[PDF] Mythes et métaphores du regard chez Rubens. Aveuglement et





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« De la musique avant toute chose ?»

30 janv. 2016 Wikipédia Musique préhistorique ... pour Arthur Rimbaud et pour Guillaume Apollinaire (voir Liste des poètes chantés par Léo Ferré).





Textes du site internet de lévénement “Jules Verne en 80 jours

Suite des Aventures d'Arthur Gordon Pym d'Edgar Poe dans l'océan Antarctique. Rimbaud est directement inspiré de 20 000 lieues sous les mers.



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Catalogue des livres de la bibliothèque de feu M. le duc de La Valliere. Première Partie Contenant Les. Manuscrits Les Premières Editions





Poésie et politique dans lœuvre dAimé Césaire: contradictions

dans la poésie sur le modèle de Rimbaud ou de Lautréamont





A B C D E I J L C h r isto p he B a g o n n e au P a u la A n a c a o n a

d'Arthur Rimbaud « Le dormeur du val ». Dans un demi-sommeil je répète à voix basse les dernières strophes que je n'ai jamais oubliées.



Mythes et métaphores du regard chez Rubens. Aveuglement et

3 févr. 2012 Le Poète se fait voyant par un long immense et raisonné dérèglement de tous les sens. » Arthur Rimbaud. Lettre adressée à son ami Paul Demeny



HISTOIRE DES SCIENCES MÉDICALES

vous pouvez retrouver les résumés sur le site internet) j'évoquerai ici les séances plus tandis qu'à Djibouti plane le souvenir d'Arthur Rimbaud.

Où Arthur Rimbaud est-il né ?

Vue de la sépulture. Arthur Rimbaud est un poète français, né le 20 octobre 1854 à Charleville et mort le 10 novembre 1891 à Marseille. Bien que brève, son œuvre poétique est caractérisée par une prodigieuse densité thématique et stylistique, faisant de lui une des figures majeures de la littérature française .

Où est enterré Arthur Rimbaud ?

Son corps est ramené à Charleville. Les obsèques se déroulent le 14 novembre 1891 dans l'intimité la plus restreinte[126],[127]. Arthur Rimbaud est inhumé dans le caveau familial auprès de son grand-père, Jean Nicolas Cuif, et de sa sœur Vitalie. Sa mère, morte à Roche le 1eraoût 1907, à l'âge de 82 ans, les rejoint.

Où est inhumé Arthur Rimbaud ?

Arthur Rimbaud est inhumé dans le caveau familial auprès de son grand-père, Jean Nicolas Cuif, et de sa sœur Vitalie. Sa mère, morte à Roche le 1eraoût 1907, à l'âge de 82 ans, les rejoint. Son frère Frédéric meurt à 58 ans(des suites d'une fracture d'une jambe), le 2 juillet 1911, à Vouziers.

Qui est le voleur de feu ?

Arthur ROMBAUD, le voleur de feu. Arthur est né à Charleville, fils d'un père capitaine dans l'armée, rarement présent et qui quitte définitivement le domicile lorsque Arthur a 6 ans, et d'une mère très stricte dans la tenue du ménage (elle déteste la pauvreté et la saleté)et l'éducation de ses enfants.

Mythes et métaphores du regard chez Rubens. Aveuglement et 2

Couverture :

Deux satyres, 1618-1619

Rubens

76 x 66 cm, huile sur bois

Alte Pinakothek, Munich

3

Emilie Etienne

2010

Sous la direction de Jean-Pierre Mourey

Mythes et métaphores du regard chez Rubens

Aveuglement et toute-puissance de l"oeil désirant 4

Remerciements

Mes premiers remerciements s"adressent bien sûr à Jean-Pierre Mourey, mon directeur de recherche depuis plusieurs années qui a suivi avec bienveillance et rigueur mon travail et mon parcours universitaire placé sous le signe de la peinture.

Merci à Pascal Bonafoux et Bernard Lafargue d"avoir accepté d"être le jury de cette thèse.

