[PDF] Au blason des graveurs 22 janv. 2018 Rémi

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Nouvelles de l'estampe

261 | 2018

Varia

Au blason des graveurs

Quelques réflexions sur le statut social des graveurs sous l'Ancien

Régime à partir de leurs armoiries

At the engraver's arms: thoughts on the social standing of printmakers in early modern France

Rémi

Mathis

Édition

électronique

URL : http://journals.openedition.org/estampe/291

DOI : 10.4000/estampe.291

ISSN : 2680-4999

Éditeur

Comité national de l'estampe

Édition

imprimée

Date de publication : 22 janvier 2018

Pagination : 64-69

ISSN : 0029-4888

Référence

électronique

Rémi Mathis, "

Au blason des graveurs

Nouvelles de l'estampe

[En ligne], 261

2018, mis en ligne le

15 octobre 2019, consulté le 10 décembre 2020. URL

: http://journals.openedition.org/estampe/291 DOI : https://doi.org/10.4000/estampe.291

La revue

Nouvelles de l'estampe

est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons

Attribution 4.0 International License.

Nouvelles de l"estampeNumŽro 261

Page 24

HƒRALDIQUE

Les intŽrts d"une sociŽtŽ ou d"une Žpoque peuvent parfois artificiellement grossir l"art fait souvent courir ce risque puisque la crŽati on individuelle - montŽe en Žpingle par la sociŽtŽ moderne puis postmoderne - a gagnŽ en valeur au cours ˆ des personnes qui n"en avaient pas tant ˆ leur Žpoque.

Des sources1

nous permettent toutefois d"Žvaluer l"importance sociale de groupes et d"individus ˆ certains moments - et c"est l"une d"elle que nous dŽsirons prŽsenter ici, en nous fondant sur des pratiques hŽraldiques pour rŽŽvaluer le statut social des graveurs sous l"Ancien RŽgime.LE PORT DES ARMOIRIES, EN FRANCE, SOUS

L"ANCIEN RƒGIME

En France, le port des armoiries a toujours ŽtŽ libre 2 . Les armoiries ne sont pas rŽservŽes aux personnes nobles et nombreux sont les bourgeois qui en portent effe ctivement. Au moment de la RŽvolution franaise, on estime qu"environ un tiers des armoiries sont nobles, un tiers ne le sont pas, et un tiers sont portŽes par des personnes morales3 Tout le monde ne porte pourtant pas d"armoiries : pour des raisons culturelles et sociales, leur port reste l"apanage de couches plut™t ŽlevŽes de la sociŽtŽ. C"est pourquoi leur usage est plus frŽquent parmi la noblesse, la bourgeoisie qui y aspire (magistrature...), les Žlites locales, etc. Comme le rappelle plaisamment Michel Pastoureau, le plus grand hŽraldiste franais de la seconde moitiŽ du XX e Ç c"est un peu comme la carte de visite aujourd"hui : chacun peut en possŽder, mais 4 , et il pourra tre considŽra comme ŽlŽg ant,

normal ou ridicule d"en faire usage selon son statut, son origine et ses frŽquentations.AU BLASON DES GRAVEURS

QUELQUES RƒFLEXIONS SUR LE STATUT SOCIAL DES GRAVEURS SOUS L"ANCIEN RƒGIME Ë PARTIR DE LEURS ARMOIRIES

Rémi Mathisƒtudes

1.Pour une discussion sur ces sources et la pertinence d"un classement fiscal et financier, voir Jean-Franois Solnon et F

ranois

2. On trouve parfois quelques restrictions sur leur usage public et sur certains ŽlŽments para-hŽraldiques (couronnes, manteaux),

par ailleurs pas toujours respectŽes.

3.Michel Pastoureau, Ç PrŽsentation È, L"Armorial gŽnŽral de 1696, une source mŽconnue de

l"histoire sociale et institutionnelle de la

France d"Ancien RŽgime, Revue franaise d"hŽraldique et de sigillographie, vol. 67-68, 1997-1998, p. 7-9, ici p. 7.

4.Ibid.NDE 261_sv30180105_Mise en page 1 22/01/2018 18:08 Page 64

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professionnels, comme par exemple les graveurs. Quatre graveurs - Callot, Nanteuil, Chauveau et

Mellan - ont ainsi ŽtŽ choisis par Charles Perrault pour figurer dans ses Hommes illustres(1696-

1700), ouvrage qui sŽlectionne l"Žlite des cent personnes qui ont comptŽ en France au

XVII e

Seul le portrait de Callot, fier d"appartenir ˆ une famille anoblie par les ducs de Lorraine, et dont le

5 (d"azur ˆ cinq Žtoiles d"or (2, 1, 2)) 6

Le port des armoiries peut donc permettre de dŽceler l"appartenance ˆ des couches favorisŽes de la

sociŽtŽ - avec toutefois la nuance des comportements et intŽrts individuels, difficiles ˆ Žvaluer.

