[PDF] Les Confessions De Jean-Jacques Rousseau : Paratexte Et





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Séquence 3 – Pourquoi écrire sur soi ?– Lecture analytique 1

Lecture analytique 1 : Rousseau Les Confessions



Commentaire Compose - Les Confessions

Sujet de discussion dans les grands salons parisiens comme celui de Madame d'Epinay



2008

18 sept. 2008 relation qu'elle instaure entre les trois autographies. Ainsi dès le préambule des. Confessions



Untitled

imprévu » in Le Préambule de la Constitution de 1946. Histoire analyse et commentaires



Les Confessions De Jean-Jacques Rousseau : Paratexte Et

9 févr. 2020 et Gérard Genette nous allons étudier les deux préambules des Confessions pour relever



Leçon littéraire sur «Les Confessions» de Jean-Jacques Rousseau

1 - Pour introduire à la lecture des Confessions Ce pacte a été mis en lumière et analysé par Philippe Lejeune dans son livre Le.



LA RECHERCHE DE SOI

Les Confessions 1ère partie rédigée en 1766 publié en 1782 . le second préambule : analyse + texte de Starobinski tiré de La Transparence et l'obstacle 



Le mémoire judiciaire et Les Confessions de Jean-Jacques

En effet l'analyse de l'épisode de l'abandon des enfants nous amènera périodes de la rédaction des deux préambules des Confessions. Post hoc



Réponses aux questions portant sur le texte de Jean-Jacques

23 mars 2020 Analyser l'expression de la sincérité. ... Cette expression au seuil du préambule des Confessions



Les Confessions :

des Essais le préambule du livre I des Confessions de Rousseau

Dirasat, Human and Social Sciences, Volume 48, No. 4, 2021 - 514 - © 2021 DSR Publishers/The University of Jordan. All Rights Reserved. **This research was funded by the Deanship of Scientific Research at Princess Nourah bint Abdulrahman University through the Fast- track Research Funding Program. *Princess Nourah Bint Abdulrahman University. Received on 9/2/2020 and Accepted for Publication on 6/10/2020. Les Confessions De Jean-Jacques Rousseau : Paratexte Et Strategies

Discursives*

Bahia Zemni**

ABSTRACT

L'objectif de cet article est de dépeindre les stratégies discur-sives et les ma-noeuvres pragmatiques mises en

oeuvre dans les deux préambules de l'autobiographie de Jean-Jacques Rousseau les Confessions. Ce faisant,

nous par-tons du fait que le pa-ratexte, comme tout type de texte, est un discours réalisé dans une situation de

communication bien précise et ayant une fonc-tion et un ob-jectif bien déterminés. Ainsi nous avons analysé

les deux préambules, en relevant des exemples, dans le but d'en ex-pliciter la nature, l'objectif et l'effet.

Keywords: Paratexte; intertexte; hybridité; discours; autobiographie; pragma-tique; réception.

1. Introduction

Les études littéraires ont consacré la notion de paratexte quand il est question de scruter tout ce qui fait partie de

l'extra-texte ou de ce qui n'est pas dans le corps du texte mais contribue à la saisie du sens multiple de l'oeuvre

littéraire. En d'autres termes, il s'agit d'une relation moins explicite et plus distante que le texte proprement dit

entretient avec des indices pourtant significatifs mais souvent jugés secondaires par le lecteur non averti (Sarfati, 1997 :

51).

C'est dans une perspective autre que nous proposons cette réflexion. En effet, nous voudrions évoquer la notion

de paratexte en tant que partie signifiante et révélatrice, en tant que pacte efficace permettant aux lecteurs non

seulement de découvrir l'oeuvre littéraire mais aussi de succomber aux stratégies et mécanismes linguistiques et

discursifs édifiés par l'auteur pour contrôler la réception de son travail . Nous parlons ici de la manipulation. Le discours manipulatoire est une forme qui se situe au croisement de plusieurs approches allant de la

philosophie à la psychologie cognitive, en passant par les théories de l'argumentation et l'analyse du discours (Maillat,

2017). Donc c'est dans cette perspective que nous abordons les Confessions de Jean-Jacques Rousseau (1782). Nous

voudrions savoir :

- Quel autre regard jeter sur le seuil du discours autobiographique de l'auteur des Rêveries d'un promeneur

solitaire.

