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10 jan. 2018 interrogé·e·s les raisons de lire science-fiction et fantasy
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Je dois un grand merci à tous mes amis du Département d'études françaises 1 Lire à ce sujet le livre d'Elizabeth Hazelton Haight The Roman use of ...
Numéro National de Thèse : 2017LYSEN068
THÈSE de DOCTORAT DE L'UNIVERSITÉ DE LYON
opérée par l'École Normale Supérieure de LyonÉcole Doctorale N° 483
Sciences Sociales (Histoire, Géographie, Aménagement, Urbanisme, Architecture, Archéologie, Science politique,Sociologie, Anthropologie)
Discipline : Sociologie
Soutenue publiquement le 01/12/2017, par :
Élodie HOMMEL
Lectures de science-fiction et fantasy :
enquête sociologique sur les réceptions et appropriations des littératures de l'imaginaireDevant le jury composé de :
Isabelle CHARPENTIER, professeure à l'Université de Picardie - Jules Verne, rapporteure Annie COLLOVALD, professeure à l'Université de Nantes, examinatriceChristine DÉTREZ, professeure à l'École Normale Supérieure de Lyon, directrice de thèse
Irène LANGLET, professeure à l'Université de Limoges, examinatrice Bruno PÉQUIGNOT, professeur à l'Université Sorbonne Nouvelle, rapporteurRésumé
À la suite des enquêtes menées par Annie Collovald et Erik Neveu dansLire le noir, et par Christine Détrez et Olivier Vanhée dansLes mangados, sur les lectures de romans policiers pour l"une et de mangas pour l"autre, ce travail de thèse porte sur les lectures delittératures de l"imaginaire (catégorie éditoriale qui regroupe science-fiction, fantasy et une
partie du fantastique). Après une étude de l"offre éditoriale française contemporaine, l"enquête
de terrain, qui a été menée par entretiens auprès de lecteurs et lectrices âgés de 20 à 35 ans,
a cherché à mettre en évidence leurs motivations, leurs appropriations de cette lecture et les
réceptions qu"ils en font. Tout comme les mangas ou les romans policiers, la science-fiction,et plus généralement les littératures de l"imaginaire, constituent un genre dont la légitimité
n"est pas acquise, souvent perçu comme une échappée hors du réel pour des amateurs parfois
assimilés de façon péjorative à des exclus sociaux. Ces questions ont été abordées dans la
recherche à travers différents angles d"approche : la réception des catégories éditoriales par
les jeunes interrogé·e·s, les raisons de lire science-fiction et fantasy, les différents types de
réceptions et appropriations du genre, les parcours de lecture en littératures de l"imaginaire,
les pratiques culturelles et sociabilités qui prennent place autour de la lecture, le rapport des lecteurs et lectrices à la légitimité ambiguë du genre. 1 2Remerciements
Merci à Christine Détrez, qui m"accompagne depuis sept ans tout en respectant mon autonomie et mes choix, pour sa bienveillance, ses conseils et ses relectures attentives.Merci aux rapporteur·e·s et à l"ensemble des membres du jury de leur intérêt pour cette
recherche et de leurs retours. Merci aux lecteurs et lectrices, qui sont au coeur de ce travail, de m"avoir raconté leurs lectures, de m"avoir fait partager leur enthousiasme, leur passion, leurs joies et parfois leurs peines.Merci à celles et ceux qui m"ont aidée à les rencontrer : libraires, bibliothécaires, organi-
sateurs et organisatrices d"évènements dédiés à l"imaginaire. Merci aux multiples soutiens administratifs et financiers dont j"ai bénéficié, et qui ontallégé les contingences matérielles liées à la réalisation d"une thèse : la commission d"attribu-
tion des contrats doctoraux de l"ENS de Lyon, l"administration de l"ENS de Lyon en général, la région Rhône-Alpes et le programme CMIRA - Explora Doc, le Département des études, de la prospective et des statistiques du Ministère de la Culture, le Centre Max Weber, et en particulier Férouze et Alexia pour leur aide précieuse. Merci à Thomas Kemple pour son accueil chaleureux à UBC, son enthousiasme pour mon enquête et ses suggestions. Merci à Octavie pour son coup de pouce dans la matérialisation de cette thèse. Merci à Marlène pour ses multiples relectures et apports sociologiques. Merci à Annie, Héloïse, Marlène et Alice pour leurs relectures de dernière minute.Merci à mes ami·e·s et collègues sociologues, pour les discussions et réflexions autour de
