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Critique économique n° 10 • Printemps-été 2003 95

Résumé

Rabat-Salé,capitale politique du Maroc et sa périphérie semble, a priori, épargnée par les problèmes d'eau potable longue et complexe, il couvre inégalement le territoire de la ville. Les disparités socio-spatiales en matière d'équipement,de volumes consommés,de dotations per capita sont fortes.Au moment où le principe d'une nécessaire préservation de la ressource s'impose à tous,l'assainissement liquide,jusque-là marginalisé, devient un véritable enjeu.Ainsi,en mettant en évidence les c onditions du changement intervenu dans la gestion de ce service public local de première nécessité, on s'interroge sur le mode de gouvernement de la grande ville marocaine d'aujourd'hui. Mots-clés :eau, ville, gestion urbaine, disparités socio-spatiales, distribution, gestion déléguée, service public local de première nécessité.Introduction Aujourd'hui encore plus que par le passé, la question de l'eau se pose avec davantage d'acuité au Maroc. L'appartenance du pays aux domaines arides et la croissance soutenue de la demande en eau concourent à expliquer l'insuffisance des ressources disponibles, elles-mêmes à l'origine de conflits de compétition entre utilisateurs différents, en particulier en période de pénurie. Malgré la politique des grands barrages, impulsée en 1967, qui avait pour objectif, entre autres, de réguler les variations inter-saisonnières, l'irrégularité inter-annuelle devient de plus en plus difficile à supporter, en particulier la succession d'années sèches, comme en 1980-1984 ou en

1990-1994. Pour compenser, les eaux souterraines ont été sollicitées : les

prélèvements croissants les ont ainsi mis à rude épreuve. Sur 30 km3 d'eaux renouvelables et 21 km 3 exploitables, les ressources superficielles actuellement mobilisées atteignent 11 km3 dont 9,2 km 3 régularisés par les barrages. En ce qui concerne les eaux souterraines, sur 4 km 2 mobilisables,

Béatrice Allain-

El Mansouri

Centre Jacques Berque

des sciences humaines et sociales ,Rabat(*) Cet article est le texte remanié d'une intervention de l'auteur à la faculté de Fès dans le cadre du séminaire organisé par l'UFR "Eaux, société et aménagement » du département de géographie de l'université

Sidi Mohamed Ben

Abdallah (Fès) en avril

2000.

L'eau potable, origines et

fondements des pratiques en milieu urbain

Béatrice Allain-El Mansouri

2,6 sont déjà utilisés alors que plusieurs nappes souterraines connaissent

une tendance à la baisse, du fait du surpompage. Les perspectives sont donc plutôt sombres, surtout si l'on tient compte de la tendance à l'irrégularité, sans compter la tendance à l'assèchement climatique. Mais à ces considérations physiques s'ajoutent un autre aspect capital, à savoir la croissance démographique. Si effectivement, au lendemain de l'indépendance, avec une population d'un peu plus de 11 millions, dont

29,3 % résidant en milieu urbain, l'abondance des ressources pouvait faire

parler de "Eldorado du Maghreb", la situtation actuelle est beaucoup plus préoccupante. Si on retient les seuls chiffres du dernier recensement, c'est à une population de 26 millions d'habitants qu'il faut assurer les besoins en eau potable dont 13,4 millions résident en ville. Ainsi la population vivant actuellement dans les villes au Maroc représente la population totale que comptait le pays entre 1960 et 1971. On peut ainsi mesurer l'importance de cet enjeu si l'on sait que la ressource en eau per capitaa tendance à fortement diminuer. Pour la seule dernière décennie, cette dotation est passée de 1 200

