[PDF] LES PARADIS ARTIFICIELS COMME MOYENS DÉCHAPPER AU

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T.C.

ANKARA ÜNøVERSøTESø

SOSYAL Bø/øMLER ENSTøTÜSÜ

BATI DøLLERø VE EDEBøYATLARI

(FRANSIZ Dø/ø VE EDEBøYATI)

ANABø/øM DALI

LES PARADIS ARTIFICIELS COMME MOYENS D'ÉCHAPPER AU

SPLEEN DANS L'OEUVRE DE BAUDELAIRE

Doktora Tezi

Lama Alkhani

Tez DanÕúmanÕ

Prof. Dr. Nedim Kula

Ankara-2009

Remerciement

Je voudrais exprimer tous mes profonds remerciements et toute ma reconnaissance à Monsieur le Professeur Nedim Kula d'avoir accepté de diriger cette thèse et de m'avoir consacré généreusement son temps précieux. J'adresse spécialement mes remerciements à Madame le Professeur Tuna Ertem. Car elle m'a facilité la tâche par ses encouragements et ses conseils aimables. Il m'est particulièrement agréable de temoigner ma gratitude et ma reconnaissance à tous les professeurs du Département de langue et littérature françaises de leur aide et soutien. Je tiens également à remercier les éminents membres du jury pour avoir accepté l'étude de cette thèse. Je remercie ma chère mère, mon mari et mon amie Serpil pour leurs encouragements. Sans leurs appuis je n'aurais jamais pu la terminer. LES PARADIS ARTIFICIELS COMME MOYENS D'ECHAPPER AU

SPLEEN

DANS L'OEUVRE DE BAUDELAIRE

TABLE DES MATIÈRES

-LA PREMIERE PARTIE:LA SOURCE DU SPLEEN BAUDELAIRIEN.........9 CHAPITRE I: L'influence de la formation chrétienne sur sa vie CHAPITRE II:Le rôle primordial de la mère dans son univers CHAPITRE III: L'analyse du "Mal du siècle" s'emparant de toute son existence..................................................31 -LA DEUXIEME PARTIE: LES PARADIS ARTIFICIELS COMME MOYENS D'ECHAPPER AU SPLEEN.................................................................40 CHAPITRE I: Le vin..................................................................41 CHAPITRE II: L'opium- le hachisch..............................................52 CHAPITRE III: La femme...........................................................61 CHAPITRE IV: Le Voyage..........................................................75 CHAPITRE V: La révolte.............................................................85 CHAPITRE VI: La Mort..............................................................93 -LA TROISIEME PARTIE: L'APPARITION DE LA FACULTE DE FRANCHIR LES LIMITES DE L'ATROCE REALITE............................103 CHAPITRE I: La fascination qu'exercent certains littéraires sur sa condition - Victor Hugo............................................................... 105 - Thomas de Quincey.........................................................110 - Edgar Allen Poe.............................................................113 - Théophile Gautier...........................................................119 CHAPITRE II: L'éveil des sens visuels, auditifs et olfactifs..................124 CHAPITRE III: L'originalité résidant dans la détermination de la distance entre le Spleen et l'Idéal.....................................136 - BIBLIOGRAPHIE...............................................................................151

1INTRODUCTION

Il semble qu'on a tant écrit sur Baudelaire qu'il ne reste plus rien à écrire, et pourtant depuis plus d'un demi siècle, Baudelaire n'a cessé d'être au centre de l'attention que la critique a consacrée à la poésie. Son génie est toujours présent. Le domaine baudelairien est tellement vaste qu'aucune recherche ne parvient jamais à le compléter. Car il y en a encore un excès de marge à l'imagination. Baudelaire lui-même demande qu'une oeuvre d'art ouvre de profondes avenues à l'imagination la plus voyageuse. Parler en cent cinquante pages d'un écrivain aussi vaste, aussi complet que Baudelaire est sans doute une gageure. On peut imaginer des titres, des chapitres absents de cette thèse. Mais nous avons préféré nous en tenir à ce qui nous semblait le plus essentiel. Nous avons choisi Baudelaire et comme thème les moyens d'échapper à son Spleen, parce que Baudelaire représente la génération novatrice dans le domaine littéraire. Notre seul ambition est de présenter le Spleen baudelairien et de mettre en lumière les moyens d'échapper à cet ennui en introduisant quelques aspects de la vie personnelle et artistique qui étaient à la source du Spleen de Baudelaire. Pour se libérer du Spleen, il fallait créer des paradis imaginés. Les paradis artificiels pour Baudelaire, c'est la certitude d'une existence meilleure. Avant de passer au plan de notre étude, il nous paraît utile de présenter la poésie baudelairienne en quelques lignes.Mais nous passerons en revue d'abord la signification du Spleen chez Baudelaire , sans rentrer aux details que nous allons aborder plus tard.