Merci à Bruno Duborgel, professeur d"esthétique. Pensées à mon amie Souad Natech, docteur en arts plastiques, avec qui je partage depuis longtemps l"amour de la musique et de la peinture. Merci aux auteurs, chercheurs, cités en bibliographie. Merci enfin à mes parents, à mon mari Dany, vers qui je me tourne toujours pour son oeil affuté sur la peinture. Au doux regard de ma fille Sarah Gabrielle née pendant l"écriture de cette thèse. Et à la peinture de tout genre et de toute école, pourvu qu"elle soit forte de ses images... 5 " Je dis qu"il faut être voyant, se faire voyant.

Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. »

Arthur Rimbaud

Lettre adressée à son ami Paul Demeny, datée du 15 mai 1871

Correspondances

6

Sommaire

Introduction : L"Allégorie de la vue

9

Chapitre premier

La femme interdite : une modalité du désir

L"oeil prédateur et ses dispositifs picturaux

47
1.

Du désir né de l"oeil : Rubens à la lecture de Bataille, Lacan et Nietzsche 49

2.

Interdit et transgression en la figure de Suzanne 85

L"érotique de Suzanne

85

Un nouveau but : se montrer

99

Voir l"oeil de l"autre me voir

103

3. Voir et avoir, petite histoire d"une confusion des genres 109

L"aveuglement de Samson en conversation avec une séquence du Chien andalou 125 4.

Le jugement de Pâris : l"oeil et l"expérience du beau 131

Première entrevue avec Méduse

143

Un regard extatique

154
7

Chapitre deux

L"oeil dans les amours réciproques 161

Petit préambule au deuxième chapitre

162
1.

Victoire de l"éros sur Thanatos 165

Bethsabée : baroque clair, baroque sombre

165
2.

Vertige, répétition, obsession : l"oeil de Rubens voit triple 175

L"érotique du corps à corps des Trois Grâces 183

Le cheveu, le poil et le pinceau : métaphores réciproques 190

Femmes à poil, femmes à poils

192
Ecart et pérennité de Rubens : Manet et Cézanne 195
3.

Défaillance du regard amoureux 211

Orphée ou l"appel du regard

211

Psyché et les visions nocturnes

218

Interlude : le sommeil d"Argos aux cents yeux

227
Le regard éclairant de Psyché et l"oeil du peintre en abîme 234
Psyché et sa petite flamme sous l"éclairage de Bachelard 242
Premier regard de Psyché : un ancien souvenir... 252
Les mille plis du corps et de l"âme vus par Deleuze 264
L"obscène dans la scène baroque du XVIIème siècle 274
Eros et Psyché : deux visions d"un même motif 282
8

Chapitre trois

L"oeil de la métamorphose minérale, végétale et animale de la chair, sous l"égide de la peinture 299

Petit préambule au troisième chapitre

300
1.

Miroirs : fixité et transformation 303

Renaissance et baroque 305

Femme au miroir

307
Résurgence du baroque à travers Vénus au miroir : Rauschenberg 319

2. Narcisse, reflet mortifère de soi

327

Miroir, mon beau miroir 329

L"eau tombeau

341
Narcisse et la question de l"autoportrait chez Rubens 350

3. L"empierrement et la chair : Botticelli et Rubens 365

4.

Le filtre du miroir déformant ou les analogies animales 373

Fantasmer l"oiseau ou l"amant icarien 373

L"autre visage de l"aigle : corps déchirés sous nos yeux 386

5. Métamorphoses punitives et picturales : satyres et autres hybrides masculins 391

L"oeil et le rire du satyre 396

L"ivresse du voir dionysiaque: Silène

402
6.

