Annales français Terminale A
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UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL
Faculté des Arts et des Sciences
Département de littératures
et de langues du mondeThèse de doctorat
en Littérature comparée Option Études littéraires et intermédialesUNIVERSITÉ SORBONNE NOUVELLE
PARIS 3
École Doctorale 267 Arts & Médias
IRET - EA 3959
Thèse de doctorat
en Études théâtralesENTRE THÉÂTRE ET POÉSIE :
DEVENIR INTERMÉDIAL DU POÈME ET DISPOSITIF THÉÂTRALAU TOURNANT DES XX
eET XXI
eSIÈCLES
par Cyrielle DODETThèse réalisée en cotutelle,
présentée à la Faculté des Arts et des Sciences en vue de l'obtention du grade de Ph. D. en Littérature comparée, option Études littéraires et intermédiales octobre 2015©, Cyrielle Dodet, 2015
͵Entre théâtre et poésie : devenir intermédial du poème et dispositif théâtral
au tournant des XX e et XXI e sièclesRésumé :
Désireuse de s'affranchir d'une approche essentialiste et figée de la poésie au théâtre
ainsi que d'une lecture générique, cette recherche envisage selon une méthodologieintermédiale les relations entre théâtre et poésie. En analysant un corpus témoin composé de
créations textuelles et scéniques, elle montre comment la présence active de la poésietravaille le théâtre, et partant, elle les précise tous deux par leurs interactions. La première
partie établit une généalogie de l'intermédialité du théâtre et de la poésie, et des liens
dynamiques entre théâtre et poésie. Tout au long du XX e siècle, poésie et théâtre se sont en effet affirmés comme des " hypermédias » (Kattenbelt), mettant respectivement en jeu diversmédias, tandis que plusieurs dramaturges ont développé des poésies théâtrales explorant des
processus intermédiaux. Sont dégagées et analysées quatre configurations spécifiques à
travers les oeuvres et réflexions de Mallarmé et Maeterlinck, de Stein et Artaud, de Gauvreauet Novarina et à travers la poésie transmédiale que Cocteau développe entre théâtre et
cinématographe. Consacrée au tournant des XX e et XXI e siècles, la deuxième partie élaboreune approche théorique du poème théâtral, qui actualise les relations entre théâtre et poésie.
Le poème théâtral constitue un dispositif intermédial qui, selon un modèle élaboré par Ortel
et Rykner, articule inextricablement trois niveaux : technique, pragmatique et symbolique. Plusieurs traits précisent ce dispositif : sa radicalité dynamique, sa performativité, sa valorisation de l'écriture comme processus, et sa façon de considérer l'impossible comme moteur théâtral. Des analyses d'oeuvres textuelles et scéniques de Kane, Malone, Danis, Régy et Lemoine montrent ensuite comment ce dispositif intermédial est activé et ce que lepoème théâtral propose au lecteur et au spectateur comme expérience esthétique. Saisir le
devenir intermédial de la poésie au théâtre permet de penser un modèle interartial placé sous
le signe de l'hospitalité, où les arts, égaux, dialoguent entre eux et échangent, en faisant
travailler ensemble leurs hétérogénéités et leurs altérités.Mots-clés : Théâtre, poésie, poème, intermédialité, dispositif, média, interartialité,
contemporain. apparatuses at the turn of the twentieth and twenty-first centuries.Summary :
In an effort to do away with an essentialist, rigid, and generic approach to poetry in dramatic works, this research looks at the relationship between poetry and drama using an intermedial methodology. By studying a sample corpus made up of textual and theatrical works, this thesis shows how the active presence of poetry is at work in theatre, thereby redefining each of the two concepts through the ways in which they interact. The first chapter traces the genealogy of intermediality within poetry and drama, and that of the dynamic connections between drama and poetry. Throughout the twentieth century, poetry and theatre have come to be seen as " hypermedia » (Kattenbelt), each of them bringing into play various types of media. Meanwhile a number of playwrights started developing dramatic poems exploring intermedial processes. This research identifies and analyses four distinct forms in the thought and works of Mallarmé and Maeterlinck, Stein and Artaud, Gauvreau and Novarina, through the transmedial poetry developed by Cocteau at the confines of drama and cinematography. With a focus on works from the