[PDF] LE TEMPS ET LA DUREE DANS MADAME BOVARY - HOCKMAN





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Classes de 1ère Bac blanc n°2 Corrigé1 « Le roman et ses

Texte A : Gustave FLAUBERT Madame Bovary



Gustave Flaubert - Madame Bovary

Œuvres de jeunesse I et II tournures. C'était le curé de son village qui lui. 12 ... madame Bovary guettait sa mort et le bonhomme.



Emma Bovary au xxie siecle en Seconde professionnelle

Entrer dans l'univers d'Emma dans le projet de lecture : le double enfermement. La conversation croisée Emma/Léon et Homais/Charles



LE TEMPS ET LA DUREE DANS MADAME BOVARY - HOCKMAN

L'analyse de cette "durée romanesque" - qui se dérobe au Chap. XII



Sans titre

Pourquoi Flaubert a-t-il intitulé son roman Madame Bovary. (II 13). 22. Pourquoi et comment Rodolphe abandonne-t-il Emma ? (II



Lapproche de la lecture au LP

Lecture analytique. ? Texte 3 : la tentation Lheureux extrait chapitre 12



Untitled

étudiées en lecture analytique figurant sur le descriptif. de MONTAIGN « Apologie de Raymond Sebond » Essais



Analyse du discours narratif dans Madame Bovary de Flaubert

C – la forme pittoresque dans laquelle les événements sont présentés depuis la conscience du narrateur ou la conscience de l'un des personnages. 2. La théorie 



Madame Bovary

Patrimoine. TEXTE INTÉGRAL. Gustave Flaubert. Madame. Bovary LECTURE ÉTUDE DE LA LANGUE



SEQUENCE 1 (séquence mineure) : Du héros à lanti-héros

texte C incipit de Madame Bovary de Flaubert (1857). - Plan détaillé de commentaire : analyse d'un extrait du chap. 2 de Voyage au bout de la.

TITLE

LE TEMPS ET LA DUREE DANS MADAME BOVARY -HOCKMAN

ABSTRACT

HOCKMAN, ELISE; LE TEMPS ET LA DURÉE DANS MADAME BOVARY

FRENCH DEPARTMENT, M.A.

Le présent mémoire est le résultat d'une étude très poussée de la chronologie de Madame Bovary. Un examen quasi-microscopique des faits romanesques que Flaubert situe dans le temps a fait paraître des incertitudes et des invraisemblances surprenantes dans une oeuvre si scrupuleusement structurée. Que les critiques, qui les ont sans doute:.découvertes avant nous, ne s'y soient pas attardés, démontre que ces erreurs chronologiques ne nuisent en rien à la réussite du roman. Mais leur existence même est assez révélatrice: elle indique que Flaubert, à plusieurs Teprises, s'est volontairement écarté du schème temporel pour donner à ses personnages, et à Emma en particulier, l'occasion de vivre d'une vie purement romanesque, dans une "durée" pré-bergsonienne où le temps s'abolit. L'analyse de cette "durée romanesque", -qui se dérobe au regard destructeur de l'intellect, mats dont l'intelligence saisit les effets, -fait ressortir les rapports de la durée et de l'affectivité. Le génie de Flaubert lui a permis de "vivre ses personnages"et, les ayant vécu, d'évoquer le monde tel qU'il apparait à leurs yeux. Il a ainsi substitué un "temps vital" à une stricte chronologie et imprimé à Madame Bovary un rythme profondément humain où le temps se plie aux exigences des tendances les plus secrètes de notre nature.

··e

LE TEl'lPS ET LA DUREE DANS MADAME BOVARY

by

Elise Hockman

A thesis submitted to the Faculty of Graduate

Studies and Research in partial fulfilment of

the requirements for the degree of Master of Arts.

Department of French Language and Literature,

. Mc Gill Uni versi ty ,

Montreal.

@) Elise Hockman 1968 August 1967. 4

TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •• l

CHAPITRE l -Le Temps . . .

