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LIENS Code de la Propriété Intellectuelle. articles L 122. 4 Code de la Propriété Intellectuelle. articles L 335.2- L 335.10

LA SOCIÉTÉ TOTALITAIRE DANS

LE RÉCIT D'ANTICIPATION DYSTOPIQUE,

DE LA PREMIÈRE MOITIÉ DU XXe SIÈCLE,

ET SA REPRÉSENTATION AU CINÉMA

THÈSE

Pour obtenir le grade de Docteur de l'Université Nancy 2

Doctora

t nouveau régime

Disciplines

: Littérature Comparée et Sciences de l'Information et de la Communication

Présentée et soutenue publiquement par

François RODRIGUEZ NOGUEIRA

Sous la direction des Professeurs

Françoise SUSINI-ANASTOPOULOS et Éric SCHMULEVITCH

REMERCIEMENTS

INTRODUCTION

1895 est l'année de la publication d'un roman considéré dans de nombreux ouvrages

spécialisés comme étant le premier roman de science-fiction

d'Herbert-George Wells (1866-1946). Le récit de l'écrivain britannique illustre une théorie qui

va se propager dans la littérature de science-fiction : la société moderne porterait en elle les

germes d'une autodestruction quasi inévitable. L'oeuvre laisse transparaître un réalisme social

hérité de Dickens et de Zola, ce qui le conduira à militer en faveur du socialisme (il rencontra

Lénine en Russie en 1920 et Staline en 1934). Dès lors, la science-fiction ne va plus

se développer comme une simple réflexion sur les machines du progrès qui accompagnent les

rêves de sociétés nouvelles et utopiques du XIXe siècle. L'idée d'un XXe siècle n'étant pas à la

hauteur de ce qui apparaissait comme la marche vers la réalisation de ce rêve de progrès, va

profondément modifier les consciences. L'application des théories marxistes en Russie, puis

l'essor des fascismes en Italie et en Allemagne vont entraîner une lecture beaucoup plus

pessimiste de l'application de ces utopies. Ce regard porte sur le XXe siècle était notamment celui d'Herbert Marcuse : " Un progrès accru semble devoir être lié à une perte accrue de liberté. Les camps de concentration, les exterminations massives, les guerres mondiales, les bombes atomiques ne sont pas un " retour à la barbarie » mais l'application incontrôlée des progrès de la science, de la technologie et de la domination moderne. La soumission et la destruction les plus effectives de l'homme par l'homme se produisent à l'apogée de la civilisation, alors que les conquêtes matérielles et intellectuelles de l'humanité sembleraient permettre la création d'un monde vraiment libre. » 1 Cette désillusion va se traduire par un changement de point de vue sur la possibilité

d'une société idéale, et notamment sur rôle de la science dans cette entreprise. L'on parlera

alors de dystopie. Parfois utilisée comme synonyme d'anti-utopie, la dystopie est assimilable à

une fiction politique pessimiste, elle est donc communément considérée comme le contraire de

l'utopie. L'homme ne sera plus l'inventeur d'une société parfaite, mais plutôt d'un système

d'oppression absolu, fondé sur un État omnipotent, organisé scientifiquement par un régime qui

élimine rapidement toute opposition. Ce courant dystopique (également appelé contre-utopie),

occupe un espace particulier dans la littérature de science-fiction. La principale caractéristique

de ces récits d'anticipation dystopique est de se projeter dans un futur d'un réalisme saisissant,

1

Cité par

Théodore Roszak,

, Paris, Stock, 1970, p. 126.