nos recherches respectives, et en particulier à Clémence. 3 Merci à mes ami·e·s non sociologues de m"avoir supportée, dans les deux sens du terme, avec une mention spéciale pour Nicolas et Héloïse. Merci aux associations étudiantes de l"ENS de Lyon, à St John"s College de UBC, et surtout aux personnes extraordinaires qui font vivre ces communautés, de m"avoir offert un cadre de travail épanouissant. Merci à ma famille, et notamment à mes parents pour leur soutien inconditionnel.Merci à Boris, d"avoir été là, même sans être là, tout au long de ce parcours, d"avoir su me
motiver quand je perdais courage, de m"avoir encouragée et soutenue, mais aussi de m"avoir fait rêver. 4 INTRODUCTIONEnquêter sur la lecture de science-fictionet fantasy Évoquer la science-fiction ou la fantasy, c"est faire surgir tout un univers de robots, d"extra- terrestres, de créatures magiques, de voyages extraordinaires et de paysages cosmiques, mondehautement imaginaire et fantaisiste, auquel adhérer pourrait être considéré comme une at-
titude immature et irrationnelle, comme une échappée hors du réel à laquelle se livreraient
des lecteurs ou des spectateurs mal à l"aise dans le monde social. C"est en tout cas l"imagestéréotypée que véhiculent certains médias, ainsi que de nombreux films ou productions télé-
visées, comme la série téléviséeThe Big Bang Theoryou encore lesteen moviesaméricains et
leurs personnages de " geeks ». Ces stéréotypes assimilent les amateurs du genre à des exclus
sociaux, majoritairement masculins et souvent scientifiques, qui vivent par procuration dansleur bulle virtuelle et aux pratiques culturelles des plus étranges : déguisements, jeux de rôle
ou jeux vidéos. Même certains discours académiques se font alarmistes : ainsi, Alexandre Hougron, doc-teur en études cinématographiques, dans l"introduction de son essaiScience-fiction et société,
s"inquiète du succès de la science-fiction auprès des " concitoyens et concitoyennes de de-main ». Le genre y est décrit comme une " véritable lame de fond », le " nouvel opium d"un
peuple qu"il s"agit de maintenir dans un émerveillement audiovisuel peut-être proche de la torpeur », voire une " insidieuse remise en question des fondements rationnels et démocra- tiques de notre société »1. L"ouvrage, qui analyse l"imaginaire de la science-fiction en termes
1. AlexandreHougron,Science-fiction et société, Paris : Presses universitaires de France, 2000, p. 2-9.
5symboliques et psychanalytiques, explique son émergence et son développement dans notresociété par un postulat anthropologique particulièrement pessimiste : la science-fiction seraitl"expression d"un mal-être, d"une incapacité à s"ouvrir à l"autre, d"un déséquilibre social. Salecture est alors assimilée à " un refuge, une évasion pour échapper au monde des adultes età leurs responsabilités »2pour des individus aliénés et imatures : " À la croisée des monstres
de notre psychée, les genres fantastique-SF ont des potentialités maladives, malsaines, que chacun est libre de cultiver, d"approfondir [...] : ces genres ont tout ce qu"il faut pour nourir une monomanie fétichiste et perverse »3. Il propose ainsi une vision tout à fait caricaturale
des amateurs et amatrices de science-fiction, qui ne s"appuie cependant sur aucune enquête de terrain auprès du public du genre. Et pourtant, depuis quelques décennies, la science-fiction, et plus récemment la fantasy, acquièrent leurs lettres de noblesse : certaines oeuvres entrent dans les programmes scolaires 4,des revues spécialisées et des prix littéraires dédiés (Nébula ou Hugo aux États-Unis, Grand
prix de l"imaginaire et prix Rosny Aîné en France) sont apparus, des recherches universitaires récentes leur ont été consacrées5. Comme dans le cas de la photographie ou de la bande
dessinée6, on peut donc parler d"" arts moyens », selon le terme de Pierre Bourdieu, c"est-
à-dire de genres en cours de légitimation, plus tout à fait illégitimes, mais pas non plus
totalement légitimes. Précisons toutefois que la science-fiction et la fantasy rassemblent unelarge variété de productions, qui présentent des niveaux de légitimité variés : ce processus de
légitimation ne concerne que la part la plus reconnue des oeuvres, les titres considérés comme
les plus commerciaux restant frappés d"illégitimité. Pratique aliénante ou démarche savante et esthétique, en quoi consiste alors réellement la lecture de science-fiction et fantasy? Quels intérêts ses lecteurs et lectrices7y trouvent-