15

CHAPITRE II -Les Incertitudes de la chronologie

50
CHAPITRE III -La Durée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60

CONCLUSION • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • 81

BIBLIOGRAPHIE .... ..................... . • 86

INTRODUCTION

Aussitôt terminée La Tentation de saint Antoine, le 12 septembre

1849, Flaubert convie Louis Bouilhet et Maxime Du Camp à écouter la

lecture de son manuscrit et à lui donner leur avis sur son oeuvre. Dans ses Souvenirs littéraires, Du Camp nous dépeint la scène de la lecture, qui dura trente-deux heures (huit heures par jour pendant quatre jours!) A l'en croire, vers le minuit du quatrième jour, "Flaubert, frappant sur la table ••• dit 'A nous trois, maintenant, dites franchement ce que vous pensez ••• ' Il .r~pond:. n 'Nous pensons qu'.il .faut jeter cela au feu et n'en jamais reparler 1 ;-n l

Les deux amis,

.par ,la débauche d'.imagination échevelée dont ils viennent d'être les victimes, conseillent à Flaubert de changer son fusil

Il devrait écrire un roman complètement

dépouillé de lyr:i,s~e,. qhoi~iI: un s,!-jet Uterre à· terre, un de ces incidents dont la vie bourgeoise est pleine ••• ,,2 D'après ce que rapporte l'auteur des Souvenirs littéraires, . Flaubert et ses deux amis se réunirent le lendemain dans le jardin,

à Croisset:

"C ••• ) nous nous taisions, nous étions tristes, en pensant à la déception de Flaubert et aux vérités que nous ne lui avions point ménagées. Tout à coup, Bouilhet dit: 'Pourquoi n'écriras-tu pas l'histoire de Delaunay?' Flaube)t redressa la tête, et avec joie, SI écria: 'Quelle idée!' n

1. Du Camp, Maxime, Souvenirs littéraires, Hachette, Paris, 1892, T. l,

Chap. XII, p. 315

2. Ibid., p. 317

3. Ibid., p. 319: N.B. La mémoire de Maxime Du Camp semble lui avoir

joué un mauvais.tour, puisqu'il est avéré que l'histoire proposée à Flaubert fut celle de Delamare, non celle de Delaunay. -2- Mais Flaubert ne suivit pas ce éonseil immédiatement.

Désemparé

par l'échec de son roman romantique, (trois ans de travail perdul) et l'âme encore endeuillée par la disparition précoce de son cher ami Alfred Le Poittevin (qui était mort le 3 avril 1848), Flaubert estime qu'il a grand besoin de vacances. Ce besoin, il l'éprouvait depuis plusieurs mois. Dès le 6 mai 1849, il écrivait en effet à Ernest Chevalier, son ami d'enfance et son condisciple au lycée de Rouen: "J'ai besoin de prendre l'air, dans toute l'extension du mot."ih Les circonstances conspirent donc à pousser Flaubert à reprendre son projet de voyage en Orient, caressé depuis longtemps •. Maxime tentait d'ailleurs depuis février ·de cette année-là de persuader à Flaubert de l'accompagner. Les deux voyageurs s'embarquent donc à Marseille pour Alexandrie .. le 4 novembre 1849. Flaubert ne reviendra à Croisset que dix-neuf mois plus tard, en mai 1851 • . en croire Maxime Du Camp (dont le témoignage paraît suspect à beaucoup de critiques ••• ), Flaubert songea constamment à son oeuvre nouvelle au cours de son "( ••• ) son futur roman l'occupait; il me disait: 'J'en.suis obsédét' ••• Aux confins_de la' Nubie inférieure, sur le sommet.de Djebel-Aboucir qui domine la seconde cataracte, pendant que nous regardions le Nil se battre contre les épis de rodhers en granit noir, il jeta un cri 'Euréka' Je l'appellerai Emma Bovary!' Et plusieurs fois, il.répéta, il le nom de Bovary, en prononçant 1'0 très bref ••• "2