2 Le Spleen est, selon Starobinski, le successeur de la mélancolie,tandis que

Diderot évoque le Spleen comme un malaise .Chateaubriand voit dans le Spleen une maladie. Mais jusqu'à Baudelaire, l'usage du mot Spleen reste marginal. Le génie de Baudelaire est d'avoir fait de ce mot un Mal et un mythe. Le Spleen Baudelairien porte la marque propre des maux du XIXème Siècle. Le Spleen se manifeste sous la plume de Baudelaire avec des caractères singuliers.C'est lui qui ouvre la voie de la nouveauté, de l'originalité et mobilise toute notre capacité d'attention. Benjamin Fondane écrit sur l'originalité de Baudelaire:"Il est peu d'écrivains qui aient eu une conscience plus claire et plus pénétrante des moyens, des buts et de la signification de leur art, que Baudelaire." 1 Poète controversé et violemment attaqué de son vivant, Charles Baudelaire est le plus salué après sa mort. Il est qualifié comme "le vrai Dieu" par Rimbaud et "le premier surréaliste" par Breton. Valéry écrit que Baudelaire est "le plus important des poètes". D'autres trouvent en lui le plus grand archétype du poète à l'époque moderne et dans tous les pays. Il est aussi considéré comme le maître à penser des symbolistes. Par ses oeuvres novatrices et provocantes, Baudelaire incarne à lui seul la modernité littéraire. Il est aussi un nom très important dans l'histoire de la critique d'art.Baudelaire est l'un des auteurs les plus lus, les plus traduits et les plus commentés du monde. Son destin est d'être un perpétuel déclassé; dans la vie par

rapport à la société et à sa famille, ainsi que déclassé dans l'histoire littéraire, sans

école, sans disciples et suspendu entre deux époques. Il est à la croisée des chemins.1 Benjamin Fondane,, Éditions complexe, Paris, 1994, p.37

3 Bien que l'on retrouve dans son inspiration poétique de nombreux traits du

romantisme, il se rallie à la réaction parnassienne. Mais il annonce par sa théorie des correspondances, la doctrine symboliste qui triomphe à la fin du siècle. Charles Baudelaire est donc un poète de transition entre le Romantisme, le Parnasse et le Symbolisme. Il se sépare du Romantisme pittoresque par sa curiosité de l'homme intérieur, et également par sa conception classique de l'art. Mais il s'inspire fortement des romantiques en héritant leur maladie du siècle "La libido sentiendi", qui était le fond de leur romantisme qui s'exaspère en lui jusqu'à une sorte d'hystérie. Malgré cela, Baudelaire ne peut guère être qualifié comme poète romantique même si l'on y trouve des traits du lyrisme. Son Spleen est influencé inconsciemment par la mélancolie de l'esprit romantique. L'école des parnassiens initiée par Théophile Gautier qui proclame le culte de l'art pour l'art et de la forme pure, influence également la poésie baudelairienne. On trouve beaucoups de traits de cette école dans plusieurs poèmes de Baudelaire, sans jamais le classifier comme parnassien. Il admirait leur forme et l'idée de parenté de la poésie avec les arts plastiques. Il est possible de trouver dans les poèmes de Baudelaire des traces de presque tous les courants littéraires. Contre le positivisme du Parnasse, il est considéré comme le précurseur des symbolistes. Le but essentiel des symbolistes est de fonder l'art sur une vision symbolique et spirituelle du monde. Ce courant cherche à s'expliquer, grâce à la musicalité et à des mots symboliques. Le mot "symbole", orné de plusieurs sens se manifeste pour la première fois en 1852, dansCorrespondances, le poème de

Baudelaire.