la société imaginaire de la contre-utopie s'opposant à l'apologie du monde parfait, décrit dans

la tradition de l'utopie, et dénonçant les travers de la socié té imaginée. Cependant, la différence entre utopie et contre-utopie n'est pas seulement due au

contenu du récit, de nombreux récits utopiques ont une fâcheuse tendance à créer des sociétés

inhumaines. Si ces deux types de récit divergent sur la forme littéraire, c'est principalement à

ca use de l'intention de l'auteur : la création d'un monde tel qu'il devrait être dans une utopie se

résume bien souvent à la construction de sociétés inhumaines, alors que les contre-utopistes, ou

dystopistes, dénoncent l'illusion d'une société idéale qu'ils décrivent comme un enfer pour

l'homme. Réaction au désenchantement causé par l'échec des grandes idéologies du XXe siècle

et dénonciation des dérapages de la science, la dystopie sociale prend le relais de la contre-

utopie anti-totalitaire. Elle traduit le désarroi et les interrogations d'une société empêtrée dans

ses problèmes structurels. Métaphore de la psyché des grandes terreurs de notre temps, elle

peint des futurs noirs, carcéraux, rationalisés, déshumanisés, dans l'intention de tirer des

sonnettes d'alarme. Les meilleurs représentants du courant dystopique sont, à ce jour, Aldous Huxley (1894-

1963) ave

c (1932), roman qui traite de la pratique de l'eugénisme et du contrôle des émotions et des désirs, George Orwell (1903-1950) qui aborde dans (1948) la

manipulation du langage et du contrôle des consciences afférent: " La guerre, c'est la paix, la

liberté, c'est l'esclavage, l'ignorance, c'est la force. » 1 . Ray Bradbury, avec

(1953), dévoile une société dans laquelle les livres et leurs lecteurs sont persécutés et où les

pompiers ont pour mission de brûler ces vestiges de la culture humain e.

Mais le premier grand écrivain dystopiste inspiré par Wells est le Russe Evguéni

Zamiatine (1884-1937). Il s'intéressa de près à l'oeuvre de Wells, suffisamment pour lui

consacrer deux articles 2 . Zamiatine va nous donner la première peinture d'une société dictatoriale où règne la " pensée unique » : . En effet, il conçoit pour la première

fois une dictature fondée sur la science. Au XXVIe siècle, date à laquelle se déroule le récit,

l'État Unique, dirigé par le Bienfaiteur, veille à ce que tous les citoyens obéissent à des lois

fondées sur les mathématiques (nouveau dogme), la collectivité et l'artificialité. Dans cette

société, tout est contrôlé, tous les moyens sont bons pour pouvoir espionner chaque citoyen, il

n'y a presque plus de vie personnelle. C'est un monde aseptisé où l'homme n'est plus qu'un

numéro (stupéfiante anticipation de la réalité concentrationnaire !), et où toute individualité est

1

George Orwell,

, Folio, Paris, Gallimard, 1950, p. 15. 2 Ces deux articles sont reproduits dans , recueil de portraits, études et manifestes suivi de , publié en 1990 (Éditions L'Âge d'Homme).

niée. Cette dystopie n'aborde plus le progrès dans une perspective scientiste ou purement

technologique, car Zamiatine condamne la science, et dénonce sa confiscation idéologique. Dès

lors, la dystopie traite le "progrès" sous l'angle éthique d'une morale sociale, mais elle est avant tout une oeuvre de propagande anti-totalitaire. Écrit en 1920, les traductions anglaise et tchèque de sont parues en 1924 et

1927 sans son consentement. Traduit en français en 1929, ce roman est resté inconnu, car

censuré dans l'ex-URSS, même si nous trouvons quelques fois la référence sur l'influence de

ce roman sur un projet d'Eisenstein, . Pourtant, qu'Eisenstein ait voulu en tirer un film, entre 1927 et 1930, est du domaine de la spéculation sans fo ndements :

" L'ignorance des travaux des spécialistes sur Zamiatine réduit ce chapitre à une

spéculation sur l'influence de son roman sur le projet d'Eisenstein (pp. 217-220), bien que cette proximité n'ait jamais pu être étayée sur le moindre fait ou document en dehors d'une vague ressemblance. » 1 Orwell n'a cessé de souligner l'importance du roman de Zamiatine, et a salué en lui son inspirateur. Ce qui fait la particularité de Zamiatine, c'est qu'il a anticipé dans le

régime de Staline. Tout semble avoir été prévu dans ce texte quasi prophétique, notamment la

culture officielle Tous ceux qui s'en sentent capables sont tenus de composer des traités, des odes, des poèmes pour célébrer les beautés et la grandeur de l'État unique. » 2 . Cependant,

l'écriture de cette utopie d'inspiration anti-communiste, et surtout sa publication à l'étranger,

vont susciter une réaction de la part de l'État. À partir de 1929, année du grand tournant,

