[PDF] Les grands rôles du théâtre de Corneille





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IMPORTANCE DU THÉATRE EN FRANCE

312 IMPORTANCE DU THÉÂTRE EN FRANCE il ne me semble pas que les problèmes se fussent posés de la même façon. Il y a dans toute vocation une exigence 



Le jeu de rôles au théâtre de lopprimé

Le théâtre de l'opprimé d'Augusto Boal (1931-?2009) est un théâtre populaire dans lequel le public les spect-?acteurs



Les grands rôles du théâtre de Corneille

(3) Sur l'histoire de la troupe de Charles le Noir et Montdory cf. l'étude exhaustive de Mme DEIERKAUF-HOLSBOER



Pourquoi les femmes nont-elles pas leur place au théâtre ?

Imaginez une femme actrice ayant un rôle principal et qui doit tout quitter en cours de route pour mettre bas et assumer son rôle de mère ! La possibilité 



ANIMER UN ATELIER THEATRE EN CLASSE

ainsi de suite. ?Jeu du journaliste : les enfants se mettent par deux. Un enfant prend le rôle du journaliste l'autre.

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LES GRANDS ROLESA

DU THÉATRE DE CORNEILLE Retrouver ce titre sur Numilog.com

DU MÊME AUTEUR

Le

nazisme et l"enseignement secondaire en Autriche, Secrétariat général du Haut-Commissariat, 1946. L"Université populaire du Tyrol, id., 1946. Aspects de la Tchécoslovaquie, Editions du Temps Présent, 1947. Romain Rolland, essai, Editions du Temps Présent, 1948. Le drame romantique et ses grands créateurs, Presses Universitaires de France, 1955. L"acteur Joanny et son Journal inédit, Presses Universitaires de France, 1955. Les grands rôles du théâtre de Jean Racine, Presses Universitaires de France, 1957. Les grands rôles du théâtre de Molière, Presses Universitaires de France, 1960. Henry Becque et son théâtre, Editions des Lettres Modernes, 1962.

ILLUSTRATION

DE LA COUVERTURE :

Gérard Philipe

et Sylvia Monfort, dans une scène du Cid. (CI. Agnès Varda.) Retrouver ce titre sur Numilog.com

Maurice DESCOTES

Professeur à l"Université d"Athènes

LES

GRANDS RÔLES DU THÉÂTRE DE CORNEILLE

OUVRAGE

PUBLIÉ AVEC LE CONCOURS

DU

CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE

PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE 108,

BOULEVARD SAINT-GERMAIN, PARIS

1962

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comédiens du Marais et ce serait pour " faire dépit au Cardinal Richelieu qui affectionnait Montdory » (1) qu"il aurait envisagé de démembrer la nouvelle troupe. Mme Deierkauf-Holsboer n"accepte pas cette explication d"une jalousie de Louis XIII vis-à-vis de la troupe chère à son ministre. Et, reprenant la thèse exposée par Lemoine (2), elle affirme que ce fut Bellerose, directeur de l"Hôtel de Bourgogne, qui, ne pouvant supporter la concurrence de Montdory, amena le roi à intervenir en sa faveur :

Louis

XIII qui s"intéresse toujours davantage au théâtre de la rue Mauconseil et à la troupe royale, reconnaît la légitimité des désirs de Bellerose et donne l"ordre à six acteurs des deux autres troupes de se joindre à l"Hôtel de Bourgogne (3).

Ce

qui est sûr, en effet, c"est que la Gazelle du 15 décem- bre 1634 annonçait que, par ordre du roi, six comédiens pas- saient à l"Hôtel de Bourgogne. Parmi ces six comédiens, quatre appartenaient à la troupe de Montdory : Charles Le Noir et sa femme, Julien Bedeau (Jodelet), Bedeau (l"Espy). Les deux autres, Alizon et Jacquemin Jadot (la France) venaient de la troupe du faubourg Saint-Germain. Qu"on adopte la version de Tallemant ou celle de Mme Deierkauf-Holsboer, on retiendra surtout que Louis XIII était profondément soucieux de soutenir l"Hôtel de Bourgogne. Il est vrai que, en décembre de la même année, un autre ordre du Roi transférait de l"Hôtel de Bourgogne au Marais Beauchâteau qui n"était pas un comédien négligeable (4). Montdory fit alors la preuve de ses exceptionnelles qualités de directeur de troupe : il ne " désespéra point du salut de sa petite république », s"efforça d"en " réparer le débris ». Il sut passer le mauvais cap et conserver à son théâtre tout son lustre, que devait couronner d"éclatante façon la création du Cid. Mais, comme le dit Tallemant, dans cette troupe Montdory " lui seul valait mieux que tout le reste ». Et la retraite du directeur fut pour le Marais un coup beaucoup plus dur que le départ des quatre comédiens. Atteint de paralysie en août 1637, Montdory tenta de reparaître sur la scène au Carnaval de l"année