d"Hozier 7

LE STATUT SOCIAL DES GRAVEURS Ë PARTIR DE

L"ARMORIAL D"HOZIER

Le libre port des armoiries dans le royaume de France ne permet pas de contr™ler leur usage - il est

un fait de sociŽtŽ et non un droit contr™lŽ par le pouvoir royal. Aussi est-il dŽcidŽ en 1696 de recenser

l"ensemble des armes alors portŽes en France. Un Ždit du mois de novembre de cette annŽe ordonne

la rŽalisation de gigantesques recueils, organisŽs par province, donnant la liste et le dessin de ces

armoiries. Le but profond n"est pas du tout d"en limiter l"usage, bien au contraire, mais de fiscaliser

leur enregistrement afin de faire rentrer de l"argent dans les caisses du trŽsor royal. Le dŽfaut

d"enregistrement Žtait puni d"une amende de trois cents livres et de la confiscation de tous les objets

armoriŽs du contrevenant.

La forte somme nŽcessaire pour dŽposer ses armoiries (vingt livres pour un particulier) fait toutefois

plus radical : au sein de chaque intendance et gŽnŽralitŽ, une liste des personnes, physiques et

morales, censŽes porter des armoiriesest dressŽe. On exige alors d"elles qu"elles fassent enregistrer leurs

armes (c"est ˆ dire qu"elles payent le cožt de cet enregistrement) et, si elles n"en portaient pas, on leur

en attribue de force, crŽŽes ˆ la cha"ne par les commis du juge d"armes d"Hozier. La rigueur avec

nouveau libre en France de ne pas porter d"armoiries, mme si on en a les moyens. Nous voyons toutefois que, pendant quelques annŽes, les moyens mis dans la rŽalisation de cet

armorial a permis la crŽation d"un document exceptionnel : la liste des personnes qui se situent au-

comprenant plusieurs centaines voire milliers de noms (avec occupation et armoiries) par province.

5.On ne conna"t pas d"armoiries ˆ Franois Chauveau, qui n"en fait pas usage, alors mme qu"une lŽgende familiale le dit descendant

d"une ancienne famille noble. Elle est notamment rapportŽe par Jean-Michel Papillon, Žpoux de la petite-fille de Chauveau, qui donne

chargŽ de trois Žtoiles d"argent (Jean-Michel Papillon, MŽmoire sur la vie de Franois Chauveau (1738), Paris, 1854, p. 6). Merci

6.Jacques Callot utilise personnellement ses armes. On les trouve par exemple dessinŽes, ˆ l"encre, de sa main sur son exemplaire

signalŽ cet exemplaire.

7. BnF, Manuscrits, fr. 32228-32262.

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ƒtudes ¥ Graveurs et hŽraldique

Plus qu"hŽraldique, l"Armorial gŽnŽral est une formidable source pour Žtudier la sociŽtŽ franaise,

gr‰ce ˆ cet instantanŽ datŽ de 1696-1697.

La question se pose alors pour nous de savoir quelle est la prŽsence des graveurs dans cet armorial -

Žventuellement comparŽs ˆ d"autres professions plus ou moins lointaines. Or, la liste des graveurs

8

SŽbastien Leclerc

SŽbastien Leclerc (1637-1714) figure dans l"armorial, avec le titre de Ç dessignateur et graveur du

roi, conseiller et professeur dans l"Accademie royalle de peinture et de sculpture È. Ces armes se

blasonnent : d"azur au flambeau d"argent allumŽ d"or, brochant en pal sur un vol aussi d"argent. Contrairement ˆ ce qu"affirme, par exemple, Meaume 9 , ces armes ne lui sont nullement accordŽes

quand il est nommŽ chevalier romain, en 1706. Maxime PrŽaud rappelle d"ailleurs qu"elles figurent

sur le portrait de lui gravŽ par Duflos, qui date d"avant juillet 1703 10 de ses Principes de dessein, publiŽs vers 1700.

Charles Mavelot

Le second graveur ˆ figurer dans l"Armorial gŽnŽral sous ce titre est Charles Mavelot. Il lui est donnŽ

les titres de Ç bourgeois de Paris, graveur ordinaire de Mademoiselle et de S.A.S. Monseigneur le duc de Maine. È gravure hŽraldique et de recueils de chiffres.

8. Premier volume sur la gŽnŽralitŽ de Paris (BnF, Manuscrits, fr. 32250, fol. 548).

10. Date de la mort de l"Žditeur de l"estampe, Girard Audran. Maxime PrŽaud, Ç Le Cabinet de SŽbastien Leclerc È, Nouvelles de

l"estampe, 249 (hiver 2014-2015), p. 16-39, ici p. 36-37. Ces armes figurent aussi sur le dessus de porte de son cabinet, qu"il reprŽsente

vers 1711-1713 (ibid.). Elles sont dŽcrites dans l"article comme Ç allumŽ de gueules È, sans que nous sachions d"o l"auteur a tirŽ les

couleurs.