Zamiatine va être l'objet de constantes persécutions. C'est ainsi qu'en 1931, sur le conseil de

Gorki, il demanda à Staline l'autorisation de s'expatrier, et il est le dernier écrivain à avoir

obtenu cette autorisation. Voici les premières lignes de la lettre qu'il envoya à Staline en juin

1931 :

" L'auteur de cette lettre, un homme condamné à la peine capitale, s'adresse à vous avec la requête de commuer cette peine. Vous connaissez probablement mon nom. Pour

moi, en tant qu'écrivain, être privé de la possibilité d'écrire équivaut à une

1

Rachit Ianguirov, " Natalia Noussinova,

», , n°43, Varia, 2004, [En ligne], mis en ligne le 15 janvier 2008.

URL : http://1895.revues.org/document1672.html

2

Evguéni Zamiatine,

, Paris, Gallimard, 1971, p. 15. condamnation à mort. Les choses ont atteint un point où il m'est devenu impossible d'exercer ma profession, car l'activité de création est impensable si l'on est obligé de travailler dans une atmosphère de persécution systématique qui s'aggrave chaque année. » 1 Dans cette lettre adressée à Staline, Zamiatine refuse la mainmise de l'État sur son

écriture, il défend le statut de l'écrivain et de l'art en général. À l'image du combat, plus récent,

mené par Soljénistsyne, il pose la question fondamentale des rapports entre le pouvoir politique

et les écrivains. S'il est courant de voir des écrivains reconnus se soumettre (pour continuer à

écrire et donc survivre) à la volonté d'un régime lors de périodes troubles, il refuse quant à lui

de voir son écriture instrumentalisée. La question de l'engagement de l'artiste est un thème très

important de notre analyse. Avec , Zamiatine anticipe très rapidement les changements qui s'opèrent

dans la société russe, il prévoit ainsi le sort de la première révolution socialiste, le triomphe du

stalinisme, les crimes de la bureaucratie totalitaire qui vont constituer, sans aucun doute, l'un

des faits majeurs du XXe siècle. Les clefs de son interprétation en ont d'autant plus

d'importance. Le phénomène totalitaire est l'illustration d'une irrépressible volonté de

puissance de la nature humaine qui peut se manifester sous différents masques, notamment

celui de la prétention à faire le bonheur des peuples malgré eux, et à l'image du roman de

Zamiatine, de leur imposer les schémas préconçus d'une cité parfaite. Bien que dans la

littérature, le récit utopique, et par extension, le récit dystopique s'expriment sous différentes

formes, ces deux types de récit suivent deux règles principales. La première de ces règles est le besoin d'isolement spatial et temporel qui exprime une

volonté de séparation, d'exclusion de l'autre et de l'ailleurs, le refus du monde et du présent.

Chez presque tous les utopistes, l'utopie se développe dans un univers clos refusant les

influences extérieures. Chez Platon, elle prend la forme de , sorte de micr ocommunauté refermée sur elle- même ; pour Thomas More, est une île isolée, à

l'abri de l'influence du monde extérieur. Pour d'autres, le récit se situe dans un futur caractérisé

par le refus et l'effacement de toute trace du passé. Le déplacement temporel implique donc le principe radical de la . Mais ce qui est important, c'est que la notion même de temps est abolie, y compris le futur. En effet, c'est ici une caractéristique majeure du roman

d'anticipation dystopique : le récit prend place dans un cadre temporel particulier où la société

est régie par des lois qui empêchent l'idée de progrès, cette absence de temporalité renforçant

1

Evguéni Zamiatine,

, Lausanne, L'Âge d'Homme, 1990, p. 172. Voir l'Annexe (2) pour consulter la totalité de la lettre.

cet état de stagnation de la société. Ce type de récit, où le temps semble figé dans une sorte

d'atemporalité inquiétante, est alors situé dans ce qui est plus communément appelé