(1) Historiettes,

VII, p. 173. (2) La Première du Cid, p. 21-22. (3) Op. cit., p. 39. (4) Cf. RICHELIEU, Lettres, IV, p. 645. Retrouver ce titre sur Numilog.com

suivante ; mais il dut se résigner et abandonner définitivement. Il n"avait pas quarante-cinq ans (1). La situation du Marais devenait tout à coup très grave. En 1637, trois comédiens l"avaient encore abandonné : Villiers

et sa

femme, Baron (le père). De plus et surtout, Richelieu, une fois Montdory disparu, n"avait plus les mêmes raisons person- nelles de soutenir le théâtre. Selon Tallemant, il faisait " jouer les deux troupes ensemble chez lui, et avait dessein de n"en faire qu"une » (2). Le Marais fut sauvé par d"Orgemont, son nouveau directeur, efficacement soutenu par la Beaupré et surtout par le très grand comédien que fut Floridor, qui allait, des années durant, être l"âme de la troupe.

Il

convient maintenant de rattacher l"activité dramatique de Corneille à cette histoire du Marais, car il ne fait pas de doute que, de 1630 à 1637, Corneille a exclusivement partie liée avec Montdory. Installé à Rouen, coupé de la vie parisienne (au point qu"il ignorait l"existence des règles édictées par les doctes, ainsi qu"il l"a lui-même reconnu), Corneille n"avait guère de chances, en 1629, de se faire représenter à l"Hôtel de Bourgogne. Mais le rôle joué par les troupes de province était grand, d"autant plus que les Comédiens du Roi veillaient jalousement sur la sauve- garde de leur monopole parisien. Corneille fut donc la découverte d"une de ces troupes : celle de Montdory et Le Noir qui ne s"était pas encore fixée dans la capitale. Selon Chappuzeau, Montdory allait " quelquefois passer l"été à Rouen, étant bien aise de donner cette satisfaction à une des premières villes du royaume » (3). C"est donc au cours de l"été 1629 que Montdory reçut de Corneille sa première comédie. Comme tout auteur inconnu, Corneille doit tout, à ses débuts, à un comédien. Montdory lui mit le pied à l"étrier, comme le fit plus tard Molière pour Racine. Mélile fut créée au cours de l"hiver 1629-1630, c"est-à-dire à un moment particulièrement important pour la troupe de Montdory : pour la première saison de la troupe, enfin fixée dans

(1)

La personnalité de Montdory sera étudiée à propos de la création du rôle de Rodrigue. (2) Hislorielles, VII, p. 174. (3) Sur l"activité théâtrale à Rouen, cf. G. COUTON, la Vieillesse de Cor- neille, chap. : " Corneille et la vie rouennaise », p. 15 et sq. Le passage de Molière à Rouen est attesté en 1643 et 1658, De nombreuses troupes séjournaient à Rouen (cf. COUTON, p. 20). Retrouver ce titre sur Numilog.com

la capitale (1). Corneille n"a jamais nié sa dette envers Montdory ; mais, bien entendu, une fois la gloire venue, il s"est montré soucieux de faire ressortir celle que le comédien avait contractée envers lui :

Le

succès (de Mélite) fut surprenant ; il établit une nouvelle troupe de comédiens à Paris, malgré le mérite de celle qui était en possession de s"y voir l"unique (Examen de Mélite).

