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RAPPORT AGREGATION 2012 2

Jean de La Fontaine Fables



Ausone : la culture dun professeur dans lélaboration dune persona

18 Jean-Louis CHARLET « La poésie de Prudence dans l'esthétique de son temps » de la culture dans l'œuvre d'Ausone



Histoire de la société française pendant la Révolution - Edmond et

de ruiner le peintre Hallé qu'elle ne quittera qu'à la besace »; — lieu



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Antoine Frédéric Ozanam un laïque au service de loeuvre de la

Le 17 avril 1967 Jeanne CARON soutient avec succès

Université Aix-Marseille

École doctorale : Espaces, cultures, sociétés

Spécialité : Sciences de l'Antiquité

Laboratoire : TDMAM-UMR 7297

Thèse présentée et soutenue

par Louise Sephocle le 9 décembre 2020

Ausone :

la culture d'un professeur dans l'élaboration d'une persona

Directeur de thèse : M. Jean-Louis Charlet

JURY M. Jean-Louis Charlet, Professeur émérite à l'université d'Aix-Marseille M. Vincent Zarini, Professeur à l'université Paris IV-Sorbonne Mme Gaëlle Herbert de la Portbarré-Viard, Maître de conférence HDR à l'université d'Aix-Marseille M. Benjamin Goldlust, Professeur à l'université de Besançon 1 Ex Graeco : Ἀrcὴ tὸ ἥmisu pantόj

Incipe : dimidium facti est coepisse. Superfit

dimidium : rursum hoc incipe et efficies. " Commence : commencer, c'est faire la moitié du travail. Il reste une moitié : recommence et tu termineras. »

Ausone, Epigr. 92

À Faust, pour les moments d'évasion entre deux chapitres... 1

Remerciements

Mes remerciements vont d'abord à M. Charlet, mon directeur de thèse, qui m'a acceptée

comme étudiante sans me connaître, m'a toujours encouragée et s'est montré très disponible durant

ces six années.

Merci à Dimitri, mon " porteur de livres », le plus féroce Aristarque que la terre ait jamais

porté, et sans lequel rien n'eût été possible. Je remercie très chaleureusement M. Mondin, qui a eu l'immense gentillesse de relire mes travaux avec une grande objectivité et néanmoins une grande bienveillance. J'ai une pensée pour Mme Cohen-Skalli qui m'a fait rencontrer M. Mondin à l'occasion d'un colloque. Je remercie vivement M. Zarini et M. Goldlust d'avoir accepté d'être les rapporteurs de cette thèse et de m'avoir accordé un délai pour terminer mon travail. J'adresse également mes remerciements à Mme Herbert de la Portbarré-Viard qui a bien voulu faire partie du jury de cette thèse. Je remercie les différents comités de suivi qui m'ont aiguillée dans mon travail en me donnant des conseils précieux.

J'ai une pensée pour mes parents qui m'ont toujours encouragée, en particulier mon père, qui

a toujours davantage cru en moi que moi-même ; à mes amis, qui ont été là pendant tout ce temps et

leur soutien indéfectible. 2

Table des abréviations des oeuvres d'Ausone

Ad Patrem Ad Patrem de Suscepto FilioÀ son père pour la naissance de son fils

Biss.BissulaBissula

Caes.CaesaresCésars

CentoCento NuptialisCenton Nuptial

Cup.Cupido CruciatusCupidon mis en croix

Ecl.EclogaeÉglogues

Eph.Ephemeris Éphéméride

Epic.Epicedion in PatremÉpicède à mon père

Epigr.EpigrammataÉpigrammes

Epist.EpistulaeLettres

Epit.Epitaphia Heroum qui Bello Épitaphes des Héros qui Troico Interfueruntparticipèrent à la guerre de Troie