" uchronie » 1 . Construit de la même manière que le substantif utopie (u-topia), selon la définition de Frédéric Rouvillois le lieu qui n'est pas » 2 , " u-chronos » pourrait être traduit par " le temps qui n'est pas ». Cependant, en tenant compte du propos qui nous intéresse, une meilleure définition donnerait plutôt : "le temps qui n'est pas encore", voire " le temps qui

risque d'être ». C'est une traduction plus pessimiste, mais elle semble mieux correspondre à la

nature du récit d'anticipation dystopique, à celle de dude oudepar exemple. Cependant, l'uchronie ne pourra pas être associée à

ces romans, car cette notion est généralement rattachée à un tout autre type de roman, où le

récit expose une réécriture de l'histoire. Et lorsque l'uchronie entre dans le champ de la

science-fiction, ce qui n'est pas toujours le cas, elle désigne un récit qui bouleverse la réalité

historique, comme dans de l'américain Philip K. Dick, dans ce

roman écrit 1962 l'auteur invente une réalité parallèle qui décrit l'éventualité d'une victoire de

l'Allemagne et du Japon lors de la seconde guerre mondiale.

La seconde règle du récit dystopique est le caractère collectif associé à la recherche

d'une société idéale, la projection utopique s'accompagnant de la vision d'une société bienheureuse qui passe nécessairement par la notion de bonheur collectif. Cependant, il ne faut

pas prendre cette forme de collectivisme comme seulement une " doctrine représentant un

socialisme non étatiste et non centralisateur qui régit la propriété des moyens de production (et

d'échange) par la collectivité » (Déf. Le Petit Robert). Dans le champ dystopique qui nous

intéresse, c'est la vie du citoyen qui est régie par l'État totalitaire. Le contrôle devient total

lorsque la conscience de ce citoyen est soumise à l'influence de l a propagande du régime. Ces critères démarquent donc un champ littéraire bien spécifique, et c'est dans ce cadre

que certains dystopistes ont choisi de placer leur récit. Un choix qui n'est pas le fruit du hasard.

Dans le roman de Zamiatine, la bureaucratisation de la société est manifestement à l'oeuvre.

L'exercice du pouvoir fait de nombreuses victimes avec la violence de la Tchéka, le bagne 1 Terme utilisé pour la première fois par Charles Renouvier dans un ouvrage intitulé , en 1876. (Source : de Pierre Versins, Paris,

L'Âge d'Homme, 1972, p. 904)

2 Frédéric Rouvillois, , Paris, GF Flammarion, 1998, p. 15. 3 Prix Hugo du meilleur roman de science-fiction en 1963. politique et la déportation dans les îles Solovki 1 , la liberté d'expression est limitée, et bien sûr

le parti unique est instauré. Le processus politique de cet État totalitaire est donc déjà en

marche, et Zamiatine a subi les interdits de la censure. L'écriture de constitue donc

un témoignage important de ces bouleversements qui ont profondément modifié la société

russe. Son oeuvre est digne d'intérêt parce qu'elle anticipe parfaitement le résultat de la

politique qui est menée en Russie d'abord par Lénine, et qui trouvera son apogée totalitaire

avec Staline. Mais bien plus qu'un témoignage, que nous qualifierons d'anticipatif,

illustre le combat de la littérature, et donc de l'art, face à un régime totalitaire, il est la

manifestation de l'esprit dissident qui permet à l'art de survivre. Il apparaît donc intéressant

d'étudier de plus près ce texte afin de saisir au mieux les procédés utilisés par Zamiatine pour

l'écriture de son oeuvre, et de montrer ainsi comment un roman peut dévoiler aussi rapidement

les mécanismes d'un régime totalitaire à venir, notamment par le regard d'un narrateur déjà

transformé par le collectivisme en une conscience de groupe. semble donc

constituer un espace d'articulation idéal pour des thèmes aussi importants que ceux des

rapports de l'art à l'utopie, de l'art à la science et de l'art à la politique. Avec , George Orwell se fait le témoin d'un univers concentrationnaire dont le slogan au bas des affiches de propagande : (" BIG BROTHER VOUS REGARDE ») semble

faire écho à son essai sur Charles Dickens de 1965, lorsqu'il faisait " allusion à l'absorption et

