une succession de mises en cause des recherches et des méthodes : l'autocritique rétrospective risque alors de virer au relativisme et de masquer ce

qu'il y a pu avoir d'unitaire et de cohérent dans la démarche. Or cette cohérence et cette unité,

même chaotiques, on peut postuler qu'elles existent nécessairement. Ayant eu le privilège de

toujours avoir pu choisir les milieux que j'ai étudiés, ainsi que l'angle sous lequel je les

abordais, je me suis aperçu en regardant en arrière qu'en effet j'étais animé par un ensemble

de préoccupations qui, pour l'essentiel, n'ont pas changé depuis mes premiers pas sur le

terrain. Mais j'ai vu aussi qu'il avait fallu, rarement sans peine ni sans contrariétés, procéder à

toute une série de ruptures avec les paradigmes initiaux (hérités, entre autres, d'une lecture

orthodoxe des classiques du marxisme), pour proposer enfin un bilan qui, à défaut d'être incontestable, me paraisse au moins digne d'être examiné scientifiquement.

Le texte est divisé en deux parties : respectivement méthodologie et résultats. Je commencerai

cette présentation en évoquant la deuxième, qui traite du paternalisme et du clientélisme,

envisagés comme des systèmes de domination éminemment actuels. Cette terminologie mérite

sans doute d'être discutée : elle a surtout pour moi l'avantage d'être positive, c'est-à-dire de

ne pas définir les choses par leur contraire. Mais non moins discutable me semble la manière dont les sciences humaines ont eu si longtemps l'habitude d'ignorer des rapports sociaux qui

paraissaient rebelles aux interprétations théoriques traditionnelles des classes sociales et de

l'Etat modernes, à moins d'en faire des choses du passé ou des archaïsmes résiduels - aux

Siciliens le clientélisme, et aux anciens maîtres de forge ou aux artisans africains le paternalisme : cela passera. Je n'en crois rien, et c'est ici que je reviens sur la continuité de mes préoccupations. Comment sera envisagée ici la question du paternalisme au travail ? Sans doute à cause d'un

intérêt bien plus ancien pour l'étude des mécanismes qui rendent possible la dépendance

personnelle, j'ai, dès le début de mes recherches en socio-anthropologie je crois, été tourmenté par ces interrogations : pourquoi le travail et singulièrement le travail salarié

ressemblaient-ils si peu et si peu souvent, dans leurs modalités concrètes, à ce qu'en disait la

théorie ? Pouvait-on même, sans inventaire, affirmer que le salariat tel que l'a analysé K. Marx ait jamais été la forme moderne dominante d'extorsion du sur-travail ouvrier ? 8 Comment ce grand philosophe avait-il pu à ce point " faire l'impasse », alors qu'il avait l'industrie familiale française sous ses yeux, sur cette composante patrimoniale irréductible qui imprègne le rapport capital-travail ? Et pourquoi enfin, quand l'observation ne concordait

pas avec la théorie, cette tentation récurrente de recourir à l'explication par les modes de

production " pré-capitalistes » ? Interrogations naïves certes, témoignant de l'insuffisance de

mes lectures d'alors car ce n'est pas moi qui ai découvert ce faisceau de doutes. Mais cela restait un sujet difficile à aborder, surtout pour celui qui n'avait pas encore les armes

théoriques qu'apporte l'expérimentation. En fait, j'ai le sentiment d'avoir été porté par une

vague. Aujourd'hui, on ne parle plus que de travail atypique, de flexibilité, de désalarisation

etc., et on en parle souvent très bien ; une thèse importante sur le " salariat bridé » a été

soutenue récemment par Y. Moulier Boutang ; l'étude de l'exploitation des enfants par l'unité

domestique pour le compte du capital marchand (thème qui, certainement pas par hasard, a été

celui de mon " entrée » dans la recherche) appartient à la même vague. Mais il faut admettre

que ces thèmes nous ont été imposés du dehors par les progrès (si l'on peut dire) de ces