Fast.FastiFastes

Genethl.GenethliacosGénéthliaque

Grat. Act.Gratiarum ActioAction de Grâces

Griph.Griphus Ternarii NumeriGriphe du nombre trois

Hered.De HeredolioSur mon petit héritage

LudusLudus septem SapientumJeu des sept sages

Mos.MosellaMoselle

OrdoOrdo Vrbium NobiliumOrdre des villes célèbres

Par.ParentaliaParentales

Pater ad Fil.Pater ad FiliumLe père à son fils

Praef.Praefationes VariaePréfaces diverses

Prec.Precationes VariaePrières diverses

Prof.ProfessoresProfesseurs

Protr.Protrepticus ad nepotemProtreptique à mon petit-fils

Techn.TechnopaegnionTechnopaegnion

Vers. Pasch.Versus PaschalesVers pour Pâques

3

Introduction générale

Au crépuscule du IVe siècle ap. J.C. s'éteignait l'un des poètes qui marqua la " renaissance de

la littérature païenne »1 dans l'Antiquité tardive, Decimus Magnus Ausonius Burdigalensis.

Professeur avant que d'être poète, homme de cour également, haut-fonctionnaire, c'était un homme

doué d'une grande culture et qui composait souvent par l'intermédiaire de " l'inflexion des voix

chères qui se sont tues ». Aussi fut-il longtemps déprécié, considéré comme un simple versificateur

de talent, et non comme un poète à part entière : il n'est que de lire l'introduction de H. G. Evelyn

White aux éditions Loeb. En effet, si le traducteur met en évidence l'ingéniosité rhétorique

d'Ausone2, il se montre en revanche très dépréciatif vis-à-vis de sa poiésis3, étant donné que son

oeuvre est constituée, à ses yeux, d'un simple recueil de topoi, conventions poétiques et rhétoriques

ou encore citations d'auteurs classiques. Finalement, il accuse le Bordelais de considérer la poésie

comme le traitement rhétorique de sujets épars. Il lui reconnaît par ailleurs une connaissance hors-

norme des auteurs classiques et un art tout à fait original dans la capacité à intéresser son lecteur à

des sujets au premier abord extrêmement techniques et rébarbatifs. Pourtant, le cas d'Ausone n'est

pas unique, c'est une tendance qui se dessine à l'orée du IVe siècle. Ainsi, pour comprendre son

oeuvre, il convient de la lire en ayant à l'esprit l'esthétique de la poésie latine au IVe siècle et la façon

dont on l'envisageait alors. Or, la vision romantique que l'on a de la poésie se fonde en particulier

sur la notion d'univers personnel et original, ce qui n'était pas le cas de la poésie antique, qui

" repose sur le principe de l'imitatio »4. En appliquant une vision de la poésie très moderne à une

oeuvre latine, l'on commet donc une erreur5. Ausone, pour trouver son ton personnel, s'inscrit dans

une littérature classique ; lui-même déclare : " Quel poids important dans les Muses : tant de siècles

enfouis dans des feuilles, à peine supportables à leur propre époque, nous accablent. » (Grande

onus in musis : tot saecula condita chartis, / quae sua uix tolerant tempora, nostra grauant.).

Avec ce que l'on appelle la " renaissance constantino-théodosienne »6, le IVe siècle voit la

réapparition des écrits profanes dans le paysage littéraire romain, alors qu'ils étaient supplantés au

siècle précédent par la littérature chrétienne : on compte ainsi Symmaque, Ausone (dont l'oeuvre,

marquée en quelques endroits par le christianisme, reste d'une inspiration essentiellement profane),

