[PDF] Eros et Psyché: lêtre et le désir dans la magie amoureuse antique





Previous PDF Next PDF



Les larmes de Psyché - Léo Lamarche

Autour du mythe de Psyché et à la suite de la lecture cursive des Larmes de Psyché de Léo. Lamarche des activités sont proposées dans le.



Léo Lamarche

Ceux que vous côtoyez sans les entendre… dont les larmes furtives Résumé : Depuis l'enfance Psyché



DEFI-LECTURE cm2-6

Les larmes de Psyché. Léo Lamarche. Les personnages. Les personnages principaux : Nom. Qui est-il ? Que fait-il ? Personnages secondaires :.



PSYCHÉ TRAGÉDIE-BALLET

PSYCHÉ. TRAGI-BALLET. MOLIERE Jean-Baptiste Pocquelin dit (1622-1673). CORNEILLE



LAmbiguïté des larmes : Rousseau et la moralité de lémotion

résumer par la vanité de leurs larmes. Celles-ci pour reprendre une image célèbre de Diderot



Eros et Psyché: lêtre et le désir dans la magie amoureuse antique

12 déc. 2008 Eros and Psyche Being and Desire in Ancient Love Magic. Summary : The question of magicians' identity and ambition has suffered prejudice



SECTEUR DE COLLEGE DE BOEGE DEFI-LECTURE CM2-6e

16 métamorphoses d'Ovide. Françoise RACHMUHL. Flammarion Castor poche. Les larmes de Psyché. Léo LAMARCHE. Nathan



Jacques Cosnier 2015 PSYCHOLOGIE des EMOTIONS et des

aux aspects comportementaux gestes



Du corps au cœur : la fonction morale du pathétique dans Manon

question : par quel moyen transposer les larmes des personnages au plan propose une représentation pathétique de la psyché humaine où les larmes.



47 LINVISIBLE DANS LA POÉSIE DE RINA LASNIER HANA

Key words: invisible imagination

Université de Rennes 2

Th

èse de doctorat d'Histoire

Présentée et soutenue publiquement le 14 septembre 2007 par Gaëlle Ficheux

Eros et Psyché

L'être et le désir

da ns la magie amoureuse antique Di recteur de thèse: Pierre Brulé, professeur à l'université Rennes 2 Membres du Jury: Vinciane Pirenne-Delforge, maître de recherche au FNRS Francis Prost, maître de conférences à l'ENS de Paris et à l'université Rennes 2 Emmanuel Voutiras, professeur à l'université de Thessalonique Laboratoire de recherche: CRESCAM, Maison de la recherche en sciences sociales Un iversité Rennes 2, Place Du Recteur Henri le Moal, CS 24 307 35043 RENNES Cedex Eros et Psyché, L'être et le désir dans la magie amoureuse antique Ré sumé : " Voix des marginaux », "voix des femmes» ou "témoignages du déni des mâles », la qu estion de l'identité et des ambitions des magiciens de l'Antiquité semble bien souvent

catalyser les présupposés ou les préjugés anciens et modernes. La majorité des travaux

historiques consacrés à la magie antique se sont principalement appuyés sur l'étude des sources littéraires. Mais ces enchantements de littérature n'offrent généralement qu'une image stéréotypée de la magie amoureuse, la lisibilité des personnages ou des situations

étant essentiellement liée à l'exploitation de certaines caractéristiques réductrices ou

schématiques accessibles à tous. L'étude de ces sources demeure primordiale afin

d'éclairer la représentation des enchantements amoureux conçue par les sociétés

antiques. Mais il est souvent regrettable que la littérature occulte les autres sources et plus

singulièrement les défixions, qui sont les seuls témoignages directs du recours à la magie à

travers l'ensemble du bassin méditerranéen antique. Ce traveil de recherche est consacré