L"animalité féminine : un délire plastique, onirique, érotique 411

Improbables sirènes 414

Le blason du corps ou la beauté fragmentée

423

La Grâce et la jument

431
L"oeil du lion : l"élan zoomorphique au masculin 439

Femmes et fauves traqués dans un même " sadisme délirant » : Rubens, Delacroix, Cézanne

454

Nuages : motifs de métamorphoses

461

7. Imminences 469

L"instant-clef, métamorphose du temps 469

Esthétique du juste-avant

475

Epilogue

483

Annexe

505

Index 1

523

Index 2

525

Iconographie

516

Bibliographie

523
9

Introduction

" Les mythologues amateurs sont quelquefois utiles. Ils travaillent de bonne foi dans la zone de première rationalisation. Ils laissent inexpliqué ce qu"ils expliquent puisque la raison n"explique pas les rêves. Ils classent aussi et systématiquement un peu vite les fables. Mais cette rapidité a du bon. Elle simplifie la classification. » 1 Au fil de mon étude, je vais tenter de garder du coin de l"oeil et de l"esprit ces mots de Bachelard, qui résonnent comme une mise en garde précieuse, pour explorer un instant l"univers des mythologies du regard désirant et leur empreinte dans la peinture rubénienne. La mythologie amoureuse et l"oeuvre de Rubens se répondent en écho : les images qu"elles se renvoient alimentent la relation contiguë que la peinture baroque entretient avec les récits et leurs fantasmes. Tout au long de mon étude, j"essaierai de ne pas me satisfaire du simple rapport entre la source littéraire et son résultat pictural, pour prendre en compte une épaisseur philosophique, esthétique et voir comment la peinture de Rubens travaille par écart, par réécriture du mythe. " La fabulation antique, la mythologie [...] on en a fait de tels jus qu"on ne sait plus par quel bout la prendre. » 2 La nature tentaculaire et labyrinthique de la mythologie est un autre danger : c"est la persistance du regard et du motif oculaire qui fera le lien entre tous les récits édifiants. Nombre d"entre eux s"articulent autour du regard et du désir: dans les mythologies grecques, mésopotamiennes ou dans les récits bibliques, l"oeil jouissant est sans cesse en cause :

1. Gaston Bachelard, L"eau et les rêves, chapitre III, Livre de poche, 2001, p. 85.

2. Jacques Lacan, Le séminaire, livre XX, Encore, Seuil, 1975, p. 104.

10 " Le domaine de la vision a été intégré au champ du désir. »3 Regard, désir, plaisir... Trois notions enchâssées jusque dans le champ psychanalytique pour qui " l"impression visuelle définit une topographie sexuelle et désirante de la surface des corps. C"est dans cette impression visuelle que s"éveillent les désirs sexuels »

4 ... Dans les récits qui mettent en scène cette triade, il est presque toujours

question de nudités surprises et des sentiments amoureux qu"une telle vision procure. L"exhibition du corps évoque la jouissance et les histoires de femmes au bain sont toutes des histoires de l"oeil, elles racontent et mettent en scène un homme qui surprend une femme qui se baigne. Dès lors, la frontière entre Actéon épiant Diane et le peintre scrutant son modèle au bain est poreuse... Cette confusion, ce glissement possible entre deux registres n"est pas sans alimenter l"imaginaire des artistes. Qu"ils soient engendrés par la mythologie, qu"ils soient peintres ou spectateurs d"une quelconque scène : " Tous les hommes qui ont des yeux ont été quelque jour témoin. »5 Ce postulat de Merleau-Ponty, placé sous le signe du masculin, répond à celui selon lequel la femme est faite pour être regardée. D"emblée, les termes du contrat sont

posés et la relation vu-voyant s"élabore : " la peinture ne célèbre jamais d"autre énigme

que celle de la visibilité. »

6 Quelle peinture, aussi hermétique ou avare d"image soit-

elle, n"est pas faite pour être regardée d"une manière ou d"une autre? Une triade semble impérative : la baigneuse qui est épiée est aussi divine, jeune et

belle. Les divinités sont aussi triples, à l"image des Trois Grâces, qui déclinent les trois

aspects de la déesse grecque : chaste, tentatrice mais redoutable pour celui qui bafoue les codes amoureux. Les récits se décomposent ainsi en trois actes, dont le dernier est généralement la représentation d"un désir de mort ou d"un interminable supplice. Rubens indique dans une lettre la charge dramatique de tels récits : " Ce seront toujours des tragédies conformes à l"extrême violence de l"antiquité. »

7 C"est à partir

de ces schémas ternaires que gravitent la majorité des tableaux mythologiques liés au regard, d"avant 1630.