2. Ibid., p. 263-264.
3. Ibid., p. 268.
4. Comme j"ai pu le constater dans le cadre de mon travail de recherche en première année de master,
qui portait sur les réceptions de deux romans associés à la science-fiction,Le Meilleur des mondesd"Aldous
Huxley et1984de George Orwell, auprès de jeunes qui les avaient lus en contexte scolaire.5. Voir par exemple IrèneLanglet,La science-fiction, Lecture et poétique d"un genre littéraire, Paris :
Armand Colin, 2006; SimonBréanet GérardKlein,La Science-Fiction en France : Théorie et histoire
d"une littérature, Paris : PU Paris-Sorbonne, 2012.6. PierreBourdieu, éd.,Un art moyen, Essai sur les usages sociaux de la photographie, Paris : Les Éd. de
Minuit, 1965; LucBoltanski, " La constitution du champ de la bande dessinée », in :Actes de la recherche
en sciences sociales1.1 (1975), p. 37-59.7. J"ai souhaité adopter dans ce travail une écriture inclusive, visant à une représentation égalitaire des
femmes et des hommes dans la langue. Dans la mesure où les représentations et les mentalités sont façonnées
par le langage et ses implications, celui-ci me semble un levier essentiel de lutte contre les discriminations.
6ils et quelles appropriations en font-ils? La légitimation progressive du genre affecte-t-elleleurs lectures? Telles sont les questions auxquelles cette recherche doctorale se propose derépondre, via une enquête de type qualitative, par entretiens avec des lecteurs et lectrices,à travers différents angles d"approche : la réception des catégories éditoriales par les jeunesinterrogé·e·s, les raisons de lire science-fiction et fantasy, les différents types de réceptions et
appropriations du genre, les parcours de lecture en littératures de l"imaginaire, les pratiques culturelles et sociabilités qui prennent place autour de la lecture, le rapport des lecteurs et lectrices à la légitimité ambiguë du genre.Enquêtes sociologiques antérieures
Cette enquête s"inscrit dans la lignée de recherches antérieures, sur la lecture de romans policiers, par Annie Collovald et Erik Neveu8, et sur la lecture des mangas chez les ado-
lescent·e·s, par Christine Détrez et Olivier Vanhée9. L"enquête présentée dansLire le noir
met l"accent sur l"inscription de la lecture de romans policiers dans le parcours biographiqueet culturel des lecteurs et lectrices, avec un échantillon d"enquêté·e·s majoritairement assez
âgés, en la replaçant au sein d"une " carrière »10, dans laquelle les deux sociologues repèrent
des régularités, des causalités qui s"articulent au vécu et aux pratiques de chacun. Après
une cartographie de l"offre éditoriale française11, ils retracent les grandes lignes des parcours
La question s"est notamment posée au moment de la rédaction du chapitre consacré aux lectures de filles
et lectures de garçons, au sein duquel il est devenu particulièrement difficile de parler de " lecteurs » pour
désigner l"ensemble des enquêté·e·s. D"où le choix d"une écriture donnant plus de visibilité aux lectrices et aux
femmes en général. Si cette résolution m"a semblé s"imposer à ce moment là, il n"en est pas de même de sa mise
en oeuvre, mes convictions égalitaires se heurtant à la force de mes habitudes linguistiques et aux variations
d"usage. Je n"ai pas non plus souhaité surcharger le texte et nuire à sa lisibilité. J"ai donc essayé de garder
cette contrainte à l"esprit tout au long de la rédaction, et de relire l"ensemble du texte dans cette optique.
L"exercice n"est pas simple, et pose de nombreux problèmes d"accords et de constructions linguistiques, que
je ne prétends pas résoudre. Sur plusieurs centaines de pages, certaines occurrences peuvent bien sûr m"avoir
échappé, mais j"ai essayé, dans la mesure du possible, de faire apparaître systématiquement le féminin, par
l"usage conjoint des termes masculins et féminins (lecteurs et lectrices), des points médians (enquêté·e·s) ou
encore la féminisation des titres et fonctions.8. AnnieCollovaldet ErikNeveu,Lire le noir : enquête sur les lecteurs de récits policiers, Études et
recherches, Paris : Éditions de la Bibliothèque Publique d"Information, 2004.9. ChristineDétrezet OlivierVanhée,Les mangados : lire des mangas à l"adolescence, Études et
recherches, Paris : Éditions de la Bibliothèque Publique d"Information, 2012.10. Howard SaulBecker,Outsiders, Études de sociologie de la déviance, Paris : A.-M. Métailié, 1985.