La collaboration entre auteur et acteurs s"établissait donc dans

les meilleures conditions possibles pour les deux parties : Montdory tenait à s"attacher ce débutant qui se révélait auteur à succès ; Corneille trouvait en Montdory le directeur capable de faire valoir ses œuvres et de les imposer au public. Aucun document n"établit de façon indiscutable dans quelles circonstances fut créé Clitandre, au cours de la saison suivante, 1630-1631. Mais on ne voit pas pour quelle raison la collaboration se serait interrompue. Il en est de même pour les ouvrages ultérieurs : la Veuve, la Galerie du Palais, la Suivante, la Place Royale. Il est certain, d"autre part, que ce fut Montdory qui tint le rôle de Jason dans Médée (2). La collaboration se poursuivait donc en 1634. D"autre part, en pleine querelle du Cid, Claveret repro- cha à Corneille de lui avoir volé le titre de sa comédie la Place

Royale,

alors qu"il avait lui-même en train une pièce sous ce nom. Et Claveret explique ce larcin de deux façons : ou bien Corneille voulait " satisfaire (sa) passion jalouse », ou bien il voulait " contenter celle des comédiens que vous serviez ». La cause de Corneille semblait bien confondue avec celle d"une troupe : la troupe du Marais. Ce fut Montdory encore qui créa le Clindor de l"Illusion comique (saison 1635-1636). Il mettait à la disposition de Corneille, pour le rôle de Matamore, le comédien le plus apte à mettre en valeur le héros : Bellemore, " cet original sans copie, ce person- nage admirable » (3) :

Ce

Capitan plein de boutades Étalant en rodomontades Sa grande valeur aux assistants A tant d"artifice et de grâce Qu"il vous fait en la moindre farce Rire et trembler en même temps (4).

(1)

On sait que l"année théâtrale a pour point de départ et pour terme la fête de Pâques. (2) Cf. lettre de Balzac à Boisrobert, 3 avril 1635. (3) MARESCHAL, le Véritable Capitan Matamore (1637). (4) Dixain accompagnant la gravure de Huret. Retrouver ce titre sur Numilog.com

La crise de 1634, qui avait ébranlé la troupe avec le départ des six comédiens, n"avait donc pas éloigné Corneille de Mont- dory (1). Les liens solides qui les attachaient l"un à l"autre ne devaient être brisés que par la retraite de l"acteur. Le Cid fut le couronnement de cette collaboration.

Ainsi,

de 1629 à 1637, la carrière dramatique de Corneille est étroitement attachée au théâtre du Marais et, plus particulière- ment, à son directeur Montdory. Tout permet de penser qu"ils étaient satisfaits l"un de l"autre. En tout cas, dans les rapports entre le poète et ses premiers interprètes, on ne trouve pas trace de la si déplaisante attitude de Racine envers le comédien qui, le premier, lui offrit sa chance : Molière.

Avec

la retraite de Montdory, la situation devient moins claire. On l"a vu, Richelieu songea un moment à réunir les deux troupes ; et le départ du couple Villiers et de Baron (Pâques 1637) accentuait la gravité de la crise. On en a parfois conclu que Cor- neille se serait alors détourné du Marais et que, désireux de suivre ses interprètes habituels (la Villiers en particulier, créatrice du rôle de Chimène), il aurait alors donné ses œuvres à l"Hôtel de Bourgogne. Hypothèse que détruisent et la vraisemblance et certains témoignages. En effet, la crise de 1637 fut bientôt surmontée, grâce surtout à Floridor qui se montra très vite le digne successeur de Montdory. Tallemant écrit :

D"Orgemont et

Floridor, avec la Beaupré, soutinrent la troupe du Marais à laquelle Corneille, par politique, car c"est un grand avare, donnait ses pièces : car il voulait qu"il y eût deux troupes (2).

On

reviendra plus loin sur cette avarice du poète. Mais, en rappelant ce témoignage si souvent cité, il convient d"en bien mesurer la portée. Il établit d"abord que le Marais ne se soutenait que grâce aux tragédies de Corneille : que Corneille eût cessé de donner ses pièces au Marais, et il n"y aurait plus eu deux troupes. D"autre part, il faut se demander quel intérêt avait Corneille à l"existence de deux troupes. La réponse semble simple, et elle doit être à peu près celle-ci : Corneille, après le Cid surtout, est l"auteur qui offre les plus solides garanties pour un directeur

(1)