à la domestication de l'écriture radicale par la culture et l'enseignement » 2 . Avant même en 1945, Orwell avait, dans ses essais des années trente, formulé une

certaine crainte relative à l'avènement d'un monde dirigé par des dictatures totalitaires. À partir

de sa compréhension du rôle de l'oppresseur dans (, 1934), son premier roman, ou dans la nouvelle intitulée (

1936), il montre l'amorce d'un engagement politique, mais c'est avec la guerre civile espagnole

et la seconde guerre mondiale que l'auteur s'engage pleinement dans le combat politique. Orwell n'a jamais caché l'influence de sur l'écriture de , il avait d'ailleurs 1

Dès 1921, les prisonniers politiques sont internés dans cet archipel quasiment isolé du monde en hiver. Les îles

Solovki sont utilisées à partir de 1926 comme camp de concentration. 2 Henri Cohen, Joseph J. Levy, Sylvie Cantin, Johanne Fortin

1984, Québec, Presses de l'Université du Québec, 1986, p. 13.

3 Nouvelle disponible dans sa version originale à l'adresse internet suivante :

écrit un article

1 ( du 4 janvier 1946) sur le roman de Zamiatine, où il exprimait sa

fascination pour cette description anti-utopique d'un monde rationalisé et déshumanisé. Dans

, il décrit une société anglaise postérieure à un conflit atomique entre le bloc de l'Est et le

bloc de l'Ouest dans les années 50. Cette société voit l'instauration d'un régime de type

totalitaire inspiré du stalinisme, mais aussi de l'idéologie nazie. Cet univers est celui d'une

absence totale de liberté d'expression, les pensées sont fortement encadrées et minutieusement

surveillées. La propagande totalitaire s'affiche sur tous les murs et dans toutes les rues. Signal d'alarme pointant de la plume les idéologies du pire au XXe siècle, le roman d'Orwell illustre clairement l'emprunt au communisme, au fascisme et au nazisme. Le récit

développe sa problématique sur une thématique inspirée de l'inévitable " Parti unique », du

culte de la personnalité, de la propagande, des slogans et des immenses affiches placardées sur

les murs, et lorsque le pouvoir dictatorial se radicalise, des confessions et exécutions publiques

et des camps de rééducation. Mais cible plus précisément le stalinisme. En effet, Staline

est encore au pouvoir lorsque paraît le roman en 1948, et Orwell y développe une réflexion commencée en 1937 avec où il exprime sa désillusion face au Parti communiste et son rôle ambigu pendant la guerre d'Espagne, le texte ayant pour vocation de raconter sa propre version des faits. De plus, la métaphore est assez explicite : en 1945, avec , elle vise directement l'URSS et Staline dans une mise en parallèle

saisissante du récit et de certains événements de 1917 à 1945. On comprend donc que le

cheminement de la pensée de George Orwell suit une logique depuis son combat en Espagne, pour défendre le gouvernement du Front Populaire (1936) dans le Parti Ouvrier d'Unification Marxiste (POUM), montrer la réalité et le danger du régime to talitaire stalinien 2 Pour Aldous Huxley, (1932) est l'occasion de traiter le futur en nous présentant les dérives d'une technologie permettant le clonage (la "bokanovskification"

dans le roman) de la grande majorité des hommes. La société dépeinte sépare les hommes en

différentes classes : la base est constituée par une classe de travailleurs manuels, dominée par

une élite intellectuelle grâce à l'éducation et à l'endoctrinement. La pilule du bonheur, le ,

permet l'assujettissement du " prolétariat » dans un bonheur qui le conditionne à toujours plus

travailler. Le est une drogue distribuée par l'administration, qui empêche les habitants

d'être malheureux. Elle fonctionne comme un anxiolytique, ce qui " aide » les sous-groupes à

1 Article disponible dans . Volume IV (1945-1950), Paris, Éditions Ivrea,

2001, p. 92.