Ill. 1.Armoiries de Sébastien Leclerc. Armorial général, généralité de Paris, vol.1. BnF, Manuscrits,

fr. 32250, fol. 548. NDE 261_sv30180105_Mise en page 1 22/01/2018 18:08 Page 66 67

11.Armorial de Rietstap

12.Il en est de mme ˆ l"Žtranger, o le port des armoiries est, de plus, souvent plus contraint et contr™lŽ : l"Allemand Michel Le Blond

(Rietstap : Ç D"azur au sautoir d"argent. Cimier : un phŽnix enveloppŽ de flammes È) porte par exemple des armoiries... mais est aussi

Et les autres ?

On peut s"Žtonner de l"absence de certains graveurs, pourtant : GŽrard Edelinck est de ceux-lˆ. Il

approche alors de la cinquantaine d"annŽes, est membre de l"AcadŽmie depuis plus de vingt ans, vient

d"tre fait chevalier romain, donc anobli par le pape... et porte des armoiries (d"azur ˆ trois crampons

d"argent posŽs en bande) 11 . Il meurt en 1707 seulement, ce qui aurait dž l"amener ˆ dŽclarer des

armoiries, car il ne fait pas de doute qu"il pžt alors verser les vingt livres. Pas non plus trace dans

l"armorial de Girard Audran (mort en 1703), considŽrŽ comme l"un des tout meilleurs de son temps,

D"autres graveurs y auraient certainement figurŽ... s"ils n"Žtaient pas morts auparavant. On trouve

ainsi les armes de Charles-Franois Silvestre, fils d"Israël Silvestre, Ç maistre ˆ designer de

Messeigneurs les princes de Bourgogne, d"Anjou et de Berry, et des pages des grandes et petites ecuries du roy È place... s"il n"Žtait mort en 1691.

On remarque Žgalement que ces personnages ne figurent pas tant en qualitŽ de graveurs que parce

12

aetre membre de l"AcadŽmie ne suffit souvent pas ˆ figurer dans les Žlites sociales, pourtant larges,

figurant dans l"armorial. On ne trouve aucun graveur rŽpertoriŽ en dehors de Paris (alors que des

Pire, quand on trouve des graveurs rŽpertoriŽs dans l"armorial, c"est parfois sous un titre bien

diffŽrent. Contrairement ˆ ce qui appara"t au premier regard, Jacques Chevillard appara"t bien dans

l"armorial. Or, ce dernier joue un r™le important dans l"estampe hŽraldique de la fin du XVII e et le dŽbut du XVIII e

France, ou donnent les armes de tous les cardinaux, chanceliers de France, Žchevins de Paris, etc.

Ill. 2.Armoiries de Charles Mavelot. Armorial général, généralité de Paris, vol.1. BnF, Manuscrits, fr. 32250,

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Nouvelles de l"estampeNumŽro 261

ƒtudes ¥ Graveurs et hŽraldique

Mais ce n"est pas comme

Žditeur d"estampe ou

inventeur des planches qu"il appara"t chez d"Hozier mais comme Ç Žpicier et enlumineur È, au beau milieu des vingt autres

Žpiciers - titre qui est, et

cela pourrait surprendre, plus valorisŽ 13 prisme ˆ travers lequel nous regardons ces sociŽtŽs anciennes, et en particulier le miroir dŽformant que constitue l"art - dont nous surŽvaluons l"importance ˆ partir de notre expŽrience des pŽriodes plus rŽcentes.

UNE PROFESSION PEU PRIVILƒGIƒE ?

Avec si peu de reprŽsentants, les graveurs font p‰le figure par rapport ˆ de nombreuses professions.

or, ces derniers sont en rŽalitŽ bien plus nombreux, notamment car ils sont beaucoup plus riches.

On trouve Jean Anisson, directeur de l"Imprimerie royale ; FrŽdŽric LŽonard et son fils,

respectivement imprimeur du roi et du Dauphine et premier imprimeur du roi ; Franois Muguet, imprimeur du roi et du clergŽ de France ; Christophe Balart, imprimeur de la musique du roi ; Guillaume Desprez ; Denis Thierry ; Jean-Baptiste Coignard, imprimeur et libraire ordinaire du

13.BnF, Manuscrits, fr. 32251, fol. 1374.

Ill. 3.Les armoiries de Jacques

C hevillard, au milieu de celles des autres épiciers. Armorial général, généralité de Paris, v ol.2. BnF, Manuscrits, fr.

32251, fol. 1374.

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roi et de l"AcadŽmie ; et ƒtienne Michallet, premier imprimeur du roi. Lˆ aussi, on cherche ˆ obtenir

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