[PDF] Voltaire oblige à la tolérance avec l«affaire Calas»

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VENDREDI 1

erMAI 2009

TRIBUNE DE GENÈVEIdéesde gnie27

Voltaireobligeà

latolranceavec l'"affaireCalas»

ÉTIENNE DUMONT

Tout avait commencépar un

fait divers en 1761. On avait re- trouv Toulouse le jeune Pierre

Calas pendu. Son pre Jean se vit

immdiatement accus d'assassi- nat. En dpit des lois dictes par Louis XIV en 1685, la famille demeurait protestante. Or, le jeune homme se serait rcem- ment converti au catholicisme.

Jean Calas sera condamn au

supplice de la roue. Le bourreau brisera chacun de ses membres jusqu' ce que mort s'ensuive.

Install Ferney, Voltaire s'in-

tresse au dpart peu l'affaire.

Il pense mme Calas coupable.

Ses correspondants le convain-

quent vite du contraire. Habitant opportunment sur la frontire, l'crivain bnficie en effet d'un norme rseau. L'historien Da- niel Roche a d'ailleurs dmontr qu'aux XVIIe et XVIIIe sicles les intellectuels vivant en province sont souvent mieux informs que les Parisiens.

Un cas exemplaire

Pour Voltaire, l'affaire devient

du coup exemplaire. Il n'prouve aucune affection particulire pour les protestants, que ses amis encyclopdistes ont pour- tant crus distes. Pour lui, l'en- nemi, ou plutt "l'infme», reste le fanatisme, qu'il s'agit de faire reculer au profit de croyances raisonnables. Car Voltaire n'est pas athée. "L'univers m'embar- rasse, et je ne puis songer/que cette horloge existe et n'ait pas d'horloger.»

Moment favorable

Que faire? Intervenir. Ecrire

des livres. Des lettres. Forger l'opinion publique. Faire plier le parlement du Languedoc.

Obtenir la rhabilitation de Jean

Calas. Voltaire sait que le temps

travaille pour lui. Il n'existe pas de rupture sans moment favora- ble. Or la monte du catholi- cisme intgriste est termine.

Nous ne sommes plus dans cette

seconde moiti du XVIIe sicle, o se multipliaient les couvents, les glises et les proscriptions.

Les vocations sincres se font

rares et les fidles lguent de moins en moins l'Eglise. Il se clbre ainsi moins de messes des morts ds les annes 1720.

Aprs avoir beaucoup lutt

par la raison et les sentiments (les images de "La malheureuse famille Calas» se multiplient alors), Voltaire obtient satisfac- tion. Jean Calas est rhabilit en

1765. Autant dire que la France a

cd. Et pourtant Dieu sait si

Louis XV est bigot, comme tous

les Bourbons. Grce l'absolu- tion, libertinage et foi romaine font souvent bon mnage. Vol- taire et le roi ont beau vivre en mme temps. Ils ne sont pas du mme sicle. Pour Louis XV, tol- rer reste accepter le Mal.

Interventions multiples

Dès lors, l'écrivain victorieux

va multiplier les interventions.

Citons les affaires Lally-Tollen-

dal, Martin ou Montbailli. Deux d'entre elles viseront nouveau le fanatisme religieux. Il s'agit des cas Sirven (1764) et du che- valier de la Barre (1766). Le se- cond se rvle particulirement intressant. A 20 ans, ce noble

Normand a t excut de

manire horrible pour "blas- phme». Il aurait mutil une statue religieuse.

Voltaire, qui n'est donc pas

athe comme les philosophes Di- derot ou d'Holbach, se voit ici amen dfendre un homme souponn d'irrligion. C'est al- ler pour lui trs loin. Souvenons- nous que le libral Sbastien

Castellion, dans la Genve du

XVIe sicle, acceptait d'autres

croyances du moment qu'il reste une foi en un Dieu unique, d- miurge et tout-puissant. Pas de piti alors pour un libre penseur comme Jacques Gruet!

Une affaire plus gênante

Si chacun applaudira à la con-

clusion de l'affaire Calas, celle du chevalier (dernire personne excute en France pour blas- phme) gnera donc jusqu' nos jours aux entournures. Quelques vagues rues. Une statue leve dans le Paris la que de la fin du

XIXe sicle et bientt dplace.

Si ds 1787 Louis XVI met un

"dit de tolrance» rconciliant les chrtiens, et si l'Eglise catho- lique franaise se verra pratique- ment dissoute par la Rvolution en 1790, les sans-culottes eux- mmes se voudront distes. Les grandes ftes patriotiques de

1793 et 1794 ne seront-elles pas

places sous le signe rassurant de l'Etre Suprme?

Curieusement, Voltaire se re-

trouve cette poque dans le camp révolutionnaire. Ses restes sont partis pour le Panthon ds

1791. Il s'agissait en fait d'un

libral de droite. Le malentendu perdurera tout le XIXe sicle, quand la France se voudra nouveau "fille ane de l'Eglise».

Le Grand Horloger connat

aussi, comme a, ses mouve- ments de balancier¼

Voltaire par Houdon.De son vrai nom François-Marie Arouet, l'écrivain bénéficiait d'un énorme

rseau d'informateurs et de correspondants. D'o sa force d'intervention.(STEEVE IUNCKER GOMEZ) ?1694.François-Marie Arouet, futur Voltaire, naît le 21 no- vembre Paris. ?1718.Premier succès public avec sa tragédie "OEdipe». ?1726.Les exils commencent. Voltaire va en Angleterre. ?1750.Voltaire s'installe à la cour de Frédéric II de Prusse. ?1755.Début du séjour au Délices à Genève. "Candide ou l'optimisme» est publi en 1759. ?1758.Voltaire achète Ferney, dont il fait une petite ville. ?1762.L'affaire Calas éclate à Toulouse. ?1778.Mort en apothéose à Paris le 30 mai.ED

Bioexpress

La fin du XVIIIe siècle connaît

une bullition intellectuelle avec la diffusion des Lumires.

