[PDF] Leon Benarrosch: LA FATALITE DANS LE 1HEATRE DE RACINE





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3 déc. 2012 Se pencher sur le discours qui traite du pouvoir ... Mais l'écriture est aussi tournée vers elle-même concentrée sur les.



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Leon Benarrosch: LA FATALITE DANS LE 1HEATRE DE RACINE

Qu'est-ce que la Fatalité que certains nomment aussi Destin? D'un écrivain à l'autre



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Il se trouva bientôt que Bérénice était pour Titus l'agent le plus utile (2) que son trésor était ouvert



BÉRÉNICE

que Bérénice n'ayant pas ici avec Titus les derniers engagements que Didon et l'effort qu'elle se fait pour s'en séparer n'est pas le moins tragique de ...

Leon Benarrosch: LA FATALITE DANS LE 1HEATRE DE RACINE

Léon BENARROSCH

LA FATALITE DANS LE nIEATRE DE RACINE

A B S T R ACT

Department of French Language and

Literature

M.A. Dans la première partie de notre étude, nous nous sommes at- taChé' relever les formes différentes de fatalité qui apparais sent à travers le théâtre de Racine: fatalité religieuse -pa!enne et sacrée; fatalité humaine avec le rôle de l'hérédité, de l'ambi- de l'amour. La seconde part ie, qui s'ouvre sur \Dl exposé succint du j an- sénisme, s'appuie sur les éléments relevés auparavant et s'efforce de démontrer une vision janséniste du monde qui ne se dément pas tout au long de l'oeuvre. Pour nous, Racine n'a jamais cessé d'être janséniste malgré sa brouille avec Port-Royal, et tout son théâtre en apporte la preuve, de la Théba!de Athalie.

T A BLE DES MAT 1 E RES

. • 3

PREMIERE PARTIE •• . • . • 12

DEUXIEME PARTIE .•••.•.. . • . • . • 88

CONCLUSION . . • . • . . . • . • . • . • . • . • . • . • . 149

BIBLIOGRAPHIE 154

l N TR 0 T ION Qu'est-ce que la Fatalité, que certains nomment aussi Destin? D'un écrivain à l'autre, le terme prend des résonances différentes, sinon contradictoires. Relevons quelques définitions au hasard des auteurs et des dictionnaires, afin d'en dégager les traits essen- tiels. "Nolentem trahunt", affirmait Horace. Les Destins traînent de force ceux qui leur résistent. A quoi bon aller contre eux? "Où est le commencement de nos actes?" écrit Mauriac. "Notre destin, quand nous voulons l'isoler, ressemble à ces plantes qU'il est impossible d'arracher avec toutes leurs racines."l

1. François Mauriac, Thérèse Desqueyroux, Paris, Grasset, 1956,

p.24. - 4 -

Selon Camus,

"le héros (le héros romantique) est 'fatal', parce que la fatalité confond le bien et le mal sans que l'homme puisse s'en défendre.

La fatalité exclut les jugements de valeur.

Elle les remplace par ml 'c'est ainsi' qui'

excuse tout, sauf le Créateur, responsable unique de ce scandaleux état de fait. ,,2 L'homme n'a donc aucune prise sur la fatalité qui existe de toute éternité: c'est ml enchaînement implacable qu'on ne peut démonter pour en cerner l'origine. Aucune volonté humaine ne lui résiste et il est impossible de lui échapper, . Enfin, la fatalité est aveugle et elle s'impose comme la négation même de la liberté humaine. A partir de ces trois définitions, notre vision de la fatalité se précise quelque peu, tout en restant encore fragmentaire. A la lumière de notre étude sur le théâtre de Racine, où elle joue un rôle de premier plan, cette conception de la fatalité ne manquera pas de s'enrichir de nuances nouvelles.