1 ZEHNACKER, FREDOUILLE 2005, p. 419.

2 WHITE 1968 [1919], t. 1, p. XXVIII-XIX.

3 WHITE 1968 [1919], t. 1, p. XXVI-XXVII.

4 CHARLET 2008, p. 160.

5 COMBEAUD 2010, t. 1, p. 19-20.

6 L'expression est de Jean BAYET (Littérature latine, Armand Colin, Paris, 1965, p. 665) et désigne la période romaine

s'étalant de 312 (avènement de Constantin) à l'an 395 (mort de Théodose). 4

Claudien et Macrobe. De plus, la poésie, forme à l'égard de laquelle les auteurs chrétiens du IIIe

siècle étaient pleins de défiance, car associée dans une large mesure au paganisme, est remise à

l'honneur, à la suite de l'impulsion donnée par Lactance7, et portée par de grands noms de la

littérature chrétienne au premier chef desquels on compte Ambroise, Paulin de Nole et Prudence. La

renaissance culturelle profane se fait au prisme de la renouatio imperii, la propagande des

empereurs du IVe siècle qui voulaient revenir à l'éclat de l'empire augustéen, en passant par un

retour aux écrivains classiques, c'est-à-dire par la réutilisation de formes et de procédés d'écriture

employés par ces écrivains : ainsi la littérature chrétienne du IVe se nourrit des mêmes modèles

littéraires que la littérature profane, avec, en premier lieu, Virgile, pour la poésie, qui reste l'auteur

le plus lu, le plus étudié, le plus commenté. En effet, à partir de l'époque constantinienne, son oeuvre

bénéficie d'une interprétation christique8. Témoin de cette réutilisation, le genre du centon,

consistant à composer un poème entièrement nouveau à partir d'hémistiches tirés d'un auteur

classique9. Il faut bien avoir à l'esprit, comme le souligne Jacques Fontaine10, que tous les hommes

issus d'un milieu aisé avaient suivi les mêmes enseignements qui consistaient principalement dans

l'étude des grands auteurs classiques, tels Cicéron ou Virgile11, et en cela étaient liés entre eux par la

" même mentalité esthétique »12. En effet, l'enseignement n'était pas chrétien mais héritait encore

de l'école hellénistique et les programmes scolaires étaient les mêmes13 : les enfants continuaient

ainsi à lire Homère. Le centon apparaît donc comme le genre par excellence mettant à profit

l'enseignement reçu et la mémoire des lettrés, comme se plaît à le souligner Ausone dans la lettre-

préface de son Centon nuptial. De plus, les poètes du IVe siècle ont de nombreux points communs.

Jacques Fontaine rappelle que les membres de l'élite noble de clarissimes se caractérisaient par " un

triple privilège : puissance assise sur la propriété terrienne des latifundia, orgueil généalogique de la

race transmise, possession jalouse de la haute culture »14. La culture littéraire, on le voit, agissait

comme une sorte de signe de reconnaissance entre élites, bouclier protecteur élevé devant les

bouleversements de l'Empire romain15.

7 DUVAL 1987, p. 167 et P. G. van der NAT, " Zuden Voraussetzlingen der christlichen lateinischen Literatur : Die

Zeugnisse von Minucius Felix und Laktanz », in Christianisme et formes littéraires de l'Antiquité tardive en

Occident, Entretiens sur l'Antiquité classique, Fondation Hardt, t. 23, Genève, 1977, p. 191-225.

8 ZEHNACKER, FREDOUILLE 2005, p. 411.

9 Voir le célèbre Centon de Proba dont la tonalité toute chrétienne est bien différente de l'érotisme ausonien.

10 FONTAINE 1980, p. 34.

11 Protreptique, v. 57 ; Professeurs 21, v. 8.

12 FONTAINE 1980, p. 32.

13 MARROU 1965, p. 460-461.

14 FONTAINE 1981, p. 97.

15 En 378, l'empereur d'Orient, Valens, fut tué lors de la bataille d'Andrinople et les Wisigoths, les Goths et les

Ostrogoths défirent l'armée romaine. Gratien fit alors appel à Théodose pour contenir les incursions barbares qui

menaçaient la Gaule, la Pannonie et l'Illyrie : Théodose fut officiellement nommé Auguste en 379. Au début de

l'année 383, le comte Maxime, irrité que Gratien confie des responsabilités militaires aux barbares, se fit proclamer

Auguste par l'armée de Bretagne qui s'était soulevée et passa ensuite en Gaule. Gratien dut s'enfuir en Italie mais fut