turn of the twentieth to twenty-first century, the second chapter offers a theoretical approach to the dramatic poem, that seeks to bring an updated approach to interactions between drama and poetry. The dramatic poem is an intermedial apparatus that, in Ortel and Rykner's view, inextricably combines the technical, the pragmatic and the symbolic. This apparatus is characterised by its dynamic radicalism, its performativity, its focus on the value of writing as a process and the way in which it conceives of impossibility as a dramatic driving force. Analyses of textual and dramatic works by Kane, Malone, Danis, Régy and Lemoine suggest how intermedial apparatuses are triggered and the kind of aesthetic experience the dramatic poem offers to readers and viewers. Contemplating intermedial processes of poetry in theatre allows for the reframing of an interartial model in an inclusive, hospitable fashion, where all art forms are considered equal, engage in dialogue and exchange, and combine their differences towards a common object. Key-words : drama, theatre, poetry, poem, intermediality, apparatus, media, interartiality, contemporary.ͷRemerciements
Je tiens tout d'abord à remercier très chaleureusement mes directeurs de recherche Jean-Marc Larrue et Arnaud Rykner qui m'ont accompagnée avec passion et générosité.Grâce à leurs spécialités respectives, à leur profonde curiosité et à leur réelle ouverture
d'esprit, ils m'ont permis de vivre pleinement l'expérience de la cotutelle. Je les en remercieensemble et respectivement. Je leur suis très reconnaissante de la qualité des échanges qu'ils
m'ont offerts. Je souhaite aussi remercier Denis Guénoun et Wladimir Krysinski avec qui j'ai entamé mes recherches doctorales. Mes études si enthousiasmantes au département deLittérature comparée de l'Université de Montréal, c'est à Wladimir Krysinski que je les dois.
Je tiens à lui témoigner ici toute ma gratitude. Je remercie l'Institut d'Études théâtrales de Paris III au sein duquel j'ai l'immense plaisir d'enseigner depuis 2012. Merci plus particulièrement à Sylvie Chalaye et à Pierre Letessier de m'avoir offert de donner un cours sur les problématiques qui sont au coeur decette thèse. Les propositions et surtout les questions adressées par les étudiants ont nourri de
façon fructueuse mes réflexions. Je remercie Joseph Danan, Pierre Longuenesse et Catherine Naugrette pour leurs précieux conseils de lecture. Je tiens à remercier également Livia Monnet et Marie-Christine Lesage pour leur participation très stimulante à mon examen de synthèse en décembre 2013, à Montréal. Parce qu'ils ont oeuvré avec bienveillance etefficacité pour que mes problèmes administratifs ne soient jamais très longtemps insolubles,
je remercie sincèrement Nathalie Beaufay et Didier Mocq. Enfin, un grand merci à la Facultédes études supérieures et postdoctorales de l'UdeM pour la bourse de fin d'études doctorales
qu'elle m'a accordée. Je veux remercier les auteurs et les artistes qui ont répondu à mes sollicitations et m'ont offert des documents essentiels pour cette thèse. Merci beaucoup à Alexandre Barry, Jean-Christophe Cavallin, Brigitte Enguerand, Gaëtan Gosselin, Bertrand Krill, Jean-René Lemoine, Koichi Miura, Laurent Muhleisen et Pascal Victor. Merci infiniment à Daniel Danis et Philippe Malone qui m'ont offert de partager les chemins de leurs pensées. Je les remercie pour leur confiance et pour nos amitiés. Je souhaite remercier mes collègues et amies rencontrées à l'UdeM et à Paris III : Magali Alphand, Pauline Bouchet, Émilie Coulombe, Dominique Hétu, Elisabeth Otto, Elisabeth Routhier et Marie Vandenbussche-Cont. Je veux aussi remercier chaudement mes chers amis Marie Cazaban-Mazerolles, Johanna Krawczyk, Stéphane Resche et Zacharie Signoles pour leurs relectures estivales joyeuses, rigoureuses et ô combien stimulantes. Merci beaucoup à Romain Nguyen Van pour l'élégance précise de ses traductions anglaises et pour la bienveillance dont il a entouré mes propositions de traduction. Pour leur oreille curieuse, pour leur énergie et leur amitié, je remercie Romain Benini, Valentin Chémery, Alice Dupouy, Marion Dupouy, Cécile Eymard, Katia Gabriel, Emilie Jobin, Mathieu Leroux, Séverine Mousseigne, Flaminia Paddeu, Sara Roger, Charlotte Ruggieri, Damien Salgues, Stéphanie Soubrier et Ariane Zaytzeff. Je tiens à remercier mon frère Rémy de sa présence réconfortante en chansons. Merciprofondément à Martin Bellemare et à tous les trésors d'imagination qu'il a déployés pour
