[PDF] Le Romantisme anglais L'histoire littéraire est

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LE ROMANTISME ANGLAIS

Émergence

d"une poétique Retrouver ce titre sur Numilog.com

Collection

PERSPECTIVES

ANGLO-SAXONNES

dirigée par Alain Morvan Retrouver ce titre sur Numilog.com

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1

Introduction

1.

La nébuleuse romantique

Valéry

prétendait qu"il fallait avoir perdu tout esprit de rigueur pour s"essayer à définir le romantisme. A.O. Lovejoy dans ses Essays in the History ofldeas assure que deux érudits de La Ferté-sous-Jouarre, MM. Dupuis et

Cotonet,

entreprirent dès 1824 de cerner la notion et qu"après douze années de souffrance, ils renoncèrent, désillusionnés. Périodiquement, historiens et critiques se demandent s"il ne s"agit pas d"une vue de l"esprit, d"un corrélat commode mais peu sûr soulevant plus de problèmes qu"il n"en résout1. Le terme n"est utilisé ni dans la Préface aux Lyrical Ballads, ni dans A Defence of Poetry de Shelley. Et si Keats y a recours dans une lettre du

28 juin 1818 à son frère George, il l"emploie dans un sens non littéraire.

Que la

publication des Lyrical Ballads en 1798 soit généralement tenue pour l"acte de naissance du romantisme anglais ne saurait faire oublier que celui-ci n"a jamais constitué une école2. On a plutôt affaire à une prodi- 1.

C"est en Allemagne vers 1800 que le terme de romantisme revêt sa première acception littéraire

chez

Ludwig Tieck, Schiller et Goethe. Quant à l"adjectif " romantic », il était communément associé au

XVIIIe siècle à l"architecture

gothique, aux contes noirs ou bleus, à des paysages sublimes à la Salvator Rosa. 2.

L"histoire littéraire est largement responsable du cliché qui voudrait que leslyrical Ballads soient

au

romantisme anglais ce que les Méditations poétiques de Lamartine sont au romantisme français. Pareille

vue

relève de ce que les Anglais appellent " a peaks and valleys view of literature », comme le souligne

Jean

Raimond dans " La Nouveauté des Lyrical Ballads : Mythe ou Réalité ? », Bulletin de la Société des

études

anglo-américaines des XVlf et XVllf siècles, 17, novembre 1983, p. 139. Wordsworth et Coleridge n"ont

jamais fait figure de chefs de file. Quant au très court Avertissement qui ouvre le recueil (et qui est souvent

confondu avec la longue Préface de 1800 révisée en 1802), s"il contient bien la phrase "Thé

majority of the following poems are to be considered as experiments », celle-ci ne suffit pas à faire relever l"ensemble du recueil d"une stratégie de rupture. Retrouver ce titre sur Numilog.com gieuse nébuleuse englobant des réalités fort diverses. Faut-il rappeler, par exemple, que l"environnement politique de la seconde génération roman- tique est, après Waterloo, celui de la Sainte Alliance ? Byron, Shelley et

Keats n"ont

pas connu les espérances millénaristes qu"avaient fait naître les premiers temps de la Révolution chez Blake1, Wordsworth ou Coleridge. L"un des thèmes centraux de Don Juan n"est autre que l"impasse de l"histoire : trente ans de guerre n"ont abouti qu"à rétablir l"ordre tyranni- que ancien. La deuxième génération se trouve directement aux prises avec la révolution comme mythe et doit chercher à l"assumer, à évaluer sa vali- dité dans le champ du possible : l"Histoire passe au mythe grâce à une inté- riorisation dont la poésie du sujet est l"enjeu. Au mépris de ce type de distinction, la tentation est récurrente chez les romanticistes de vouloir rendre le corpus romantique moins divers, moins irrationnel, plus cohérent qu"il ne l"est, à seule fin de satisfaire aux exigences de la théorisation. C"est ce que signalait en 1981 Marilyn Butler, l"un des chefs de file du nouvel historicisme, dans la conclusion à son livre Romantics,

Rebels and Reactionaries.

La présente étude s"appuie sur la conviction qu"il reste pourtant pos- sible et nécessaire de penser le romantisme2. Nécessaire parce qu"entre 1789
et 1825 émerge l"univers culturel de la modernité. Nous continuons de vivre dans la queue de la comète qui embrasa le firmament de ces quelques décennies. Seule, la Réforme, autre cassure irréversible, eut sur les esprits un retentissement comparable à celui de la Révolution française sur la conscience romantique. Contre l"univers à forte coloration méca- niste et normative légué par le XVIIIe siècle, les romantiques redéfinissent la place de la subjectivité, de la solidarité, de la différence, voire du génie.

Le lecteur

ne trouvera pas dans les pages qui suivent (et qui, par définition, ne sauraient prétendre être exhaustives) d"études cellulaires » sur chacun des poètes majeurs du romantisme anglais que précéderait un chapitre général sur " l"esprit du temps » ou sur l"" arrière-plan » de l"époque. Ce serait faire l"escompte de l"approche 1.