5

La littérature païenne bénéficie de cette renaissance culturelle en s'appuyant sur les courants

du néo-classicisme et du néo-alexandrinisme. Sous l'influence de la littérature alexandrine en effet,

les formes brèves prennent un essor considérable dont Ausone se fait le témoin majeur. Le néo-

alexandrinisme du IVe siècle cultive également le mélange des tons et des genres16, mais aussi de la

prose et des vers17, ce que nous retrouvons chez Ausone : la Moselle par exemple, est à la fois un

hymne au fleuve, une idylle, mais comporte également le fameux passage didactique sur les

poissons, à moins qu'il ne s'agisse d'un pastiche de catalogue épique (au catalogue des vaisseaux

serait alors substituée l'armada des poissons, en une plaisante uariatio). J.-L. Charlet18 met en

évidence un dernier trait du néo-alexandrinisme, à savoir la recherche stylistique et formelle : il est

vrai qu'Ausone aime à exercer sa plume à l'aune de règles poétiques formelles très strictes qui

peuvent rendre les poèmes obscurs.

Par ailleurs, cette littérature peut être qualifiée de néo-classique : en effet, comme le montre

J.-L. Charlet19, les auteurs tardifs poussaient à l'extrême le principe sur lequel repose toute la

littérature latine, à savoir l'imitatio. De fait, la littérature latine est fondamentalement mimétique,

puisqu'elle prend sa source dans la littérature grecque20, et en particulier dans l'oeuvre homérique. La

littérature latine tardive, notamment la poésie, postule donc une exacerbation de ce principe, en

démultipliant les effets de miroir : elle reprend les poètes latins classiques, qui imitaient déjà les

poètes grecs classiques. Parmi les poètes de l'Antiquité tardive (Ambroise, Claudien, Paulin de Nole, Prudence,

Sidoine Apollinaire), Ausone se distingue par un christianisme plus diffus et par une écriture que

l'on pourrait qualifier de " mondaine »21, due en particulier à sa place sociale proche du pouvoir : en

367, il nommé précepteur de l'empereur Gratien. Son oeuvre se définit par son goût pour les formes

brèves et la uariatio dans les tons et les genres, ce que l'on nomme poikilia22. Ainsi pouvons-nous

répertorier les Épigrammes, qui se caractérisent par la variété de leurs sujets, du licencieux au

sentencieux ; les jeux littéraires sous forme d'énigmes (le Griphe sur le nombre trois, le

Technopaegnion), de récritures diverses (les Césars, le Centon nuptial, le Jeu des sept sages, le

assassiné à Lyon, en août de la même année. Maxime s'installa alors à Trêves et conclut un accord avec Théodose :

Valentinien II, le tout jeune frère de Gratien, et sa mère Justine régneraient en Italie, Théodose, en Orient et Maxime,

en Gaule, en Espagne et en Bretagne. Mais ce dernier, sous prétexte de venir au secours de Valentinien II assailli par

les barbares en Pannonie, en profita pour s'établir en Italie en 387. Il fut à son tour assassiné en 388, sur ordre de

Théodose (MODÉRAN 2006, p. 151-153).

16 FONTAINE 1980, p. 38-40.

17 Voir Epist. 5, 9, 14, 17, 19, 20 ou encore la récriture de certaines préfaces (Biss. Praef. et 1. ; Techn. 1 et 5).

18 Jean-Louis CHARLET, " La poésie de Prudence dans l'esthétique de son temps », Bulletin de l'association Guillaume

Budé, n° 45, 1986, p. 385.

