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INSTITUT EUROPEEN DE LUNIVERSITE DE GENEVE

Le Livre vert définissait la RSE comme « l'intégration volontaire par les entreprises de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités 

Pierre Haroche Théorie réaliste de l"intégration européenne 1

UNIVERSITE PARIS I - PANTHEON-SORBONNE

ECOLE DOCTORALE DE SCIENCE POLITIQUE (ED 119)

CENTRE EUROPEEN DE SOCIOLOGIE ET DE SCIENCE POLITIQUE (UMR 8209)

Doctorat de Science politique

Pierre HAROCHE

THEORIE REALISTE DE L"INTEGRATION EUROPEENNE

Les conditions de la transformation d"un système international en système interne Thèse dirigée par les Professeurs Bastien FRANÇOIS et Didier GEORGAKAKIS

Soutenue le 30 novembre 2013

Jury :

Professeur Bastien FRANÇOIS (Université Paris I Panthéon-Sorbonne) Professeur Didier GEORGAKAKIS (Université Paris I Panthéon-Sorbonne) Professeur Dario BATTISTELLA (Institut d"études politiques de Bordeaux) Professeur Michel DOBRY (Université Paris I Panthéon-Sorbonne) Professeur Jean-Philippe HEURTIN (Institut d"études politiques de Strasbourg) Professeur Kiran Klaus PATEL (Université de Maastricht) Pierre Haroche Théorie réaliste de l"intégration européenne 2 Cette thèse propose un modèle théorique capable de rendre compte du passage d"un système

international à un système interne. Elle s"appuie sur des études empiriques empruntées à

l"histoire de l"intégration européenne. Son modèle est fondé sur deux facteurs principaux : la

balance entre offensive et défensive et le degré d"interdépendance entre acteurs. Lorsque

l"offensive a l"avantage, les acteurs sont incités à résoudre leurs problèmes d"interdépendance

via l"usage de la violence, qui s"avère efficace. Ce n"est que lorsque la défense a l"avantage

que l"interdépendance peut conduire à l"intégration. Cependant, cette condition n"est pas

suffisante. Lorsque l"interdépendance est faible, les acteurs cherchent à la limiter en vue de préserver leur indépendance. Ce n"est que lorsque la défense a l"avantage et que

l"interdépendance est prépondérante et incontournable que l"intégration peut être une solution

viable. Ce modèle est utilisé pour expliquer le passage d"une stratégie traditionnelle

d"indépendance à une politique de délégation à des institutions supranationales, à travers trois

catégories d"acteurs : les gouvernements, les parlementaires et les juges. L"intégration

gouvernementale est étudiée à travers les origines de la Communauté européenne du charbon

et de l"acier (1951) et l"échec de la Communauté européenne de défense (1954). L"intégration

parlementaire est étudiée à travers les premiers renforcements du Parlement européen en

matière budgétaire (1970) et législative (1986). Enfin, l"intégration juridique est étudiée à

travers l"évolution des juridictions allemandes et françaises quant à la reconnaissance de la

primauté du droit communautaire.

Mots clefs : Union européenne ; théorie de l"intégration européenne; Communauté

européenne du charbon et de l"acier ; Communauté européenne de défense ; Parlement

européen ; Droit européen. Pierre Haroche Théorie réaliste de l"intégration européenne 3 A Realist Theory of European Integration: Conditions for Transforming an International

System into a Domestic One.