- A quelle(s) stratégie(s) discursive(s) et linguistique(s) Rousseau a fait appel dans les préambules de ses

Confessions pour manipuler son lecteur, pour changer une image dont il a tant souffert.

- Au-delà du subjectif et du personnel, est-ce qu'il y aura de l'objectif et du social dans ce qui est appelé paratexte. Nous envisageons donc d'étudier les fonctions de ce paratexte et les manoeuvres discursives et pragmatiques

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déployées pour réaliser les objectifs que Rousseau s'est fixés à travers les deux préambules placés au seuil de l'oeuvre.

Pour réaliser cet objectif, nous partons du principe qu'il n'est pas possible de considérer une production littéraire

comme un texte clos se limitant à lui-même. Il n'est pas non plus question que la production du texte s'arrête à

son auteur puisque tout discours est dialogique. En effet, le paratexte comme tout autre type de texte, est un discours,

une foule de renseignements sur la structure d'un texte ou d'un type de texte, ou sur le rôle de chaque élément dans

cette structure (Harris cité par Mazière, 2005 : 03) et son analyse doit l'aborder comme un discours qui répond aux

exigences des moyens d'analyse en la matière. L'analyse doit tenir compte de facteurs qui lui sont tant internes

qu'externes.

Nous signalons à ce propos que le paratexte (comme tout autre type de texte) ne devient discours que lorsqu'il entre

dans une situation de communication» (Pier, 1989 : 111), quand il acquiert un statut pragmatique que Genette et

Maclean (1991: 266) définissent à travers l'ensemble des caractéristiques relatives à la situation de communication :

l'émetteur, le récepteur, le degré d'autorité et de responsabilité et la force illocutoire du message.

En ce sens et en nous appuyant sur des notions théoriques relatives à la présentation de soi et la construction de

l'éthos manipulateur, à l'autobiographie et au paratexte présentées respectivement par Ruth Amossy, Georges Gusdorf

et Gérard Genette, nous allons étudier les deux préambules des Confessions pour relever, puis analyser des indices

textuels et des manifestations discursives installées par Rousseau afin de rallier le lecteur.

Revisiter Rousseau et les Confessions est une manière de dire qu'en dépit de l'ampleur des commentaires suscités

par le livre et notamment sur les spécificités de son statut générique, cette oeuvre majeure est encore à découvrir,

tellement elle est riche et complexe, à la fois transparente et énigmatique, accessible et inaccessible. Jean Starobinski

(1971), dans son ouvrage de référence sur Rousseau La transparence et l'obstacle a suffisamment démontré

l'ambiguïté de l'entreprise autobiographique de Rousseau.

En 1978, Nicolas Bonhôte dans son Essai sur la Genèse et la structure de l'autobiographie chez Rousseau a essayé

de déterminer la structure d'une vision du monde chez Rousseau, élaborée à partir des phénomènes économiques et

sociaux, et de voir comment cette structure peut engendrer l'autobiographie et la manière dont elle est conçue.

En 1999 une étude intitulée : " Autobiographie et autoportrait chez Jean-Jacques Rousseau : pour une étude des

"styles" dans les trois oeuvres autobiographiques de Rousseau » portait sur les grandes logiques narratives régissant les

trois écrits autobiographiques de Rousseau : les confessions, les dialogues et les rêveries. Guo Zheng Yang a déterminé

les modes d'énonciation, de focalisation et de distance mis en oeuvre pour tisser le Soi chez Rousseau. L'étude montre

bien qu'il cherchait à établir une communication avec ses semblables en donnant une vraie image de soi dans

l'autobiographie qui raconte chronologiquement sa vie ou dans l'autoportrait qui décrit directement son état d'âme.

En 2011 Koshi Morihiko nous présente dans son ouvrage Les images de soi chez Rousseau, L'autobiographie

comme politique comment l'image de soi chez Jean-Jacques Rousseau s'est développée à travers ses différents

ouvrages et ces combats politiques et sociaux menés autour des années 1760.

En 2012, Katrien Horsemans dans un article intitulé : " L'Autobiographie au tombeau, Pour une approche

pragmatique de l'écriture autobiographique chez Rousseau » a étudié comment le moi intime se disait à l'âge classique

et ce à travers une analyse discursive de l'oeuvre autobiographique de Rousseau, en l'occurrence, Lettres à

Malesherbes, Les Confessions, Dialogues et Les Rêveries du promeneur solitaire. L'auteur s'est donné la tâche de

démontrer le rôle que pourraient jouer les stratégies discursives pour celui qui veut rendre publique sa vie privée à l'âge

classique.