11. Cartographie qui permet de délimiter un corpus de romans policiers de manière objective comme
" ce qu"on trouve au roman policier d"une librairie », " ce dont parlent les sites et les revues spécialisées »,
délimitation qui n"implique pas de définition normative et permet ainsi de laisser une large place à celles des
lecteurs et lectrices. 7d"entrée dans la lecture de policiers, les caractéristiques sociales et biographiques favorablesà cette lecture, puis les raisons de lire du policier, les motivations affichées par les lecteurs etlectrices. Ils s"interrogent enfin sur les enjeux sociaux et identitaires de la lecture de policierset sur le lien entre ruptures biographiques et engagement dans ces lectures. En conlusion,ils soulignent un lien fort entre l"interprétation du monde social que les lecteurs et lectricestrouvent dans la lecture de romans policiers et leur volonté de comprendre et de donnerun sens à leur propre parcours biographique, souvent marqué de tournants ou de ruptures,de nombreux lecteurs et lectrices interrogés ayant connu une ascension ou un déclassementsocial.
Quant à l"enquête plus récente menée dansLes mangados, elle s"intéresse à un public
adolescent, et prend en compte les nouveaux aspects du paysage culturel liés à la générali-
sation du numérique et d"internet, avec notamment le brouillage des frontières entre écrit, audio et visuel, et de l"adéquation entre une pratique et un support12. Ainsi, à côté d"un
secteur éditorial en expansion, se développent de nouvelles approches du manga, avec unelecture via internet de tomes numérisés ou d"épisodes inédits sous-titrés par la communauté
des amateurs français. Après un état des lieux de l"offre éditoriale française, Christine Détrez
et Olivier Vanhée montrent comment le manga s"inscrit dans la culture et le rythme de viedes adolescent·e·s, devenant par son aspect pratique une lecture intersticielle, tout en étant
au centre d"une constellation d"intérêts culturels, de pratiques amateurs et de sociabilités. Ils
analysent ensuite les appropriations concrètes que leurs enquêté·e·s font des mangas, entre
construction identitaire, gestion de leur expérience personnelle, apprentissage et assignation de genre. Enfin, comme dansLire le noir, se pose la question de la légitimité d"un genre en quête de reconnaissance, soumis aux stratégies et aux critères de distinction des jeunes lecteurs et lectrices. En définitive, le succès actuel des mangas parmi les jeunes lecteurs etlectrices semble lié à l"encastrement parfait du genre dans les temporalités et centres d"inté-
rêts adolescents. Ils leur permettent de se distinguer des adultes, mais aussi des plus petits.Le manga joue ainsi un véritable rôle identitaire chez les adolescent·e·s qui les lisent.
Tout comme ces deux enquêtes, le présent travail place les lecteurs et lectrices au centre de ses interrogations. La science-fiction et la fantasy ne sont ainsi pas saisies à travers une12. OlivierDonnat,Les pratiques culturelles des Français à l"ère numérique, Paris : La Découverte /
Ministère de la culture et de la communication, 2009. 8définition normative, à travers la vision de leurs producteurs ou de théoriciens, mais par laparole de celles et ceux qui les côtoient, qu"ils soient amateurs occasionnels ou lecteurs etlectrices assidus. Cette recherche se distingue donc d"une troisième étude antérieure, celled"Anita Torres dansScience-fiction française : auteurs et amateurs d"un genre littéraire13.