à l'étude systématique des défixions amoureuses de Grèce, d'Italie, d'Egypte et d'Afrique

romaine, datées du Ve s. av. au Ve s. ap. Elle analyse l'ensemble de ces textes et les

replace dans les contextes sociaux et culturels de leur élaboration afin de mettre en

évidence l'identité et les désirs de ces femmes et de ces hommes singuliers qui eurent recours à la magie amoureuse dans l'Antiquité. Eros and Psyche, Being and Desire in Ancient Love Magic Su mmary : The question of magicians' identity and ambition has suffered prejudice, at first in ancient sou rces and, in a second place, in modern historical studies. ln fact, most of scholar works dealing with ancient magic were based on literary sources which reflect a stereotyped image of love magic and enchantments, simplified in order to be accessible to anyone. If these sources remain essential to the understanding of ancient love magic, we can regret that other sources and most particularly defixions were neglected. Indeed, defixions are the only direct evidence of magic use. This research presents a systematic analysis of Greek, Italian, Egyptian and African love tablets dated from the Vth century b.c to the Vth century a.d. It puts back the defixions in their social and cultural context in order to identify men and women who use magic and the goals they pursuit. Key words: Love, Roman Africa, Antiquity, Defixion, Roman Empire, Greece, Magic, Ma gician, Magic papyri, Sexuality, Social History Je remercie chaleureusement tous ceux qui ont accompagné l'élaboration de cette thèse par leur soutien scientifique, moral ou affectif. Je pense tout particulièrement à mon directeur de recherche, Pierre Brulé, qui m'a fait confiance, et qui, par ses conseils avisés et son attention, m'a guidée durant ces années. Jacques Oulhen fut un conseiller onomastique opportun; Lydie Bodiou, Véronique Mehl, Dominique Frère, Francis Prost et Jérôme Wilgaux, m'ont associée à des manifestations scientifiques, me permettant ainsi de diffuser mes travaux. Je n'oublie pas non plus le laboratoire du CRESCAM, dont les séminaires réguliers ont éclairé la progression de cette thèse; ainsi que le personnel aimable et disponible de la Bibliothèque Universitaire et de l'Ecole Doctorale de l'Université de Haute- Bretagne Rennes 2. Mes pensées vont aussi à celui qui, patient et attentif, a encouragé plus que tout autre, jour après jour, l'avancement de mes travaux, Corentin. Je remercie également les membres de ma famille, entourage précieux et nécessaire. A mes amis enfin, toujours présents et de bonne humeur, merci

" Prends une pierre magnétique qui respire et grave dessus Aphrodite chevauchant Psychè, qu'elle

do

mine de la main gauche, ses boucles liées. Puis, au-dessus de sa tête, grave: ACHMAGE RARPEPSEI, et

sous Aphrodite et Psychè, grave Eros, debout, sur la voûte du ciel, brandissant une torche enflammée,

embrasant Psychè. Sous Eros, les mots suivants: ACHAPA ADÔNAIE BASMA CHARAKÔ IAKÔB IAÔ Ê

PHARPHARÊL Sur l'autre face de la pierre, grave Psychè et Eros s'enlaçant l'un l'autre, et sous les pieds

d'Eros, ceci: SSSSSSSS, sous ceux de Psychè: ÊÊÊÊÊÊÊÊ. La pierre une fois gravée et consacrée, utilise-la

de la manière suivante: place-la sous la langue, tourne-la vers celui que tu veux et dis cette formule :

" Je t'invoque, toi, auteur de toute création, toi qui déploies tes ailes sur l'univers entier, toi

l'

inaccessible, l'incommensurable et qui souffles en toute psychè le raisonnement fécondant, toi qui as

harmonisé toutes les choses à ta propre puissance, premier-né, fondateur de tout, toi aux ailes d'or, toi

lumière noire, toi enfouisseur des sages raisonnements et qui exhales une sombre folie, toi le clandestin, qui

en secret habites toutes les psychai Tu engendres un feu invisible, comme tu emportes tout être animé sans te

lasser de le torturer, mais plutôt te réjouis par un plaisir douloureux, depuis le moment où tout jùt engendré.