2

L'article " Littérature et totalitarisme » de George Orwell, reproduit dans l'Annexe (1), propose une intéressante

réflexion de l'auteur quant à la question de la liberté de l'individu et du rôle de la littérature face au totalitarisme.

coexister dans l'harmonie et donc sans angoisse. Huxley décrit une société dans laquelle le citoyen est livré au conditionnement du comportement dès le plus jeune âge. Ce

conditionnement qui prendra la forme de méthodes hypnopédiques, c'est-à-dire la répétition de

leçons orales pendant le sommeil, va transformer le mode de vie des membres de cette société

en les poussant vers des loisirs nécessitant l'achat de biens de consommation pour stimuler l'activité économique. est un récit dystopique qui évoque la possibilité d'une société

littéralement anesthésiée par le progrès scientifique et technique, sept siècles après l'avènement

du fordisme. L'épigraphe de Nicolas Berdiaev qui introduit le roman atteste une réelle volonté

de la part de l'auteur d'inscrire son récit dans la veine dystopique : " Les utopies apparaissent comme bien plus réalisables qu'on ne le croyait autrefois. Et nous nous trouvons actuellement devant une question bien autrement angoissante : comment éviter leur réalisation définitive ?... Les utopies sont réalisables. La vie marche vers les utopies. Et peut-être un siècle nouveau commence-t-il, un siècle où les

intellectuels et la classe cultivée rêveront aux moyens d'éviter les utopies et de retourner

à une société non utopique, moins et plus ». 1 Dans son roman, Huxley présente une vision pessimiste de ce qui pourrait advenir à notre so

ciété de consommation. Le système totalitaire qu'il décrit a une fonction principale : écraser et

anéantir méthodiquement ce qu'il y a d'humain dans l'homme. Cette fonction déshumanisante

d'un système totalitaire reprend la thématique de la "société nouvelle" apportée par la dictature au

pouvoir, en opposition à la société traditionnelle du libre-arbitre. L'idée de la science comme

instrument du pouvoir déshumanisant était déjà présente dans (1921), un roman

dystopique dans lequel Huxley décrit un État tout puissant, fondé sur l'application à la politique du

rationalisme tayloriste. Les citoyens sont ainsi hiérarchisés, compartimentés et conditionnés selon

les besoins théoriques adaptés à chaque groupe :

" Dans l'élevage du Troupeau, la suggestibilité quasi infinie de l'humanité sera exploitée

scientifiquement. Systématiquement, depuis leur plus tendre enfance, on assurera aux individus le composant qu'on ne trouve point de bonheur hors du travail et de l'obéissance ; on leur fera croire qu'ils sont heureux, qu'ils sont des êtres d'une considérable importance et que tout ce qu'ils font est noble et significatif. Pour l'espèce inférieure, la terre sera 1

Aldous Huxley,

, Paris, Plon, 1977, p. 6.

rétablie à sa place au centre de l'univers, et l'homme à la prééminence sur la terre. Ah !

j'envie le sort des gens du commun, dans l'État rationnel ! Travaillant leurs huit heures par jour, obéissant à leurs supérieurs, convaincus de leur immortalité, ils seront merveilleusement heureux, plus heureux que ne l'a jamais été aucune race d'hommes. Ils

passeront leur vie dans un état de griserie toute rosée, dont ils ne se réveilleront jamais. »

1 De même, le monde de Ray Bradbury, dans , reprend les principes d'un

pouvoir dictatorial résolu à balayer le moindre sentiment chez ses citoyens. " Les gardiens de la

vérité » sont les garants de cette politique, leur cible principale est la littérature : seul moyen de

partager ses angoisses et ses passions. L'endoctrinement et la simplification de la vie médiatique

moderne sont les règles incontournables pour accéder à cette société du bonheur organisé.