3. Jacques Lacan, Le séminaire, livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse,

Seuil, Paris, 1973, p. 80.

4. Hervé Huot, Du sujet à l"image, Une histoire de l"oeil chez Freud, Ed. Universitaires, Paris, 1987, p. 122.

5. Maurice Merleau-Ponty, L"oeil et l"esprit, Gallimard, Paris, 1964, p. 29.

6. Ibid. p. 26.

7. Rubens, Lettre datée du 25 juin 1627, Correspondances, Tome II, L"Harmattan, Paris, 2005, p. 154.

11 Point nodal des peintures mythologiques de Rubens : c"est l"oeil désirant dans sa

fonction captatrice qui est exalté et rabâché. Pourtant, parmi toutes ces fables et

toutes leurs déclinaisons possibles, il arrive que l"homme change de statut et devienne la proie. Juste retour des choses ! Cet inversement redessine l"ambigüité du voir et du

désir. Entre les pulsions qui ont pour but de regarder et celles qui s"attachent à

montrer, quelle différence ? Il y a sans doute une forme de réciprocité : qui désir voir,

désir se montrer et lever le voile sur les fantasmes qui le hantent. Le voir incognito n"a qu"un temps et ouvre vers la pulsion jumelle. Voir, c"est nécessairement être vu, nul n"y échappe et ce retournement de situation coûte cher, c"est être pris à son piège dans une ironie macabre. Bien peu de représentations érotiques parlent à vive voix de la femme en jouissance du regard. Ce motif, largement minoritaire, demeure un tabou mémorable, une effraction au règne masculin: " La femme jouit plus du toucher que du regard, son entrée dans cette économie scopique dominante signifie une assignation pour elle à la passivité : elle restera le bel objet à regarder. » 8 La femme touche, frôle, l"homme regarde, dévore... Les catégories rigides sont naïves et sans nuances : elles aplatissent tout, ne laissent pas de place à l"imaginaire et au pictural. Pour bousculer les schémas établis, quoi de mieux qu"un contre-exemple ? L"histoire de Psyché bouleverse le dispositif vu-voyant traditionnel. Habitée par un

désir irrépressible de voir, elle incarne la pulsion scopique au féminin et c"est

probablement Apulée qui s"en fait le plus beau poète, et Jules Romain, le peintre le

plus fidèle. Les artistes sont fascinés par cette figure spécifique qui apporte avec elle la

lumière sur la nudité masculine et qui, métaphoriquement évoque le principe-même de la peinture. Bachelard et Lacan nous éclairent sur cette question : " C"est par le regard que j"entre dans la lumière, et c"est du regard que j"en reçois l"effet. Le regard est l"instrument par où la lumière s"incarne. » 9 L"oeil, le désir puissant de Psyché, et la peinture se répondent en écho car les trois entités n"existent pas sans la lumière. Cette Psyché se fera alors l"effigie féminine de l"esthétique et de l"oeil baroque, par sa soif de voir. Un oeil insatiable dans le répertoire du féminin. C"est aussi son corps de peinture, assujetti à la figure elliptique, au voile et aux plis qui se fera baroque, à la lecture de Deleuze.