m'aider et m'encourager. Enfin, je remercie mes parents, Dominique et Michel, pour leur enthousiasme, leur écoute et leur soutien indéfectible, protéiforme, total. Je leur dédie cette thèse.SOMMAIRE
INTRODUCTION ͳ͵
PREMIÈRE PARTIE
EXPLORATIONS TRAVERSIÈRES ENTRE THÉÂTRE ET POÉSIE AU XX eSIÈCLE :
UNE GÉNÉALOGIE INTERMÉDIALE
Chapitre I. " Poésies de théâtre » au XX e siècle : mettre les médias dans tous leurs états ͷͻChapitre II. Recherches intermédiales dans quelques expériences poético-théâtrales ͳͲ͵
DEUXIEME PARTIE
LE POÈME, UN DISPOSITIF POUR LE THÉÂTRE CONTEMPORAIN Amorce : d'un poème agençant une dramaturgie ʹͳChapitre I. Débordements du poème ʹʹͳ
Chapitre II. Le poème théâtral, un dispositif intermédial ʹͷ
Chapitre III. Écritures en tension entre retrait et ostension ʹͻͳ
Chapitre IV. Des scènes poématiques ͵
Annexes ͷʹͳ
Index ͷͷͳ
Table des matières ͷͷͻ
PRÉCISIONS LIMINAIRES
Cette thèse a été réalisée en cotutelle entre l'Institut d'Études théâtrales de
l'Université Sorbonne nouvelle - Paris III et le Département de Littérature comparée de l'Université de Montréal. Sa présentation tient compte de cette double attache institutionnelle. Ces pages sont écrites au " nous », conformément aux usages qui ont coursen France et contrairement à ceux en vigueur au Québec où le " je » est de mise. Par ailleurs,
nous avons choisi de donner dans le corps du texte les citations en langues étrangères et d'en proposer une traduction en note de bas de page, selon la méthode qui prévaut en Littérature comparée. Enfin, nous souhaitons signaler qu'une partie de nos analyses portent sur desdispositions graphiques originales ; même si nous avons essayé de les reproduire de la façon
la plus fidèle qui soit, nous invitons le lecteur à consulter les éditions originales pour prendre
la mesure des jeux de graphie dans leur mise en page. Ce poème renferme une très haute et très belle idée, mais les vers sont terriblement difficiles à faire, car je le fais absolument scénique, non possible au théâtre, mais exigeant le théâtre.Stéphane Mallarmé
INTRODUCTION
1. Entre théâtre et poésie
Quelles relations entretiennent théâtre et poésie au tournant des XX e et XXI e siècles ?Cette recherche travaille à partir de deux postulats. Tout d'abord, le théâtre constitue le cadre
à travers lequel la poésie est observée : sont étudiés ici des textes de théâtre
1 , ainsi que desmises en scène. De plus, théâtre et poésie ne sont pas définis au préalable de façon
essentialiste et figée. C'est dans l'analyse de leurs interactions que leurs définitions seront
précisées. Aucune oeuvre théâtrale développant une vision définitive de la poésie ne figure dans le corpus de notre recherche pour plusieurs raisons, que nous souhaitons brièvementexpliquer en analysant Poésie ?, spectacle théâtral créé et interprété par le comédien Fabrice
Luchini en janvier 2015 à Paris
2 . En lieu et place de l'interrogation affirmée par le titre duspectacle, c'est une réflexion en action paradoxale qui est proposée sur la poésie, puisque ce
spectacle produit à notre sens ce qu'il dénonce. L'affiche publicitaire de Poésie ? - premier seuil qui pique la curiosité face à cette poésie mise en question - donne, outre le titre du spectacle et le patronyme de l'acteur, les noms de quelques auteurs : " Rimbaud, Baudelaire, Molière, Flaubert, Labiche ». Ce quiinterroge la poésie, c'est bien cette liste parce que les oeuvres de ces auteurs ne relèvent pas
toutes de la poésie conçue comme genre littéraire. Molière et Labiche se sont illustrés
comme dramaturges et Flaubert en tant que romancier 3 . La " poésie » annoncée sur lesplanches semble alors résider dans la reconnaissance que l'histoire littéraire a témoigné à ces
auteurs : la poésie désignerait la littérature dans son ensemble, comme c'était le cas jusqu'au milieu du XIX e siècle. Les partis pris dramaturgiques de Poésie ? inscrivent ce spectacle dans la lignée des lectures publiques de textes littéraires 4 que Luchini, seul enscène, a présentées dès 1985. Dans ces spectacles, la lecture s'effectue texte en main, quand
1Ces textes relèvent du théâtre pour leurs auteurs et pour les maisons d'édition qui en assurent la publication.