à 950 m

3 /hab/an. D'ici 25 ans, elle ne sera plus que de 632 au moment même où la demande en eau potable aura atteint les 21 km 3 d'eaux mobilisables. On peut donc considérer que le Maroc est déjà à l'heure actuelle à la limite du seuil de "stress hydrique", évalué à 950 m 3 /an/hab. il devrait atteindre le seuil de pénurie, 500 m 3 /hab/an vers 2030. Au-delà des potentialités réelles, le Maroc devrait être conduit à mettre en place une nouvelle approche dans sa politique de l'eau, surtout si l'on tient compte des points suivants : - La part des ressources consacrées à l'agriculture domine largement (86 % en 1995). Mais en raison de l'urbanisation rapide, la part de l'alimentation en eau potable des villes (14 % en 1995) est appelée à croître beaucoup plus vite que l'irrigation, alors que celle-ci demeure essentielle pour l'économie du pays dans la mesure où les productions retenues, destinées à l'exportation, doivent être pourvoyeuses de devises (cf. situation de la dette/budget de l'Etat, soit 32 % des dépenses, 40/122 milliards). - La nécessité d'assurer les moyens de satisfaire la demande en eau potable de la population rurale, qui jusque-là s'est trouvée bien marginalisée dans l'accès à ce service de première nécessité. Ainsi en 1994, 47,1 % des ménages à l'échelle nationale bénéficiaient de l'eau potable à domicile, ils n'étaient que 10,6 % en milieu rural, contre 85,6 % en milieu urbain. - Enfin, la dotation globale en eau potable d'une ville n'est pas destinée en exclusivité à l'alimentation domestique, mais peut faire l'objet d'un usage industriel ou administratif. Dans la seule wilaya de Rabat-Salé, les consommations administratives représentaient près de 32 % du total consommé en 1992. Au moment où l'Etat, principal artisan de la politique de l'eau à l'échelle nationale, cherche à définir de nouvelles lignes forces de son action (maîtrise

96Critique économique n° 10 • Printemps-été 2003

L'eau potable, origines et fondements des pratiques en milieu urbain de toutes les ressources, pour assurer les besoins tant de l'agriculture irriguée que de l'alimentation en eau potable ; préservation de l'équilibre ressources/consommations des grands bassins hydrauliques ; amélioration de la gestion de l'eau mobilisée, en particulier la récupération de l'eau usée et son paiement à un juste prix), on peut s'interroger sur les pratiques existantes en milieu urbain en matière de distribution d'eau potable, alors qu'aucune ville ne dispose d'un raccordement à 100 % de sa population, comme c'est le cas dans nombre de villes du nord de la méditerranée. En quoi ces pratiques trouvent-elles leur origine, leur fondement, dans l'histoire en particulier de l'organisation du service mais aussi dans les conditions mêmes de production de la ville ? Après avoir, à partir de l'exemple de Rabat-Salé, décrit les contrastes existants dans les conditions d'accès et les pratiques qui en découlent, nous mettrons en évidence les grandes étapes de l'histoire hydraulique afin de mesurer en quoi elles ont eu des effets sur les pratiques. Nous conclurons sur les limites qu'imposent ces pratiques et la nécessité d'apporter des éléments de réforme pour permettre une meilleure gestion rendue impérative, comme nous l'avons vu, par la menace grandissante de "stress hydrique". I.Etat des lieux : de fortes disparités qui débouchent sur des pratiques plurielles A.Dans les conditions d'accès à l'eau potable La wilaya de Rabat-Salé, et tout particulièrement l'agglomération, présente un tissu urbain très contrasté. Elle se compose d'un centre au moins dual, plus ou moins compact, de franges urbaines partiellement intégrées et d'une périphérie rurale animée localement par des noyaux agglomérés en pleine expansion. En raison de la rapidité et de la complexité des processus à l'oeuvre, des formes plurielles d'habitat ont émergé et sont inégalement desservies en infrastructures de base, en particulier l'eau potable. Peu nombreux sont les quartiers qui enregistrent 100 % d'abonnés. Aussi, les points d'eau collectifs, au nombre de 128, soit moins de 1 % du total des abonnements, conserve un rôle essentiel, notamment dans les quartiers non réglementaires en dur ou précaires. Désigné sous le terme de "seqqaia", il ne recouvre par la même réalité. La borne-fontaine de construction récente sans prétention esthétique se limite à un simple robinet alors que la fontaine, située en médina, souvent décorée de zelliges, vise à s'inscrire dans le patrimoine de la ville, du moins du point de vue des décideurs, car il est clair que dans les deux cas, pour l'usager, ce qui importe est de pouvoir d'abord s'approvisionner en eau. Pourtant, en raison de la politique de généralisation du raccordement individuel, les bornes-fontaines tendent à être fermées, accentuant de fait la ségrégation socio-spatiale entre Rabat et Salé, entre le centre et les quartiers situés à la limite du périmètre urbain, mais plus encore au coeur même de Critique économique n° 10 • Printemps-été 2003 97