This thesis proposes a theoretical framework able to account for the transition from an

international system to a domestic one. It relies on empirical studies from the history of

European integration. Its model is based on two principal factors: the offense-defense balance and the degree of interdependence among actors. When offense has the advantage, incentives drive the actors to solve their interdependence problems by using violence because it is quite effective. It is only when defense has the advantage that interdependence can lead to integration. However, that latter condition is not sufficient. When interdependence is weak,

actors seek to limit it, to preserve their independence. It is only when defense has the

advantage and interdependence is overwhelming and unavoidable, that integration becomes a viable solution. This model was applied to explain the transition from a traditional independence-preserving strategy to a delegation-of-powers policy in favor of supranational institutions, by examining three categories of actors: governments, members of parliaments and judges. The origins of the European Coal and Steel Community (1951) and the failure of the European Defense Community (1954) were used to investigate governmental integration. The first reinforcements of the European Parliament concerning budgetary (1970) and legislative matters (1986) served to study parliamentary integration. Lastly, the analysis of judicial integration was explored through the evolution of German and French national courts towards the acceptance of the supremacy of Community law. Keywords: European Union; European Integration Theory; European Coal and Steel Community; European Defense Community; European Parliament; European Law. Pierre Haroche Théorie réaliste de l"intégration européenne 4 Pierre Haroche Théorie réaliste de l"intégration européenne 5 Je remercie Bastien François, qui a guidé et accompagné ma vocation de chercheur depuis son origine et a toujours su me prodiguer, aux moments clefs, les orientations qui se sont avérées les plus précieuses. Je remercie Didier Georgakakis, dont la lecture attentive, la rigueur et les critiques constructives ont considérablement enrichi ma rédaction.

Je remercie Michel Dobry, dont la réflexion théorique a constitué pour moi une source

d"inspiration irremplaçable et qui a bien voulu me la faire partager au fil de l"élaboration de

cette thèse. Je remercie ma mère pour ses encouragements innombrables et ses conseils avisés et toute ma famille, pour son soutien indéfectible. Pierre Haroche Théorie réaliste de l"intégration européenne 6 Pierre Haroche Théorie réaliste de l"intégration européenne 7

Je dédie cette thèse à mon père.

Pierre Haroche Théorie réaliste de l"intégration européenne 8

TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION : LA QUESTION DE L'INTEGRATION ..................................................................... 13

I.

UN PARADIGME A REFONDER : POUR UN REALISME ELARGI .................................................. 34

1. L IBERALISME, REALISME ET CONSTRUCTIVISME FACE AUX TRANSFORMATIONS DU SYSTEME INTERNATIONAL ....... 35 2. P

RINCIPES FONDAMENTAUX DU REALISME ............................................................................................... 42

a. Commentaire du premier principe ................................................................................................. 44

b. Commentaire du second principe .................................................................................................. 51

3. M

ETHODE DU REALISME : LA HIERARCHIE DES NIVEAUX D'ANALYSE.............................................................. 59

a. Réalisme et inertie .......................................................................................................................... 64

b. Réalisme et économie .................................................................................................................... 70

c. Réalisme et relations symboliques ................................................................................................. 77

d. La méthode objectiviste ................................................................................................................. 90

4. E

PISTEMOLOGIE DU REALISME : L'UNITE DES SCIENCES .............................................................................. 94

II. AVANTAGE DEFENSIF ET INTERDEPENDANCE PREPONDERANTE : LES HYPOTHESES D'UNE

THEORIE REALISTE DE L'INTEGRATION ....................................................................................... 108

1. L

ES EQUIVOQUES DE L'ANARCHIE ......................................................................................................... 109

2. L

A BALANCE OFFENSIVE/DEFENSIVE ...................................................................................................... 117

3. L

E ROLE AMBIGU DE L'INTERDEPENDANCE ............................................................................................. 129

Tableau récapitulatif des hypothèses ................................................................................................. 139

III.