mêmes stratégies libérales sur lesquelles a régné longtemps un certain aveuglement intellectuel. Tout naturellement, conscient ou non, le choix de mon premier terrain, à la fin des années

soixante-dix, s'est porté sur un milieu " archaïque » dont j'avais l'arrière-pensée de prouver

qu'il était propre à nous parler du salariat moderne. C'est ainsi qu'assez vite, selon une

logique et d'une manière qui seront détaillées dans ce mémoire, j'ai commencé à donner un

primat méthodologique aux rapports de domination sur les rapports d'exploitation, et aux objectifs politiques des dominateurs sur leurs objectifs économiques, tout en sachant de plus en plus clairement que cela n'avait guère de sens de séparer ces deux niveaux. Je vois bien

qu'il y a, là aussi, matière à discussion - et B. Lautier ne s'est pas privé de me le rappeler

régulièrement dans ses commentaires sur le texte que je propose aujourd'hui : comment éviter

que ce primat méthodologique ne devienne théoriquement trompeur et n'obscurcisse à la

longue l'analyse de ce qui ressortit, précisément, à l'exploitation économique ? A ce stade,

cette question reste pour moi en suspens et j'ai conscience de pouvoir, dans certaines de mes

formulations, être pris en défaut d'une démarche dialectique dont, par ailleurs, je me réclame.

Toujours est-il que, vers le milieu des années quatre-vingt, j'ai trouvé dans quelques lectures

la confirmation que mes interrogations n'étaient pas vaines. Par exemple, B. Lautier avait démontré d'une façon qui avait emporté ma conviction que la théorie de K. Marx sur le

caractère marchand de la force de travail ne tenait pas debout : et, grâce à des contacts de cette

sorte avec une économie politique qui me paraissait joliment iconoclaste, j'ai découvert les

vertus libératrices, c'est-à-dire heuristiques, d'un courant qui se définissait comme " marxiste

hétérodoxe ». Au même moment paraissait un numéro spécial de la revue Le Mouvement

social intitulé " Paternalismes d'hier et d'aujourd'hui » : le pluriel me plaisait - nous venions,

avec J. Copans et M. Agier, d'employer un semblable pluriel dans le titre d'un ouvrage

commun -, mais plus que tout me plaisait ce qui dans ce titre recelait l'idée d'une continuité,

d'une persistance, en même temps que d'avatars irréductibles les uns aux autres. Un article d'H. Hirata et de K. Sugita y donnait, en s'appuyant sur l'exemple du travail féminin, une 9

vision elle aussi très hétérodoxe des rapports de production dans l'industrie japonaise, bien

éloignée du fantasmatique " Billancourt » cher à J. -P. Sartre. L'intitulé da ma thèse, qui

comportait l'expression " travail non salarié », m'avait été reproché par C. Meillassoux, qui

m'avait justement fait remarquer qu'un concept ne saurait être le négatif d'un autre - une remarque qui allait résonner plus tard dans une discussion (à propos du mot informel) que de paternalisme m'a paru providentiel pour désigner un ensemble de réalités dont traite la deuxième partie de ce mémoire. Quant au clientélisme, terme non antinomique avec celui de paternalisme mais que je réserve plutôt à la domination hors travail, l'usage que j'en propose renvoie à des interrogations

analogues - quoique légèrement décalées dans le temps en ce qui me concerne car c'est par la

question du travail que j'ai abordé l'étude anthropologique. Sans qu'on puisse vraiment parler

de polysémie, ce terme prête à beaucoup de confusions à cause du caractère extensif de ses

applications : pour certains, il désignera strictement le système du bossing américain, pour

d'autres il évoquera le sabianisme marseillais, pour d'autres encore il regroupera toutes les

pratiques qui s'apparentent au " piston », au " copinage », voire à la corruption. En outre, son

usage dans le sens commun vaut en général condamnation morale : voilà qui incite encore

plus à la précaution. Quelles préoccupations initiales me paraissent-elles justifier a posteriori

son emploi pour désigner génériquement un ensemble hétérogène de rapports sociaux ? Dès