Dans Les Confessions: se dire, tout dire, Jacques Berchtold et Claude Habib réunissent en 2015 quinze articles

portant tous sur les Confessions. Les articles progressent du général au particulier. Ils discutent des notions telles que

la séparation catégorique entre le moi social et le moi profond, la différence entre Rousseau et Saint-Augustin, la

distinction entre l'enfance de Rousseau et celle attribuée à Emile par Jean-Jacques lui-même, Rousseau le comique,

Rousseau à la recherche du bonheur et bien d'autres.

Le présent travail vient donc s'inscrire dans une ligne de continuité avec ces études et contribue ainsi aux débats

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récents. Notre ambition, si modeste soit-elle, dans le cadre de cette réflexion est d'aller au-delà de la question du genre

et du souci d'établir une ligne de démarcation entre le vécu et le fictionnel dans Les Confessions, mais de proposer une

analyse discursive de l'image de soi comme outil de manipulation dans le paratexte des Confessions.

1. Les Confessions de Jean-Jacques Rousseau : du texte au discours

La notion de paratextualité a été mise à l'honneur dans les études littéraires, suite aux travaux fructueux de Gérard

Genette. Ce dernier déclarait en 1983 :

Je m'apprête aujourd'hui à aborder un autre monde de transcendance qui est la présence, for active autour du texte ,

de cet ensemble, certes hétérogène , de seuils et de signifiants que j'appelle le paratexte : titres, préfaces, notes, prières

d'insérer et bien d'autres entours moins visibles mais non moins efficaces, qui sont pour le dire trop vite, le versant

éditorial et pragmatique de l'oeuvre littéraire et le lieu privilégié de son rapport au public et par lui au monde (Aron

et.al, 2010 :432)

Dans le même cadre, Genette (1987 : 11) précise qu'un paratexte se compose d'un " péritexte » et d'un " épitexte ».

Le péritexte englobe tout ce qui est ajouté par l'auteur ou l'éditeur et qui se trouve dans l'espace du texte. L'épitexte

quant à lui comprend tous les messages qui se situent à l'extérieur du livre sous forme d'interviews, d'entretiens, etc.

Genette (1987 :21) distingue aussi le paratexte auctorial ajouté par l'auteur et le paratexte éditorial assuré par l'éditeur.

Dans notre cas le corpus de cette étude porte sur un paratexte (péritexte) auctorial.

Nous signalons que le paratexte principalement étudié ici n'a pas été publié avec les Confessions du vivant de

Rousseau. Cette note fut publiée pour la première fois par F. Bovet dans La Revue Suisse en 1850. Elle faisait bien

partie du manuscrit de Genève, mais l'écriture en est différente (cf. la note de l'édition de la Pléiade, p. 1230).

Pour ce qui est de l'importance de cette partie inaugurale, Genette confirme qu'un paratexte, verbal ou non, escorte

le texte, l'entoure et le prolonge, précisément pour le présenter, pour le rendre présent, pour assurer, sa réception

(1987: 7). Un paratexte est donc irréductible à une limite ou une frontière étanche, il s'agit d'un seuil qui constitue,

entre texte et hors-texte, une zone non seulement de transition, mais de transaction : lieu privilégié d'une pragmatique

et d'une stratégie, d'une action de manipulation sur le public pour assurer une lecture (réception) pertinente et

réaliser ainsi un objectif (1987: 8).

Dès lors, nous proposons que le texte littéraire, en l'occurrence le paratexte auctorial des Confessions de J-J.

Rousseau, soit analysé comme discours autobiographique. L'analyse d'un tel discours fait appel à une approche

dynamique du sens mettant en interaction un processus de négociation (de contenus, d'opinions) qui mobilise une

langue donnée et ses unités, un univers de référence et des conditions interactionnelles d'accomplissement

(Moeschler & Auchlin, 2009 : 198), c'est dans le but de cerner les stratégies que Rousseau a utilisées pour séduire

son lecteur voire pour le manipuler.