Cf. DEiERKAUF-HoLSBOER, les Premières de Pierre Corneille, de 1629 à 1634. (2) Historiettes, VII, p. 174. Retrouver ce titre sur Numilog.com

soucieux d"assurer la recette. Il n"ignore pas sa valeur marchande et, avec son solide sens des réalités positives, il entend négocier avec la troupe au meilleur prix. Il est bien évident que, pour faire valoir ses prétentions, Corneille est mieux armé s"il dispose de l"habituel moyen de pression en pareil cas : qu"on lui refuse ce qu"il réclame, et il porte sa pièce ailleurs. Argument qui tomberait si, comme l"envisage Richelieu, la concurrence des deux théâtres disparaissait avec leur réunion. Un intérêt bien compris engageait donc l"une et l"autre partie à poursuivre la collaboration : traver- sant une passe difficile, le Marais ne pouvait songer à se sépa- rer de son auteur à succès ; et Corneille n"avait aucune raison d"abandonner une troupe à laquelle il pouvait imposer ses volontés. A l"Hôtel, il n"aurait été qu"un entre plusieurs. Au Marais, il était le grand auteur. Au surplus, Floridor était un comédien de très grande classe. Corneille n"avait pas à redouter que son œuvre fût par lui moins bien servie que par Montdory. De solides liens de sympathie s"établirent entre les deux hommes. C"est la femme de Corneille

qui

fut marraine du fils de Floridor, Gédéon (9 janvier 1644). C"est Corneille lui-même qui fut parrain d"un autre fils auquel Floridor donna le prénom même du poète (11 octobre 1649). Et Corneille n"abandonna le Marais que lorsque Floridor eut lui-même quitté la troupe pour l"Hôtel de Bourgogne. Horace fut joué avant le 9 mars 1640 (1). Dans son édition, Marty-Laveaux affirme que la pièce fut représentée à l"Hôtel : Corneille aurait déserté le Marais pour retrouver chez les Comé- diens du Roi ses interprètes habituels (les Villiers). L"édition Lefèvre cite même le nom de Montfleury pour l"attribution du rôle principal, assertion que justifierait un texte de Chappuzeau, cité par Lemazurier. Mais Marty-Laveaux a lui-même montré que le texte en question est incertain, qu"il n"est pas possible de conclure catégoriquement à une création par Montfleury (2). Dans la Pratique du théâtre, d"Aubignac parle d"une interprétation d"Horace par Floridor et la Beauchâteau (3) ; mais le témoignage date de 1657, c"est-à-dire d"une époque où, indiscutablement, Floridor se trouve à l"Hôtel de Bourgogne : dans ce cas, il s"agit donc bien évidemment d"une reprise. Chapelain, dans sa lettre à Balzac, ne donne aucune précision

(1)

Pour la chronologie des pièces de Corneille, cf. G. COUTON, Comment dater les grandes pièces de Corneille, Revue d"Histoire du Théâtre, 1956, 1, p. 15-23. (2) Cf. édition Marty-Laveaux, III, p. 13, n. 1. (3) P. 51-53. Retrouver ce titre sur Numilog.com

ponsabilité d"un échec sur ses interprètes. Ce n"est là qu"une hypothèse, mais rien n"empêche de penser que Corneille jugea que

Théodore devait marquer le terme de la collaboration. Il tenait au Marais par Floridor surtout. Et Floridor, de son côté,

était

las de jouer avec " de méchants comédiens » ou devait obéir à un ordre royal. La nouvelle pièce serait donc confiée à

d"autres interprètes, parmi lesquels se retrouverait encore Floridor. Ce fut Héraclius, créé en décembre 1646 ou en janvier 1647, et très certainement à l"Hôtel de Bourgogne. L"Histoire du

Théâtre-Français

l"affirme et précise que le Marais présenta, au même moment, le Thémislocle de du Ryer, qui obtint un succès

plus vif que

la tragédie de Corneille (1). D"autre part (argument supplémentaire mis en valeur par Mme Deierkauf-Holsboer),

l"achevé d"imprimer de la tragédie porte la date du 28 juin 1647 (Rouen)

; l"ouvrage n"a donc pas pu être mis en vente à Paris avant la seconde moitié de l"année. Or, le Mémoire de Mahelot

précise qu"Héraclius faisait partie du répertoire de l"Hôtel pendant la saison 1646-1647, c"est-à-dire avant Pâques 1647. Si les Comédiens royaux avaient dû attendre la publication d"Héraclius, l"œuvre n"aurait pu figurer qu"au répertoire de

1647-1648. C"est donc bien par cet Héraclius que Corneille

inaugura sa collaboration avec l"Hôtel de Bourgogne. Mais la ligne générale n"était pas modifiée : le poète restait fidèle à Floridor. Don Sanche, Nicomède, Perlharite sont, sans nul doute, remis aux Comédiens du Roi (2) : le Marais, depuis le départ de son directeur,

se soutient surtout par les spectacles à machine et par les farces où triomphe toujours Jodelet.