8. Elvan Zabunyan, Cachez ce sexe que je ne saurais voir, Ed. Dis voir, Paris, 2003, p. 15.

9. Jacques Lacan, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, op. cit., p. 98.

12 De même qu"il y a plusieurs façons de voir : jeter un coup d"oeil, apercevoir, regarder, surveiller, fixer du regard, dévorer des yeux, imaginer, rêver... il y a plusieurs façons d"être vu : entre se montrer ouvertement et se couvrir intégralement existe toute une palette de postures. De même qu"entre l"opaque et le diaphane, tout un champ de voiles s"interposent entre l"oeil et l"objet convoité. Le regard est donc multiple,

presque infini : il se décline au fil des récits. Pourtant de grands schémas se répètent,

des modèles autour desquels les artistes élaborent leur imaginaire pictural. De fil en aiguille les récits se transforment et s"ajustent à l"univers du peintre, mais ce qu"il y a de plus archaïque résiste à toutes les relectures du mythe : jamais l"oeil ne renonce à

l"appel érotique. De cette réciprocité entre le vu et le voyant émerge la trame

structurelle de cette thèse : il s"agira du regard des personnages mythologiques peints et de celui du spectateur. Dans et hors le tableau donc. Oui ! L" " aveuglement et la toute-puissance de l"oeil désirant » énoncés dans le sous-titre concernent les deux ! Quels qu"ils soient, les dispositifs optiques du scénario amoureux hantent la peinture de Rubens, ils constituent son esthétique, son oeil ouvert sur le monde et la peinture. Il est alors intéressant de dresser une typologie du regard des amants à travers les mythes fondateurs et leurs diverses versions, pour en découvrir les symboliques cachées ou revendiquées et voir pourquoi ces histoires de l"oeil ont une résonnance

particulière dans la pensée baroque en général, et dans l"oeuvre de Rubens en

particulier. Car il n"est pas le seul à citer les mythologies du regard, c"est une

référence quasi-immémoriale puisque ces légendes, qu"elles soient écrites ou orales, se

sont toujours accompagnées d"une représentation dessinée, sculptée, imaginée...

Qu"il s"agisse des récits grecs ou latins, les représentations sont donc innombrables, depuis toujours les peintres se nourrissent de ces histoires largement diffusées dans l"iconographie occidentale pour alimenter leur univers poétique. Mais à l"ère renaissante et baroque, elles connaissent une montée en puissance et une apogée, semble-t-il avec Rubens, l" " Homère-peintre ». Comment rejoue-t-il à l"image ces antiques récits en créant ses propres espaces imaginaires ? Qu"est-ce que ces mythes du regard nous donnent précisément à voir en dehors de la composante narrative et symbolique ? En guise de prologue, j"envisage de jeter un coup d"oeil sur un beau tableau de

Rubens et Bruegel, fruit d"une collaboration plusieurs fois répétée. Cette spécificité,

cette image unique où deux regards se confrontent et s"allient fait sens : n"est-ce pas déjà là une allégorie de la vue ? J"ai l"espoir de trouver dans cette Allégorie une sorte d"anthologie visuelle, foisonnante mais construite, baroque et renaissante, comme toujours chez Rubens, qui 13 annoncerait en une seule image toutes les mythologies que l"on va approcher, et qui montrerait une réflexion sur l"oeil désirant. Comme si cette peinture, relativement petite pour Rubens, tirait sa puissance visuelle et évocatrice non pas d"un habituel gigantisme mais des métaphores " optiques » qu"elle renferme. Allégorie de la vue, 1617, Rubens & Bruegel (ill. 1) Petit bijou de peinture serti de mille détails, autant à voir qu"à lire tant les discours imagés semblent à chaque recoin, l"Allégorie de la vue est un tableau dans le tableau : cette mise en abime est nécessairement porteuse de sens. En somme, cette peinture semble montrer de manière redondante son principe d"existence, sa fonction fondamentale qui est de s"offrir et/ou de se dérober aux yeux du spectateur. " Ce qui me plait justement dans la peinture, c"est qu"on est vraiment obligé de regarder. Alors là, c"est mon repos. » 10 Cette allégorie de la vue, à la fois fourmillante et organisée, est plus que jamais faite pour les yeux ; mais quelle peinture ne l"est pas ? Quelle musique n"est pas faite pour

être écoutée ? Les mots de Michel Foucault indiquent d"emblée cette évidence et

Lacan l"évoque aussi : " Assurément dans le tableau toujours se manifeste quelque chose du regard »