C'est grâce à Baudelaire que la porte du symbolisme s'ouvre. C'est lui qui en donne la formule. Sa sensibilité maladive le conduit à percevoir derrière le monde matériel un monde occulte.

4 Bonneau écrit que Baudelaire est"un faisceau de liens invisibles par quoi les

choses communiquent entre elles. C'est là le sens de ce beau sonnet des Correspondances qui peut être regardé comme la première profession de foi symboliste." 2 L'expérience poétique de Baudelaire et sa faculté spirituelle de saisir constituent le centre de sa doctrine symboliste. Baudelaire ouvre les portes également pour la modernité de la poésie. Précurseur du Symbolisme, Baudelaire par ses crée la première oeuvre qui introduit le souffle moderne dans le lyrisme. Il peut être considéré comme le carrefour de son siècle. Il constitue une synthèse plus ou moins paradoxale des courants littéraires ou artistiques qui l'ont précédé, côtoyé ou suivi. La modernité de Baudelaire résulte du fait qu'il cherche son profit poétique dans des terrains vagues et maudits comme la drogue et l'enfer pour échapper de son

Spleen à une splendeur séduisante.

Selon lui, la souffrance la plus aiguë, atroce et complexe pour l'homme moderne est le Spleen. C'est pourquoi on trouve nécessaire dans la première partie de notre sujet, d'étudier la source de son Spleen en trois chapitres. Le premier chapitre porte sur l'influence de la formation chrétienne sur sa vie privée. Nous avons visé à remarquer l'influence de la religion sur l'âme baudelairienne qui est à la recherche d'un écho de son ennui. Dans ce chapitre nous allons aborder le mysticisme baudelairien et ses origines ainsi que le sens du Mal et du Bien chez lui en étudiant son adoration de Satan et son âme agitée entre deux postulations. La poésie de Baudelaire est certainement de nature métaphysique et religieuse. Mais il s'agit moins de religion que d'esthétique.2

Georges Bonneau,, Boivin &Cie, Paris,

1930, p.20

5Dans le deuxième chapitre, nous allons révéler la figure de sa mère qui a joué un

rôle primordial dans son univers énigmatique et qui est à l'origine de toutes ses souffrances puisqu'elle est l'être qui a compté le plus dans sa vie. Les accusations que porte Baudelaire vers sa mère Caroline, affectuent profondément le choix baudelairien dans sa vie personnelle et littéraire. L'analyse du"Mal du Siècle"sera le sujet du troisième chapitre. Nous allons mettre en lumière pourquoi le problème du Mal occupait si passionnément l'âme baudelairienne. Pour mieux pénétrer dans son Spleen personnel et artistique, il nous a paru utile d'étudier l'origine de tout le Mal extérieur. Nous allons chercher l'origine du mot Spleen,et la différence de son utilisation. La nouveauté de l'art baudelairien est d'avoir déclaré que le Spleen est un vice.Nous pénétrons dans quelques poèmes de Baudelaire qui montrent les particularités de son

Spleen.

Bref, nous allons essayer de comprendre pourquoi le Mal est au centre des préoccupations baudelairiennes.Est-ce le Mal qui motive le poète pour créer le Beau et les Paradis artificiels? La deuxième partie constitue le coeur de notre étude qui vise à chercher la cause pour laquelle Baudelaire choisit"Les Paradis artificiels" comme moyens de fuir son Spleen. C'est pourquoi, nous avons trouvé nécessaire de présenter chaque moyen dans un chapitre à part.Cette partie est d'une importance capitale dans l'ensemble de la thèse. Baudelaire aspire à un autre monde parce que son âme est en exil et le Spleen pèse sur son coeur. Les"Paradis artificiels" pour lui sont une recherche d'un ailleurs qui l'emmène à n'importe où hors de ce monde. Il cherche le refuge de son Spleen dans l'ivresse du vin et du hachisch. Cette recherche de l'ivresse est absolument décisive et sérieuse dans l'éthique