L'INTEGRATION GOUVERNEMENTALE ................................................................................ 140

1. L

E SYSTEME EUROPEEN DE L'HEGEMONIE CONQUERANTE A L'EQUILIBRE DE LA PUISSANCE ............................. 152

a. L'avantage offensif ou l'équilibre rompu 1938-1941 ................................................................... 153

b. Le retour de la défensive 1941-1945 ........................................................................................... 160

c. L'équilibre de la puissance retrouvé 1945-1950 .......................................................................... 163

2. L

A POLITIQUE FRANÇAISE D'EQUILIBRE DE LA PUISSANCE 1945-1948 ........................................................ 168

a. Limiter la puissance allemande .................................................................................................... 169

b. L'échec de la politique d'équilibre ............................................................................................... 174

c. Les recommandations de Londres : la résignation ....................................................................... 179

3. L

E TOURNANT DE L'INTEGRATION 1948-1950....................................................................................... 183

a. De la résistance à l'association : les prémisses d'une conversion................................................ 184

Pierre Haroche Théorie réaliste de l"intégration européenne 9

b. Une première tentative : le Conseil de l'Europe .......................................................................... 191

c. L'intensification du problème de la Ruhr ..................................................................................... 195

d. Un changement de cap ................................................................................................................ 200

e. La RFA : la souveraineté par l'intégration .................................................................................... 208

4. L

E PLAN SCHUMAN ET LA NAISSANCE D'UN POUVOIR SUPRANATIONAL 1950-1951 ..................................... 212

a. Le cadre institutionnel et géographique ...................................................................................... 219

b. Les réactions des partenaires ....................................................................................................... 229

c. La négociation : supranationalité et intergouvernementalité ..................................................... 236

d. Le traité de Paris ........................................................................................................................... 248

5. L'

EXEMPLE A CONTRARIO DE LA CED 1950-1954 .................................................................................. 251

a. Encadrer le réarmement allemand .............................................................................................. 257

b. Europe contre Union française : la concurrence des contraintes ................................................ 262

c. Le repli progressif ......................................................................................................................... 269

d. De l'échec de l'intégration par la CED à la limitation par l'UEO ................................................... 279

IV.

L'INTEGRATION PARLEMENTAIRE ....................................................................................... 285

1. L

ES POUVOIRS BUDGETAIRES : DE LA CONFRONTATION A L'INTEGRATION 1962-1970 .................................. 294

a. Les origines du conflit entre gouvernements et parlements ....................................................... 294

b. Résistance de la France ................................................................................................................ 304

c. La confrontation de 1965 ............................................................................................................. 308

d. La sortie de crise et le traité de Luxembourg ............................................................................... 323

e. La ratification ................................................................................................................................ 336

2. L

ES POUVOIRS LEGISLATIFS ET LES VARIATIONS NATIONALES 1985-1986 ................................................... 343

a. Les origines de la transaction ....................................................................................................... 347

b. Les positions des parlements nationaux ...................................................................................... 350

c. Expliquer les divergences entre parlements ................................................................................ 359

d. La négociation .............................................................................................................................. 365

e. La ratification ................................................................................................................................ 372

V.

L'INTEGRATION JURIDIQUE ................................................................................................. 383

1. E

N ALLEMAGNE ................................................................................................................................ 395

a. Intégration de la loi par une alliance " de revers » ...................................................................... 397

b. Résistance de la Constitution ....................................................................................................... 402

c. " Détente » entre Constitution et droit communautaire ............................................................. 410

Pierre Haroche Théorie réaliste de l"intégration européenne 10

d. Protéger et compléter l'équilibre ................................................................................................. 415

e. Relancer l'endiguement ............................................................................................................... 420

f. Mise en oeuvre et conséquences de l'endiguement ..................................................................... 427

2. E

N FRANCE ...................................................................................................................................... 432

a. Résistances ................................................................................................................................... 433

b. Divergences .................................................................................................................................. 440

c. Intégration de la loi ....................................................................................................................... 451

d. Coexistence pacifique entre Constitution et droit communautaire ............................................ 468

e. Endiguement et coopération ....................................................................................................... 474

CONCLUSION : ET LES CITOYENS ? .............................................................................................. 485

SOURCES ET ARCHIVES .............................................................................................................. 492

1. A

RCHIVES GOUVERNEMENTALES .......................................................................................................... 492

a. Ministère des Affaires étrangères (MAE) ..................................................................................... 492

b. Ministère de la Défense (MD) ...................................................................................................... 492