C'est comme une avalanche.

Au début, quelques flocons rou-

lent lentement. A la fin, la mon- tagne entire semble s'crouler.

Dans son admirable livre en

trois tomes surLes passions in- tellectuelles(parus chez Fayard),

Elisabeth Badinter montre bien

comment le mouvement philoso- phique, si frle et dsarm dans les annes 1730, finira par tout renverser sur son passage. Les souverains les plus despotes, comme Catherine II, se voudront ainsi "clairs».

Jusque dans les annes 1760,

les encyclopdistes avancent pourtant en terrain miné. Il leur faut lutter contre l'Eglise et le roi, tout en les assurant de leur respect. La petite victoire Calas, en 1765, change la donne.

Si, en France, Louis XV (mort

en 1774) semble encore tenir ferme la barre, il n'en ira plus de mme ensuite. Louis XVI devra constamment jeter du lest. L'Edit de tolrance de 1787 se situe ainsi dans un changement com- plet des mentalits.

La France a t branle par la

victoire de ses allis, les jeunes

Etats-Unis d'Amrique en 1776.

D'abord il s'agit d'une Rpubli-

que. Ensuite, elle s'est dote d'uneDéclaration, puis en 1787 d'une Constitution reprenant les ides des philosophes. Elle ga- rantit même le droit au bonheur.

Bientt, la justice franaise va-

cillera. Louis XVI abolira en 1780 la torture. Le docteur Guillotin conoit un supplice enfin indo- lore. Les esprits forts s'attaquent aux privilges de la noblesse, qui seront abolis, tout au dbut de la

Rvolution, le 4 aot 1789.

Voltaire, Rousseau ou Diderot

l'avaient-ils voulue, cette Rvolu- tion? Sans doute pas. Ils n'en avaient mme pas l'ide. Leur responsabilit se verra pourtant retenue. Pour la bourgeoise fri- leuse du XIXe sicle, ce trio infernal avait permis tous les dsordres. C'est la faute Vol- taire. C'est la faute Rousseau, chante-t-on dansLes Misérables. (ed)

Uncafédessciences

surl'astronomie

A l'occasion de ses 450 ans,

l'Universit de Genve organise une srie d'vnements tout au long de l'anne. Elle propose ainsi un caf scientifique sur le thme de l'astronomie, profitant du fait que 2009 co ncide avec le

400e anniversaire des premires

observations ralises par

Galile avec une lunette. Cette

rencontre, qui se tiendra jeudi

7 mai Uni Dufour de 18 h 30

20 h, permettra au public de leur

poser les questions qu'il souhaite sur ce que l'on considre comme la plus ancienne des sciences.

A travers les sicles, l'astrono-

mie a en effet permis de trouver des rponses certaines des questions les plus fondamentales que l'humanit se soit poses: quelle est la nature des astres dans le ciel? Quelles sont les lois qui gouvernent leurs mouve- ments? Quelle est l'origine de l'univers?

Caf scientifique, jeudi 7 mai,

de 18 h 30 20 h, la caftria d'Uni Dufour avec Gilbert Burki (directeur du Dpartement d'astronomie, UNIGE), Sylvia Ekstr m (Facult des sciences,

UNIGE), Pierre Dubath (Integral

Science Data Centre, UNIGE),

Gregory Giuliani (prsident de la

Socit astronomique de Ge-

nve). Modrateur: Emmanuel

Gripon, journaliste.Anton Vos

Rousseau par La Tour.A l'ori-

gine de 1789? Oui, mais par extrapolation.(DR) ?Vendrediprochain:Denis ?deRougemontetleCERN

A l'occasion du 450

e anniversaire de l'Université de Genève, la "Tribune de Genève» et l'alma mater présentent la genèse de 20 idées nées dans la région et qui ont changé le monde. /2013

1870185017981787190519942009

après

Antoine

Carteret

DE LA RUPTURE À AUJOURD'HUI

Infographie: I. Caudullo.

Photo: O. Voqelsanq,

S. Iuncker Gomez.

Textes: E. Dumont.

James Fazy donne une parcelle des terrains libérés par la démolition des fortifications à toute religion qui en ferait la demande. Apparition d'une église orthodoxe, d'une synagogue et d'une loge maçonnique ouverte.

Séparation de l'Eglise

et de l'Etat en France.

Genève suit en 1907.

Les TPG refusent une campagne

de publicité athée, toujours pour ne pas faire de vagues.

Louis XVI promulgue l'édit de tolérance.

Les protestants retrouvent leurs droits

perdus en 1685. Les juifs devront encore attendre.

Annexée par la France et devenue chef-lieu

du Département du Léman, Genève se retrouve multiconfessionnelle.

La glaciation provoquée par le Concile

Vatican amène l'Etat genevois à s'appuyer

sur ses dissidents, les Vieux-catholiques.

C'est le Kulturkampf d'Antoine Carteret.

Genève censure "Mahomet»

de Voltaire, afin de ne pas choquer les musulmans.quotesdbs_dbs46.pdfusesText_46

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