En effet, l'image de soi peut découler du dit, de ce que le locuteur énonce explicitement sur lui-même en se prenant

comme thème de son propre discours. D'ailleurs Ruth Amossy (2010 : 25) précise que pour assurer la crédibilité de

tout discours, L'orateur puise dans son image de soi, dans son éthos. Il illumine des parties de sa vie pour convaincre le

lecteur, le mener à adhérer à une idée précise. Ethos, logos ou pathos l'orateur fait appel à tous les moyens pour

persuader et réaliser ces objectifs.

Nous pourrons dire donc que Rousseau (1959 : 31) construit son éthos, dans le fragment paratextuel qui précède le récit

de sa vie, non seulement à travers la déclinaison de la vocation éminemment autobiographique de son livre qu'il qualifie

" d'unique », de projet " qui n'eut jamais d'exemple et dont l'exécution n'aura point d'imitateur » (Rousseau, 1959 : 33), et

multiplie également les recommandations, sinon les consignes en fonction desquelles son récit doit être lu. Rousseau dans ses

Confessions ne se met pas réellement à l'écoute du lecteur hostile, qu'il préfère exclure du contrat de lecture. (Jean Terasse,

1988). Mais il se voit comme instituteur du genre humain (Terrasse, 1988 :8). Il cherche la communication et " la

transparence » des coeurs ; malgré " l'obstacle » de la fausse image que les autres se font de lui.

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Cette articulation de l'écriture à la réception est d'ailleurs omniprésente dans Les Confessions et constitue l'un des

paradigmes majeurs sinon le plus important, qui structurent le récit dans sa totalité et en assure la cohérence et l'unité.

Biaggini (2012 : 196) le conclut très bien en disant que :

C'est depuis le paratexte, notamment depuis les seuils du texte que sont les prologues ou les épilogues, que le

lecteur est invité - parfois directement par la voix de l'auteur - à contempler le texte, à observer sa construction ou à

comprendre ses fonctions [...] Les paratextes ne déterminent pas seulement un espace, mais déploient aussi une

généalogie du texte, le dotant d'un avant (relatif à son origine, à sa composition, à son auteur) et d'un après [...] Ses

prologues sont le lieu d'une affirmation de soi toujours plus impérieuse.

Le discours autobiographique s'acquitte dès lors d'une fonction didactique (Seguin, 2012 : 28). Celle qu'il

résume à la fin du préambule : " Que chacun d'eux découvre à son tour son coeur aux pieds de ton trône avec la même

sincérité ». Nous essayerons d'analyser les manoeuvres et les stratégies mises en oeuvre par Rousseau pour accréditer le

bien-fondé de son entreprise et pour la transcender d'un discours qui puise dans l'interdiscours et dans le discours

autre.

2. Manoeuvres linguistiques et fonction du premier paratexte

L'autobiographie est un genre littéraire et artistique où un auteur écrit sur soi, où il parie sur sa propre survie et la

survie de l'espèce, afin de préserver de la mort la part essentielle de son être (Gusdorf, 1991 :11). Il cherche à évoquer

la durée, la continuité de l'existence de son identité, de son histoire en dépit de toutes les vicissitudes qu'il lui est

donné de traverser.

Pour les Confessions, c'est dans une période marquée principalement par le renoncement à la fiction comme

moteur de l'expression et comme source de la création, que Jean-Jacques Rousseau rédige le livre, donnant ainsi

naissance à la première autobiographie proprement dite. Au cours des années 1760, les circonstances personnelles

de la vie de Rousseau se prêtent par ailleurs à ce travail. Il adresse au début de 1762 quatre lettres justificatives à

Malesherbes, lettres dans lesquelles il expose le vrai tableau de son caractère (Seguin, 2012 : 27), des lettres qui

accordent une place importante à l'autojustification de son action. Plusieurs de ces oeuvres ont été condamnées par le

Parlement de Paris qui le contraint à l'exil. Les affaires ne lui sont pas favorables. Il se décide donc à se défendre

contre les attaques de ses détracteurs. Il le fera par la rédaction des Confessions. La rédaction s'étend ainsi de 1763 ou

1764 à 1770, de manière plus ou moins continue et l'ouvrage ne sera publié, conformément à ses voeux, qu'après sa

mort, en 1782 pour les six premiers livres et en 1789 pour les six derniers (Seguin, 2012 : 28).