2. A

RCHIVES HISTORIQUES DE L'UNION EUROPEENNE (AHUE) ..................................................................... 493

a. Archives du Conseil....................................................................................................................... 493

b. Archives de la Commission ........................................................................................................... 493

c. Histoire orale européenne ............................................................................................................ 493

3. A

RCHIVES PARLEMENTAIRES ................................................................................................................ 494

a. Archives parlementaires européennes ........................................................................................ 494

b. Archives parlementaires françaises ............................................................................................. 494

c. Archives parlementaires britanniques.......................................................................................... 495

d. Archives parlementaires italiennes .............................................................................................. 496

e. Autres archives parlementaires ................................................................................................... 496

4. D

ECISIONS DE JUSTICE ........................................................................................................................ 497

BIBLIOGRAPHIE ......................................................................................................................... 499

1. T

EMOIGNAGES ................................................................................................................................. 499

2. P

UBLICATIONS INSTITUTIONNELLES ...................................................................................................... 500

3. P

UBLICATIONS ACADEMIQUES ............................................................................................................. 500

INDEX DES NOMS DE PERSONNES .............................................................................................. 543

Pierre Haroche Théorie réaliste de l"intégration européenne 11 Pierre Haroche Théorie réaliste de l"intégration européenne 12 Pierre Haroche Théorie réaliste de l"intégration européenne 13

Introduction : la question de l'intégration

La première photographie a été prise le 30 septembre 1938 et représente le Président du

Conseil français Edouard Daladier signant les accords de Munich. La seconde a été prise le 13

décembre 2007 et représente le ministre d"Etat du Danemark Anders Fogh Rasmussen ainsi

que son ministre des Affaires étrangères Per Stig Møller, signant tous deux le traité de

Lisbonne. Un ethnographe observant ces deux images serait d"abord frappé par la permanence

du rituel : les mêmes épaules courbées, le même index pointé. Aujourd"hui comme hier, les

chefs de gouvernement européens inscrivent leurs noms au bas des textes âprement discutés

entre eux. Dans cette cérémonie de la signature, le " concert européen » se met en scène,

suivant un protocole immuable. " Rien n"a changé », serait tenté d"affirmer l"ethnographe. Pourtant tout a changé. D"abord sur la forme. Seuls quatre " grands », l"Allemagne, la France,

le Royaume-Uni et l"Italie sont représentés à Munich ; la Tchécoslovaquie, bien qu"étant au

centre du débat, n"est même pas conviée. Soixante neuf ans plus tard à Lisbonne, ce sont

vingt-sept Etats européens qui sont représentés à la cérémonie de signature, dont de nombreux

" petits » pays, comme ici le Danemark. Mais c"est surtout sur le fond que tout a changé. Les accords de Munich prévoient l"occupation progressive par les troupes allemandes de certaines

régions tchécoslovaques. Les uniformes présents sur la photographie témoignent de cette

prégnance de l"enjeu militaire. La rencontre entre les quatre chefs de gouvernement fait suite aux menaces de guerre de la part de l"Allemagne et sera suivie un an plus tard par

l"éclatement de la seconde guerre mondiale. Le traité de Lisbonne quant à lui révise le

fonctionnement des institutions de l"Union européenne. Il fait suite à l"échec en 2005 des

référendums de ratification du précédent traité établissant une Constitution pour l"Europe, en

France et aux Pays-Bas. Et son processus de ratification sera lui-même marqué par deux

référendums en Irlande, un négatif en 2008 et un positif en 2009. Le contraste est saisissant.