Dans cet ouvrage tiré de sa thèse, la sociologue s"intéresse au " milieu » de la science-fiction
française, à ses conditions de production et de diffusion, en interrogeant auteurs et promo-teurs du genre. Elle retrace ainsi l"histoire de la science-fiction en France, présente les débats
que suscitent la question de sa définition face à des formes et des sujets pluriels, analyse l"évo-
lution et les aléas du succès du genre dans l"hexagone. Elle présente les principales tendances
éditoriales et les conceptions du genre auxquelles elles correspondent, en distinguant troispôles : un pôle " orthodoxe puriste », qui défend les récits centrés sur la science, rejette le
mélange des genres (notamment avec la fantasy) et les normes extérieures (notamment cellesde la littérature générale, deux pôles " hétérodoxes » présentant une définition plus large et
flexible du genre, l"un littéraire, l"autre commercial. L"étude d"Anita Torres est donc utile pour étudier la constitution de l"offre éditorialefrançaise et la progressive légitimation du genre au travers des acteurs qui l"ont encouragée,
mais la place qu"elle accorde aux lecteurs et lectrices, et à leurs appropriations, n"est de notre
point de vue pas satisfaisante : si un bref chapitre est effectivement consacré au lectorat,à travers une synthèse des données quantitatives disponibles, l"ouvrage reste centré sur la
production du genre. De plus, la place de la fantasy, genre connexe, tantôt intégré, tantôt
exclu de la science-fiction, n"est guère abordée. Or, ce genre a connu un développement consi-
dérable au sein de l"offre éditoriale française depuis les années 1990, d"où l"apparition de la
catégorie éditoriale des " littératures de l"imaginaire »14, qui regroupe science-fiction au sens
strict, fantasy et une partie du fantastique. Vu les liens étroits qu"entretiennent actuellementscience-fiction au sens strict et fantasy, il nous paraît donc indispensable d"intégrer l"ensemble
des littératures de l"imaginaire à cette enquête. Cette recherche a ainsi cherché à saisir les
13. AnitaTorres,La science-fiction française, Auteurs et amateurs d"un genre littéraire, Logiques sociales,
Paris : L"Harmattan, 1997.
14. Bien qu"il s"agisse d"une catégorie éditoriale, avec tous les enjeux que cela suppose au niveau économique
et symbolique, et non d"un terme sociologique ou académique, il permet de décrire un ensemble de productions
sans trancher sur la question, d"ordre littéraire, de la définition du genre. Nous l"emploierons ainsi dans ce
travail, tout en gardant ces limites à l"esprit, pour désigner cet ensemble de productions, rassemblant science-
fiction au sens strict et fantasy. Pour des raisons de lisibilité, les guillemets ici présents ne seront pas repris
systématiquement. 9littératures de l"imaginaire telles qu"elles sont lues par les lecteurs et lectrices, c"est-à-direà considérer la réception de l"ensemble des titres lus, qu"il s"agisse de science-fiction ou defantasy, de titres français ou étrangers.
L"enquête menée par Sandra Rocquet dans sa thèse de doctorat15est plus proche de
nos préoccupations, puisqu"elle s"est intéressée spécifiquement au lectorat de science-fiction.
Après un retour sur l"histoire du genre, ses définitions et son fonctionnement éditorial en France, l"essentiel du propos est consacré aux lecteurs et lectrices. Elle en dresse le portraitsociologique à partir d"une étude quantitative par questionnaire, puis, à travers des entretiens
complémentaires, elle se penche sur leurs motivations de lecture et leurs univers de représen-tations. Elle réalise ainsi une typologie du lectorat, basée sur ses pratiques et ses rapports à
l"imaginaire, distinguant lecteurs et lectrices " ordinaires », " avertis » et " experts », selon
leur investissement et leur connaissance du genre. Parallèlement, elle observe deux postureslectorales concurrentes : l"une non-exclusive, ouverte à d"autres genres et à d"autres supports,
l"autre plus centrée sur la science-fiction écrite et oeuvrant souvent en vue de sa reconnais-sance. Ce travail apporte indéniablement des éléments intéressants à l"étude du lectorat de
littératures de l"imaginaire, mais il est nécessaire de l"actualiser et de le compléter, étant
donné qu"il date de 1999 et ne prend donc pas en compte la fantasy ni les transformations éditoriales impliquées par son essor récent. Dans une enquête plus ancienne sur la littérature fantastique contemporaine16, Fabienne
Soldini confronte l"étude de la production des romans d"horreur à celle de leur réception. En
s"appuyant sur des entretiens réalisés avec des producteurs du genre, elle présente son émer-
gence et son développement en France à travers une analyse de l"offre éditoriale. Elle inscrit
l"importation de cette littérature venue d"Amérique dans l"hexagone dans un contexte d"in- ternationalisation du champ éditorial. Elle décrit une polarisation de la production, opposantles collections centrées sur l"horreur (corporel) et celles qui privilégient l"angoisse (spirituel),
pôles correspondant à différents degrés de légitimité littéraire. À partir d"entretiens avec des
lecteurs et lectrices d"âges et caractéristiques sociales variées, elle analyse la réception et les
usages du genre par son public, en s"attardant notamment sur la notion de peur, caractéris-15. SandraRocquet, " Un regard sociologique sur la science-fiction et ses amateurs », Thèse de doctorat
en sociologie, Université Paris-Sorbonne, 1999.16. FabienneSoldini,Lire de l"horreur : étude sociologique de la littérature fantastique contemporaine,
Paris : Observatoire France-loisir de la lecture, 1999. 10tique du genre. Elle fait ainsi le lien entre le succès grandissant de ces récits et les " peurssociales » qu"ils mettent en scène.