Béatrice Allain-El Mansouri

certains quartiers, où des formes d'habitat insalubre ou des noyaux de bidonvilles anciens, insérés dans le tissu urbain, persistent. Exclus de la logique du réseau parce que résidant dans des formes d'habitat non réglementaires, ces citadins ordinaires doivent faire preuve d'une ingéniosité toujours plus grande pour assurer leurs besoins en eau, en recourant à des solutions alternatives (don gracieux, déplacement plus lointain vers des fontaines encore en fonctionnement, réservoirs d'eau de pluie, puits, toilettes publiques, vendeurs d'eau) alors que s'accentue leur marginalisation tant sociale que spatiale. A la périphérie, les contrastes sont encore plus violents entre une population agglomérée dans les petits noyaux qui commencent à être raccordés, individuellement ou collectivement, au réseau et une population rurale. Le réseau d'eau potable n'a pu être développé jusqu'à présent en milieu rural en raison de l'extrême dispersion de l'habitat. Aussi, les usagers mobilisent-ils toutes les ressources à leur disposition, qu'elles soient souterraines ou superficielles, temporaires ou pérennes. Néanmoins, la multiplication des points de prélèvement ne les met pas à l'abri de la pénurie. Ainsi, les concurrences entre maraîchage irrigué et usage domestique, que l'autorité locale a bien du mal à arbitrer, s'exacerbent en période de sécheresse. La solution, a prioriséduisante du barrage-collinaire, expérimentée dans la commune d'Ain el Aouda, apparaît plus dans les faits comme un accessoire que comme un outil déterminant de la politique de l'eau en milieu rural.

B.Du point de vue des consommations

Si les disparités dans les conditions d'accès à l'eau potable sont un premier indicateur pertinent des inégalités vis-à-vis des services urbain, les disparités du point de vue des consommations sont particulièrement révélatrices du degré de ségrégation sociale en raison même de leur coût. La consommation d'eau potable distribuée par le réseau est tout à fait inégale selon les quartiers, les catégories sociales et les usages. La consommation des particuliers est directement liée aux conditions d'accès à cette infrastructure qui irrigue inégalement la ville. Dès lors qu'un ménage peut souscrire un abonnement, sa consommation d'eau augmente en fonction de son niveau de vie. La géographie des consommations correspond parfaitement à celle des abonnements et constitue un indicateur pertinent de la ségrégation socio-spatiale entre l'agglomération et la périphérie, au sein de l'agglomération, entre Rabat et Salé et entre les quartiers. Ainsi l'exclusion de la logique du raccordement individuel se traduit par la persistance des bornes-fontaines. Représentant en 1992 une consommation de 1 953 822 m 3 contre 61 526 337 m 3 tous usages confondus sur la wilaya, soit 3 % de la consommation totale dont le coût est assumé, certes, par les collectivités locales, les bornes-fontaines ne doivent pas être synonymes de gaspillage. En effet, la dotation per capitaest la plus faible enregistrée, soit 20 litres par jour en moyenne. En fait, alors que les bornes-fontaines font l'objet de la "sollicitude" de tous, la discrétion est