D"un côté, une Europe des conflits territoriaux et de la guerre ; de l"autre, une Europe des institutions intégrées et des consultations populaires. L"ampleur de ce changement historique fait écho aux prophéties d"un autre siècle : Un jour viendra où les boulets et les bombes seront remplacés par les votes, par le suffrage

universel des peuples, par le vénérable arbitrage d"un grand sénat souverain qui sera à

Pierre Haroche Théorie réaliste de l"intégration européenne 14 l"Europe ce que le parlement est à l"Angleterre, ce que la diète est à l"Allemagne, ce que l"Assemblée législative est à la France 1 ! Le but de cette thèse est de proposer une théorie capable de rendre compte de ce changement,

désigné ici par le terme d"intégration, c"est-à-dire l"opération par laquelle des unités

transfèrent tout ou une partie de leurs pouvoirs à des instances ou procédures communes. S"il

a semblé important de souligner par ces deux photographies l"ampleur du problème historique à résoudre, c"est que demander comment l"Europe de Munich et devenue l"Europe de Lisbonne revient indirectement à demander comment un système international peut se muer

en système interne. Et formulée ainsi, il devient évident que l"intérêt de cette question dépasse

largement les confins de l"histoire récente du continent européen, tant il est vrai que

l"opposition polaire entre domaine international et domaine interne structure largement non seulement les théories de science politique (Waltz, 1979, p. 114) mais aussi la plupart des départements universitaires de science politique qui, dans le monde entier, séparent sous des appellations diverses ces deux sous-champs disciplinaires que sont les relations

internationales et la politique comparée. Or, une théorie de l"intégration est nécessairement

appelée à transgresser cette frontière, à être aussi bien une théorie des relations internationales

au sens le plus classique du terme qu"une théorie de l"Etat et des institutions. Autrement dit,

une théorie de l"intégration est également une théorie intégrée, un pont entre des approches et

des concepts souvent opposés.

En se donnant comme objet l"intégration européenne de Munich à Lisbonne, cette thèse fait

également un choix de périodisation qui est loin d"être évident. Il suffit pour s"en convaincre

d"observer les couvertures des deux livres les plus emblématiques de la littérature théorique

sur l"intégration européenne. Le premier est celui d"Ernst Haas (2004), fondateur de l"école

néofonctionnaliste, publié pour la première fois en 1958 qui s"intitule : The Uniting of

Europe. Political, Social and Economic Forces, 1950-1957. Le second est celui d"Adrew Moravcsik (1998), chef de file de l"école intergouvernementaliste qui a pour titre : The Choice for Europe. Social Purpose & State Power from Messina to Maastricht. Bien qu"ayant été

publiés à quarante années d"écart et bien que représentant les deux pôles antagonistes qui ont

longtemps structuré le débat entre chercheurs en politique européenne, ces deux titres se

ressemblent beaucoup. Mais leurs points de départ chronologiques sont en particulier très

1 Victor Hugo, discours d"ouverture du Congrès de la Paix, 21 août 1849, dans Actes et paroles.

Pierre Haroche Théorie réaliste de l"intégration européenne 15 significatifs. Le premier part de 1950 c"est-à-dire de la proposition du plan Schuman qui allait donner naissance à la Communauté européenne du charbon et de l"acier. Le second part de la

conférence interministérielle de Messine de 1955, qui lança les travaux préparatoires au futur

traité de Rome. Ainsi, ces deux livres qui se donnent pour ambition d"expliquer l"intégration européenne adoptent paradoxalement comme points de départ des moments où les principaux

dirigeants européens concernés sont déjà d"accord sur le principe de l"intégration et sont sur le

point d"en discuter les modalités ou d"en prolonger le processus. Or, ce choix de périodisation

ne semble pas être à la hauteur de la principale question théorique sous-jacente à l"histoire de

l"unification européenne : comment un système international peut-il se transformer en système interne ? Comment un acteur peut-il accepter de passer d"une politique

d"indépendance à une politique d"intégration ? Aussi bien Haas que Moravcsik semblent

vouloir contourner le problème, ou l"affronter seulement une fois celui-ci largement résolu.