est un véritable pamphlet contre les méfaits de la culture de masse superficielle, le

récit est ici un moyen de dénoncer les risques des avancées scientifiques et technologiques dans un

régime totalitaire. Bradbury remet en question la notion de progrès dans une quête utopique d'une

société du bonheur collectif Nous n'avons pas besoin qu'on nous laisse tranquilles. Nous avons besoin de vrais tourments de temps en temps. » 2 Bien entendu, d'autres dystopies sont très intéressantes à étudier, c'est le cas de (1968) de John Brunner, d' (1970) d'Ira Levin ou des (1971) de Robert Silverberg. Cependant, à part le problème de la surpopulation, ces oeuvres ne renouvellent pas vraiment les thèmes de la dystopie, elles les

modernisent tout au plus, car, le bonheur obligatoire, l'omniprésence intrusive de l'État,

l'eugénisme et la collectivisation de l'individu sont des thèmes déjà développés dans nos

romans dystopiques. Enfin, si l'on excepte le roman de Zamiatine, nos autres dystopies

présentent des descriptions si saisissantes de la société totalitaire, qu'elles sont entrées dans la

culture populaire :

Eugénisme =

Langage totalitaire = Novlangue

Surveillance de l'État = Big Brother

L'autodafé =

1

Aldous Huxley,

, Paris, Union Générale d'Éditions, 1981, p. 207. 2

Ray Bradbury,

, Paris, Denoël, 1995, p. 79. Le corpus se limite certes à ces quatre dystopistes majeurs du XXe siècle, mais il repose

également sur les épaules de leurs prédécesseurs, héritiers de la tradition utopique. D'autre part,

pour entreprendre une analyse satisfaisante de la représentation de la société totalitaire dans le

récit dystopique, il apparaît évident que l'image comme support de propagande est un détour

inévitable. Comme dans la peinture et l'architecture, l'univers décrit dans les romans

dystopiques trouve un prolongement très intéressant dans sa représentation cinématographique.

Les régimes totalitaires avaient compris l'importance du pouvoir de l'image animée comme l'instrument moderne de leur propagande. De nombreux réalisateurs, Leni Riefenstahl ou Eisenstein, ont ainsi relayé dans leurs oeuvres le discours de propagande des régimes nazi et

soviétique. Cependant, l'intérêt de l'oeuvre cinématographique ne se résume pas ici au discour

s

de propagande. En effet, la représentation de la société dans le récit dystopique accorde une

grande importance à la description visuelle de cette société, et notamment de la ville. Cette

représentation de l'univers totalitaire, et de l'exercice de ce pouvoir dans ces nouvelles villes dessinées et organisées par l'État Unique, trouve sa pleine mesure dans le (1927) de Fritz Lang. Film de chevet de Goebbels et Hitler, n'est certainement pas un film nazi, mais l'univers concentrationnaire et la "solution finale" existent bel et bien dans ce film. De plus, la présence imposante de la ville illustre parfaitement cette course au monumentalisme

architectural dans les régimes totalitaires, phénomène abondamment représenté dans nos

dystopies. Enfin, il semble aussi intéressant de recourir à certaines oeuvres cinématographiques,

lorsque celles-ci permettent d'apporter à l'analyse, par une illustration visuelle, un élément

complémentaire, un autre regard sur la dystopie et, peut-être son dernier espace d'expression. Ces adaptations sont les suivantes : (Grande-Bretagne, 1966) de François Truffaut, (Grande-Bretagne, 1984) de l'anglais Michael Radford, et (État-Unis,

1971) du réalisateur américain George Lucas pour évoquer et

, et enfin, (Etats-Unis, 1997) du scénariste et réalisateur néo- zélandais Andrew Niccol et du réalisateur mexicain Alfonso Cuaròn (Grande-Bretagne, 2006). Déborder du cadre littéraire consiste ici à suivre le parcours emprunté par la pensée

utopique, toujours en quête de renouvellement, de la forme qui conviendrait le mieux à

l'expression des idées et à la réalité contemporaine. Ce qui revient ici à vérifier l'expression qui

dit que " la forme, c'est le fond qui se déguise pour être entendu ». Dans un premier temps, nous verrons comment ces oeuvres sont les héritières de la

tradition du texte utopique, et nous tenterons de comprendre les raisons de ce véritable

retournement de l'habituel horizon d'attente, où l'on voit peu à peu l'utopie du progrès se muer

en véritable cauchemar : la dystopie, peut-être la seule et vraie finalité de l'utopie. La Russie

contemporaine de , qui constituait à cette l'époque le terrain idéal par

l'établissement de rêves politiques utopiques, va alimenter ce texte fondateur de la dystopie au

XXe siècle.