Tu apportes la peine, toi qui es parfois sage et parfois irrationnel, toi à cause de qui les humains osent plus

que ce qui convient, se réfùgiant vers ta clarté noire. Toi le plus jeune, contraire aux lois, implacable,

inexorable, invisible, incorporel, générateur de folie, archer, porteur de torche, toi qui de toutes les sensations

vivantes et de toutes choses clandestines es le maître, dispensateur d'oubli, père du silence, toi par qui et vers

qui avance la lumière, toi pareil à l'enfant quand dans un coeur tu as été engendré, mais le plus vénérable

quand tu as triomphé. (...) Tourne la psychè d'Une telle vers moi, Un tel, afin qu'elle m'aime, afin qu'elle me

désire, afin qu'elle me donne ce qui est entre ses mains. Qu'elle me dise ce qu'elle a dans sa psychè, car je

t'invoque par ton grand nom. » » Prescription thébaine du Ne s., PGMIV 1716-1870. Papyrus conservé à la bibliothèque nationale de Paris, P. Anastasi, Inv. lO73. 1

Introduction

" Voix des marginaux », " voix des femmes » ou " témoignages du déni des

mâles », la question de l'identité et des ambitions des magiciens de l'Antiquité semble bien souvent

catalyser les présupposés ou les préjugés anciens et modernes. Les études historiques ont longtemps

banni la magie aux marges des sociétés antiques en passant sous silence les pratiques occultes qui

disgraciaient l'image de ces communautés. Au début du XXe s., les premiers travaux consacrés à la

magie témoignent de la permanence de ces préjugés 1 : le magicien est encore considéré comme un être

au ban des sociétés qui trouve dans le recours à la magie un moyen secret et illicite de combler ses

désirs et ses frustrations 2 . Cette thèse est souvent fondée sur les portraits les plus saisissants de la

littérature ancienne ; ceux des magiciennes et des amoureuses outragées, les mythiques Circé

3 et

Médée

4 , la tragique Déjanire 5 ou la mortelle Simaithia 6 . Le regard moderne porté sur ces grandes

figures littéraires fait de la magie l'apanage des femmes et accrédite l'idée de la marginalité de ces

pratiques. Dans les années 1990, J.J. Winkler nuance cette analyse 7 . En prenant appui sur l'étude des tablettes de

défixion amoureuses, qui sont les seuls témoignages directs de ces pratiques, il met en évidence le fait

que les hommes avaient plus fréquemment recours à la magie que les femmes. J.J. Winkler analyse cette discordance entre la réalité du phénomène et sa représentation littéraire, comme un refus des

sociétés anciennes à reconnaître que les hommes aient pu être bouleversés par la passion. L'historien

fonde son interprétation sur la théorie psychanalitique du " déni et du transfert ». Le " déni » aurait

1

Au sujet de l'historiographie de la magie, voir notamment A. Bernand (1991), p. 9-14 ou Fr. Graf (1994), p. 17-

27.
2 M. Mauss (1902-1903), repris dans M. Mauss (1950), p. 3-14 ; A. Bernand (1991), p. 9-14. 3 Hom.,

Od., X-XI, 20 et Ov., Met., XIV, 1-75 ; 223-440.

4 Pi., P., IV ; E., Med. ; Sen., Med. ; A.R., Argon. ; Sen., Med. ; Ov., Met., VII et Her., XII. 5 S.,

Tr. ; Ov., Met., 1-220 ; Her., IX.

6

Theoc.,

Mag. 7

J.J. Winkler (1990), p. 71-98. Cette étude a été de nouveau publiée, sous une forme plus synthétique, J.J.

Winkler (1991), p. 214-243.