Ces trois enquêtes sociologiques, malgré leur intérêt, nécessitent d"être actualisées. Presque
vingt ans plus tard, nous avons affaire à une nouvelle génération de lecteurs et lectrices. On ne
peut pas non plus faire l"impasse sur les mutations des pratiques et appropriations culturellesapparues depuis le début des années 2000, avec la généralisation d"internet et du numérique
17. Ces questions sont en revanche omniprésentes dans la thèse de David Peyron, consacrée à la " culture geek »18, c"est-à-dire à un vaste ensemble de pratiques culturelles autour des
littératures de l"imaginaire, mais aussi des jeux vidéos, de l"informatique et des sciencesen général. Les " geek » qu"il étudie correspondent à une frange spécifique de notre propre
population d"enquête, à savoir des lecteurs et lectrices, souvent de formation scientifique, dont
l"investissement dans le genre et dans les pratiques culturelles afférentes est important. Mais tous les " geeks » ne sont pas lecteurs ou lectrices de science-fiction et fantasy, et tous leslecteurs et lectrices de science-fiction et fantasy ne sont pas geeks. Si cette enquête présente
ainsi des similitudes avec le présent travail, elle ne porte pas sur le lectorat à proprement parler.Le lectorat de science-fiction et fantasy
Le lectorat de science-fiction et fantasy fait l"objet de nombreux discours, parfois stéréoty-pés, de la part de différents acteurs (éditeurs, journalistes, et même universitaires), discours
qui s"appuient plus sur des observations partielles et des impressions que sur des études empi- riques probantes. Alexandre Hougron par exemple, dont l"ouvrage ne présente aucune enquête de terrain, affirme pourtant : " un nombre étendu de " science-fictionomaniaques » que nousavons pu côtoyer nous ont paru présenter les caractéristiques suivantes : il s"agissait dans leur
majorité d"hommes et plus spécifiquement, de jeunes hommes, tous relativement immatures, et pour certains, peu doués et mal à l"aise dans toute forme de communication » 19.En réalité, les données quantitatives sur le public de science-fiction et fantasy sont rares,
souvent datées, et portent sur des échantillons rarement représentatifs de la population fran-
17.Donnat,Les pratiques culturelles des Français à l"ère numérique, op. cit.
18. DavidPeyron,Culture geek, Limoges : Fyp Éditions, 2013.
19.Hougron,Science-fiction et société, op. cit., p. 264.