2. Albert Camus, L'Homme révolté, Paris, Gallimard, 1951, p.68.

- 5 - Le XVIIe s'est efforcé de montrer la grandeur de l'hom me. Nul, mieux que Corneille, n'a illustré l'usage que l'homme fai sait de sa liberté pour s'affirmer et triompher du destin. Quoi qu'il arrive, le héros cornélien s'efforce d'aller au bout de ses possibilités et de se réaliser pleinement. Les circonstances con traires, loin de le faire fléchir, sont pour lui l'occasion de dé couvrir ses virtualités et de triompher de ses faiblesses. Plus le sort s'acharne sur lui et plus grand il se révèle. La fatalité n'a donc aucune prise sur le héros cornélien. Dans le théâtre de Racine, au contraire, la fatalité est sans cesse présente. La vision du monde de Racine est infiniment plus pessimiste que celle de Corneille, et le destin trouve des victimes de choix dans ses personnages, de la Théba!de Athalie. L'homme, dominé par des forces qui le dépassent, sortira écrasé du combat qu'il et tous ses efforts pour détourner le cours de la fa talité se révéleront inutiles. Pourquoi Racine a-t-il accordé une telle place à la fatalité dans son oeuvre? Sa biographie nous éclairera sur ce point. Voyons en les grandes lignes. - 6 - Après sa naissance à la Ferté-Milon en 1639, Racine perdit successivement sa mère et son père. A trois ans il était orphe lin. Recueilli par sa grand-mère paternelle, Marie des Moulins,

Racine

passa son enfance dans un milieu fort dévot où il était souvent question des Solitaires de Port-Royal. Deux de ceux-ci avaient trouvé refuge à la Ferté-Milon durant quelques mois, après la dispersion ordonnée par Richelieu en 1638, et leur exemple y avait fait des adeptes. Si bien que la grand-mère de Racine alla rejoindre en 1649 sa soeur Suzanne et sa fille Agnès déjà établies

à Port-Royal.

Le jeune Racine lui-même fut envoyé à Port-Royal dont il fré quenta les Petites-Ecoles de 1650 1653. Il Y revint compléter son éducation de 1655 à 1658. Ses maîtres, qui voyaient en lui un sujet exceptionnel, s'occupèrent tout specialement de ses études. Parmi ces maîtres, relevons Antoine le Maître, qui le marquèrent de leur influence. Dotés d'une foi ardente, ils mé prisaient également les biens de ce monde. Cela ne les empêchait pourtant pas d'être profondément cultivés et de veiller à l'éduca tion de leurs élèves. ..; 7 - Quelques années plus tard, la jeunesse de Racine devait se révolter contre l'austérité et le pessimisme jansénistes. Quand il entra en lutte avec Port-Royal, avoir pris pour son compte une critique de Nicole relative au corrupteur", ce fut par une impulsion qu'il devait regretter toute sa vie. Il avait écrit en réponse à cette critique un libelle" contre Port-Royal, tout rempli de venin. Mais il ne craignit pas de se désavouer, le succès venu, allant jusqu'à dire en pleine Académie pour mani- fester son repentir: "c'est l'endroit le plus honteux de ma vie, et je donnerais tout mon sang pour l'effacer. ,,3 On peut donc se représenter Racine comme un ambitieux, un Rastignac avant la lettre, qui aurait choisi le théâtre pour con- quérir la gloire à tout prix, sortir de l'obscurité à laquelle ses origines le condamnaient. Ses succès, tant littéraires que mon- dains, le grisèrent sans doute dans les premières années, mais une fois la maturité venue, Racine fut repris par sa nature véritable et il abandonna une activité quelque peu sacrilège pour se rappro- cher de Port-Royal.

3. François Mauriac, La vie de Racine, Paris, Le monde en 10/18,

1962, p.SS.