En réalité, il y a dans Les Confessions deux métatextes. Il y a, tout d'abord, un préambule " incipit » succinct

détaché de l'énoncé narratif, et placé à l'initiale absolue du livre, comme s'il paraphait un pacte en fonction duquel doit

être reçue cette autobiographie. Il s'agit d'une fonction inaugurale première. Quant au deuxième fragment méta

textuel, il précède certes le récit, mais il y est complètement intégré. Ce deuxième préambule " inctus et in cute » se

présente comme la garantie faite par un homme à ses semblables quant à l'entière véracité du récit autobiographique, à

l'intérieur et sous la peau. Le sujet du discours se présente ainsi comme le garant de son propre discours. Comment

expliquer cette double disposition du métadiscours ? Pourquoi opter pour un double discours quand un seul aurait, en

principe, suffi ? C'est que tout simplement, les deux préambules ne remplissent pas la même fonction et n'ont pas la

même visée.

Dans le premier préambule, Rousseau redoute que son livre soit mal reçu. Souffrant de manque de légimité de son

moi, Rousseau négocie, à travers ses Confessions, son passage de la scène privée à la scène publique (Horemans, 2012:

162). Il est hanté par la censure et par l'éventuelle incompréhension de ce projet par un lecteur pharisaïque (Terrasse,

1988 : 8) adversaire et ennemi. Il fait son apologie ; il se montre comme il veut être vu, mais point du tout comme il est

(Horemans, 2012: 163).

Il recherche une assise à son discours. Il se sert du verbe " anéantir » (Rousseau, 1959 : 31) qui souligne sa vive

inquiétude pour ce qui est du sort qui va être réservé à son discours. À ce sujet, Philippe Lane (2008 : 1379) précise que :

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Un genre de discours est caractérisable par des propriétés textuelles et comme une interaction langagière accomplie

dans une situation d'énonciation impliquant des participants, une institution, un lieu, un tempset les contraintes d'une

langue donnée ; en d'autres termes l'interaction se déroule dans le cadre d'une formation socio-discursive donnée.

Ce qui s'exprime donc dans cette note liminaire du livre, c'est une poignante invocation adressée par l'auteur à

ses semblables, Voltaire en l'occurrence, pour que son livre ne soit pas " anéanti ». S'il a des amis, Rousseau a

également beaucoup d'ennemis, comme il le dit dans son discours. Il ne veut pas que son oeuvre soit " défigurée » (Rousseau, 1959 : 31) pour reprendre son expression. On dirait

que Rousseau cherche à confronter les objections de ses adversaires pour mieux les invalider. C'est tout le sens

de son pacte autobographique qui appartient de plein droit à son système philosophique et au combat qu'il mène contre

la philosophie en place et ses ennemis (Goulemot, 2012 : 152). Rousseau se donne dès le début de ses Confessions une

" fonction cardinale » (Genette & Maclean, 1991 : 268) pour partager ses intentions et son interprétation. Il a le souci

constant de guider le public dans la lecture de son oeuvre (Morihiko, 2011 :244). En effet, il s'adresse aux lecteurs pour

valider l'image que ses amis ont de lui et effacer celle que les enemis veulent lui attribuer. Il veut anéantir

" l'obstacle » à travers " la transparence». D'ailleurs, ce n'est pas l'exactitude factuelle qui fait l'autobiographie, selon

Philippe Lejeune (cité par Hammann, 2012 :112), mais le pacte sur lequel elle se fonde, lequel affirme l'identité de la

personne de l'auteur, du narrateur et du personnage principal.

Le dialogisme et la polyphonie sont ainsi au coeur de l'oeuvre littéraire de J.-J Rousseau. Le discours de ce dernier

prend une forme discursive distincte afin de répondre à des discours antérieurs, certes, mais surtout à des discours à

venir auxquels il anticipe et répond. Il s'agit de l'approche dialogique d'un discours qui se veut être limité à celui qui

l'a produit, raison pour laquelle les Confessions prennent la forme d'une succession simple et non celle d'une

alternance hiérarchiquement organisée (Moeschler & Auchlin, 2009). Nous avons à préciser ici que la notion de

dialogisme est cette pluralité des voix (une ou plusieurs et outre la voix de l'énonciateur) qui feuillettent l'énoncé et

que l énonciateur cherche à faire entendre énonciativement (Bres, 2001). L'hybridité se manifeste à travers cette force

envoûtante qu'un discours exerce sur le sujet écrivant. L'intertexte se transforme au sein du même texte. C'est dans cet

espace interstitiel et intermédiaire des Confessions que l'écriture se présente comme l'endroit d'une productivité

discursive singulière offrant un fondement heuristique qui permet joyeusement la conservation du passé.