19 CHARLET 2008, p. 160-161.

20 DEREMETZ 1995, p. 11 et p. 51.

21 FONTAINE 1981, p. 95.

22 Sur la poikilia d'Ausone, voir CHARLET 2008, p. 162.

6

Cupidon crucifié) ; les lettres en prose et en vers ; la poésie commémorative (les Parentales,

l'Épicède à son père, la Commémoration des professeurs de Bordeaux, les Épitaphes des héros de

la guerre de Troie, l'Ordre des villes célèbres, Sur mon petit héritage) ; les " églogues » ou

" morceaux » (Combeaud les répartit en deux groupes qu'il nomme " les Sapientelles » et " les

Calendaires » ; le premier groupe traitant des sujets moraux, le second, des jours et des mois) ; les

écrits auliques (la Prière du consul, l'Action de grâces, les Vers pour Pâques), les écrits théoriques

(les Préfaces, le Protreptique à mon petit-fils), la poésie descriptive (La Moselle, La Naissance des

roses). Cet ancien professeur à Bordeaux (de 334 à 364) conserva de sa formation scolaire et de son

enseignement une culture littéraire classique remarquable, visible en particulier par l'abondance des

réminiscences qui sillonnent son oeuvre. Jacques Fontaine nomme avec raison ce procédé " la technique de l'allusion », " sorte de toile de fond panoramique, devant et sur laquelle Ausone

détache sa propre création poétique »23. Pas la moindre épigramme qui ne s'appuie sur une source,

qui ne comporte une citation ou une réminiscence d'un auteur, grec ou latin. L'usage de cette

culture vire parfois à l'étalage, voire au pédantisme, mais Ausone en est-il seulement dupe ? Il

conviendra de revenir sur le délit de pédantisme24, dont on incrimine souvent Ausone. De l'allusion

à la citation, il importe donc de comprendre quels sont les enjeux d'une telle intertextualité.

Les réminiscences, la plupart du temps poétiques, sont nombreuses. Nous étudierons de

façon minutieuse la façon dont elles sont mises en oeuvre, voire mises en scène, et à quelles fins

elles sont employées. Mais nous ne nous bornerons pas aux citations ou réminiscences poétiques.

Notre travail prendra également en considération la culture au sens large du terme convoquée au gré

du corpus ausonien. Soulignons d'abord que cette culture est avant tout scolaire25 et que les poèmes

du Bordelais empruntent souvent leur sujet à l'école : citons entre autres, les Césars, le

Technopaegnion (jeu sur les mots latins monosyllabiques), les Héros de la guerre de Troie ou encore le Protreptique. La culture ausonienne est éminemment littéraire, mais nous verrons que

cette qualification de " littéraire » doit être entendue au sens large et recouvre en réalité d'autres

domaines que la littérature. Ayant relevé cette caractéristique de l'oeuvre d'Ausone, nous montrerons l'originalité du

poète et tenterons de définir les contours de son poeticus character26, ou plus précisément de sa

23 FONTAINE 1980, p. 42.

24 J.-J. AMPÈRE, " Littérature païenne et chrétienne du IVe siècle », Revue des deux mondes, 1837, t. 11, p. 705-706,

721, 724 et 728 ; PICHON 1906, p. 32, 164 et 167 ; WHITE 1968, t. 1, p. XXVII.

25 Pour MONDIN 2018, qui a porté son attention sur ce point, " Ausone, ou bien, si l'on préfère, l'instance auctoriale de

ses opuscula, prend très souvent [...] la persona du grammairien » (p. 16).

26 Certains de ces contours ont déjà été mis en évidence dans les études récentes de P. GALLAND-HALLYN 1994 et B.

COMBEAUD 2010.

7

persona. Dans l'art rhétorique, l'ethos est un ensemble de qualités dont l'orateur se dote afin

d'accréditer son discours, " le caractère qu['il] doit paraître avoir, se montrant sensé, sincère et

sympathique »27. Concernant un auteur, la persona, concept dérivé de l'ethos, peut être défini

comme le caractère qu'il laisse transparaître, l'image qu'il donne de lui à travers ses oeuvres, en

particulier lorsqu'il s'adresse à des personnalités dans des textes susceptibles d'être " publiés », c'est-