98Critique économique n° 10 • Printemps-été 2003

L'eau potable, origines et fondements des pratiques en milieu urbain de rigueur en ce qui concerne les consommations administratives. Ces dernières, particulièrement élevées à Rabat (1), reflètent sa fonction de capitale politique et administrative, mais ne font l'objet d'aucune suspicion de gaspillage. Tout se déroule comme si le raccordement collectif des plus pauvres était devenu "la bête noire" des responsables. A travers leur suppression, c'est une certaine image de la ville que l'on vise : en éradiquant les bornes-fontaines du paysage, on cherche à supprimer le signe du mal-développement de la ville. II.Cet état des lieux s'inscrit dans une histoire longue et complexe A.1912-1956 :d'une gestion communautaire à une gestion industrielle L'instauration du Protectorat a provoqué une rupture majeure dans la gestion et dans la perception de l'eau potable dans les villes marocaines, en contribuant à l'émergence d'un nouveau rapport à l'eau, conçue non plus comme don de Dieu mais comme bien marchand nécessitant une organisation industrielle du secteur.

1.Avant 1912 : habous, fontaines et gratuité constituent les termes de

référence en matière d'eau potable Bien avant l'irruption de la colonisation, les cités intra-muros de Rabat et de Salé disposaient d'un système de distribution d'eau potable. Celui- ci avait été mis en place au cours des siècles par les sultans, qui avaient entrepris une politique de transferts en vue d'approvisionner régulièrement en particulier les villes impériales. En raison de la forte salinité des eaux de l'estuaire, jusqu'à 15 km de l'embouchure, il fallut avoir recours à d'autres modes d'approvisionnement en eau. Dès le XII e siècle, les sources d'Ain Attig et d'Ain Gheboula, situées au sud-ouest de Rabat ont leurs eaux amenées par aqueduc jusqu'à la médina. Deux siècles plus tard, sous l'impulsion des sultans mérinides, Salé, située sur la rive droite de l'oued Bou Regreg, fut alimentée de manière semblable par les eaux d'Ain Barka située à 15 km au nord de Salé. L'eau, ainsi mobilisée, était conduite jusqu'à la ville par une canalisation tantôt à ciel ouvert, tantôt enterrée. Arrivée en vue de la ville de Salé, par exemple, elle prenait l'allure d'un aqueduc dénommé "El Kouass" en raison de ses trois arcs qui servait de deuxième rempart, protégeant les jardins de la ville et la route principale reliant Salé

à Tanger.

L'eau alimentait gravitairement, à partir de la Grande mosquée, les monuments religieux (mosquées, marabouts), les fontaines, les hammams(2), les latrines et les abreuvoirs. L'ensemble de ces équipements collectifs étaient des biens habous, de même que certaines sources (Ain Attig à Rabat, Ain Barka à Salé). Ils étaient placés sous l'autorité du Nâdhir (3). Celui-ci devait veiller en particulier à la répartition équitable de l'eau. Pour cela, sur les parois Critique économique n° 10 • Printemps-été 2003 99 (2) Hammam : bain maure. (3) Nadhir : responsable de la gestion des biens (1) La consommation des administrations s'élevait en 1992 à 19 858 695 m 3 soit 32,3 % de la consommation totale à l'échelle de la wilaya. La ville de Rabat à elle seule consomma à la même date 13 824 149 soit

69,6 % du total des

consommations administratives.