Cette première

partie de la carrière dramatique de Corneille se caractérise donc par une très remarquable continuité. Il est servi par les deux plus grands comédiens de l"époque. Il assure, d"autre part, les recettes du

Marais jusqu"au jour où la troupe est abandonnée par son directeur lui-même. Corneille s"en remet

alors

aux comédiens de l"Hôtel de Bourgogne, qui sont bien désor- mais les seuls Grands Comédiens.

(1)

VII, p. 97. (2) Andromède n"entre pas en ligne de compte, dans la mesure où l"œuvre n"est pas une véritable tragédie, mais un livret d"opéra commandé à Corneille par Mazarin : " Comédie en musique », qui devait mettre en œuvre un grand appareil de machinerie. Retrouver ce titre sur Numilog.com

Lorsque, après un silence de sept ans, Corneille revient à la scène sur les instances de Fouquet, la situation des théâtres parisiens est assez confuse. En 1659, le sort du Marais est incer- tain. Tallemant estime qu"il ne s"y trouve " pas un seul bon acteur ni une seule bonne actrice » (1). Mme Deierkauf-Holsboer s"est efforcé de contredire, une fois de plus, l"opinion de Tallemant, et elle affirme que, vers les années 1660, la troupe ne périclitait pas (2). Il n"en est pas moins vrai que, dans l"esprit des deux frères Corneille tout au moins, le Marais avait beaucoup perdu de son lustre d"antan. De Rouen, Thomas Corneille écrivait à l"abbé de Pure (19 mai 1658) qu"il souhaitait une fusion de cette troupe avec celle de Molière, qui pourrait en " changer la destinée ». Sous la direction de Floridor, l"Hôtel de Bourgogne

prospérait. Le

seul élément nouveau de la situation dramatique était cette troupe qui, conduite par Molière, venait de s"installer à Paris à la fin de l"année 1658. C"est tout naturellement à l"Hôtel que Corneille confie Œdipe (créé le 24 janvier 1659). Le retour au Marais s"opéra par un biais. La Toison d"Or était, comme Andromède, moins une tragédie qu"une pièce à grand spectacle. Or, depuis plusieurs années, le Marais était spécialisé dans le genre. La Toison d"Or revenait donc logique- ment à cette troupe-là. Ce qui ne fait pas de doute, c"est que, dans les années 1660, la situation de Corneille était moins privilégiée auprès des comé- diens. L"heureuse époque de sa toute-puissance au Marais était bien révolue. Une lettre à l"abbé de Pure, en date du 25 avril 1662, manifeste

clairement que

les Grands Comédiens n"avaient pas pour le poète déjà vieillissant la complaisance déférente que lui avaient si longtemps portée les acteurs du Marais. A l"Hôtel, il n"était pas

(1)

On a fait observer que le déplacement vers l"ouest du centre du Paris élégant avait dû nuire à la fortune du Marais. En effet, on construit, non plus autour de la place des Vosges, mais dans les environs de la rue de Richelieu. Mme DEIERKAUF-HOLSBOER conteste cette opinion. On doit pourtant rappeler que, plus tard, l"une des causes de la stagnation de l"Odéon sera de même son éloignement de la partie la plus vivante de la capitale. (2) Op. cit., II, p. 146. Retrouver ce titre sur Numilog.com

l"unique ; il fallait compter avec d"autres auteurs à succès : Boyer, et surtout Quinault (1). Corneille écrivait :

Outre que je serais bien aise d"avoir quelquefois mon tour à l"Hôtel ainsi qu"eux (Boyer, Quinault)...