2Le spectacle Poésie ? a été créé au Théâtre Paris-Villette le 5 janvier 2015 et joué pendant un mois, avant
d'être présenté au Théâtre des Mathurins, où il a été programmé par la suite.
3Gustave Flaubert ne tenait d'ailleurs pas la poésie en haute estime. Comme le montre sa correspondance avec
la poétesse Louise Colet, Flaubert critique vertement la poésie qui lui apparaît comme une " école du
sentiment ». Il salue seulement quelques poètes, parmi lesquels Baudelaire. Voici la définition qu'il rédige dans
son Dictionnaire des idées reçues : " Poésie (la) : est tout à fait inutile. Passée de mode ». (Gustave Flaubert,
Dictionnaire des idées reçues, Paris, Nizet, 1966, p. 106-107.) Voir Aurélie Loiseleur, " Le Procès des poètes :
Flaubert contre "l'écume du coeur" », Flaubert, n°2, 2009, [En ligne], http://flaubert.revues.org/854, (lien
vérifié le 09/08/2015). 4Voir notamment Fabrice Luchini lit Céline créé au Théâtre du Rond-Point en 1985, Fabrice Luchini lit La
Fontaine créé en 1996 à la Maison de la Poésie à Paris, Fabrice Luchini lit Murray créé en 2010 au Théâtre de
l'Atelier. Ces spectacles ont connu plusieurs reprises et ont donné lieu à des enregistrements radiophoniques,
voire ont été diffusés sur CD. Précisons que les supports choisis favorisent la dimension sonore - et non
visuelle - de ces lectures. ͳil ne donne pas quelques extraits de mémoire. Il s'agit donc d'un type de transposition théâtrale d'oeuvres littéraires. Dans Poésie ? , Luchini, passeur privilégié de littérature, entrecoupe les lectures de réflexions ponctuelles sur ce qu'est pour lui la poésie, sur comment elle devrait êtreenvisagée au théâtre ou encore dans la société. Depuis la scène, il dit proposer une forme de
réflexion en action. Elle porte principalement sur deux pôles. Tout d'abord, selon lui, la poésie sur scène exige une façon de dire singulière - qui semble principalement vocale et ne paraît pas appeler un travail précis sur le corps. Luchini présente une diction 1 attentive au rythme de chacune des poésies qu'il profère. Soninterprétation prétend s'opposer à la " récitation scolaire », ainsi qu'aux " diseurs de
profession 2 » qu'il récuse. Pourtant, à nos yeux, son phrasé et sa gestuelle s'apparentent parfois aux travers qu'il épingle chez ces mêmes " diseurs ». Cette contradiction finit par créer une ambiguïté. De plus, Luchini répète à de nombreuses reprises que la poésie n'a pas à être comprise par la pensée, qu'elle n'appelle pas une appréhension rationnelle. On aurait alors pu s'attendre à une approche différente de celle qu'il adopte, en recourant à une palette rythmique et corporelle somme toute étroite, à des choix de mise en scène assez sommaires. Est-ce que cela ne prive pas le spectateur d'autres façons de recevoir la poésie ? Dans ce contexte, cette dernière conserve en définitive le caractère énigmatique dont elle est traditionnellement affublée, tandis que la dramaturgie de Poésie ? concourt à camper Luchini dans une posture empreinte de supériorité 3 malgré certaines marques d'autodérision. Luchini coupe la poésie du corps en la situant surtout dans la diction. À nos yeux, enconviant la poésie au théâtre, il atteste plus ses qualités imposantes d'interprète qu'il ne fait
entendre véritablement ce que la poésie peut faire et ce dont elle est porteuse. Cette fâcheuse tendance à figer la poésie en une posture déclamatoire a concouru à circonscrire le territoire de notre recherche qui se concentre, par contraste, sur la relation 1Selon lui, sa diction échappe à deux écueils qu'il souligne dès les premières minutes du spectacle : la
récitation scolaire qui ne comprend nullement le rythme du poème et la récitation théâtrale qui ne le comprend
pas mieux, puisque l'emphase qu'elle déploie la conduit à illustrer chaque mot. 2Fabrice Luchini, Poésie ?, spectacle présenté le 29 avril 2015 au Théâtre des Mathurins à Paris. Luchini
précise un exemple de ces " diseurs de profession » : il imite de façon caricaturale une comédienne qui
illustrerait chacun des mots, en déclamant un poème au Festival d'Avignon. 3Plusieurs mentions dans le spectacle contribuent à cette valorisation, notamment lorsqu'il partage l'anecdote
d'un spectateur le complimentant pour sa mémoire à la fin d'une représentation ou bien quand il mentionne les