11. L"un et l"autre parlent du plaisir de regarder, de la jouissance

oculaire qui trouve écho dans tous les mythes amoureux que l"on croisera : " Le voir, c"est où pour lui réside le plaisir suprême [...] celui qui se produit du coeur, du centre du pur plaisir. Nulle peine n"a besoin de précéder le fait que nous voyons pour que ce soit un plaisir. » 12 D"ores et déjà, spectateur du tableau et mythe s"entrecroisent, et cette relation, mise en scène par les dispositifs picturaux, ne cessera de se tisser au fil de mon étude. Mais alors que Foucault parle de repos en regardant un tableau, la peinture se montre parfois avec une puissante dynamique en exigeant de l"oeil qui l"observe d"entrer dans la danse. L"exubérance baroque organise ses images suivant la chorégraphie des corps et le mouvement des âmes, et le repos ne s"opère souvent que dans la fin du récit où la mort du héros sonne le glas du récit. Oui l"image peinte est immobilité mais elle exige de son observateur une mobilité incessante, un investissement de soi.

10. Michel Foucault, Dits et Ecrits, tome II, Gallimard, Paris, 2001, p. 706.

11. Jacques Lacan, Le séminaire, XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, op. cit., p. 93.

12. Ibid., p. 58.

14

1. Allégorie de la vue, 1617

Rubens et Jan Bruegel

65 x 109 cm, huile sur bois

Museo del Prado, Madrid

15 Dès lors, ouvrir les yeux sur la peinture et sur le mythe dont elle se fait messagère, c"est accepter d"être emmené et projeté dans un univers dont on ne ressort qu"avec l"image imprimée dans la rétine et l"esprit : " Ce tableau n"est rien d"autre que ce que tout tableau est, un piège à regard. »13 C"est un piège car il est question de rapt, de capture : tous les récits qui mélangent l"oeil et l"amour en portent la trace, cette mise en abîme de la posture spectatorielle constituera un des leitmotivs de mon étude. Tous les objets qui prennent place dans le tableau sont précisément des objets visuels : on y trouve des instruments d"optique et de mesure traditionnels dans une allégorie de la vue tels que sextants, loupes, lunettes astronomiques et autres globes qui, côtoyant les bustes de philosophes antiques, soulignent d"une pointe d"orgueil toute rubénienne l"exigence, la réussite sociale et la fierté humaniste du temps baroque. Une de ces loupes nous aiderait bien d"ailleurs à décrypter le fourmillement de détails infiniment petits dont dispose le tableau ! Notre oeil est un organe de plaisir et de frustration, l"un ne va pas sans l"autre et ne rien voir de ce qui nous est montré constitue sans doute son insatisfaction majeure. Un oeil aveuglé, privé de plaisir scopique, dénaturé : une aberration ! Dans l"allégorie de Rubens, le visible et le voilé sont subtilement dosés, cet équilibre excite le regard, comme le suspense tient en haleine le lecteur. De toute façon une peinture n"est qu"un fragment de vision, un champ et un hors-champ, une image enserrée dans un format qui n"admet pas d"extension, non ? On verra pourtant que Rembrandt renégocie cette question de limites physiques en greffant à sa Suzanne au bain de la Haye une bande de bois où figure évidement... un oeil ! Un rajout in extremis, à peine visible. La greffe a fonctionné pour restituer à Suzanne l"organe scopique du vieillard sans lequel elle n"existe presque pas.

L"Allégorie de la vue est un cabinet de curiosités en modèle réduit au regard des petites

dimensions du tableau, où tout est miniaturisé, comme vu à travers un verre rapetissant : " Il est très naturel, je vous le dis, d"aimer les choses en petit, c"est simple, on a tout à la fois » 14.