- 8 - S'en réellement éloigné durant cette période qui va de 1662 à·1674, années d'intense création dramatique? Si l'on se fie à son comportement vis à vis des Solitaires de Port-Royal, à son existence mouvementée, et à ses liaisons souvent scandaleuses, il est difficile de répondre négativement. Mais son théâtre est là pour nous montrer que les problèmes de la Grâce, de la Prédes tination, chers aux jansénistes, n'avaient pas cessé de le hanter. Sans doute son ambition d'auteur dramatique et d'arriviste -qui le fut plus que Racine? -le força-t-elle à rester sur la scène. Mais son âme était tourmentée comme celle d'un Pascal, et les per sonnages qu'il crée disent souvent tout haut ce qu'il s'efforce de dissimuler. La Prédestination janséniste, Racine l'a retrouvée dans l'en seignement profane de Lancelot, qui lui a donné une culture hellé nique exceptionnelle. Quelques-uns des biographes de Racine nient que celui-ci ait lu Homère et les tragiques grecs. Mais il est dif ficile de croire qu'ayant la possibilité de gonter leur oeuvre grâce sa connaissance approfondie de la langue, il ait laissé de côté ce qui d'emblée répondait le mieux à sa formation, de l'Iliade où - 9 - les dieux côtoient les humains, aux tragédies pleines d'une gran deur sauvage dont l'écho résonnera dans son oeuvre. Dans Homère et les tragiques grecs, à tout moment, la fatalité croise la des tinée des héros mythologiques. Cette fatalité, les Grecs la plaçaient au-delà de la puis sance divine, et Zeus n'avait aucun recours contre un pouvoir auquel il était soumis comme les plus humbles mortels. Il ne pouvait d'ailleurs s'insurger contre la fatalité, car étant -l'ultime sagesse, il n'ignorait pas qu'en s'opposant au cours des

événements

tracé par la Destinée, il introduirait la confusion dans l'univers qu'il avait pour fonction de goùverner. Ainsi, même pour son propre fils Sarpédon, dont les Parques avaient fixé le terme, Zeus préféra s'incliner et laisser le destin s'ac complir. Dans cette mythologie pa!enne, Racine avait assurément la partie belle avec le sort funeste des Atrides, la malédiction qui poursuit Oedipe et les siens, la triste destinée de Phèdre, expiant les péchés de son ancêtre le Soleil, ceux de sa illère et dont les dieux ont juré la perte. -10 - Hanté par le de la prédestination, de la liberté hu maine aliénée par les dieux, Racine créera pour le spectateur un monde où la Grace est presque toujours refusée. Dans notre essai, nous tenterons de relever et d'expliquer le rôle de la fatalité dans le théatre de Racine. La partie nous permettra de distinguer les différents visages qu'y revêt la fatalité. Successivement, nous verrons les formes religieuses de la fatalité: pa!enne tout d'abord, dans la plupart des pièces; juive (ou judéo-chrétienne) dans Esther et Athalie. La première partie prendra fin avec l'étude du rôle de la fatalité humaine par l'intermédiaire de l'hérédité et des sentiments (l'ambition et surtout l'amour). Cette partie consistera donc en un re levé des exemples où se manifestent ces différentes formes de fa talité. Dans la deuxième partie, nous analyserons la vision janséniste du monde dans le théâtre de Racine. A partir des différentes for- mes de fatalité que nous aurons relevées, nous montrerons qu'elles ne sont au fond que les visages divers dont Racine revêt la fatali té laquelle il croit: la fatalité janséniste. -Il - Après avoir défini celle-ci, nous nous efforcerons de démon trer sa présence quasi constante dans toute l'oeuvre. Cette se conde partie se terminera par l'étude àe l'homme face à son destin dans le théâtre de Racine, à la lumiêre de sa conception janséniste de la fatalité.

PRE MIE R E PARTIE

héros de Racine, il ne faut point une destinée légale et abstraite, mais familiale et personnelle, nommément désignée, vivante et reconnaissable.

Racine ne se borne point à peindre la

fatalité dans les mouvements du coeur: le ciel tragique, lui aussi, doit êtrÎ plein de la présence de la destinée".

1. Thierry Maulnier, Racine, Paris, Gallimard, 1947, p.256.

Dans la Théba!de, Andromaque, Iphigénie, tragédies d'inspiration grecque, Racine ressuscite les dieux de la vengeance, acharnés à la perte de leurs victimes. Tantôt directement, par le canal de leurs oracles, par les impulsions qU'ils donnent leurs victimes, les dieux sont sans cesse présents dans chacune de ces tragédies. Dès sa première tragédie, la Théba!de, Racine nous plonge dans le plus atroce des drames. Ce choix n'est pas l'effet du hasard, et nous lisons dans la préface: "La catastrophe de ma pièce est peut-être un peu trop sanglante. En effet, il n'y a pres que pas un acteur qui ne meure à la fin. Mais c'est aussi la Théba!de. C'est-à-dire le su jet le plus tragique de l'Antiquité.,,2