Il y

a là un ton passablement désenchanté qui laisse à penser que le temps était loin où Corneille pouvait calculer qu"il avait intérêt à la concurrence de deux troupes, empressées à jouer de surenchère auprès de lui. Ainsi s"explique sans aucun doute que Serlorius soit encore revenu au Marais (2), à la fin de février 1662, puisque Loret, le 4 mars, annonce que la nouvelle tragédie est jouée depuis huit jours. Corneille avait remarqué, dans la troupe, les mérites de la des Œillets (la future créatrice du rôle d"Hermione) et dès novembre 1661 il avait remis à la comédienne les deux premiers actes. La des Œillets créa bien le rôle de Viriate, mais suivant la tradition qui voulait qu"une carrière dramatique ne pût s"épa- nouir qu"à l"Hôtel, l"actrice, dès Pâques, rejoignait les Grands Comédiens. Et, dans la même lettre, Corneille avouait franche- ment qu"il ne conservait guère d"espoir dans un rétablissement de la troupe du Marais : elle n"était pas, disait-il, " en trop bonne posture ». Ses remarques ne sont plus celles d"un auteur qui fait la loi, mais bien celles d"un homme embarrassé :

Je ne

renonce pas aux acteurs qui le (le Marais) soutiennent ; mais aussi je ne yeux point tourner le dos tout à fait à Messieurs de l"Hôtel, dont je n"ai aucun lieu de me plaindre, et où il n"y a rien à craindre quand une pièce est bonne.

Le sens

de la dernière phrase est très clair : Corneille est sans doute assuré du dévouement des gens de l"Hôtel (3) ; mais ceux-ci n acceptent de servir le génie que si le génie fait recette. On se souvenait sans doute, à l"Hôtel, de l"échec de Pertharile. Passablement désabusé, Corneille ne conservait guère d"illu- sions non plus sur l"attachement des comédiens du Marais à

(1)

A partir 1660, Boyer fait représenter une tragédie presque chaque année. En 1662, Chapelain considère qu"il " ne cède qu"au seul Corneille ». Quant à Quinault, très en faveur auprès de la Cour, il est, vers 1660, en pleine gloire. r (2) Sertorius fut joué la même année sur les trois théâtres en activité à Paris : au Marais, à l"Hôtel de Bourgogne, au Palais-Royal. (3) Parmi les acteurs de l"Hôtel, Villiers était le plus fidèle à Corneille. En tête de la tragédie le Festin de Pierre ou le Fils criminel (1660), il rendait à Corneille un hommage dityrambique : " En vous seul, je révère plus qu"Aristote, plus que Sénèque, plus que Sophocle, plus qu"Euripide... » Retrouver ce titre sur Numilog.com

sa personne. Il observait que le bateau faisait eau de toutes parts, que les acteurs du Marais aspiraient " tous » à entrer à l"Hôtel, que certains même songeaient à rejoindre Molière :

Je

ne sais pas ce qui les a retenus au Marais, mais je sais bien que ce n"est pas pour l"amour de moi qu"ils y sont demeurés.

Et

Corneille tirait la conclusion : on ne pouvait pas exiger de lui un attachement au Marais que les comédiens mêmes de la troupe ne manifestaient plus. L"Hôtel de Bourgogne, enrichi en 1662 de Hauteroche, de la remarquable tragédienne qu"était la des Œillets, reçut donc Sophonisbe (début 1663), Othon (31 juillet 1664), Agésilas (26 fé- vrier 1666). Selon d"Aubignac, Sophonisbe fut assez mal accueillie (" Le théâtre n"éclata que quatre ou cinq fois au plus »). De Visé affirme même que l"ouvrage produisit " des effets contraires à la grande tragédie », et qu"il fit " rire en beaucoup d"endroits et même en quelques autres concevoir des pensées que la bienséance me défend d"expliquer » (1). On ne sait rien de l"accueil réservé à Othon, mais s"il avait été triomphal, des échos nous en seraient certainement parvenus. Quant à Agésilas, même si l"on récuse le Hélas ! de Boileau (2), il faut bien reconnaître que, dans son Épîlre au lecteur, Corneille semble plutôt se chercher des excuses que se tresser des couronnes : évoquant la hardiesse de sa manière nouvelle, il conclut :

On

court, à la vérité, quelques risques de s"égarer, et même on s"égare assez souvent, quand on s"écarte du chemin battu... Chacun peut hasarder à ses périls.