2 permis aux hommes de dissimuler des sentiments inavouables ; alors que le " transfert » leur permettait de faire de ces maux l'apanage des femmes. Ainsi les hommes refusaient d'admettre leurs

propres recours aux sciences occultes, en faisant incarner ce rôle aux magiciennes. Fr. Graf prolonge

cette interprétation, en lui donnant une envergure plus sociale 8 . Dans la mesure où la magie est

considérée comme une atteinte aux règles établies, il souligne l'incapacité des hommes, qui

constituent la norme de ces sociétés, à admettre qu'ils aient eux-mêmes pu agir à l'encontre de ces

règles. Fr. Graf suppose ainsi que la magie amoureuse était l'apanage de jeunes hommes désireux de

contracter une union légitime avantageuse, qui leur aurait été refusée sans le recours à la magie et le

bouleversement des normes sociales 9 . Les conclusions de ces deux historiens ont suscité la vive opposition de M.W. Dickie. A travers un relevé plus complet des sources littéraires, il met

effectivement en évidence que le nombre d'hommes et de femmes magiciens est à peu près équivalent.

Il démontre ainsi que leurs raisonnements sont

fondés sur un présupposé moderne inexact : la magie n'est pas l'apanage des femmes dans la littérature ancienne 10

A travers cette brève présentation historiographique, la question de l'identité et de l'ambition des

individus qui eurent recours à la magie dans l'Antiquité semble donc particulièrement sensible. Elle

souligne la difficulté de se départir des présuppo sés ou des préjugés véhiculés depuis plus d'un siècle

et démontre la nécessité de reconsidérer l'ensemble des interprétations proposées jusqu'à aujourd'hui

en revenant à l'étude des sources anciennes.

Une telle étude requiert donc, en premier lieu, d'établir une définition de la magie antique

exempte des considérations modernes. La magie est, en effet, un concept assez flou, dont les limites

avec les domaines de la technique, de la médecine et de la religion sont difficilement identifiables. La

définition du phénomène magique constitue donc une question épineuse, à laquelle bien des historiens

se sont refusés de répondre. Ainsi, Chr.A. Faraone, dans l'introduction de son étude de la magie

amoureuse en Grèce ancienne, écarte-t-il le problème de cette définition. Il considère qu'il s'agit d'une

controverse d'anthropologues et d'historiens des religions, anachronique et inappropriée à la société

grecque. Chr.A. Faraone justifie ce jugement par deux arguments. D'une part, les Grecs ne se sont

jamais hasardés à distinguer la magie et la médecine au moyen d'une science empirique destinée à

éprouver l'efficacité de la magie. D'autre part, la multiplicité des rituels à travers l'ensemble du monde

grec rend inextricable la dissociation des pratiques occultes et religieuses 11 . Cependant même si les

anciens n'ont jamais tenté de définir la magie ou de la distinguer de la médecine et de la religion, quels

que furent leurs critères, ils ont eux-mêmes taxé de magiques certaines pratiques, et de magiciens, les

8

Fr. Graf (1994), p. 211-214.

9

Il semble que le témoignage de l'Apologie d'Apulée, auquel Fr. Graf, op.cit., a consacré une étude minutieuse,

lui ait inspiré cette conclusion hâtive. 10

M.W. Dickie (2001), p. 563-583. Cet historien s'arc-boute avec raison contre les inexactitudes de ces deux

thèses, mais il ne propose pas d'interprétation alternative. 11

Ch.A. Faraone (1999), p. 17-18.

3

individus qui s'y sont adonnés. Ils ont établi une catégorisation des actes, des acteurs et des

représentations de la magie, différenciée des domaines techniques, médicaux et religieux, bien qu'ils

n'aient pas évoqué les critères qui ont prévalu à cette classification.

Depuis le début du XXe s., les ethnologues et les sociologues ont tenté de proposer une définition de la

magie, susceptible d'être adaptée à toutes les sociétés. Les premiers ont voulu définir la magie à travers

les spécificités de ses actes, qui distinguent les sciences occultes des phénomènes religieux et

médicaux 12

. Mais aucun de ces critères n'emporta jamais l'adhésion des spécialistes. La question était-

t-elle oiseuse ? Le flou au sein duquel convergent les domaines de la magie, du religieux et de la

médecine serait-t-il inextricable comme le pensaient les adversaires de la distinction tripartite de J.G.