1. Flaubert, Gustave, corresïrndance, Louis Conard, Nouvelle édition

augmentée, Paris, 1927, S ie Deux, p. 86

2. Du Camp, Maxime, op. cit., Chap. XIII, p. 352

Il est curieux de remarquer à ce propos que "cette obsession", dont Maxime Du Camp se souvient si clairement après plus de quarante ans, trouve aucune trace ni dans les Souvenirs de voyage de Flaubert, ni dans sa Correspondance. Etant donné que notre romancier a l'habitude de confier à ses amis et correspondants ses projets littéraires, les idêes qui lui viennent, et les difficultés qU'il éprouve à les mettre en forme, il nous semble étrange qU'aucune allusion la gestation de Madame Bovary au bord du jamais été retrouvée. Il est toutefois évident que le va,yage en Orient a fourni des matériaux à l'édification laborâeuse et patiente de Madame Bovary. S'il n'est pas du tout certain que Flaubert songeait à son roman, au bord du Nil, il est indéniable qU'il a c?ntemplé des paysages dont la grandeur, le pittoresque et le charme ont nourri son imagination. C'est vers l'Orient que s'envoleront en effet,les rêveries romanesques d'Emma, vers l'Orient qu'elle désirera se faire enlever par Rodolphe: "Au galop de quatre chevaux, elle était emportée depuis hlÛt . jours vers un pays nouveau, d'où ils ne reviendraient plus ••• Souvent, du haut d'une montagne, ils apercevaient tout à coup quelque cité splendide avec des dômes, des ponts, des navires, des forêts de citronniers et des cathédrales de marbre blanc! dont les clochers aigus portaient des nids de cigognes ••• " Pourtant, il semble que le 23 juillet 1851, quelque deux mois après son retour à Croisset, Flaubert ne se soit pas encore décidé à commencer Madame Bovary, car dans une autre lettre à Flaubert, Du Camp lui demande:

1. Flaubert, Gustave, Madame Bovary, éditions Garnier Frères, Paris,

1960, P. II, XII, p •. 183

- 4 - "Que décides-tu? Que travailles-tu? Qu1écris-tu? As-tu pris un parti? est-ce toujours Don Juan? est-ce l'histoire de

Mme Delamarre qui est bien belle?"l

Le 2 août 1851, Maxime D\.\ Camp, "engagé dans une douloureuse crise sentimentale", écrit encore à Flaubert: "Je dois prendre ça comme un sujet de 'notes': je te donnerai pour ta Bovary tout ce que j'ai eu dans le corps ••• , ça pourra peut-être te servir. Il 2 Ainsi Flaubert s'est décidé, et le titre du roman est déjà choisi. Dans une lettre non datée, mais que l'évidence interne place entre le début d'août et la fin de septembre 1851, Flaubert écrit à

Louise

Colet: "J'ai commencé hier au soir mon roman. J'entrevois maintenant des difficultés de style qui m'épouvantent.") Ces "difficultés" le font apparemment hésiter à se consacrer exclusivement à Madame Bovary, et à abandonner définitivèment toute tentative de révision de La Tentation de saint Antoine. Le 21 octobre 1851, en effet, Flaubert n'a pas encore perdu tout espoir de faire imprimer cet épanchement lyrique. Il l'avoue clairement dans une lettre à

Maxime Du Camp:

IIIl me tarde bien que tu sois ici et que nous puissions causer un peu longuement et serré, afin que je prenne une décision quelconque. Dimanche dernier, avec Bouilhet, nous avons lu des fragments de Saint-Antoine... L'objection de Bouilhet à la publication est que j'ai mis là tous mes défauts et quelques-unes de mes qualités. Selon lui, ça me calomnie ••• Je ne sais que penser ••• Ne faut-il pas suivre sa voie?.. Il y a des moments où je crois