13. Jacques Lacan, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, op. cit., p. 80.

14. Gertrude Stein dans son essai Peinture, 1934, cité par Janis Mink in Duchamp, Taschen, Paris, 2000, p. 84.

16 Tout à la fois : vieux fantasme panoptique revivifié ici... Pourtant l"abondance de motifs nous met face à nos limites, tout n"est pas visible et lisible d"un coup, quoi qu"en dise Léonard de Vinci dans son Eloge de l'oeil concernant l"instantanéité de la peinture. Ici le regard est tellement sollicité que l"allégorie fonctionne en rappelant l" " inattention des yeux qui sont ouverts sans voir »

15. Regarder quelque chose

implique nécessairement un renoncement ; seul Argos, avec ses cents yeux peut tout saisir d"emblée sans perdre une miette du spectacle. Seul Argos expérimente pour un moment néanmoins, les modalités du tout-visible, il est à ce titre une figure-reine du rêve panoptique de la peinture. Nous rencontrerons Argos et ce qu"il a à nous dire. En plus d"être les ornements obligés de tout cabinet baroque de l"honnête homme qui se pique de science et de métaphysique, le télescope et le microscope que Rubens place au centre de la représentation constituent bien sûr les deux versants jumeaux d"un même fantasme lié à la démultiplication du pouvoir scopique, ce rêve commun

à tous les récits du regard amoureux et à l"élan pictural. Ainsi, le premier sert à voir

l"infiniment loin, le second à voir l"infiniment petit, là où l"oeil sans artifice et sans aide cesse de voir. Les instruments optiques multiplient extraordinairement les pouvoirs de l"oeil, ils offrent la perception allant du grain de sable à celle des constellations, naviguant entre les pôles de la micro et de la macro-vision. De ces regards perçants demeure la sulfureuse notion d"infini auquel l"oeil baroque, la philosophie et la peinture se mesurent. C"est ce que nous rappelle Merleau-Ponty dans L"OEil et l"Esprit, en évoquant la faculté qui nous est donnée par notre oeil de nous imaginer ailleurs: " Il faut prendre à la lettre ce que nous enseigne la vision : que par elle nous touchons le soleil, les étoiles, nous sommes en même temps partout, aussi près des lointain que des choses proches [...] » 16 Le regard comme un espace de liberté, d"imaginaire et de projection vers un ailleurs et un autre temps en somme. Il s"agit bien d"une omnipotence scopique rêvée que l"on observe dans les mythes et qui trouve tout son sens dans le champ pictural qui ne fait que voir, montrer, cacher, exciter l"oeil et susciter l"imaginaire. Entre réalité, fantasme oculaire et mirage, on imagine quel engouement suscitent les premières lunettes de Galilée officiellement présentées au Sénat de Venise en aout

1609, dont la focale grossit quatorze fois l"objet observé en même temps qu"elle

provoque de fortes aberrations optiques. Objets hallucinatoires épris de science, les

15. Marc Le Bot, L"OEil du peintre, Gallimard, Paris, 1982, p. 42.

16. Maurice Merleau-Ponty, op. cit., p. 83.

17 lentilles mêlent donc rigueur, calcul et " démesure ». Pris dans le double jeu visuel du rapprochement et de la déformation, le regard de Galilée voisine le rêve baroque. Esthétique et sciences se nourrissent l"un et l"autre du contradictoire pour se construire. Baroque, Galilée l"est aussi jusque dans son rapport avec l"Eglise : homme de foi hanté par le désir de regarder le monde autrement qu"à travers le regard divin. Avec Galilée, ce n"est plus Dieu qui est au centre de l"univers c"est l"homme, avec toutes les imperfections que cela suppose : " Après la conquête de la Terre et à l"assaut du ciel, Kepler découvre avec effroi que les planètes ne décrivent pas des cercles harmonieux autour du soleil, mais des ellipses. La Terre comme possédée tourne sur elle-même, mais décrit une ellipse, figure aberrante sans centre. » 17 L"existence de l"homme se conçoit autant au travers de ses croyances que de ses savoirs. Foi en Dieu, foi en la science et de l'éclairage nouveau qu"elle apporte sur l"énigme du monde, comme un oeil nouveau. Les découvertes successives en astronomie n"apaisent pas les esprits de certains gnostiques en soif d"idéal qui n"ont que faire d"une telle hérésie... Puisque l"émergence de ces objets traduit d"emblée une soif de voir autrement, elle ouvre vers de nouveaux espaces imaginaires, de nouvelles mythologies : une infinité de visions du monde voit le jour en ce siècle ou sciences de l"optique et poésie se mélangent. Armé de la lunette grossissante, l"oeil de l"homme s"approche, comme un Icare rendu fou, de l"astre le plus dangereux à regarder et découvre les taches du soleil