L'autobiographie de Rousseau est authentique, elle présente un réinvestissement poétique très profond du passé,

qui, à la fois, reconstruit la fiction et développe le récit autobiographique.

Ce paratexte est donc loin d'être marginal dans la compréhension/l'interprétation des Confessions, il est par quoi

l'autobiographie de Rousseau se fait livre et génère pour le lecteur un premier horizon d'attente (Hromyk, 2012 : 47).

Plus que d'une limite ou d'une frontière, il s'agit ici d'un seuil ou [...] d'un " vestibule » qui offre à tout un chacun la

possibilité d'entrer ou de rebrousser chemin » (Genette, 1987 : 7). Ce sont des prolégomènes inauguraux qui

constituent un discours préliminaire que le locuteur produit pour protéger son oeuvre et en assurer la légitimité. Ce

discours est adressé aussi bien aux détracteurs de Rousseau, " injust[es] », hostiles, voire imposteurs (Hammann,

2012 : 112), qu'à ses lecteurs les plus fidèles, ceux qui savent lire. Il s'adresse au public tout court.

L'invocation solennelle de Rousseau est donc dramatisée, portée par un souffle cosmique, puisque le sujet du

discours interpelle l'espèce humaine tout entière. Les Confessions sont en apparence le discours d'un homme seul,

mais qui a besoin de ses semblables pour que sa voix singulière puisse se faire entendre et comprendre. La

reconnaissance de son innocence originelle passe alors par le récit de sa vie, par l'actualisation, par la parole d'un passé

qui explique et éclaire le présent, et qui réconcilie définitivement l'être moral, fidèle à la nature authentique de

l'homme et bon par essence, et l'être social, que la société a déjà jugé de manière négative (Seguin, 2012: 33)

Ce qu'il y a d'important également dans cet avis au lecteur, c'est que Rousseau y prend la parole pour projeter une

image de sa personne et de se montrer sous un jour favorable (Amosssy, 2010 : 22). Il définit l'identité générique de

son discours. Il commence d'abord par dire que les Confessions, brosse le portrait d'un homme peint dans sa vérité la

plus nue, un portrait qui est donc un autoportrait fait par un locuteur qui est à la fois l'acteur et le spectateur de sa

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propre vie. Le terme " peindre » dont se sert Rousseau (1959 : 31) pour caractériser son " portrait d'homme »

(Rousseau, 1959 : 31), ne fait que souligner l'assignation du portrait à une fonction mimétique. Plus l'auteur ira loin

dans la franchise et dans la révélation de ce qu'il est réellement, plus il sera difficile à ceux qu'il appelle ses

" ennemis » d'attaquer sa citadelle intérieure. La force de Rousseau réside dans sa vulnérabilité même et dans cette

volonté d'aller jusqu'au bout pour le dire. Dès lors, le discours en apparence subjectif est profondément objectif, allant

vers l'autre, l'interpellant et attendant de lui qu'il adhère à son point de vue. Ce portrait d'un homme, Rousseau (1959 : 31) le définit sous le nom de " Cahier » , c'est-à-dire un mémoire où

s'égrènent les différentes étapes d'une vie ventilée et reparti en plusieurs séquences. Le terme " cahier » est un terme

noble, faisant du témoignage d'une vie un acte de foi et d'humilité. Rousseau se présente à visage découvert n'ayant

rien à cacher mais qui se prosterne devant l'autel de ses semblables pour leur dédier son bien. D'où le titre Les

Confessions qui souligne non seulement la portée cathartique de ce récit autobiographique, mais aussi le besoin

d'amour qu'exprime un sujet parlant.

Si nous nous arrêtons sur le mot " Confessions » qui constitue le titre même de cette oeuvre majestueuse, nous

constatons qu'il s'agit d'un substantif dérivé du verbe " confesser ».