Frazer, qui lui ont opposé le concept très vague de magico-religieux pour définir l'insondable

enchevêtrement de ces deux domaines ?

Plus que l'opposition des trois concepts, mise en évidence par J.G. Frazer, il semble que les actes ne

soient pas des critères pertinents pour définir la magie. L'étroitesse de cette perspective a été soulignée

par M. Mauss qui ne s'est pas attaché au rituel dans le contexte individuel de son exécution, mais au

phénomène collectif qu'est la magie. Il prônait alors cette analyse : " Nous ne définissons pas la magie

par la forme de ses rites mais par les conditions dans lesquelles ils se produisent et qui marquent la

place qu'ils occupent dans l'ensemble des habitudes sociales. » 13 . Ainsi, seraient magiques l'ensemble des phénomènes que les sociétés considéraient comme te ls et le regard de leurs propres communautés

demeurerait le meilleur juge pour catégoriser les experts en cet art. Cette définition, qui a notamment

été retenue par Fr. Graf

14 , est d'un profond intérêt pour l'historien du fait de sa simplicité et de son

irréfutabilité. Elle lui épargne de plaquer des concepts - d'ailleurs insatisfaisants - prédéfinis et

extérieurs à la société qu'il étudie, sur les comportements des membres de cette communauté.

En effet, en laissant parler les sources anciennes, la méthode inspirée de cette définition du phénomène

magique évite l'intervention de la subjectivité moderne. Elle permet, par un travail de relevé

systématique, de dresser un panorama des actes, des acteurs et des représentations magiques, tels qu'ils

furent pressentis par la société qui les conceptualisa. Cependant, d'un point de vue pragmatique ce

procédé pose quelques difficultés. Certaines sources, trop allusives, suscitent la perplexité, alors que le

doute se fait également jour à l'aulne de certains témoignages péremptoires. La défiance doit être de

mise à l'égard des considérations de certains auteurs, dont il semble contestable qu'elles aient reflété 12

J.G. Frazer (1911) opposait les lois de la sympathie exploitées par la magie à la rationnalité scientifique et

l'intention contraignante des adjurations magiques à la soumission religieuse. Cependant, les lois sympathiques

et la contrainte étant aussi, dans une certaine mesure, le propre des rituels religieux, ces caractéristiques sont

impropres à la stricte définition universelle de la magie. Cette analyse ne satisfaisant pas, d'autres critères de

distinction, également fondés sur l'étude de la magie vécue en actes, furent proposés par ses épigones. Ainsi, B.

Malinowski (1948) suggéra d'opposer les fonctions pragmatiques de la magie et non empiriques de la religion, et

de distinguer ces deux phénomènes émotionnels de la rationalité scientifique. S.J. Tambiah (1968) évoqua le

caractère performatif de la magie qui est impropre à la science, mais il ne tenta pas de définir la singularité de la

magie par rapport à la religion. 13 M. Mauss (1902-1903), repris dans M. Mauss (1950), p. 16. 14

Fr. Graf (1994), p. 22-29.

4

les opinions communément adoptées par leur propre société. De même, l'ironie ou le caractère

diffamatoire de certaines assertions doivent susciter la méfiance de l'exégète. Il faut évidemment se

garder d'estimer naïvement que tous les individus ainsi stigmatisés étaient réellement considérés

comme des praticiens de l'occultisme ; la valeur des témoignages doit être considérée à sa juste

mesure. Toutefois, les motifs invoqués ou supposés justifier ces railleries et ces accusations, ne

devaient pas être fondamentalement insensés, au quel cas l'humour aurait perdu de son mordant et la

médisance, de sa crédibilité.