6baudelairienne. L'éloge de l'ivresse comme source de vie est d'une perspective

religieuse chrétienne. L'équivalence entre le vin et le sang dans la section du Vin dans est induite par la culture catholique de Baudelaire. Nous examinerons et les autres oeuvres qui montrent l'influence de la drogue sur la création poétique et les effets des stupéfiants qui amplifient les facultés poétiques .Nous allons constater que l'ivresse vise à enrichir l'esprit par l'imagination d'un paradis libératrice du Spleen. La femme chez Baudelaire, se caractérise par la coexistence des deux aspects les plus contradictoires ,et par une vision pleine de sensualité et d'esthétisme. Notre poète fréquente plusieurs fgures feminines réelles ou imaginées.Nous allons identifier chaque figure à part. De nombreuses figures féminines apparaissent dans la vie et l'oeuvre de Baudelaire. Avec Jeanne Duval, le poète chante surtout l'ivresse de la sensualité et l'influence satanique. Madame Sabatier représente, au contraire, une figure idéalisée exerçant sur lui la plus favorable des influences, et le rassurant contre la montée du Spleen.Quant à Marie Daubrun, il découvre avec elle le mystère inquiétant de ses yeux verts et le charme de sa jeunesse.Nous passerons en revue les autres figures feminines moins importantes aussi. Nous allons assister à des diverses images de la femme,comme inspiratrice à ses oeuvres et comme source et remède du Spleen baudelairien. Trouver un abri dans des voyages donne le goût de l'exotisme. Nous examinerons le voyage comme un moyen d'évasion, qui l'éloigne de l'enfer de la réalité dans le quatrième chapitre. L'invitation au voyage chez Baudelaire est un pélèrinage vers un monde sans ennuis . Dans le cinquième chapitre, nous mettrons en lumière le thème de la révolte baudelairienne dans le domaine social et littéraire. Révolté contre tout,spécialement contre les lois de la socièté et sa condition terrestre, la mort lui paraît comme dernier

7moyen d'échappement. Or, toutes les tentatives d'évasion aboutissaient en somme à

un échec et tout plaisir n'était que momentané.Il lui fallait rechercher un autre moyen dans l'au-delà. Nous étudierons le rapport entre la mort et le Spleen , la mort ,envisagée non comme une fin mais comme un passage vers un univers réconcilié,qui est d'une résonance particulière chez Baudelaire. Dans la troisième et la dernière partie, nous avons choisi quelques noms des littéraires qui ont le plus d'influence sur ses pensées; Hugo, De Quincey, Poe et Gautier. Ainsi à cette partie, il fallait ajouter deux chapitres; l'un sur l'éveil des sens visuels, auditifs et olfactifs dans la poésie baudelairienne,et l'autre sur son originalité résidant dans la détermination de la distance entre le Spleen et l'Idéal. L'influence de certains poètes français ou étrangers aboutit à des poèmes magnifiques de notre poète. Il nous paraît intéressant dans le premier chapitre, d'examiner toutes ces influences,tous les emprunts, et la valeur qu'ils acquièrent dans l'oeuvre baudelairienne. Notre but est d'étudier cette influence comme facteur d'originalité dans les oeuvres de Baudelaire. Nous allons étudier les relations Hugo-Baudelaire qui sont placées sous le signe de complexité et de contradiction. Nous allons constater que l'activité de traduction a permis à Baudelaire de se confronter intimement à la pensée des autres auteurs,celle d'Edgar Poe et de Quincey en particulier.On remarque les éléments de fraternité entre ces deux poètes et Baudelaire. Nous examinerons l'intensité des inspirations qu'éffectuent les écritures de Gautier sur les idées et le style de Baudelaire. Pour voir ce que représente l'influence de la doctrine de l'art pour l'art sur son âme toujours grande admiratrice de l'art. Nous allons ensuite insister sur l'influence rénovatrice de ces auteurs sur ses oeuvres.