2. Pierre de Paris, Imprimerie nationale

de France, 1951, Tome I: La Th6ba!de, p.161. -14 - Etéocle, Polynice, Antigone, appartiennent à une lignée mau- dite. Ce sont les enfants d'Oedipe et c'est comme tels qu'ils se- ront punis. Poursuivi par un destin implacable, que son expiation n'apaise pas, Oedipe transmet. l.Ul héritage de malheur à ses descen- dants. Les dieux sont sans cesse présents dans la Théba!de afin de veiller à l'accomplissement de leur oracle. Il faut aux hommes d'illustres exemples pour qu'ils apprennent à craindre la Le sort d'Oedipe et de sa famille, celui des Atrides, celui de Phèdre, tous de sang royal, montrent que nul ne peut s'opposer à la volonté divine, quels que soient son rang et son acharnement à fuir la colère céleste. Les oracles ont parlé. Seul le sang d'Oedipe apaisera les dieux: "Thébains, pour n'avoir plus de guerres,

Il faut par un ordre fatal,

Que le dernier du sang royal,

Par son trépas ensanglante vos terres.,,3

Les dieux se soucient peu de justice. L'anthropomorphisme de la religion grecque les a dotés de sentiments humains, et leur es-

3. Pierre Mélèse, Théâtre de Racine, Paris, Imprimerie nationale

de France, 1951, Tome I: La Théba!de, vers 393 sqq. -15 - prit de vengeance est à la mesure de leur toute-puissance. Antigone en a conscience, puisqu'elle s'offre en holocauste: "Fi d'Oedipe, il faut que je meure pour lui. ... C'est à nous de payer pour les crimes des nÔtres".4 Elle ne songe pas à s'étonner de leur cruauté ni de leur obsti- nation. Malgré son amour de la vie, elle entrevoit l'issue comme inévitable. Déplorant le sort des siens, elle n'en est pas moins fataliste, car l'exemple de son père et des malheureux héros de la

Mythologie l'ont instruite.

Accablée par les malheurs des siens, sa mère Jocaste ne craint pas de blasphémer, apostrophant les dieux qu'elle sait à l'affftt: dieux ...

C'est vous dont la rigueur m'ouvrit ce prec1p1ce.

Voilà de ces grands dieux la suprême justice, Jusques aux bords du crime ils conduisent nos pas,

Ils nous le font commettre et ne l'excusent pas.

Prennent-ils donc plaisir à faire des coupables, Afin d'en faire après d'illustres misérables?,,5 Les dieux ne sont pas justes. Ils ne sont pas même respecta- bles, s'abaissant jusqu'à aveugler leur victime afin de mieux jouir de la vengeance. Leur méchanceté est manifeste, et l'innocence leur

4. Pierre Mélèse, Théâtre de Racine, Paris, Imprimerie nationale

de France, 1951, Tome 1: La Théba!de, vers 406, 423.

5. Ibid., vers 607 sqq.

-16 - pèse. Qui, moins qu'Oedipe, a mérité de devenir inceste et par- ricide? Pourtant, leur vengeance n'est pas assouvie. Il leur faut d'autres victimes -toute la descendance d'Oedipe -pour ga- gner la crainte sinon le respect des hommes. Ils ne dédaignent pas de s'amuser aux dépens des malheureux mortels avant de les achever. Ainsi, il semble que le destin fa- tal soit conjuré par le sacrifice volontaire de Menecée, fils de

Créon:

"L'oracle est accompli, le Ciel est satisfait.,,6 Mais Jocaste ne se laisse pas tromper, car une longue habi- tude du malheur lui a à connaître les dieux: "Connaissez· mieux du Ciel la vengeance fatale ...

Quand sa main semble me secourir,

C'est alors qu'il s'apprêt, à me faire périr." 7 Créon lui aussi connaît les voies détournées choisies par les dieux: " le courroux du Cie 1 ... s'arme contre moi de mon propre dessein,

Il se sert de mon bras pour me percer le seIn.