1. Pommier, Jean et Digeon, Claude, "Du nouveau sur Flaubert et son

oeuvre", Mercure de France, T. 315, mai 1952, p. 45

2. Ibid.

). FlaUbert, Gustave, Correspondance, -- 5 - même que j'ai tort de vouloir faire un livre raisonnable et de ne pas m'abandonner à tous les lyrismes, violences, excentricités philosophico-fantastiques qui me viendraient. Qui sait? Un jour j'accoucherais peut-être oeuvre qui serait mienne, au moins. J'admets que je publie. Y résisterai-je? De plus forts y ont péri ••• "1 Flaubert conclut en demandant conseil à Maxime Du Camp. Aux yeux de celui-ci, le principal, c'est de publier un roman: rester auteur inédit à trente ans, lorsqu'on a été ambitieux comme lui et Flaubert l'ont été, cela devient inquiétant. Le 29 octobre, Maxime Du Camp s'en prend à Flaubert, et l'exhorte à publier aussitôt que possible: "Si tu n'as pas commencé avant deux ans, je ne sais comment tout cela finira.,,2 Au sujet de la publication de sa Tentation de Saint Antoine, Maxime écrit, dans la même lettre: "Si tu publies, que publieras-tu? -Tes fragments de Saint Antoine, sauf peut-être un ou deux, sont de nature âcennuyer le public; et c'est avant tout ce qu'il faut éviter... Et puis, ce ne sont que de fragments ••• "3 Nulle mention de Madame Bovary dans cette épitre qui se termine par l'offre condescendante de Maxime d'aider Flaubert à "faire son "Pas une seconde je ne t'ai séparé de moi dans ma pensée: j'ai travaillé pour trois, Bouilhet, toi et moi ••• J'ai fait mon succès, je vais faire celui de Bouilhet; envoie-moi une bonne chose et je fais le tien. 1I4 Dans son indécision sur la "bonne chose"à envoyer à Maxime, Flaubert prit le parti d'aller à Paris consulter Théophile Gautier.

1. Correspondance, pp. 319-320

2. Pommier, Jean et Digeon, Claude, op. cit., p. 46

3. Ibid., p. 47

4. IbId.

- 6 - Celui-ci lui déclara que ni lui ni personne ne pouvait savoir s'il était capable d'écrire un chef-d'oeuvre: 11( ••• ) dans deux cent ans peut-être on pourra le savoir. 11

1 Il ajouta que "garder des manuscrits

en réserve, c'est un acte de folie; dès qU'un livre est terminé, il faut le publier, en le vendant le plus cher possible." Du Camp en conclut que: I1Ce fut cet exposé de principes qui, agissant en contraire·, . détermina Flaubert à mettre la de saint Antoine en portefeuille et à écrire Madame Bovary." Ce témoignage aurait plus de force si bous n'avions déjà constaté qu'il faut prendre les déclarations de Maxime Du Camp avec un grain de sel. Aussi préfèrons-nous nous fier aux paroles de Flaubert quand il écrit à Louise Colet, au début de novembre 1851: "Honnis soient les sujets simples! Si vous saviez combien je m'y torture, vous auriez pitié de moi. M'en voilà bâté pour une grande année au moins • . Quand je serai en route j'aurai du plaisir; mais c'est difficile." 2 Ainsi Flaubert envisage, malgré les difficultés du sujet, et probablement même àc:cause de ces difficultés, de se consacrer entièrement

à la rédaction de Madame Bovary.

Il semble bien l'avoir commencé dans le but d'accomplir une tâche qui pour lui une thérapie contre ses tendances romanesques.

1. Du Camp, Maxime, op. cit., T. II, Chap. XVI, pp. 15-16

2. Flaubert, Gustave, Correspondance, Série Deux, p. 329

- 7 - Le 6 avril 1853, après un an et demi de labeur, il affirme, dans une lettre à Louise Colet: "Tout est de tête. Si c'est raté, ça m'aura toujours été un bon exercice ••• Saint Antoine ne pas demandé le quart de la tension d'esprit que la Bovary me cause ••• 111
Cette tension d'esprit dont Flaubert se plaint pendant toute la composition de son roman a plusieurs causes: la minutie de l'analyse psychologique; la sobriété presque terne du sujet, comparée aux tableaux fantastiques de La Tentation de saint Antoine; et le style nécessité par le sujet, style qui devait être à la fois souple, discret, et précis, en contraste avec le style flamboyant de sa dernière oeuvre: cadre, sujet, personnages, tout lui para1t horripilant. Madame Bovary est donc un roman "intellectuel", dont le plan a été construit à froid, dans un souci de discipline, et dont la rédaction a reposé sur l'utilisa- tion consciente et laborieuse de techniques littéraires, non sur un

élan d'inspiration.