Par ailleurs, le parti pris de considérer comme relevant du domaine de la magie les seuls phénomènes

ainsi conçus par les sociétés antiques impose également d'écarter la sphère du magico-religieux ou la

notion de magie intégrée 15 . De tels concepts modernes, destinés à mettre en évidence ce qui, au coeur

des mythes et des pratiques religieuses, relèverait de la magie, sont inconciliables avec la vision des

anciens à l'égard de leurs propres croyances. Ainsi, se conformant au regard antique, il est impossible

d'estimer que les dieux aient pu être magiciens et que des mouvements philosophico-religieux tels que

le chamanisme grec, l'hermétisme philosophique et la théurgie, dont l'irrationalité semble au regard

moderne s'apparenter à la magie, aient été considérés, à proprement parler, comme des doctrines et des

procédés magiques 16 En revanche, les mythes et les pratiques religieuses, lorsqu'ils permettent l'interprétation de

phénomènes magiques, doivent trouver leur place au sein d'une étude fondée sur une définition sociale

des sciences occultes. En effet, la vertu magique accordée à certains actes ou objets peut être justifiée

par un mythe qui, en lui-même, ne relevait pas de la magie. De même, l'étude de ces mythes et de ces

pratiques religieuses est indispensable si la perception des anciens a elle-même subi une évolution. Des

phénomènes, qui furent un temps religieux, peuvent avoir été, antérieurement ou précédemment,

considérés comme relevant de la magie. Le flou au sein duquel convergent les domaines de la magie,

de la technique, des sciences et de la religion, ce tte confusion qui entrave la stricte définition du

phénomène magique, n'a pas non plus épargné les sociétés antiques. Ces domaines sont également,

dans l'Antiquité, des concepts à la subjectivité mouvante... La définition de la notion de magie amoureuse est assez aisée lorsque le concept de magie a été

établi. Celle qui a été retenue pour cette étude est assez large. Elle recouvre l'ensemble des charmes

évoquant les relations amoureuses, sentimentales et sexuelles ; qu'il s'agisse des sortilèges voués à

attiser les sentiments d'un aimé dédaigneux ou destinés à nuire à des rivaux ou à tout autre trouble

susceptible de nuire à une relation amoureuse. Les procédés occultes relatifs à la sexualité, à la

conception et aux organes génitaux ont également été inclus dans cette étude, dans la mesure où ils

15

Cette notion est développée par M. Martin (2005), p. 17-55, dans sa très récente thèse consacrée à l'étude de la

magie et des magiciens dans le monde gréco-romain. 16

M. Martin (2005), p. 55-88, accorde une grande place à l'étude de ces courants théosophiques, qui font appel à

l'irrationnel comme l'avait mis en évidence E.R. Dodds (1959), traduction française, (1977), p. 139-178.

5 sont liés à l'intimité sexuelle. Cependant ces charme s sont moins fréquemment évoqués par les sources et se prêtent donc plus difficilement à l'analyse.

Dans l'Antiquité, quatre types de sources témoignent du recours à la magie amoureuse. Les plus

étudiées sont sans conteste les oeuvres littéraires, grecques et romaines, qui foisonnent de références à

ces usages occultes. Qu'il s'agisse des propos désapprobateurs ou humoristiques des philosophes 17 des accusations sans appel des plaidoiries des orateurs 18 , des récits mythologiques et des effroyables dénouements de la tragédie 19 ou encore des sarcasmes railleurs de la comédie 20 , la magie amoureuse semble avoir été ubiquitaire, selon l'heureuse formule de Christopher A. Faraone 21
. Cette ubiquité

révèle sans conteste l'ampleur du phénomène magique et laisse présager que le recours aux sciences

occultes ne fut pas une simple figure de style. Cependant, rares sont les témoignages littéraires qui,

tels ceux de Théocrite et de ses épigones, décrivent avec minutie les circonstances du recours à la

magie et les rituels alors mis en oeuvre 22
. La majorité des sources demeure plus laconique, qu'il