6. Pierre Mélèse, de Racine, Paris, Imprimerie nationale

de France, 1951, Tome 1: La vers 618. 7 .

Ibid., vers 675 sqq. "--

8. Ibid., vers 860 sqq.

-17 - Il a excité les Thébains contre Polinice, et son fils en est l'innocente victime. Etéocle se rend bien compte que la haine qui le dresse contre son frère Polinice est voulue par les dieux: "On dirait que le Ciel, par un funeste,

Voulut de nos parents punir ainsi l'inceste,

Et que de notre sang il voulut mettre au jour

Tout ce qu'ont de plus noir et la haine et l'amour. ,,9 Le trône de Thèbes est un trône maudit, funeste à ceux qui l'occupent: "Ce fut toujours un dangereux abîme,

La foudre l'environne aussi bien que le crime."lO

crime est celui auquel les dieux condamnent les hommes afin de mieux leur faire sentir la distance qui les sépare d'un mortel, fUt-il roi. Dès lors, est-il une autre issue que le carnage final: suicide de Jocaste et d'Antigone, duel meurtrier des deux frères ennemis, mort d'Hémon et suicide de Créon, l'instrument de la fata- lité, qui a cru tout mener pour son propre compte et qui, à l'ins-

9. Pierre Mélèse, Théâtre de Racine, Paris, Imprimerie nationale

de France, 1951, Tome I: La Th€ba!de, vers 927 sqq.

10. Ibid. vers 1155 sqq.

-18 - tant où il se croit près du triomphe, se rend compte qu'il a été berné par les dieux? Il ne lui reste plus qu'à se tuer à son tour: "Toi, justifie, a la voix de tes oracles. Je suis le dernier sang du malheureux La!us. Perdez-moi, dieux cruels, et vous serez déçus."ll Les dieux, en inspirant à Etéocle et Polinice une haine meur- trière, en mettant au coeur de Créon une ambition forcenée et l'a- mour d'Antigone, ont préparé la tuerie qui réalise les prédictions de l'Oracle. La fatalité s'est accomplie et les dieux peuvent se réjouir. Andromaque, tragédie moins sanglante, ramène cependant les dieux sur la scène. Ils y apparaissent avec Oreste et sa cousine

Hermione,

tous deux descendants d'une autre lignée maudite, celle des Atrides. Andromaque et son fils Astyanax y sont les derniers vestiges de Troie, sur laquelle les dieux ont déjà assouvi leur vengeance. Pyrrhus, insolent vainqueur de Troie, est poursuivi par la Némésis, messagère de désastre pour les hommes qui oublient l'humilité au milieu du succès. Plus discrète que dans la Théba1de, l'oeuvre occulte des dieux se poursuit. Oreste a mieux conscience Il. Pierre Théâtre de Racine, Paris, Imprimerie nationale de France, 1951, Tome 1: La vers 1498 sqq. -19 - que quiconque de l'intervention divine, et de la fatalité qui s'at- tache à ses pas. Ses premières paroles sont pour évoquer un destin qui le remplit d'effroi car, accablé par les dieux, il sait bien que ceux-ci n'ont pas renoncé: "Hélas! qui peut savoir le destin qui m'amène?,,12 le sait, sans doute, car c'est elle qui lui a inspiré une passion dévorante pour sa cousine Hermione. Et tous les ef- forts d'Oreste pour échapper aux pièges des dieux se révèlent vains. Pyrrhus est animé de desseins sacrilèges. Il prétend rétablir Astyanax sur le trône de Priam et faire relever les murailles de

Troie, enfreignant ainsi les arrêts du destin:

"Votre Ilion encor peut sortir de sa cendre. Je puis, en moins de temps que les Grecs ne l'ont pris, Dans ses murs relevés couronner votre fi1s.,,13 Une telle audace ne peut lui avoir été soufflée que par les dieux qui veulent le perdre, car le destin frappe d'aveuglement ceux qu'il a condamnés. Dans un univers peuplé de dieux tapis dans l'ombre ("La terre a moins de rois que le Ciel n'a de dieux", di- sait la la moindre parole inconsidérée s'enfle à des 12. Pierre Mé1èse, Théâtre de Racine, Imprimerie nationale de France, Tome II: Andromaque, vers 25. 13.