Béatrice Allain-El Mansouri

des bassins de distribution et des vasques des édifices du culte étaient pratiquées des ouvertures à des hauteurs et de diamètres variables, selon le débit concédé. Il pouvait ordonner de procéder aux réparations et régler les dépenses grâce aux revenus d'autres biens habous. Ainsi, le sultan Moulay Ismail constitua, en 1712, les revenus de la pêche de l'alose dans l'oued Bou Regreg afin d'assurer les fonds nécessaires à l'alimentation en eau de la ville de Salé. Les habitants s'approvisionnaient essentiellement aux fontaines. Ils s'y rendaient directement ou faisaient appel à des porteurs organisés en corporation et qui étaient le plus souvent originaires de la région du Drâa. Exceptionnels étaient les branchements particuliers. Faveur accordée par le sultan, elle était mise en application par le Nâdhir. Les bénéficiaires avaient la charge de l'installation et de l'entretien de la conduite du point de prélèvement jusqu'à leur demeure. En complément, l'eau nécessaire aux gros travaux domestiques était prélevée dans les puits qui subsistaient dans de nombreuses maisons ou dans les réservoirs d'eau de pluie, appelés mitfia, installées en sous-sol. En revanche, pour les soins corporels tant du point de vue de l'hygiène que de l'observance de la pureté rituelle (grandes ablutions), les habitants fréquentaient plusieurs fois par semaine le hammam. L'organisation de la distribution de l'eau potable à la veille du Protectorat repose donc sur une autre logique que celle qui prévaut aujourd'hui. Communautaire, articulée fondamentalement par le religieux, l'eau n'y est pas sacralisée, mais demeure instrument du sacré. Impérative dans la pratique cultuelle, perçue comme don de Dieu, elle ne peut faire l'objet de transactions marchandes et renvoie à des droits d'usage plutôt que de propriété. Sa gestion est assurée localement par les habous, mais impulsée en partie par le pouvoir central, si l'on se réfère au rôle du sultan. Enfin, les équipements collectifs, visibles dans l'espace urbain, participent à sa structuration en contribuant à l'émergence de lieux de sociabilité au coeur de l'espace public comme les fontaines ou les bains maures.

2.Le temps de la colonisation : service public, rentabilité et hygiénisme

prennent le relais dans une perception duale de la ville Malgré la cohérence de cette organisation, la situation se révélait alarmante du point de vue technique à la veille de l'instauration du Protectorat. Nombre de fontaines n'étaient plus en fonctionnement, tandis que les aqueducs n'apportaient plus qu'une eau terreuse, le plus souvent impropre à la consommation. Ces déficiences techniques permirent aux autorités coloniales de justifier des choix qui permettaient dans un premier temps, certes, d'améliorer le sort des villes anciennes mais qui, bien au-delà, allaient bouleverser radicalement le système préexistant, en vue de donner corps au projet urbanistique impulsé par le Maréchal Lyautey. La dimension hygiéniste est au coeur de ce projet. Elle traduit la volonté des autorités coloniales d'éradiquer tout risque d'épidémies véhiculées par

100Critique économique n° 10 • Printemps-été 2003

habous, nommé par le

Sultan.

L'eau potable, origines et fondements des pratiques en milieu urbain l'eau et qui avaient provoqué de véritables ravages quelques décennies auparavant. Sous-tendue par les nouveaux savoirs et les nouvelles techniques nées de la Révolution industrielle, la domestication de l'eau bouleverse profondément la perception que les contemporains en ont alors en Europe et en France en particulier. Devenue produit industriel au même titre que le charbon, elle assure le développement de grandes compagnies comme la C.G.E. (4) ou la Lyonnaise des eaux, modifie le paysage urbain, balaye les traditions qualifiées de superstitions en imposant de nouveaux rites de propreté et d'hygiène, véhiculés par l'école, la presse et l'hôpital. Dans les villes marocaines, la mise en oeuvre de l'hygiénisme est rendue compliquée par une double orientation. D'une part, la volonté de préserver le caractère "originel", "traditionnel" de la vieille médina pousse les autorités coloniales à la toucher le moins possible. On décide, dès 1912, de la nettoyer, de la déblayer, de restaurer les fontaines, de développer un réseau d'égoûts... D'autre part, le projet de ville nouvelle doit permettre d'en faire la vitrine du modernisme le plus avancé pour son temps en mettant en oeuvre une planification d'avant-garde. Il s'agit en particulier de la doter de toutes les commodités, en particulier le raccordement d'eau potable à domicile permettant de disposer d'une salle de bain, de WC particuliers. Ainsi le territoire de la ville et a fortiori ses habitants ne sont pas perçus comme une entité globale, mais comme des portions d'espace auxquelles on applique un traitement urbanistique différent. A Rabat, la question de l'accès à la ressource et son mode de distribution, compte tenu du passé hydraulique de la ville et de la demande de populations nouvellement installées, se posa essentiellement en termes de rupture avec le mode de fonctionnement préexistant. Un projet de réforme vit le jour. Il passa par l'adoption d'une série de textes juridiques qui, tout en préservant dans ses formes anciennes la distribution d'eau potable dans la ville intra- muros, garantissait l'approvisionnement en continu des nouveaux quartiers de la ville européenne. Du point de vue institutionnel, les Habous (5) durent céder à la Résidence la gestion des eaux dont ils avaient la charge, sous réserve cependant que les établissements religieux, bains maures et latrines publiques continuent d'être alimentés. A la même période est défini le domaine public (6) dans lequel furent intégrées en particulier les sources qui approvisionnaient jusque- là la ville de Rabat-Salé. Les villes sont alors dotées d'une commission municipale dès le 1 er avril