à-dire destinés à être lus par un ensemble de personnes plus vaste que le seul destinataire. Mais la

persona, selon Guérin28, recouvre plusieurs acceptions qu'il convient de prendre en compte afin

d'étayer notre propos : elle est constituée d'une " persona prédiscursive » qui inclut à la fois " les

exigences morales, sociales et institutionelles » dont doit tenir compte l'orateur avant de prendre la

parole - ce que nous pourrions nommer le decorum - et les " qualités individuelles de l'orateur »,

propres à sa personnalité réelle, ce qui recouvre la notion d'ethos réel. À celle-ci s'ajoute la

" persona discursive ». Cette dernière, chez Cicéron, diffère de l'ethos tel qu'il est défini chez

Aristote, puisqu'il s'agit moins d'élaborer un ethos oratoire quelque peu artificiel que de manifester

" les différentes qualités prédiscursives de l'orateur par le biais du discours », autrement dit, de les

mettre en valeur, de les faire ressortir, faisant ainsi coïncider dans une visée isocratique ethos réel et

ethos oratoire29. La multiplication de préfaces au sein des compositions d'Ausone nous prouve qu'il avait une

claire conscience de l'ethos qu'il entendait laisser transparaître en tant que poète. Il nous est donc

apparu doublement nécessaire (doublement, parce qu'il est aussi un rhéteur) d'étudier la rhétorique

qu'il emploie. Nous entendons par rhétorique, selon la définition de Quintilien (Inst. II, 15, 34),

reprise par Diderot dans l'Encyclopédie, l'ars bene dicendi ou bien encore " tout discours qui tend à

agir sur son (ses) destinataire(s) »30. Mais, dans certains cas, nous affinerons cette définition

générale en la dotant du rôle de persuasion que les Anciens attribuaient plus particulièrement à la

rhétorique, pour aboutir à la définition suivante : tout discours qui cherche à persuader son

destinataire31. La rhétorique étant une ars, son étude est tout à fait adaptée à l'oeuvre ausonienne,

pur produit de l'enseignement, donc de l'ars, par opposition à l'ingenium. Loin de nous l'idée

d'affirmer que cette oeuvre n'est que technique, mais il nous faut considérer qu'elle occupe une place

de choix et qu'elle peut donc très légitimement faire l'objet d'une étude en soi. Ausone occupant une

place privilégiée auprès du pouvoir, nous interrogerons l'usage de la rhétorique dans le cadre

politique. Précisons d'abord qu'à l'époque impériale, la fonction délibérative de la rhétorique dans le

27 Olivier REBOUL, Introduction à la rhétorique, PUF, Paris, 2001 [1991], p. 238.

28 GUÉRIN 2011, t. 2, p. 409.

29 GUÉRIN 2011, t. 1, p. 113 à 137.

30 Michel PATILLON, Éléments de rhétorique classique, Nathan, Poitiers, 1990, p. 6.

31 Rhetoricen esse uim persuadendi est la définition donnée par Quintilien, Inst. II, 15, 3.

8 domaine politique a perdu de sa superbe ou, du moins, subi une mutation importante32. Cette

fonction est en effet liée aux débats républicains devant une assemblée et a moins de sens sous un

régime autoritaire où les débats sont restreints par l'autorité impériale. Cependant, elle s'exerce

encore dans les provinces pour faire passer de nouvelles réformes par exemple. Étant donné

l'importance du statut politique de l'empereur, la rhétorique se développe alors plus particulièrement

dans le domaine de l'épidictique33. Témoin le recueil des Panégyriques latins que l'on a conservé,

constitué d'un ensemble d'éloges d'empereurs, prononcés à l'occasion d'événements particuliers.