La correspondance avec Louise Colet permet de suivre pas à pas la composition de Madame Bovary. Flaubert écrit à sa blonde amie soit pour lui confier les difficultés dans lesquelles il s'enlise, soit pour lui faire part sur un ton triomphal de l'achèvement d'une page sur laquelle il a peiné plusieurs jours. Grâce à ce document, nous pouvons garder un c.ontact étroit avec Flaubert presque jour par jour. Cet-te abondance de renseignements en rend l'utilisation difficile: on trouve en effet de tout dans cette correspondance:

1. Série Quatre, p. 134

- 8 - précisions matérielles, détails techniques, boutades à l'emporte-pièce, sans compter les grandes "gueulades" d'un homme harassé de fatigue et de parfois un rayon de soleil"un cri d'enthousiasme pour le métier d'écrivain; mais, dans l'ensemble, beaucoup plus de récriminations et de plaintes que de motifs de satisfaction. De façpn générale, il nous paraît juste de résumer les griefs de Flaubert par les mots: discipline, dégoût. Discipline parce que Flaubert reconnaît à plusieurs reprises que: "La Bovary ••• aura été pour moi un exercice excellent."l Dégoat, car: "On ne m'y reprendra plus, à écrire choses bourgeoises.-La fétidité du fond me fait mal au coeur. Les choses les plus vulgaires sont, par cela même, atroces

à dire ••• "2

Mais, un an auparavant, Flaubert avait reconnu que discipline et dégoût devaient marcher de pair, et que leur coexistence en lui était la condition d'un chef-d'oeuvre: "Bovary ... aura été un tour de force inoui et dont moi seul aurai conscience: sujet, personnage, effet, etc., tout est hors de moi." 3

Presque

sans le savoir, Flaubert a mis le doigt sur la caractéristique essentielle du réalisme littéraire: la "distanciation" de l'écrivain par rapport à son sujet. Le romancier doit observer ses personnages avec une exactitude scientifique. Son but étant d'analyser

1. Ibid., le 26 aoat 1853, à Louise Colet; p •. 32l

2. Ibid., le 16 avril 1853, à Louise Colet, p. 172

3. Ibid., le 27 juillet 1852, p. 3

1. 1 -9- le caractère de ses protagonistes, et de les dépeindre dans leur milieu social, sa propre personnalité doit être exclue des observations. Comme les oeuvres scientifiques ne révèlent rien de la vie du savant, le roman ne doit rien révéler de la vie intime de l'auteur. Cette IIdistanciationtt permet à Flaubert de prendre devant le monde l'attitude scientifique qui lui est si pénible. Flaubert écrit son nouveau roman avec la précision d'un savant. Né d'un père qui fut chirugien en chef de l'Hôtel-Dieu de Rouen, il transporte dans son roman la méthode rigoureuse des médecins qu'il a côtoyés depuis son enfance. C'est ce que Sainte-Beuve nota, dans son célébre article du Moniteur, le 4 mai 1857, lors de la publication de la première édition originale de Madame Bovary: IIFils et frère de médecins distingués, M. Gustave Flaubert tient la plume comme d'autres le scalpel. Anatomistes et et physiologistes, je vous retrouve partoutl"l

L'auteur prend le parti de montrer, avec un soin

minutieux, car en matière de réalisme littéraire, comme dans les sciences biologiq'iles,. les détails les plus minimes. ont une grande portée. Ainsi, dans une lettre à Laurent-Pichat, co-directeur de la Revue de Paris,2 et éditeur de Madame Bovary, Flaubert affirme: IIAussi ai-je pris la chose (la composition de Madame BovaryJ d'une manière héroique, j'entends minutieuse, en acceptant tout, en disant tout, en peignant tout ••• ") l. Dumesnil, René, Le Réalisme, J. De Gigord éd., Paris, 1936, Chap. II, p. 100

2. Madame Bovary a paru dans la Revue de Paris du le octobre au 15 décembre

1856, en six livraisons.