Ibid., vers 331 sqq.

-20 - dimensions sacrilèges et fait peser sur l'imprudent une menace ter- rible. Cette promesse hasardeuse de Pyrrhus suffirait à justifier la colère des dieux, s'ils avaient besoin de justification à leur courroux. Elle rend en tout cas la punition plus implacable et plus nécessaire aux yeux de la divinité qui ne veut pas voir sa puis- sance menacée. Comme dans la Théba!de, l'exemple est d'autant plus profitable qu'il atteint non pas l'humble mortel dont les dieux n'ont que faire, mais un puissant roi, d'une lignée illustre. Les dieux, que les Grecs ont créés leur image, sont assuré- ment plus humains par leurs défauts que par leurs qualités. Ils sont jaloux, et ils sont hypocrites, allant jusqu'à protéger Oreste au milieu des pires dangers: "J'ai mendié la mort chez des peuples cruels Qui n'apaisaient leurs dieux que du sang des mortels: Ils m'ont fermé leur temple, et ces peuplei barbares,

De mon sang prodigue sont devenus avares." 4

On parle souvent du destin aveugle. Chez Racine, toutefois, le destin ne frappe pas au hasard. Les entreprises de la divinité, bien qu'impénétrables aux hommes, s'exercent selon un plan prééta-

14. Pierre Théâtre de Racine, Paris, nationale

de France, 1951, Tome II: Andromaque, vers 491 sqq. -21 - b1i. Les dieux veulent perdre Oreste, mais ils veulent le perdre à son heure, afin qu'il joue son rôle au mieux de leurs intérêts. Ils veillent donc jalousement sur la vie d'Oreste, qui ne doit pas disparaître en vain. Leur victime est consciente de cette ironie du destin et son désarroi s'en trouve accru. Oreste sait bien que les dieux ne sont ni justes ni bons, qu'ils se réjouissent de son infortune: "Je ne sais de tout temps quelle injuste puissance,

Laisse le crime en paix et poursuit l'innocence.

De quelque part sur moi que je tourne les yeux,

Je ne vois que malheurs qui condamnent les dieux.,,15 Les blasphèmes d'Oreste sont le fait d'un homme qui se sait perdu, voué à la haine des dieux, et qui n'a rien à espérer de leur pitié. D'un drame à l'autre, il donne la réplique à Jocaste et à Créon qui, eux aussi, ont appris à redouter la cruauté des dieux. Cependant, les dieux veulent parfois se justifier à leurs pro- pres yeux, sinon aux yeux des humains. C'est pourquoi ils font de

Pyrrhus

un blasphémateur et un parjure -il n'a pas respecté la foi jurée à Hermiorie, et d'Oreste, un hôte qui transgresse les lois

15. Pierre Mé1èse, Théâtre de Racine, Imprimerie nationale de

France, Paris, 1951, Tome II: Andromaque, vers 771 sqq. -22 - sacrées de l'hospitalité. Surtout, les dieux ne tolèrent pas la révolte, et c'est pourquoi Andromaque seule, victime consentante, est épargnée. Il est vrai qu'à son égard les dieux se sont vidés de leur colère après avoir réduit Troie en cendre. "Le signe le moins douteux et le plus sensible de la présence des dieux, c'est leur cOlère",16 écrit Pierre Moreau. A cet égard, la présence des dieux est manifeste dans la Théba!de et Andromaque, où leur courroux foudroie les mortels qui ont osé s'insurger contre leurs arrêts ou ignorer leur toute puissance. Il sied aux hommes d'être humbles pour ne pas éveiller la colère divine. Andromaque et Astyanax y échappent, mais Oreste, Pyrrhus, Hermione, en sen tent tout le poids. Le premier perd la raison, les deux autres paient leurs fautes de leur vie. Très tôt dans l'oeuvre de Racine apparaissent les signes tan gibles de la présence divine, et tout d'abord les oracles qui re viendront dans Andromaque, Iphigénie, et au-delà des pa!ennes, dans Athalie où elles se haussent au rang de prophéties. Ces oracles rendent p.lus sensible encore une présence redoutable, donnapc aux dieux l'occasion d'affirmer leur autorité pour châtier les incrédules.