que j'ai commencé mes enquêtes dans des milieux où régnait un régime de bas salaires, une

question se posait qui allait revenir constamment : comment ces gens-là s'y prennent-ils pour

vivre ? (La théorie de la reproduction de la force de travail par le " travail nécessaire » était

mise en défaut.) Bien souvent, mes interlocuteurs y répondaient par un stéréotypé " on se

débrouille ». Il fallait donc qu'il y ait un " autre chose » que le salaire, et cela débouchait sur

deux autres questions, non plus techniques mais anthropologiques : celle du contrôle de la répartition des richesses et celle du contrôle sur les hommes que confère le pouvoir de répartir. Cela convergeait avec la problématique du paternalisme, et cela m'a amené à

déplacer mon intérêt de l'étude de la sphère productive à celle de la circulation - et par un

effet de retour à envisager le paternalisme dans sa dimension improductive. A ce niveau, le concept de clientélisme me paraît maintenant faire sens : un rapport de domination qui s'appuie sur l'appropriation puis la redistribution du surproduit social à l'aune de la

soumission des " bénéficiaires », l'" homme aux écus » n'étant plus seulement riche en

capital matériel, mais aussi en capital symbolique. Dès lors, l'élément central sur lequel se

concentre l'analyse est ce que, à la suite de J. Lacan, C. Geffray nomme le " service des biens », une fonction qui par excellence est politiquement structurante. A partir du moment où

l'unité du concept est ainsi posée, on peut ensuite le développer, comme je proposerai de le

faire, selon toutes les variétés qu'il peut décrire : clientélisme électoral ou administratif,

corruption, pratiques mafieuses, marché captif ou administré par exemple. Mais l'étude du clientélisme bouscule un autre paradigme : celui de l'Etat conçu soit comme

le " bras armé de la bourgeoisie », soit comme une communauté qui " revendique avec succès

pour son propre compte le monopole de la violence physique légitime ». Je dis bien 10

" bouscule » et non " contredit ». Dans les sociétés contemporaines, l'Etat n'est pas que cela.

Il ne se définit pas non plus seulement par la liste d'une série de prérogatives telles que battre

monnaie, percevoir l'impôt ou lever une armée - prérogatives parfois toutes théoriques d'ailleurs. L'Etat est aussi un site. Un site par lequel transite une grande part de la richesse sociale, un site où rien ne garantit a priori que les agents publics qui l'habitent ou qui

l'investissent oublient leurs intérêts privés, un site qui par conséquent ouvre un espace

fondamental (et non accidentel) aux rapports sociaux de type clientéliste. Sur ce point de

même, l'idée n'est pas nouvelle : mais elle n'a commencé à acquérir une légitimité

scientifique, me semble-t-il, qu'au début de cette décennie, notamment avec la parution du

livre de J. -F. Bayart sur la " politique du ventre » en Afrique. Cependant, il ne s'agira pas ici

que de l'Afrique et de la vision répandue qu'on en a, d'une terre d'Etats patrimoniaux, népotistes et corrompus, servant commodément de contre-exemples supposés primitifs propres à confirmer la vision positiviste de l'Etat moderne. Je tenterai de montrer au contraire

la modernité, et l'étonnante souplesse, du modèle clientéliste qui, ainsi que son équivalent

paternaliste dans le rapport capital-travail, ne cesse jamais complètement de s'insinuer au coeur des relations entre l'Etat et les citoyens. Il me faudra sans doute un jour faire rebondir hors du champ de l'expérimentation sociologique et anthropologique où, pour l'essentiel, elle

se tient dans ce texte, une réflexion qui me paraît de plus en plus devoir ressortir aussi à la

spéculation philosophique.