3. Flaubert, Gustave, Correspondance, le 2 octobre 1856, p.

-10 - Gë,)IICOUp d'oeil médical de la vieil que Flaubert prône dans sa lettre à Louise Colet, du 24 avril 1852, aboutit au retrait total du IImoi", qui ne subsiste que dans l'équation personnelle; le 6 juillet 1852, Flaubert déclare à Louise Colet: IIMoins on sent une chose, plus on est apte à l'exprimer comme elle est (comme elle est toujours en elle même, dans sa généralité et dégagée de tous ses contingents éphémères).l Ainsi le premier impératif dans la rédaction de Madame Bova;r est un impératif de réalisme; mais c'est un réalisme aux antipodes de celui de Champfleury, de Murger et de Duranty, les premiers tenants de cette doctrine littéraire. Pour Flaubert, le néologisme "réalisme" s'applique à l'infralittérature de Champfleury, celle qui se donne pour but principal de scandaliser le bourgeois. Flaubert tient à se dissocier de la nouvelle école, dont les champions, bohêmes littéraires, n'ont rien de commun avec le riche seigneur de Croisset. Sa correspondance'

11( ••• ) c'est en haine du réalisme que j'ai entrepris ce

••• [Madame Si Flaubert méprise la racaille réaliste, celle-ci le lui rend bien. Duranty se chargera en son nom de l'éreintement de

Madame Bovary:

"Madame roman par Gustave Flaubert, représente l'obstination de la description. Ce roman est un de ceux qui rappellent le dessin linéaire, tant il est fait au compas, avec minutie, calculé, travaillé, tout à angles

1. Ibid., pp. 461-462

2. Ibid., Série Quatre, octobre ou novembre 1856, p. 134

-Il - droits, et en définitive sec et aride... Il n'y a ni émotion, ni sentiment ni vie dans ce roman, mais une grande force d'arithméticien qui a supputé et rassemblé tout ce qU'il peut y avoir de gestes, de pas ou d'accidents de terrains dans des personnages, des événements et des pays donnés ••• nl Flaubert, cela va de soi, ne se borne pas à une observation détachée et glaciale du réel, comme le proclame injustement Duranty. L'observation, au contraire, n'est que la première démarche d'une opération complexe aboutissant à la création littéraire. De son observation (ou de sa documentation écrite) Flaubert tire les détails exacts de "la chose" qu'il doit décrire. Sur ce "donné" son imagination construit une "représentation" de la chose, et c'est cette dernière, non la chose en soi, qu'il tentera d'exprimer. Il en a pleinement conscience, et sa lettre du 6 juillet 1852 le prouve: pour "exprimer une chose ••• "il faut avoir la faculté de se la faire sentir. Cette faculté n'est autre que le génie: avoir le modèle devant soi, qui Faire surgir ce modèle sur l'écran de son esprit, telle est la fonction de l'imagination. Et Flaubert, sur ce point, est en plein accord avec Balzac, qui lui aussi "exprime" les choses qu'il projette par un effort douloureux, sur ,bla~cheur de la page vide qu'il peuple d'un monde que perçoit son oeil intérieur. Par une opération quasi-magique l'expression accompagne cette projection:

1. L'opinion de Duranty était publiée dans Le Réalisme, revue fondée

par Champfleury. L'article parut le 15 mars ltl57. Il se trouve cité en entier par René Dumesnil, dans Madame Bovary de Gustave Flaubert, Mellottée, "Les chefs-d'oeuvre de la littérature expliqués", 1932, pp. 255-256

2. Flaubert, op. cit., pp. 461-462

-12 - ainsi la création littéraire, tout en demeurant mystérieuse en son essence, comprend à coup sûr le déclenchement simultané de l'imagination et du verbalisme. Ainsi la description du :r'éel "au deuxième degré" est-elle nécessairement une évocation, une sorte de vision interne qui pénètre l'opacité des choses. Seule une telle évocation permet au lecteur de sentir à son tour (par cette collaboration que tout sOllicite) "la chose'" dont la seule trace matérielle se à une suite de signes noirs sur blanc... Et voilà qui fait justice du "réalisme photographique" 1 Flaubert ne "décrira" donc pas la société normande, il -_. l'évoquera. C'est pourquoi il assène aux na'l.!s qui lui demandent qui était Madame Bovary, la célèbre riposte: "Madame Bovary, c1est moi", mettant ainsi llaccent sur le phénomène représentation-expression sans , tt , quoi n'existeraient nil

1hero1ne,

ni le roman; qU'il a, litteralement, nourris de sa substance.quotesdbs_dbs46.pdfusesText_46
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