1913. Rabat, promue capitale politique la même année, décide de céder

la concession de distribution d'eau potable et d'électricité à la Société marocaine de distribution (SMD) en 1915. Celle-ci est renouvelée en 1931 pour une durée de 40 ans. Ce choix était motivé essentiellement par des questions financières, car les aménagements hydrauliques engageaient fortement les finances du Protectorat, bien au-delà des finances de la nouvelle Critique économique n° 10 • Printemps-été 2003 101 (6) Dahir du 1 er juillet

1914.(4) CGE : Compagnie

générale des eaux. (5) Dahir du 28 avril 1914.

Béatrice Allain-El Mansouri

municipalité. La collectivité publique chargeait donc une entreprise de réaliser l'équipement et d'en assurer l'exploitation à ses risques et périls, en se rémunérant directement auprès des usagers. Emanation du droit administratif français, la concession du point de vue politique apparaissait comme le moyen privilégié de pénétration des capitaux étrangers. Dès la Conférence d'Algésiras en 1906, les puissances signataires s'accordent sur le principe de la concession des services publics aussi bien au niveau national qu'au niveau local. A. Ayache (7) dans son bilan de la colonisation publié en 1956 indique : " La SMD et ses satellites, la Banque Paribas, associée à la puissante société Lyonnaise des eaux et de l'éclairage, filiale de la Compagnie générale d'électricité (groupe Mercier) se partagea... la construction des grands barrages, des centrales thermiques et hydrauliques. Le matériel d'équipement fut fourni par les mêmes groupes... les collectivités locales et les sociétés concessionnaires comme la SMD s'adressèrent pour les travaux d'adduction d'eau de canalisation et d'égoûts à la Société Pont-à-Mousson ou à celle des tuyaux Bonna, filiale de la Compagnie générale des eaux... » Le principe d'une concession exclusive de la production et de la distribution de l'eau potable à un groupe privé, né de l'alliance entre la banque Paribas et la Lyonnaise des eaux, traduisait le grand intérêt que suscitait la perspective du projet urbain de Lyautey dans les milieux d'affaires français et leur rapidité à se positionner sur ce marché naissant mais prometteur. Les années dix se caractérisèrent donc par le démantèlement du système ancien auquel on substitua un nouveau mode de gestion, la concession à une société privée. Les objectifs étaient non seulement la satisfaction des besoins en eau des habitants, mais aussi le souci de la rentabilité quasi immédiate. La décennie suivante se traduisit par une véritable course engagée pour satisfaire la demande croissante des Européens à partir des ressources locales. Insuffisantes, il fallut envisager un élargissement du rayonnement hydraulique. C'est dans ce contexte que fut lancé l'adduction de Fouarat qui, à partir de pompages dans la nappe de la Maâmoura, située au nord- est de Salé, devait permettre d'assurer l'alimentation des principaux centres de la côte atlantique jusqu'à Casablanca. L'ampleur des travaux et la complexité de la gestion conduisirent les autorités coloniales à prendre la décision de dissocier la fonction de production de celle de la distribution, alors qu'elles étaient confondues jusqu'alors. Un nouvel organisme fut créé par les pouvoirs publics : la Régie des exploitations industrielles du Protectorat (REIP). Par le biais de cet organisme, l'Etat prenait en charge les investissements nécessaires à la production de l'eau et les réseaux d'adductions régionales, tandis que la SMD conservait les activités de distribution et d'exploitation des sources et des puits situés dans la proximité immédiate des centres urbains.