s'agisse des allusions anecdotiques qui constituent la plupart des mentions de l'usage d'enchantements

amoureux, des propos injurieux des orateurs outragés ou de l'exploitation du ressort tragique de la magie par le théâtre, qui s'attache essentiellement à ses effroyables retentissements. Les

enchantements évoqués à travers les mythes et la littérature n'offrent généralement qu'une image

stéréotypée de la magie amoureuse, la lisibilité des personnages ou des situations étant essentiellement

liée à l'exploitation de certaines caractéristiques issues de conceptions très générales, édifiées à partir

de représentations souvent réductrices ou schématiques accessibles à tous. L'étude de ces sources

demeure primordiale afin d'éclairer la représentation des enchantements amoureux conçue par les

sociétés antiques et nombreux sont les chercheurs qui s'y sont adonnés.

Mais il est souvent regrettable que la littérature occulte les autres témoignages antiques du recours à la

magie : les défixions, les prescriptions des papyri magiques grecs et démotiques d'Egypte et dans une

moindre mesure, les gemmes magiques 23
. Toutes ces sources sont évoquées sporadiquement pour

soutenir des argumentations conçues à partir de l'étude des textes littéraires ou pour illustrer des

17 Pl., R., VII, 364 b, 2- c, 5 ou Leg., X, 909 a, 8- b, 4 ou bien X., Mem., III, 11. 17 18

Ant., 1, 9 ou Dem., XIX, 281.

19 S., Tr. ou Sen., Herc. Oet. ou bien encore E., Med. et Sen., Med. 20 Ar., Nub., 996-7 ou Pétr., Satyr., CXXXIII, 4-CXXXVIII. 21

" L'ubiquité de la magie amoureuse » est, en effet, le titre donné par Ch.A. Faraone (1999), p. 5-15, à l'un de

ses développements introductifs. Ce chapitre est destiné à présenter les sources de la magie amoureuse ainsi que

les principales études historiques consacrées à ce sujet. 22

Theoc.,

Mag., ou Virg., B., VIII.

23
Lors du récent colloque internationnal consacré à la ma gie, tenu en 1999 à Montpellier, dont les actes ont été

publiés en quatre volumes par A. Moreau et J.-Cl. Turpin (2000), parmi les vingt-huit communications

consacrées à la magie grecque et romaine, seul l'article de S.I. Johnston, " Le sacrifice dans les papyrus

magiques grecs

», Tome 2, p. 19-36, s'intéresse aux textes magiques. Outre les articles de M.G. Lancellotti, "

Problèmes méthodologiques dans la constitution d'un corpus des gemmes magiques », Tome 2, p. 153-166, V.

Gagadis-Robin, " Les images de Médée magicienne », Tome 2, p. 289-320, les vingt-cinq autres

communications sont essentiellement consacrées à l'étude de la magie à travers les oeuvres littéraires grecques et

latines. 6

phénomènes magiques représentés par les auteurs antiques, mais elles n'ont jamais fait l'objet d'une

étude systématique.

Les prescriptions des papyri magiques sont des recueils de recettes magiques qui proviennent d'Egypte (carte)quotesdbs_dbs46.pdfusesText_46
[PDF] les larmes de psyché wikipedia

[PDF] Les Larves SVT help

[PDF] les lavabos de la ségrégation analyse

[PDF] Les lavabos de la ségrégation dossier d'histoire des arts

[PDF] Les légionnaires romains

[PDF] les lentilles

[PDF] Les lentilles : J'ai rienn compris mais alors rien compris du tout !!! Aidez moi svp ;)

[PDF] Les lentilles du téléphone portable

[PDF] les lentilles physique

[PDF] Les lesttre epistolaire

[PDF] Les lettre de montesquieu

[PDF] les lettres

[PDF] les lettres de l'alphabet ? imprimer

[PDF] les lettres persanes

[PDF] Les lettres persanes ( 1723 )