Lorsque j'ai entrepris la rédaction de ce mémoire, faute d'en avoir clairement le plan en tête,

j'ai commencé par rédiger une note méthodologique, que je me voyais assez bien mettre en

annexe ou en encadré. L'idée était de restituer la manière dont j'avais redécouvert, pour mon

propre compte, un ensemble de principes et de pratiques, certainement codifiés par mes aînés

mais dont j'ignorais à peu près tout. Et, comme je l'ai dit, de montrer à ceux qui se sentiraient

à leur tour des dispositions pour la recherche que l'exercice n'était pas vain. " Ignorer » ce qui

a été fait avant soi, voilà qui renvoie à la confusion contenue dans ce verbe, qui connote soit

le refus de voir, soit l'oubli : c'est parfois, assez salutairement, compter sur ses propres

capacités, sortir de la prescription dogmatique imposée par le maître et de la servilité devant

les grands ouvrages ; c'est souvent, plus stupidement, agir et parler comme si rien n'avait été

fait ou dit avant soi, sous le motif qu'on vient de refaire, dans son coin, une découverte importante (et en cela c'est typiquement un péché d'éternel adolescent). A tout prendre et

encore plus avec le recul, s'il s'agit manifestement de deux défauts, je préfère le second :

même mal placée, la présomption me semble toujours supérieure à la soumission. Cependant,

en refabriquant cette méthodologie sans doute peu originale, je me suis aperçu rapidement que

j'avais plus de choses à dire, et avant tout à me dire, et qu'il convenait d'en faire une première

partie sensiblement de même taille que celle consacrée aux résultats. L'exercice n'a pas été

facile - surtout quand B. Lautier, qui dirigeait ce travail, m'interpellait ainsi, par exemple à

propos d'un point de méthode insuffisamment illustré : " Là, tu en dis trop ou pas assez .»

Comment en effet, en prenant l'exact contre-pied de ce que je préconise, parler des outils sans

parler en même temps du produit qu'ils ont servi à élaborer, mais comment éviter du coup que

ce dernier occupe le devant de la scène et efface ce qu'il peut y avoir de spécifique dans la 11 discussion méthodologique ? Ce dilemme explique qu'on trouve quelques bis repetita dans la deuxième partie.

L'étude généalogique (qui m'a tant apporté), les recueils de biographies ou les questionnaires

(nettement moins), les observations et le remplissage d'un carnet de terrain évidemment, tout

cela n'a d'intérêt que dans une étroite relation avec un ensemble organisé de questions et

d'hypothèses. Pourtant, même quand on commence à avoir un peu de " métier », on continue

à s'apercevoir que, obstinément, la pratique empirique contredit ce beau principe, dont la restauration devient du coup un combat constant : spontanément, on tâtonne, on improvise, on enregistre des données dont on est bien incapable de supputer la pertinence, on en omet

d'autres qui se seraient sans doute révélées essentielles. L'ouvrage classique Le métier de

sociologue est à cet égard d'un dogmatisme normatif passablement irritant pour qui connaît

les réalités souvent incertaines et parfois incontrôlables de l'enquête, et peut-être exagérément

sécurisant pour le thésard qui fait ses premiers pas sur le terrain. A y réfléchir, cette irruption

permanente de l'imprévisible, cette nécessité de refaçonner sans cesse la méthode, ce bricolage qu'imposent avec entêtement les objets aux instruments destinés à les " construire », tout cela est ce qui fait de la recherche un travail vivant. C'est pourquoi la

première partie commence avec l'idée d'un " désordre fondateur », qui n'est pas une apologie

du désordre mais une critique d'un positivisme dont, nolens volens, certains livres de recettes

sont le véhicule ; c'est pourquoi aussi j'y consacre un développement à l'ultra-empirisme qui,

finalement, se marie bien avec le formalisme méthodologique et constitue avec lui le principal danger qui attend l'apprenti-chercheur.

Il reste à mener toute une discussion sur des principes qui ne paraissent pas susceptibles d'être

transgressés par le chercheur - pour le romancier ou l'artiste, la discussion serait sans doute plus compliquée. Ces principes tournent tous autour des valeurs de rigueur, de cohérence, de

vérité et de dynamique, et j'ai tenté de montrer, en partant de ma propre expérience, quelle

application on devait en faire à tous les moments de l'enquête, du premier projet à l'exposé

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