8 Baudelaire éveille aussi chez le lecteur les sens auditifs,visuels et

olfactifs.C'est le thème de notre deuxième chapitre dans la troisième partie.Il nous a paru important d'analyser les évocations diverses de ces trois sensations.Nous allons étudier le mélange heureux des sens qui enrichit l'imagination et qui peint les traits de ses Paradis Artificiels.Nous allons pouvoir toucher et sentir les poèmes de Baudelaire .La synesthésie baudelairienne agit en harmonie remarquable. En effet, pour mieux comprendre le Spleen baudelairien ,il fallait ajouter un dernier chapitre sur l'originalité résidant dans la détermination de la distance entre le Spleen et l'Idéal.Engouffré dans la boue du Spleen ,Baudelaire vise à atteindre l'Idéal. Nous allons constater que ce conflit pérpétuel entre ces deux germes s'inspire de la philosophie Platonicienne qu'on mettra en lumière avant de déterminer la nature de la lutte entre le Spleen et l'Idéal. Tout ce que nous examinerons risque de ne pas compléter le sujet qu'on a choisi. Car l'étude des oeuvres de Baudelaire restera toujours inachevée pour un poète si difficile puisqu'il donne tant d'espace à notre imagination. Mettre en lumière le Spleen baudelairien et ses moyens d'y échapper n'est pas une mission facile pour un auteur si grand et si vaste. Qu'on veuille nous pardonner si ce travail n'a pas pu compléter tous les traits de notre sujet. Le Spleen de Baudelaire ne peut guère être enfermé dans les limites d'une formation composée de quelques pages.

9PREMIERE PARTIE

LA SOURCE DU SPLEEN BAUDELAIRIEN

10CHAPITRE I

L'INFLUENCE DE LA FORMATION CHRÉTIENNE DANS SA VIE

PRIVÉE

Baudelaire avait reçu dans son enfance une éducation chrétienne surtout de sa mère pieuse. Mais l'âme agitée du poète le pousse à chercher un abri loin de son angoisse intérieure. Il se demande alors sur la création de l'homme. Il est donc bien utile de jeter un coup d'oeil sur l'histoire de la création du monde et de l'homme d'après la Bible avant d'analyser le catholicisme de

Baudelaire.

"Dieu créa le Ciel et la terre"

3. C'est avec cette phrase que commençait

l'Ancien Testament. Dieu a voulu faire"l'homme à son image"4, et lui a donné une âme immortelle, l'a mis dans un jardin délicieux, un paradis terrestre. Dans le paradis terrestre, l'homme avait goûté la plénitude, le bonheur, le calme. La femme séduite par le serpent rusé n'a pas obéi à l'ordre divin et a mangé avec Adam le fruit de la science du bien et du mal. Cependant, l'ordre divin était trés clair dans l'Ecriture: "...ne mangez point du fruit de l'arbre de la science du bien et du mal, car aussitôt après que vous en aurez mangé, vous mourrez." 5 Du coup, l'homme, touché par la curiosité de la connaissance et du matériel, s'est tourné vers le temporel et a lié son destin à la vie avec ses jouissances et ses

satisfactions; alors il a été condamné à perdre son paradis terrestre et sa vie éternelle.3

, Einsiedeln, en Suisse, 1884, p. I4 Ibid. p. 25 Ibid, p. 3

11Baudelaire juge la punition divine d'injuste et se tourne vers le Satan qui ne s'est

jamais courbé, et qui n'a jamais été soumis à la volonté de Dieu. L'âme baudelairienne se balance sans cesse entre la notion du mal et celle du

bien, et la religion n'est pas entièrement étrangère à la pensée de Baudelaire qui écrit

dans: "Il y a dans tout homme, à toute heure, deux postulations simultanées, l'une vers Dieu, l'autre vers Satan. L'invocation à Dieu, ou spiritualité, est un désir de monter en grade; celle de Satan, ou animalité; est une joie de descendre." 6

En étudiant ses et sa, on se rend compte

que la doctrine de la chute est la pierre angulaire da sa pensée, que toute son expérience spirituelle est construite autour d'elle et qu'il se sent par là en possession d'une vérité inestimable, méconnue de la plupart de ses contemporains. A la fin de "Bénédiction", le poète, maudit par les hommes, bénit Dieu et chante un hymne à la vertu rédemptrice de la douleur: "Soyez béni, mon Dieu, qui donnez la souffrance comme un divin remède à nos impuretés

Et comme la meilleure et la plus pure essence

Qui prépare les forts aux saintes voluptés!...