En se bornant à étudier l"intégration européenne une fois qu"elle est déjà là, ils se condamnent

à en théoriser davantage les modalités que la cause. De fait, le grand débat entre

néofonctionnalistes et intergouvernementalistes a essentiellement porté sur la question de

savoir qui étaient les acteurs dominant le processus : alors que les premiers insistaient sur le

rôle central des intérêts économiques transnationaux alliés aux institutions supranationales, les

seconds insistaient plutôt sur les intérêts économiques nationaux défendus par les

gouvernements nationaux. Mais pour importante qu"elle soit, la question des acteurs principaux d"un processus n"épuise pas la question des origines de ce processus. Le parallèle entre la signature du traité de Lisbonne et celle des accords de Munich est là pour nous

rappeler que pendant des siècles, et jusqu"à quelques années à peine avant la naissance du

processus d"intégration européen, les acteurs de ce continent, qu"ils incarnent des intérêts

économiques ou des institutions politiques, ont joué à un jeu très différent, dans lequel les

enjeux communs étaient traités le plus souvent non par la mise en place d"institutions

intégrées, mais par le simple exercice de la puissance et de la guerre. En somme, en amont de la question : qui sont les joueurs les plus importants ? se trouve une question plus

fondamentale encore : pourquoi jouent-ils à ce jeu plutôt qu"à un autre ? ou encore : d"où

viennent les règles du jeu ?

Le lecteur familier avec la recherche en politique européenne trouvera certainement cette

problématique quelque peu désuète. En effet, si l"explication de l"intégration a longtemps été

au coeur des travaux consacrés à l"unification européenne, notamment à travers le débat

Pierre Haroche Théorie réaliste de l"intégration européenne 16 classique entre les écoles néofonctionnaliste et intergouvernementaliste, un consensus semble

pourtant s"être formé dès les années 1990 pour affirmer que cet enjeu était épuisé, voire

dépassé et qu"il convenait par conséquent que les chercheurs se portent vers de nouveaux horizons plus prometteurs. En particulier, Hix affirma dès 1994 que chercher à expliquer

l"intégration européenne à l"aide de théories des relations internationales était devenu

anachronique puisque l"Union européenne était devenue un système politique interne, qu"il convenait désormais d"analyser, comme n"importe quel système politique interne, avec les outils traditionnels de la politique comparée. Egalement dès les années 1990, un tournant institutionnaliste émergea parmi les auteurs en politique européenne, affirmant vouloir rompre

avec les théories générales de l"intégration. Comme pour Hix, il s"agissait non plus

d"expliquer l"origine des institutions européennes mais plutôt de les prendre comme point de départ et d"en approfondir le fonctionnement ainsi que le rôle structurant sur le comportement des acteurs (Pollack, 2001). De façon générale, tous les nouveaux courants qu"a connus la

recherche en politique européenne depuis la proclamation de la clôture du débat entre

néofonctionnalistes et intergouvernementalistes, qu"il s"agisse du tournant constructiviste

(Christiansen, Jorgensen et Wiener, 1999 ; Checkel, 2006), du tournant délibératif (Neyer,

2006), du tournant de la gouvernance (Kohler-Koch et Rittberger, 2006), du tournant de

l"administration publique (Trondal, 2007) ou même encore, du rejet de la logique des

" tournants » et de l"appel à étudier la politique européenne suivant des méthodes semblables

à celles d"autres objets de sciences sociales (Georgakakis, 2008), n"ont fait qu"aller dans la

même direction, analysant le fonctionnement des institutions européennes, les propriétés des

acteurs qui y participent et les processus sociaux qui structurent ce fonctionnement: calculs

stratégiques, socialisation, marchandage, délibération, européanisation, autonomisation,

spécialisation etc. Or, si cette évolution de la recherche a ouvert de nouvelles perspectives riches et relativement peu explorées auparavant en donnant à voir ce dont sont faites les

interactions sociales qui participent à l"intégration, cela s"est opéré au prix d"un oubli de plus

en plus marqué de la question primordiale des causes de l"intégration, que le débat entre

néofonctionnalisme et intergouvernementalisme avait pourtant déjà largement éludé et ce,

malgré la diffusion paradoxale du label de " théorie de l"intégration européenne » comme

champ de recherche à part entière (Wiener et Diez, 2004 ; Saurugger, 2009). Ainsi, tout se passe comme si la recherche en politique européenne suivait la logique de la fuite en avant : si une question est difficile à résoudre, mieux vaut en poser de nouvelles. Pierre Haroche Théorie réaliste de l"intégration européenne 17

A rebours de ce mouvement, il s"agira ici de revenir à la question des causes de l"intégration.