Ensuite, notre étude s'efforcera de montrer de quelle façon ces auteurs d'anticipation

dystopique démontent minutieusement les procédés de propagande et de conditionnement

visant au contrôle total de la société et des consciences par l'État Unique dans , ou le Parti de l'Angsoc dans . Comment ces oeuvres illustrent l'organisation du pouvoir, du mensonge fondateur à l'éradication du passé... C'est-à-dire de l'Histoire. Enfin, nous aborderons la question de la lutte de l'art pour survivre dans un régime

totalitaire, et notamment le recours des auteurs à cette forme particulière de la science-fiction

l'anticipation. Cette dernière partie devra montrer que ce type de récit s'adapte parfaitement à

l'illustration de la dissidence artistique dans l'État totalitaire. Nous pourrons ainsi voir

comment l'émotion artistique surgit dans l'organisation unidimensionnelle de l'État totalitaire,

une régénération de l'art refusant l'uniformité entropique de la société totalitaire. Cette

renaissance de l'art, pourtant consumé dans la brûlante actualité de l'organisation totalitaire,

pourra illustrer à son tour l'engagement politique de nos auteurs dans ces romans dystopiques

aux accents historiques particuliers. De plus, cette dernière partie devra illustrer une évolution

majeure de la dystopie au XXe siècle, à savoir sa prise en charge par le cinéma. L'analyse aura

ici pour finalité de montrer que, dans le renouvellement perpétuel de sa forme et de son champ

d'investigation, l'utopie va trouver sa place dans la représentation cinématographique, et cela

au détriment d'un récit littéraire qui peine de plus en plus à soutenir la comparaison face à

l'immédiateté de l'image dans le film de science-fiction. L'avènement du genre dystopique au

cinéma permettant enfin de montrer la ville, lieu de l'éxagération et espace idéal de la

représentation de la dystopie. Il faut ajouter que cette étude d'une confrontation de l'art au totalitarisme ne pourrait

pas être complète sans des illustrations concrètes de ce qu'elle prétend démontrer. Notre propos

sera ainsi accompagné par quelques illustrations et extraits d'oeuvres artistiques de peintres,

d'architectes, de poètes qui ont, dès le début, accompagnés la tradition utopique jusqu'à son

dernier avatar, la dystopie.

PREMIÈRE PARTIE

DE L'UTOPIE À LA DYSTOPIE

DANS

LE RÉCIT D'ANTICIPATION

A. Le récit utopique et la quête de la société idéale C'est dans un effort tendu vers l'avenir, selon le temps linéaire de la tradition judéo-

chrétienne, que l'utopiste cherche à retrouver le mythe du paradis perdu. Mais l'idée de

progrès, comme moyen d'y arriver, existait déjà chez les Grecs 1 , puis chez les Romains et notamment Lucrèce : " Navigation, culture des champs, fortifications, lois, armes, routes, vêtements, et tous les autres gains de ce genre, comme aussi tous les raffinements du luxe, poèmes, tableaux, statues d'un art achevé, c'est l'usage et aussi les efforts opiniâtres et les expériences de l'esprit qui peu à peu les enseignèrent aux hommes par la lente marche du p rogrès. C'est ainsi que pas à pas le temps amène au jour chaque découverte, que la science dresse en pleine lumière. Car les hommes voyaient les idées s'éclairer l'une

après l'autre dans leur âme, jusqu'au jour où leur industrie les porta au faîte de la

perfection. » 2

1. Utopie et anti-utopie, eutopie et dystopie

Il est indispensable, pour commencer cette étude, de bien définir les termes que nous allons utiliser : utopie, eutopie, anti-utopie, contre-utopie et plus récemment dystopie. Qu'est-

ce que l'utopie ? Si en donner une définition ne paraît pas vraiment difficile, l'usage n'en est

pas pour certains évident. Le récit utopique décrit-il un monde tel qu'on l'espère ? Et le roman

anti-utopique, voire dystopique, donne-t-il à voir la représentation d'un monde cauchemardesque ?

1.1. Repères et sémanti

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