qui se forment à sa surface. L"astre aveuglant de lumière ressemble alors à ces

divinités mythologiques dont la chair illumine la peinture mais dont il est, dans le récit, fatal de soutenir du regard. Puisque l"infiniment loin se rapproche, une cosmologie nouvelle s"opère et bouleverse l"harmonie acceptée du cosmos avec la Terre qui n"est plus le centre de l"univers sous l"oeil exclusif du créateur. C"est peut- être le rêve impossible de réduire l"angoissante infinitude au fini rassurant qui se voit en partie exaucé dans l"invention d"un tel objet? Quoiqu"il en soit, entre démarche rigoriste et déformation de l"image, la lunette astronomique est un instrument à la fois scientifique et poétique qui n"est pas sans rapport avec l"ensemble de la peinture rubénienne .. Elle évoque le voyage dans les airs et ce fantasme, plusieurs fois peint n"est pas nouveau. Ce thème onirique, est peut être un des plus archaïques, probablement présent en chacun de nous quelle que soit notre culture. L"ère humaniste que Rubens recevra en héritage est fascinée par le thème de l"envol. Car

17. Benito Pelegrin, Figurations de l"infini, Seuil, Paris, 2000, p. 31.

18 voir par-dessus tout et au-dessus de tout, ça ne vous évoque pas quelqu"un de surhumain? Léonard de Vinci, dont le rêve du voyage aérien se concrétise avec ses machines à voler, se fait au fond l"héritier d"un imaginaire universel qui donne à ses héros la faculté de voler et de tout voir par-dessus, comme le regard divin. Regard en plongée pour celui qui vole, en contre-plongée pour celui qui rêve de l"envol. Le gros globe qui figure dans l"allégorie de Rubens parle aussi de cet imaginaire lié au regard. Il permet des vues plongeantes et braquées sur la terre entière, un voyage improbable rendu possible. Cet envol imaginaire, vertigineux aussi, qui traverse les frontières sans vergogne, qui survole les contrées, alimente le désir d"un regard fou se croyant omnipotent. Cet oeil dément constituera le fil rouge de mon étude, sa trame de fond.

La géographie imagée et apposée sur une sphère pour répliquer l"exactitude des

dimensions veut résoudre l"énigme du monde : " Il faut resituer les débuts du baroque : à la fois pessimiste et enthousiaste, exalté et découvreur, audacieux et passéiste, poursuivant l"exploitation du globe, l"occupation des sols, curieux de la terre et soucieux du ciel, enflammé par l"homme et embrasé de Dieu. » 18 La scène géographique du monde s"agrandit en ouvrant les esprits vers de nouveaux horizons, de nouveaux possibles : tel est le siècle de Rubens. L"essor de l" " oeil cartographique » dont parle Christine Buci-Glucksmann dans son ouvrage du même titre s"inscrit dans cette double dynamique : empreint de l"enthousiasme des grandes explorations du début de la Renaissance mais aussi pris de doutes. A cette évocation, nous apercevons au loin Icare qui hante la peinture baroque parce qu"il fait du voyage aérien et du regard deux entreprises jumelles. Il demeure l"allégorie exaltante de celui qui imagine et tente une expérience folle, une arrogante ambition humaine mesurée à l"interdit des yeux, en cela on pourra le rapprocher de Narcisse et d"autres hommes punis d"avoir vu. Car, s"échappant du labyrinthe de Dédale, Icare brûle sesquotesdbs_dbs28.pdfusesText_34
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