11çaise. On rejoint ainsi les remarques de Vincent Berry, à propos de l"absence d"études sur lepublic de jeux vidéo : " Conséquence de cet angle aveugle, la (re)production de stéréotypesconcernant la population des joueurs est amplifiée : la figure du jeune adulte ou de l"adoles-cent " accroc », profondément investi dans le jeu au point d"en oublier le monde " réel »,déscolarisé, désocialisé... devient la figure dominante dans les médias mais aussi parfois dansle débat scientifique. Par une description détaillée des pratiques et des habitants de mondesnumériques, il s"agit de mettre à mal certaines prénotions »[21]20. De la même manière, la
présente recherche vise à décrire les pratiques et les appropriations des lecteurs et lectrices,
afin de dépasser les stéréotypes et les paniques médiatiques qu"ils suscitent parfois. En effet,
celles-ci se concentrent sur des cas d"addiction spécifiques, loin de la richesse des réceptions
observées dans notre enquête. Comme le souligne Anne Besson, à propos des jeux vidéos également, " C"est parce que tout le monde joue que certains jouent trop, c"est parce que l"emprise des environnements fictionnels est massive que certains perdent la maîtrise de leurs frontières avec le réel » 21.D"un point de vue quantitatif, plusieurs études des années 1980-1990 se sont intéressées au public de science-fiction. Si elles s"accordent généralement pour décrire un public dans
l"ensemble jeune et masculin, le profil socio-professionnel des amateurs varie selon l"échantillon
d"enquête et la définition du genre retenue. Dans un article de 1985, basé une une enquête
menée en 1982 auprès d"un échantillon représentatif de la population montpelliéraine âgée de
20 ans et plus, Jean-Bruno Renard dresse le portrait des personnes ayant déclaré "s"intéresser
à la science-fiction » : " En résumé, le profil sociologique type de l"amateur de SF semble être
le suivant : c"est un homme ou une femme - si c"est un homme, son intérêt pour la SF va souvent jusqu"à la passion -, [âgé de 20 à 29 ans]22, appartenant à la classe moyenne mais
ayant un niveau d"étude élevé (bac ou plus), cherchant à acquérir des connaissances dans de
nombreux domaines, exercant parfois une profession technique ou scientifique, ayant souventreçu une formation non littéraire et, de toute façon, s"intéressant fortement à la science. Il est
politiquement plutôt à gauche. Du point de vue religieux, il est incroyant ou non pratiquant.20. VincentBerry,L"expérience virtuelle : Jouer, vivre, apprendre dans un jeu vidéo, Rennes : Presses
Universitaires de Rennes, 2012.
21. AnneBesson,Constellations : Des mondes fictionnels dans l"imaginaire contemporain, Paris : CNRS,
2015, p. 11.
22. Nous corrigeons : le texte cité indique " âgé de 15 à 20 ans », mais il s"agit probablement d"une coquille,
au vu des résultats présentés précédemment dans l"article. 12Enfin, il a une forte inclination pour le paranormal et il croit non seulement à l"existencedes extra-terrestres mais souvent aussi à leurs manifestations passées ou présentes sous formed"O.V.N.I. »23.
Dans le court chapitre qu"elle consacre au lectorat de science-fiction, Anita Torres décrit également un public majoritairement jeune et masculin, plutôt issu des classes moyennes. Le profil qu"elle présente se base sur la synthèse de plusieurs études24. Ces dernières, à l"excep-
tion de celle de Jean-Bruno Renard citée ci-dessus, n"ont néanmoins pas été menées sur des
échantillons représentatifs, mais auprès de publics spécifiques : un sondage auprès des partici-
pants à la convention de Thionville (1990, n=65), une enquête auprès des lecteurs et lectrices
de la collection " Présence du Futur » (1991, n=180) et une enquête auprès des lecteurs et
lectrices de la revue américaine " Locus » (1992, n=832). Le profil des participant·e·s aux
conventions, des lecteurs et lectrices de revues spécialisées (majoritairement des personnes dont l"investissement dans le genre est important) ou d"une collection en particulier, pouvant différer de celui du lectorat dans son ensemble, il n"est pas possible d"en tirer de conclusiondéfinitive sur la composition générale du lectorat (d"autant plus que le public des conventions
n"est pas uniquement composé de lecteurs et lectrices). Sandra Rocquet observe elle aussi le caractère jeune, masculin et scientifique du lectorat de science-fiction, mais tout en le nuançant : " Le lectorat de S-F, nous le savions et nos chiffres le confirment, est d"abord un lectorat masculin, assez jeune, ayant suivi un cursusplutôt scientifique ou technique. Nous avons toutefois également relevé la présence d"autres
types de lecteurs (des femmes, des profils littéraires ou de sciences économiques et sociales)que l"on oublie parfois lorsqu"on cherche à dégager une moyenne ou des indicateurs généraux
et qui sont d"autant plus présents que l"on envisage une définition large du genre »25. Mais
l"échantillon d"enquête, qui visait à " toucher une population la plus caractéristique possible
(qui n"est pas obligatoirement la plus représentative d"un point de vue statistique) »26, pose
également problème. Un questionnaire a en effet été soumis à des lecteurs et lectrices recrutées
via des fanzines, des clubs d"amateurs, des librairies spécialisées et des magasins de jeux de23. Jean-BrunoRenard, " Le public de la science-fiction », in :Science-Fiction5 (1985), p. 138-165,
p. 163.24.Torres,La science-fiction française, op. cit., p. 158.
25.Rocquet, " Un regard sociologique sur la science-fiction et ses amateurs », op. cit., p. 340.
26. Ibid., p. 96.
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