Seul des grands romantiques à être passé en jugement pour avoir tenu des propos séditieux,

Blake,

qui compose Jérusalem au plus noir des guerres de l"Empire, présente de cette époque crépuscu-

laire une lecture cohérente : cette domination de l"histoire correspond pour lui au Deuxième Avent où s"affermit, avant d"être dissipé à jamais, le règne de l"Antéchrist. 2. Voir R. Wellek, " The Concept of Romanticism in Literary Scholarship », Comparative Literature,

1,1949,

p. 1-23, 147-172. Retrouver ce titre sur Numilog.com

critique du romantisme. " Quiconque », écrit Paul Rozenberg, " se contente de situer le romantisme dans l"histoire déserte le romantisme

comme point de vue sur l"histoire, transforme en objet d"étude ce qui est instrument de pensée ». Et il ajoute :

Le foisonnement romantique et

son caractère éclaté (Coleridge rêva toute sa vie de produire un système)

sont la mesure de sa richesse comme produit et tentative de dépas- sement de la fragmentation des points de vue, des modes de vie et de pensée. L"aspi-

ration à l"unité qui définit le romantisme constitue un effort désespéré pour conserver ou

reconstruire une vision globale de l"histoire à l"heure où l"Angleterre renonçait à lui donner un sens!.

C"est que

le fragment témoigne d"une crise de l"œuvre. Comme l"avaient perçu les frères Schlegel, l"équanimité, la paix de l"être et de l"entendement que typifiait l"art grec sont révolus à jamais2. Le fragment romantique est chargé d"incarner cette absence : à la fois projet et inachè- vement, il manifeste conjointement le désir d"accomplissement et l"impossibilité d"y satisfaire. Loin de n"être qu"une " œuvre de l"absence d "oeuvre », qu"un " désoeuvrement », au sens de Blanchot, le fragment accomplit l"œuvre en germe.

L"œuvre

de Keats, tout particulièrement, illustre cette caractéristique majeure du romantisme : fréquents sont chez lui les fragments d"un(e) grand(e) œuvre. L"œuvre à venir relève de l"écriture du désir ; elle est annonce d"un accomplissement donné comme vision universelle : qu "on se rappelle dans le sonnet sur la traduction d"Homère par Chap- man l"immensité du Pacifique qui se découvre aux yeux éblouis du conquistador et de ses compagnons d"armes, symbole de découverte potentielle, de ce " knowledge enormous » qui est central aux deux ver- sions d"Hyperion3. On pourrait citer à ce propos la lettre à John Hamil- ton du 19 février 1818 : 1.

P. Rozenberg, Le Romantisme anglais : le défi des vulnérables, Paris, Larousse Université, 1963, p. 37.

2. Voir sur A.W. Schlegel et le groupe d"Iéna l"étude de D. Simpson (ed.), The Origins of Modem

Critical

Thought : German Aesthetic and Literary Criticism from Lessing to Hegel, Cambridge University Press, 1988.

3. On observera l"importance, parmi les constellations symboliques keatsiennes, du symbolisme alchimique de l"or, signe d"achèvement du grand œuvre et annonciateur du mythe de la maturation automnale.

Il s"agit d"obtenir ce qu"Endymion (1:456-457) appelle à propos du rêve cette " great key to golden palaces ». Retrouver ce titre sur Numilog.com

1 application d"un principe génératif qui sous-tend l"ensemble du système

métaphysique coleridgien. Elle intéresse au même titre sa cosmogonie, son épistémologie et sa théorie de la création poétique :

Grant me a

nature having two contrary forces, the one of which tends to expand infi- nitely, while the other strives to apprehend or find itself in this infinity and I will cause the world of intelligence with the whole system of their representation to rise up before youl.

L"imagination

primaire est pour Coleridge ce qui rend la perception possible. Elle est cette forme a priori qui autorise le lever de rideau et permet de lire le monde. Elle s"oppose radicalement à l"empirisme asso- ciationniste. L"imagination créatrice fait écho au principe créateur inhé- rent à l"univers2. The primary imagination I hold to be a living power and prime agent of all human perception, and as a repetition in the finite mind of the eternal act of creation in the infinite I AM3. Au contraire, l"imagination secondaire relève de ce que Blake appelait le royaume des Filles de la Mémoire. Comme le rappelle Coleridge : Equally with the ordinary memory the Fancy must receive all materials ready made from the mechanical, uncreative law of association of ideas. »4 Les romantiques inaugurent une grande pratique d"écriture qui est celle du métatexte, ensemble d"écrits en prose qui, en amont ou en aval du poème proprement dit, conceptualisent rigoureusement les grandes modalités de l"acte poétique5. On pourrait invoquer, outre Biographia Lite- raria, les Préfaces successives de Wordsworth aux Lyrical Ballads où se pré- cisent progressivement de véritables protocoles de lecture, la correspon- dance keatsienne, la Defence of Poetry de Shelley. Arnold Hauser écrit : Romanticism represented one of the most decisive tuming-points in the history of the European mind and was perfectly conscious of its his- 1.

Biographia Literaria, Shawcross, 1: 196.

2.

On se rappelle que Rabelais désigne le dynamisme divin comme " le grand Plasmateur ». 3. Biographia Literaria, Shawcross, 1:202.

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