102Critique économique n° 10 • Printemps-été 2003

(7) A. Ayache (1956),le

Maroc, bilan d'une

colonisation, Editions sociales, Paris, p. 141- 144.
L'eau potable, origines et fondements des pratiques en milieu urbain Qui a bénéficié de cet effort sans précédent ? La perception duale de l'espace urbain chez les autorités coloniales ne fut pas sans conséquence sur les modes d'alimentation des habitants. Au début des années cinquante, les principales conduites d'adduction mais aussi de distribution desservent essentiellement la ville nouvelle, alors que la médina ou les bidonvilles de la périphérie sont peu concernés. L'étude de la répartition des fontaines publiques est exemplaire : 11 robinets alimentaient la ville européenne contre 21 en médina et 42 dans les quartiers d'habitat précaire de Yacoub el Mansour et de Douar Doum. Dans le même ordre d'idée, le nombre d'abonnés disposant d'un branchement individuel s'élevait à 8 055 en 1950 dont 1 746 en médina, soit 17,8 % du total, tandis que le volume distribué s'élevait à un peu plus de 3 millions de m 3 dont 19 % étaient desservis dans la cité intra-muros. Le maintien des fontaines publiques dans la médina et dans les premiers quartiers périphériques de bidonvilles, au moment où les branchements individuels se généralisent dans la ville européenne, traduit le hiatus grandissant entre les différentes portions de l'espace urbain qui apparaît de plus en plus éclaté. La vision discriminatoire de cet urbanisme, qui se traduit par la volonté d'une stricte juxtaposition d'une population "indigène", installée en médina et incarnant la "tradition", à une population "européenne" résidant dans la ville "moderne", n'a pas pour autant débouché sur la mise en oeuvre d'une politique ségrégationniste dans l'organisation des services publics communaux comme la distribution de l'eau potable. Il n'a jamais été mis en oeuvre au Maroc de réseaux strictement séparés pour alimenter les communautés installées soit dans la ville intra-muros soit dans la ville extra-muros. Néanmoins, le développement du raccordement à domicile, réservé en priorité à une population, a joué un rôle nouveau et déterminant dans la dévalorisation de l'image de la fontaine. Celle-ci est peu à peu perçue par les habitants comme un signe de pauvreté et non plus comme un vecteur de l'urbanité, à l'instar de ce qui prévalait par le passé. B.De l'indépendance à nos jours : de la décolonisation à la mondialisation

1.Au lendemain de l'indépendance, une décolonisation en douceur des

services publics communaux L'accession du Maroc à l'Indépendance n'a pas fondamentalement remis en cause les grandes orientations en matière d'aménagements hydrauliques ni l'organigramme de fonctionnement tant de la production que de la distribution de l'eau potable. En revanche, la reprise du service concédé s'imposait aux yeux de la classe politique comme un moyen de recouvrer la souveraineté nationale. Ce mouvement d'ensemble débuta en 1961 à Casablanca, où fut créée la première régie, la RAD (Régie autonome de distribution), qui devait succéder à la SMD. Elle fut le premier Critique économique n° 10 • Printemps-été 2003 103

Béatrice Allain-El Mansouri

établissement communal marocain doté de l'autonomie financière et de la personnalité morale. La réussite de l'expérience, relayée par la volonté de "marocaniser" les structures administratives, conduisit à la publication, en septembre 1964, du décret relatif aux régies communales dotées de la personnalité civile et financière. La régie autonome est dotée d'organes de gestion propres : le conseil d'administration est composé pour 2/3 de représentants de la ou des collectivités concernées et pour 1/3 de représentantsquotesdbs_dbs46.pdfusesText_46
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