D'après le Petit Robert, la confession a pour sens premier de " déclaration, aveu de ses péchés, que l'on fait à un

prêtre catholique, dans le sacrement de la Pénitence. »

Dans un deuxième sens, la confession est " une déclaration que l'on fait (d'un acte blâmable). [...] Au pluriel, titre

d'ouvrages où l'auteur expose avec franchise les fautes, les erreurs de sa vie. »

De la compréhension de son livre par ses contemporains, dépendra l'impact qu'il aura sur les générations futures.

Le discours intimement lié à la personne et à l'individuel en contexte tend plutôt vers l'Homme et l'Humain. Le

présent chez Rousseau est chaque fois corrélé à un discours atemporel. C'est certes un homme qui parle, mais un

homme qui adopte le ton d'un Messie, d'un messie porteur non pas d'un Commandement ou d'une prescription, mais

d'une leçon de vie et d'humanité, sans antécédent et sans comparaison, avec tout ce que cela suppose de valeur

pragmatique. Si Rousseau modalise son discours et relativise la singularité du portrait fait, par le biais de l'adverbe

" probablement », c'est pour mieux conférer à son discours une portée assertive indubitable. Un discours assertif qui

donne à son producteur toute l'assurance d'un Messie qui prévoit la destinée humaine.

Tout l'investissement affectif et humain qu'il met dans ce projet autobiographique atypique est souligné par le

déictique " Voici » sur lequel s'ouvre la première phrase du préambule initial : " Voici le seul portrait d'homme, peint

exactement d'après nature et dans toute sa vérité, qui existe et qui probablement existera jamais » (Rousseau, 1959 :

31).

3. Le discours manipulateur et son contexte

Ce qui constitue l'incipit du livre, c'est un préambule dans lequel Rousseau (1959 : 33) définit la nature et la portée

de ce qu'il appelle son " entreprise autobiographique ». Il l'entoure et le prolonge pour le présenter et lui assurer la réception et la compréhension (Genette & Maclean, 1991: 261).

D'emblée, l'écrivain met l'accent sur l'originalité et la singularité de son écrit. Se présentant comme l'initiateur

d'un projet sans antécédents, Rousseau fait des affirmations sont assertives, catégoriques, indiscutables et sans la

moindre modalisation. " Je forme », " je veux » : le ton est celui d'un homme qui est sûr de lui et qui ne transige guère

sur la vocation inédite du discours qu'il tient et dont le sujet est sa propre vie. D'emblée, les deux composantes

essentielles qui régissent cette autobiographie sont identifiées : le sentiment et la connaissance, le sentiment comme

source de la connaissance, la connaissance intuitive comme vecteur de la vérité.

Dans l'exposé de la nature de l'acte d'écrire et la détermination de la meilleure réception qui lui convienne, la

rhétorique rousseauiste mise essentiellement sur la déixis qui crée un effet d'empathie avec l'énonciateur

1 . La déixis de

Rousseau opère, comme nous le verrons un peu plus loin, comme facteur de " cohésion textuelle (thématisation,

1

Sur la notion de " déixis » cf. Dictionnaire d'analyses du discours, sous la direction de Patrick Charaudeau et Dominique Maigueneau, 2002 : 160-161.

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focalisation), permettant d'introduire dans le discours de nouveaux objets. » (Charaudeau et Maigueneau, 2002 : 162).

Elle est essentiellement émotive. Le discours de Rousseau est déterminé par l'hypotypose, figure de style qui consiste à

mettre sous les yeux des lecteurs ou de l'auditoire les événements qui vont leur être présentés. Le discours constitue

effectivement un événement dont la destinée est mise entre les mains de lecteurs potentiels. Il s'agit donc d'un discours

qui interpelle l'autre - le destinataire du discours - et cherche à lui faire partager le point de vue du locuteur, en

l'occurrence J.-J. Rousseau.

C'est pour cette raison qu'il implique dès le début le lecteur dans les situations décrites et qu'il sollicite son

attention, conférant à ce genre de digressions une fonction incitative et apéritive : une valeur pragmatico-discursive :

" Qui que vous soyez [...] je vous conjure par mes malheurs, par vos entrailles, et au nom de toute l'espèce humaine »

(Roussau, 1959 : 53). Le recours au " vous » est le moyen par lequel Rousseau négocie avec son destinataire-

interlocuteur, L'interpellation du lecteur est l'outil pour ancrer " la transparence » et manipuler son esprit.