En

tout cas, dès le 3 avril, Agésilas est imprimé, ce qui montre bien que les acteurs abandonnèrent très tôt la pièce au libraire : elle était devenue pour eux sans intérêt. C"était beaucoup d"échecs, ou de demi-succès, pour des comédiens dont on n"avait rien à craindre à condition que la pièce fût bonne. Cette triple expérience décevante n"était pas

(1)

Nouvelles Nouvelles (1663, Granet), I, p. 129. Sophonisbe attentait à la bienséance par la situation de l"héroïne entre Syphax et Massinisse : " On s"est mutiné contre ces deux maris », écrit Corneille dans l"avis Au Lecteur. Une partie du public fut, d"autre part, choquée de la verdeur des propos tenus par Lélius à Massinisse (IV, 3) : " Du reste je sais bien que souvent il arrive Qu"un vainqueur s"adoucit auprès de sa captive... » : on y vit une leçon de morale, fort déplacée, adressée au jeune roi sur le chapitre de ses amours. (2) Sur le sens de cet Hélas 1, cf. G. COUTON, op. cit., p. 138 et sq. Retrouver ce titre sur Numilog.com

On possède, en tout cas, une preuve indiscutable de l"intérêt que Corneille portait aux comédiennes par l"empressement qu"il apporta à soutenir la carrière d"une actrice sur laquelle on ne possède guère de renseignements : Mlle Marotte (1). Le poète souhaitait que l"abbé de Pure intervînt auprès de Boyer et de Quinault (dont on a vu l"influence auprès des Comédiens royaux), pour qu"ils offrissent un rôle à la débutante. Il la recommandait au duc de Guise, afin de lui permettre son entrée au Marais. Et, le 25 avril 1662, il écrivait à l"abbé de Pure :

L"estime

et l"amitié que j"ai depuis quelque temps pour Mlle Marotte me fait vous avoir une obligation singulière de la joie que vous m"avez donnée en m"apprenant son succès et les merveilles de son début. Je l"avais vue ici représenter Amalsonte (2), et en avais une assez haute opinion pour en dire beaucoup de bien à M. de Guise (3) quand il fut question, vers la mi-carême (4), de la faire entrer au Marais.

Il

faut donc imaginer un Corneille très attentif aux comé- diennes, surtout si elles sont charmantes comme Marquise et Armande Béjart, un Corneille usant de son influence pour faciliter leur carrière - et non pas un Corneille retiré en une tour d"ivoire, indifférent au monde et à la vie des coulisses.

Admirable

lecteur, Racine faisait lui-même répéter la Champ- meslé. Molière, comédien lui-même, dirigeait personnellement la troupe. C"était là, sans aucun doute, un office que Corneille ne pouvait remplir que très imparfaitement.

Il prend un mot pour un autre ; il ne sait pas la (la pièce) réciter (5). tribution

des rôles » ( p. 71). J. SCHÉRER (op. cil., p. 155) signale que la lutte entre Médée et Jason devait être bien mise en valeur par la Villiers et Montdory qui se détestaient. ( 1 ) Cette Marotte est généralement identifiée comme étant Marotte Beaupré, nièce de la Beaupré, l"une des premières femmes qui aient osé paraître en France sur le théâtre : fort jolie fillp et, selon Robinet, " pucelle au pardessus ». G. COUTON (op. cil., p. 325) pense qu"il s"agit plutôt de Marotte Vallée, qui devait épouser Verneuil, frère du célèbre La Grange, de la troupe de Molière. (2) De QUINAULT, créé en 1657. (3) Henri II de Lorraine, duc de Guise, mort en 1664. (4) Vers la mi-carême : l"année théâtrale débute à Pâques ; c"est alors que se concluent les engagements. La mi-carême correspond à la période ou il est indispensable de préparer les signatures ou les renouvellements de contrats. (5) LA BRUYÈRE, Des Jugements, n° 56. Retrouver ce titre sur Numilog.com

Le neveu Fontenelle lui-même en convient :

Sa

prononciation n"était pas tout à fait nette ; il lisait ses vers avec force, mais sans grâce (1).

Un autre

témoignage est plus précis encore. Corneille avait reproché à Boisrobert de dire du mal d"une de ses pièces (sans doute Horace). Boisrobert répliqua :

Comment pourrais-je avoir mal parlé de vos vers sur le théâtre, les ayant trouvés admirables dans le temps que vous les bafouilliez en ma présence ? Il voulait dire par là que M. Corneille lisait mal les vers, qui étaient d"ailleurs très beaux, lorsqu"on les entendait de la bouche des meilleurs acteurs du monde (2).