Je sais que la douleur est la noblesse unique

Où ne mordront jamais la terre et les enfers,

Et qu'il faut pour tresser ma couronne mystique

Imposer tous les temps et tous les univers..."

7 La croyance en la perversité humaine, suscitée et avivée par l'action diabolique, est toute la philosophie des; d'ailleurs le titre, non trouvé par lui, fut proposé par Hippolyte Babou, mais aussitôt admis comme la trouvaille6

Charles Baudelaire,, édité par J. Crépet et G. Blin, Corti, Paris,1949, p.627 Charles Baudelaire,,"Benédiction", L'Aventurine, Paris 2000, p.31

12nécessaire et révélatrice:, ce sont les Fleurs du Péché. On pense

parfois, en le lisant, à un janséniste libertin. Son catholicisme se concentre dans la notion du mal. Il est bien clair que l'originalité de Baudelaire n'est pas d'avoir mis l'accent sur le problème du mal, vieux comme l'humanité mais d'en avoir généralement tiré une conception nouvelle de la poésie et de l'art. Il nous a paru nécessaire de comprendre comment la notion du Mal s'est emparée de son âme mélancolique et a fini par dominer son esthétique. Charles Baudelaire, dès son enfance, commence à sentir une révolte contre sa propre existence, contre sa mère, contre la disparition de son père, contre l'adoption du Général Aupick dans le foyer familial et contre Dieu, l'organisateur de tous ses incidents sinistres. La mort de son père crée en lui un divorce avec l'église et le prive du seul médiateur avec la religion. Dès le début de la formation chrétienne et morale du poète, son âme reçoit, consciemment ou non, une orientation vers la révolte. Le rôle de son père, l'ancien

prêtre défroqué, dans la formation a été déjoué par la mort. Le cas de la mère

Caroline est plus significatif. Elle est tendre, libérale, d'esprit large, fort peu janséniste. Mais dès qu'il s'agit de la religion, elle se ressaisit, se montre "scrupuleuse et presque rigoureuse."

8Elle déclare son opposition à la publication

du "Reniement de Saint Pierre" dans l'édition posthume des, opposition qui ne cède que devant l'argument:"Charles n'est pas là pour se défendre. Il est impossible de croire, dit Armand Colin, qu'une femme dont la pitié n'a jamais fléchi au cours de sa vie ait négligé la formation religieuse de son fils." 9 M. Aupick est encore plus chrétien que son beau-fils et il aspire à faire de lui un bon chrétien. Mais son intervention a eu des effets négatifs sur Baudelaire qui le détestait.8 Armand Colin, Ruff, Paris, 1955, p.1499 Ibid, p.149

13Le général Aupick était élevé dans la région boulonnaise assez imprégnée de

jansénisme, elle aussi. Il est bien assuré qu'il est inflexible sur les questions de droiture et de morale. Ses dernières volontés commencent par une profession de foi solennelle, démontrée dans une note janséniste: "Chrétien, je meurs dans le sein de Notre Sainte Église Catholique,

Apostolique et Romaine.

Je prie mon Créateur de recueillir dans sa miséricorde infinie ma pauvre

âme avec ses souillures.

Créature imparfaite, j'ai péché, j'en demande pardon à Dieu et aux hommes. Je demande à ceux que j'ai pu blesser sciemment ou autrement dans leurs intérêts ou affections de me pardonner comme je pardonne du fond de mon coeur à ceux qui ont pu être mes ennemis." 10 L'enfance de Charles n'est pas si malheureuse. Elle est austère et pieuse aussi:"Dès mon enfance, tendance à la mysticité. Mes conversations avec

Dieu."