16. Pierre Moreau, Racine, Paris, Hatier, 1956, p.135.

-23 - Nulle part cependant, comme dans Iphigénie, une telle primauté n'est accordée aux oracles par lesquels s'exprime la volonté des dieux. Cette tragédie se développe autour de la parole sacrée qui amorce le drame et le dénoue. Cependant, bien que plus proche des sources du tragique grec et des mystères dyonisiaques, Iphigénie semble moins implacable que les autres drames mythologiques, sans doute parce que la fatalité épargne l'héroine qu'elle semblait d'a- bord avoir condamnée. Notons qu'il ne s'agit là que d'un moment de l'histoire des Atrides. La fatalité attachée à leur perte sem- ble conjurée cette fois. Pourtant, la colère des dieux poursuit depuis longtemps cette lignée maudite d'origine divine. Agamemnon "du sang de Jupiter issu de tous côtés", 17 est fils d'Atrée, lui- même fils de Pélops et petit-fils de Tantale, un des innombrables enfants du roi des dieux. Sa grand-mère, Hippodamie, était petite- fille du dieu Mars, et donc descendante directe de Jupiter. Au début de la tragédie, les dieux sont irrités. Jupiter avait pourtant promis à Agamemnon de lui livrer Troie:

17. Pierre Mélèse, Théâtre de Racine, Paris, Imprimerie nationale

de France, 1951, Tome IV: Iphigénie, vers 19. -24 - "Ces vents depuis trois mois enchaînés sur nos têtes, D'Ilion trop longtemps vous ferment le chemin.,,18 La puissance d'Agamemnon se paie, car il ne peut être permis au roi des rois d'avoir le destin paisible d'un obscur mortel. L'oracle a déjà appris au chef des Grecs ce qu'il convient de fai- re s'il veut voir s'exécuter la promesse du Ciel: obtenir les vents que le ciel vous dénie,

Sacrifiez Iphigénie.,,19

s'opposer à la volonté des dieux? Calchas, le grand- prêtre, saura bien la faire respecter, s'il tient Iphigénie: "Si ma fille une fois met le pied dans l' Aulide Elle est morte. Calchas, qui l'attend en ces lieux,

Fera taire nos pleurs, fera parler les dieux.,,20

Achille, fiancé d'Iphigénie, est lui aussi condamné à payer de sa vie la prise éventuelle de Troie: "On sait qu'à votre tête

Les dieux ont d'Ilion attaché la conquête.

Mais on sait que pour prix d'un triomphe si beau,

Ils ont aux champs troyens marqué votre tombeau. ,,21

18. Pierre Mélèse, Théâtre de Racine, Paris, Imprimerie nationale

de France, 1951, Torne IV: vers 30 sqq. 19.

Ibid., vers 61 sqq.

20. Ibid., vers 134 sqq.

21. Ibid., vers 321 sqq.

-25 - C'est que les dieux ne pardonnent pas à l'une des leurs, Tétis, mère d'Achille, d'avoir épousé un mortel, ravalant ainsi la majesté divine. Quoi qu'Agamemnon fasse, les dieux s'évertuent à déjouer ses calculs afin que leur victime ne puisse leur échapper. Le messager qu'il a envoyé sa femme pour lui demander de reprendre le chemin d'Argos ne l'a pas trouvée. Iphigénie est condamnée, et le roi des rois doit s'incliner devant la toute-puissance divine: " de mes efforts je connais l'impuissance;

Je cède ... "22

Cependant, un nouveau personnage entre en scène, Eriphile: "De son destin qu'elle ne connaît pas, Vient, dit-elle, en Aulide, interroger Calchas." 23 Son destin, comme celui d'Iphigénie et d'Achille, est lié aux oracles: "Un oracle effrayant m'attache à mon erreur,

Et quand je veux chercher le sang qui m'a fait

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