" cent films » dans lesquels il a tourné. Cette posture peut aussi être rapprochée par moments d'une forme de
cabotinage.ͳparticulièrement dynamique qui peut exister entre poésie et théâtre. Dans leurs interactions,
le théâtre adresse bien des questions 1 à la poésie, et réciproquement. Ces questions engagent notamment le travail de la poésie sur le corps, la façon dont le théâtre peut formulerautrement l'énigme à laquelle la poésie est souvent réduite, et ce notamment grâce à son
partage avec des spectateurs. L'espace ouvert entre ces arts est foncièrement mouvant et labile, ce qui nécessite une approche prenant en compte ce dynamisme.2. Poésie théâtrale protéiforme au tournant des XX
e et XXI e siècles Cette zone dynamique entre théâtre et poésie est d'autant plus foisonnante que lesrelations entre poésie et théâtre ont connu de nombreuses métamorphoses à compter de la fin
du XIX esiècle : des expérimentations poétiques ont tendu vers la scène théâtrale, tandis que
le théâtre a multiplié les façons de recourir à la poésie, que ce soit par des procédés
d'écriture ou encore par des explorations scéniques. Ces échanges entre théâtre et poésie
sont croisés et se sont enrichis dans cet entrelacs 2 Ces métamorphoses diverses de la poésie au théâtre lui confèrent en effet une présence inédite dans la dramaturgie et dans la mise en scène à la fin du XX e siècle et au début du XXI e siècle. En France, cette présence a notamment été soulignée, dès les années1980, par la conjonction de pratiques artistiques et de discours de créateurs. Comment
auteurs et metteurs en scène recourent-ils à la poésie dans leurs oeuvres ? Premièrement, la poésie peut constituer une strate thématique dans le théâtre contemporain. Par exemple, dans sa trilogie intitulée Les Vainqueurs 3 , Olivier Py élabore une fiction dans laquelle les personnages tentent de " vivre poétiquement 4». La poésie y est
définie comme une manière d'être au monde, et même comme un " combat spirituel 5» : les
protagonistes " qui sont trois métaphores du poète 6» viennent illustrer cette définition
1 dans 1Voir Alexandra Moreira Da Silva, La Question du poème dramatique dans le théâtre contemporain, thèse de
doctorat dirigée par Jean-Pierre Sarrazac, Paris III-La Sorbonne nouvelle, 2007, p. 7. Dans son introduction, la
chercheuse souligne à quel point la question est un principe et une orientation dans sa recherche.
2Voir Brigitte Denker-Bercoff, Florence Fix, Peter Schnyder et Frédérique Toudoire-Surlapierre (dir.), Poésie
en scène, Paris, Orizons, Coll. " Comparaisons », 2015. Dans cet ouvrage, sont étudiées ensemble les façons
dont la poésie tend vers le théâtre - en particulier vers la scène - ainsi que les manières dont le théâtre
recherche la poésie. 3 Olivier Py, Les Vainqueurs, Arles, Actes Sud, 2005. 4Olivier Py, " Entretien », propos recueillis par Jean-François Perrier à l'occasion du Festival d'Avignon de
2005. [En ligne], www.festival-avignon.com/lib_php/download.php?fileID=1163, (lien vérifié le 10/08/2015).
5Olivier Py, idem.
6 Idem.ͳͺchacune des parties de la trilogie. La poésie est alors un thème structurant qui teinte
l'ensemble du texte théâtral, mais qui ne remet pas en cause la forme dramatique. En ce sens,Les Vainqueurs présente une poétisation
2 de l'écriture dramatique. Autrement dit, le texte esttravaillé par une poésie précisément déterminée, il est transformé par une idée préexistante
de la poésie - dans ce cas, le " combat spirituel ». Eu égard à cette modalité de présence de
la poésie, Les Vainqueurs se rapproche par exemple du " théâtre poétique 3» de T. S. Eliot :
la poésie s'y développe surtout comme une " ornementation du dialogue 4» et peut y être
parfois thématisée. La figure du poète est aussi fréquemment mobilisée dans le discours des
artistes sur le théâtre. Depuis la seconde moitié du XX e siècle, résonne en effet régulièrementun appel aux poètes pour " sauver » le théâtre. Ce genre d'appel a été prononcé par exemple
par Jean Vilar, Antoine Vitez et plus récemment par Olivier Py 5 . Dans cette rhétorique du salut, la figure du poète se substitue à celle de l'auteur dramatique 6 , ou du moins elle en propose un masque dont les connotations sont différentes, ce qui entend attribuer d'autresquotesdbs_dbs46.pdfusesText_46[PDF] Le théâtre et son évolution
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