11La notion du Mal s'introduit dans son âme enfantine avec sa résonance

religieuse, associée plus ou moins confusément à l'idée d'une faute ou d'une corruption originelle. Le passage à l'adolescense ayant un tempérament sensible, entraine un bouleversement violent dans son âme éveillée à la présence du Mal. Le cynisme alterne sans transition avec le mysticisme. Il est remarquable que dès ses premiers contacts avec la littérature, Baudelaire s'oriente vers les oeuvres qui exposaient le problème du Mal en terme spirituel. Les années de lycée et de la pension comme internat ont aussi une influence profonde sur sa notion du Bien et du Mal. Et sa vie interieure semble perdre la pureté religieuse et morale des premiers temps de la pension Bailly. Tout de même, dans ses10

Féli Gautier,Mercure de France,Paris, 1905, vol.LIII, pp.195-19611 Charles Baudelaire,, Éditions d'André Guyaux,Gallimard,Paris, 1975, p. 81

14lettres à sa mère, il confesse son désarroi en même temps que son besoin de prier un

être tout puissant comme Dieu, pour venir à son aide: "Et Dieu!" diras-tu. Je désire de tout mon coeur (avec quelle sincérité, personne ne peut le savoir que moi!) croire qu'un être extérieur et invisible s'interesse à ma destinée; mais comment faire pour le croire?" 12 Il confirme ici cette persistance d'un besoin de Dieu et de la croyance religieuse; une inquiétude religieuse qui ne le laisse pas en paix. Son agitation d'âme et son désarroi n'ont d'autre issue que sa religion. Et les rites ont des résonances surnaturelles et n'ont rien à voir avec le monde; ils survolent les générations et en composent le ciel immuable. Cette loi, selon Guillan de Bénouville,

13trouve chez

Baudelaire une illustration qui reste généralement incomprise. De l'oeuvre immense de Baudelaire, il n'est pas aisé de tirer une éthique, mais il ne faut pas pour cela nier une cohésion et une soif de Dieu, qui aboutissent au catholicisme le plus formel. Catholique, il l'est surtout par sa conception de Dieu, et son malheur incroyable -selon G. Bénouville-naît de l'exaltante contrainte que lui impose sa foi, qui le maintient loin de Dieu. Baudelaire a une conception bien catholique du péché, dont la face brutale lui apparaît inconsciemment moins repoussante, parcequ'il est animé par l'espoir d'être traité par Dieu, comme l'enfant prodigue par son père. Baudelaire ne se sent pas dans le péché seulement par sa sensibilité et sensualité, mais aussi parcequ'il ne travaille pas assez, il ne gagne pas encore sa vie et s'enfonce dans le désordre. Sa tendance envers le vice est un moyen d'évasion. Or, ; c'est le Spleen, c'est la mélancolie impuissante, c'est l'esprit de12

Charles Baudelaire,,, Gallimard, Paris,

1973,"Lettre à Mme Aupick", 6 mai 1861, p.23713 Guillan de Bénouville "", Grasset, Paris 1936, p.57

15révolte, c'est le péché. Car, souvent"nos vertus mêmes naissent de leurs

contraires." 14 Le problème du christianisme dans less'est posé dès la parution du livre. Les difficultés commencent quand on cherche à refléter la nature religieuse baudelairienne et à définir son Dieu. Selon Émile Verhaeren, Baudelaire est"un chrétien raté et non pas un athée, mais son christianisme demeure obsédé par le mal."

15 Il trouve que

Baudelaire est à la fois celui qui veut croire en Dieu et celui dont l'expérience est confrontée inexorablement à la perte de toute foi. Baudelaire, selon Verhaeren est celui qui a le mieux traduit l'âme de son temps. La popularité de Baudelaire et son actualité, seraient dues au fait que la deuxième moitié du XIXème Siècle partage avec le XVème Siècle, une haine profonde pour la religion. Baudelaire a su prendre partie de ce sentiment tout en demurant lui-même superstitieux, pour pouvoir garder des distances avec le positivisme ambiant.

Par contre Pierre Emmanuel

16trouve que Baudelaire reconnait presque

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