Le discours à la deuxième personne " vous » quant à lui est un moyen de ne pas s'adresser " à l'adversaire qui est

en face à face, mais de faire appel à l'opinion : il passe de l'échange direct à l'échange indirect » (Morihiko, 2011:

243). Koshi Morihiko (2011 : 244) ajoute :

Par rapport aux autres textes à visée autobiographique, la particularité des Confessions réside dans cette variété que

la figure du " lecteur » recouvre : elle renvoie tantôt au contemporain qui, tel Voltaire, fait feu de tout bois pour

critiquer l'auteur, tantôt au futur lecteur qui sera à même de juger de la personnalité de Rousseau avec moins de

préjugés et plus d'objectivité grâce à la distance temporelle. Par ailleurs, le lecteur est présenté comme l'homme du

monde qui est aussi cultivé et sensible aux finesses de coeur que le narrateur qui lui fait confiance mais en même temps

il peut être le grand public qui est naturellement bon, mais dont la simplicité d'esprit doit être corrigée pour pénétrer

dans le coeur du narrateur.

Le " vous » produit donc l'effet de présence chez le lecteur (Benveniste, 1974 :8). Un lecteur hostile, ami et/ou

apprenti-lecteur que Rousseau cherche à convaincre, voire à manipuler, pour faire de lui un autre moi identique à lui

(Morihiko, 2011: 282 ). Un lecteur assez conscient capable de reconstituer, à partir de la vérité que Rousseau lui a

livrée, l'identité, la vraie image, ou plutôt celle que l'auteur veut ancrer dans les esprits.

Les Confessions est à la fois un acte subjectif intime qui relève de l'affect et un acte de connaissance des autres. Ces

deux actes sont indissociables l'un de l'autre étant donné que c'est la conscience de soi qui permet la saisie lucide

qu'on a de ses semblables, c'est elle qui assure l'acte d'énociation comme le confirme si bien Benveniste (cité par

Sarfati, 1997 : 10) : " un acte d'énonciation parle d'abord de lui-même, avant de dire quelque chose du monde ». Dans

le rapport à soi et au monde, Rousseau affirme dès le début de son discours que c'est le " sentir », la sensibilité qui

est l'essence même de l'homme.

Le discours à la première personne est fortement marqué comme le soulignent les anaphores " Moi, seul, je »

(Rousseau, 1959 : 33). Celui qui parle, ou l'être de discours responsable du sens de l'énoncé, comme le définit Ducrot

(cité par Sarfati, 1997 : 55), est sûr de lui et de la visée de son entreprise, il veut transcender ses expériences vécues,

révéler la vérite, toute la vérité : " Je veux montrer à mes semblables un homme, dans toute la vérité de la nature et cet

homme ce sera moi » (Rousseau, 1959 : 33). Le locuteur, à travers ce " je », se refère à une réalité de discours

(Benveniste cité par Sarfati, 1997 : 10), il met en relief son statut de sujet d'un discours dont l'objet est sa propre

personne et sa radicale différence lorsqu'il se compare aux autres. L'expression à la première personne trouve une

justification dans la présence de l'autre, celui que l'on découvre, celui avec lequel on dialogue à distance (Seguin,

2012 : 23).

Dans cet incipit, le terme " montrer » mérite d'être étudié. L'objectif du discours autobiographique consiste à

montrer l'être Jean Jacques Rousseau tel qu'il est sans fiction ni rhétorique. Il faudrait tout montrer aussi bien les bons

que les mauvais pans de l'être. Ce discours est, par conséquent, la mise à nu d'un être humain qui s'expose dans toute

sa vérité à ses risques et périls. Mais " montrer » nous renseigne également sur l'écriture de Rousseau. Elle est

Dirasat, Human and Social Sciences, Volume 48, No. 4, 2021 - 521 -

scénique, c'est-à-dire qu'elle veut le mettre sous les yeux de l'interlocuteur en chair et en os, tantôt glorieux et

invulnérable, tantôt faible et fragile.

Rousseau affirme donc que le discours de sa vie est un acte de dévoilement intégral. S'il y a d'éventuelles

omissions ou lacunes, cela est dû aux caprices de la mémoire et non à un désir de la part du locuteur de cacher quoi que

ce soit. C'est une argumentation puisée dans le subjectif qui tend vers l'humain, d'où le recours incessant au discours

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