L'Action de grâces d'Ausone est écrite dans la veine de ces panégyriques : il s'agit d'un

remerciement du poète à l'empereur Gratien pour sa nomination au consulat ; c'est l'occasion de

s'exercer à l'éloge de l'empereur. Le discours épidictique constitue par ailleurs une grande partie du

corpus ausonien (il est lié à l'aspect commémoratif de l'oeuvre du poète) : en font partie le triptyque

Parentales, Professeurs, les Épitaphes des héros, la Moselle, l'Ordre des villes célèbres. L'éloge

constitue une rhétorique à part entière non négligeable dans l'oeuvre ausonienne : on tirera profit de

son étude afin de montrer quelles stratégies le poète emploie afin de montrer l'empereur Gratien

sous son meilleur jour, mais également comment il réussit à faire son propre éloge. Dans le cadre

des compositions épidictiques (mais aussi d'autres textes à visée persuasive tels que les lettres), la

culture intervient comme élément de persuasion par l'emploi en particulier des exempla. Charles-

Marie Ternes a déjà souligné l'importance de l'érudition dans La Moselle34 : elle permet en effet

d'être crédible vis-à-vis de son auditoire, de capter son attention en sollicitant chez lui des souvenirs

littéraires, mieux encore de s'attacher son auditoire lettré par une culture commune. Faire appel à

des citations d'auteurs classiques, c'est aussi confirmer ses arguments par une autorité indiscutable

mais également orner son discours35. Cependant, la rhétorique entendue comme moyen mis en oeuvre afin de persuader le

destinataire du discours, bien qu'elle ne joue pas son rôle délibératif dans le domaine politique, ne

me semble pourtant pas à négliger : les lettres à Paulin, par exemple, constituent un discours

argumentatif puisqu'Ausone tente de convaincre Paulin de ne pas se retirer loin de la vie mondaine

bordelaise. La rhétorique, toujours entendue dans ce sens, est aussi largement mise à contribution

dans le Protreptique, pièce dans laquelle Ausone tente de convaincre son petit-fils de continuer à

suivre avec assiduité les leçons de son professeur même si ce dernier lui paraît rébarbatif.

Quintilien (Inst. II, 15, 16), citant Eudore, introduit également la notion d'ornement dans sa

définition de la rhétorique : Eudorus uim putat inueniendi et eloquendi cum ornatu credibilia in

32 PERNOT 2000, p. 171-177.

33 PERNOT 2000, p. 230-236.

34 TERNES 2002, p. 123-138.

35 CALVET-SEBASTI 2014, p. 229.

9 omni oratione (" Eudore pense que la rhétorique est le pouvoir de trouver et de dire, en un style

orné et à propos de toute sorte d'exposés ce qui est croyable »). Il conviendra donc de commenter

également l'ornement du discours ausonien, et de montrer comment cet ornement contribue à

l'élaboration d'une rhétorique particulière. Nous relèverons, quand ils nous paraîtront significatifs,

les procédés de style usités par Ausone : les figures y tiennent une large part, avec une prédilection

pour les figures d'opposition (chiasme, antithèse). On a déjà remarqué cette tendance paradoxale du

poète bordelais à préférer les expressions périphrastiques36 au sein de formes brèves, en particulier

concernant les dates, tendance certes habituelle dans la poésie latine, mais qu'il pousse à l'extrême

dans l'opuscule Sur la durée du règne des Césars. Lui-même le reconnaît volontiers (Epist. 9, v. 7-

9). Que reste-t-il en effet de la poésie, si elle consent à employer " l'universel reportage » ? Mais

cette tendance rhétorique est liée à une écriture ludique, omniprésente chez Ausone : lui-même

emploie le terme ludus à de nombreuses reprises, quand il compare le centon nuptial au jeu des osselets, ou encore quand il nomme une récriture d'apophtegmes grecs, Ludus septem sapientum.

Cette écriture ludique dépend en effet du rapport tout particulier qu'entretient l'auteur avec la

culture, mais également avec la rhétorique elle-même, l'ordonnancement des mots dans la phrase,

les sonorités, la création de néologismes (ou d'hapax legomena) et le mélange des tons au sein

d'une même pièce. L'exemple du Centon nuptial est déterminant pour comprendre la relation

entretenue par Ausone avec la culture classique. Le poète a repris des vers tirés de l'Énéide et les

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