On

ne sait s"il faut accorder foi à l"anecdote suivant laquelle ,Corneille, interrogé par Baron sur le sens d"un passage de Tite et Bérénice, aurait dû convenir qu"il ne s"y reconnaissait pas lui-même. Il semble bien, en tout cas, que Corneille ne fut pas pour ses interprètes un véritable guide. Il avait pourtant pleine conscience de la nécessité pour l"auteur dramatique de donner aux comédiens toutes les indica- tions indispensables. Il déplore, dans le Discours sur les trois unités, que la dignité de l"œuvre tragique interdise à l"écrivain de surcharger son texte de la mention des " menues actions » (c"est-à- dire le jeu, les gestes, les mouvements) qui accompagnent la diction:

L"impression

met nos pièces entre les mains des comédiens qui courent les provinces, que nous ne pouvons avertir que par là de ce qu"ils ont à faire, et qui feraient d"étranges contresens si nous ne le disions pas par ces notes !

Le danger

de confusion lui paraissait particulièrement grave pour les 5e actes qui, traditionnellement, ramènent tous les personnages sur la scène :

Ils

(les comédiens) diraient souvent à l"un ce qui s"adresse à l"autre, principalement quand il faut que le même acteur parle à trois ou quatre l"un après l"autre.

Corneille

tenait ainsi à ce que les acteurs fussent fidèles à ses intentions. Souci élémentaire, qui ne suffit pas à faire penser qu"il guidait de très près ses interprètes.

(1) Œuvres, III, p. 124-125. (2) Menagiana, II, p. 162. Retrouver ce titre sur Numilog.com Il existait sans doute une réelle collaboration entre l"auteur et

les comédiens. Corneille tenait compte des remarques qui lui étaient adressées, si l"on s"en rapporte au récit de Fontenelle à propos de Polyeucle (1) : Corneille prêt à retirer son œuvre des mains des acteurs qui l"apprenaient, puis acceptant de la leur laisser " sur la parole d"un d"entre eux qui n"y jouait point parce qu"il était trop mauvais acteur » (2). Corneille avait, d"autre part, recours à ses comédiens pour préparer son public. Il utilisait surtout Floridor, " qui est son compère », pour les lectures qu"il donnait de ses œuvres avant la représentation. Tallemant relate une de ces lectures par Floridor dans le salon de Gédéon Tallemant, maître des requêtes, en pré- sence de Mlle de Scudéry (3). On devine ainsi une fréquente mise à contribution des comé- diens par Corneille et une collaboration constante. Et tout porte à croire que, ces comédiens, il les estimait. Il semble que Corneille ait eu à cœur de s"opposer au préjugé hostile aux gens de théâtre. A la fin de l"Illusion comique, le plaidoyer en leur faveur ne paraît pas artificiel, simple morceau de bravoure amené par la situation : " art difficile », " métier si doux », protégé par la Ville, les Grands, la Cour, le Roi même. Et cette ultime considération :

D"ailleurs,

si par les biens on prise les personnes, Le théâtre est un fief dont les rentes sont bonnes. Et

Pridamant ne peut que conclure :

Le métier qu"il a choisi est meilleur que le mien.

Dans les

rapports de Corneille avec ses comédiens, ce dernier facteur a joué un rôle essentiel. On l"a vu par l"exemple d"Attila et de Tite et Bérénice, Corneille se faisait largement rétribuer. Il était, sans aucun doute, sinon avare, du moins intéressé : sur ce point, les témoignages contemporains sont unanimes.

(1) Œuvres, III,

p. 103. (2) On s"est efforcé d"identifier cet acteur. On a proposé les noms de Hau- leroche (GUIZOT, Corneille et son temps, p. 200), et de La Roque (Lemazurier). Marty-Laveaux les rejette l"un et l"autre parce qu"il n"appartenaient pas à l"Hôtel de Bourgogne. Mais, on l"a vu, c"est une erreur de penser que Polyeucle fut créé à l"Hôtel. La formule de Fontenelle, " trop mauvais acteur JI, ne saurait s"appliquer à Hauteroche, excellent comédien. Elle convient parfaitement à La Roque qui fut toujours médiocre, mais qui faisait preuve de beaucoup de goût littéraire (il conseilla utilement la Champmeslé). La Roque est donc sans doute l"acteur qui sauva Polyeucte. (3) Historiettes, VI, p. 250. Retrouver ce titre sur Numilog.com

1962-2 - Imp. des Presses Universitaires de France, Vendôme (France)

26

560. B IMPRIMÉ EN FRANCE NF. 16 » + T. L. Retrouver ce titre sur Numilog.com

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