Nous l"avons dit, cette question n"est pas seulement intéressante pour comprendre le sort de l"Europe, mais aussi en vue de penser la transition entre relations internationales et relations internes, voire de réunir ces deux sous-champs disciplinaires dans un seul modèle théorique

intégré. Or, partir du principe, comme le font Hix et de nombreux institutionnalistes à sa suite,

que l"Union européenne est désormais un système politique interne qu"il convient d"analyser avec les outils de la politique comparée ne peut que nous éloigner de cet espoir. Il ne s"agit

pas pour autant d"en revenir purement et simplement au débat des années 1990 entre

néofonctionnalistes et intergouvernementalistes, d"argumenter en faveur d"un camp contre l"autre ou même de chercher à les articuler comme deux faces complémentaires d"un même

modèle unifié (Tsebelis et Garrett, 2001). Il s"agit au contraire, comme nous avons commencé

à le faire à propos de la périodisation, de mettre en lumière les points aveugles de ce débat,

c"est-à-dire non pas les points sur lesquels ces deux écoles étaient en désaccord et sur lesquels

elles ont amplement développé leurs arguments respectifs (Moravcsik, 1998 ; Stone Sweet et Sandholtz, 1997) mais plutôt les points sur lesquels elles étaient d"accord et qui pour cette

raison, ont été beaucoup moins discutés. En effet, si pour les chercheurs en politique

européenne, le néofonctionnalisme et l"intergouvernementalisme ont pu représenter deux

pôles d"attraction radicalement opposés, il convient de rappeler que ces deux écoles

appartiennent pourtant au même paradigme libéral. Si l"on se reporte au spectre plus général

des théories des relations internationales, les désaccords qui ont structuré le débat en politique

européenne pendant des décennies ressemblaient donc fort à des querelles de chapelles. Pour

Haas (2004), une fois que les gouvernements ont pris la décision initiale de placer des

secteurs comme le charbon et l"acier sous l"autorité d"institutions centrales, un processus

d"engrenage fonctionnel ou spillover est censé créer des pressions en faveur de l"extension de

l"intégration à de nouveaux secteurs liés aux précédents. Les moteurs de cet engrenage sont

les intérêts économiques transnationaux qui bénéficient des progrès de l"intégration et les

institutions supranationales qui gagnent progressivement en autonomie par rapport aux Etats. Pour Moravcsik (1998) en revanche, les gouvernements des Etats membres restent les acteurs

centraux du processus. Mais leurs préférences sont constituées essentiellement par les intérêts

économiques qui dominent leurs sociétés internes. Et les traités européens doivent être

compris comme des marchandages entre les préférences des gouvernements des plus grands

Etats membres, ce qui explique que l"intégration européenne soit dominée par les enjeux

économiques. Enfin, les institutions supranationales sont créées par les gouvernements afin de

Pierre Haroche Théorie réaliste de l"intégration européenne 18

garantir la crédibilité de leurs engagements mutuels et ne jouent pas un rôle de premier plan

dans l"élaboration des traités. En bons libéraux, les intergouvernementalistes comme les

néofonctionnalistes placent donc le moteur de l"intégration dans les intérêts économiques

issus de la société civile. L"origine de l"intégration européenne serait ainsi l"explosion des

échanges transnationaux après la seconde guerre mondiale (Moravcsik, 1998, p. 473 ; Stonequotesdbs_dbs46.pdfusesText_46
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