[PDF] Alceste et Timon. La misanthropie de la réalité sociale au mythe





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Séance 4 : Acte II scène 4 : Les différents procédés du comique

Séance 4 : Acte II scène 4 : Les différents procédés du comique. Lisez la suite de la pièce : les scènes 1 à 3 de l'Acte II. ? Répondez aux questions :.



Le Misanthrope - Comédie-Française

30 mai 2007 Nous savons que Molière a commencé Le Misanthrope en 1664 quelques mois ... Dans l'acte II



Exemples de recadrage du discours direct en français. Pour une

Authier-Revuz (2003 : 86-87) considère la scène du Misanthrope qui se base sur 4.1.4 Exemple – Un autre me regarde en se disant



Le Misanthrope

Acte II. Scène I. Alceste Célimène. ALCESTE Scène IV. Alceste



LE MISANTHROPE

Acte II scène 4 : Repérez les différentes allusions au cérémonial de la cour. Comment les interprétez-vous ? Clitandre encadre la scène par deux références au 



Fiche pédagogique

Questions : Acte I. 1) À quelle comédie de Molière Alceste et Philinte se comparent- ils dans la scène d'exposition du Misanthrope ? 2) À quels problèmes 



Le Misanthrope

Acte II scène 2. Célimène



FRANÇAIS

Molière Le Misanthrope (Acte II



LE MISANTHROPE FILMÉ EN DIRECT DE LA COMÉDIE-FRANÇAISE

Pour mettre en scène la fameuse « scène des portraits » de l'Acte II scène 4



Alceste et Timon. La misanthropie de la réalité sociale au mythe

13 nov. 2020 archive for the deposit and dissemination of sci- ... 18 Voir en particulier

1

Sandrine BERREGARD (Université Marc Bloch),

"Alceste et Timon. La misanthropie de la réalité sociale au mythe"

Le Nouveau Moliériste, n° 8 : Le Misanthrope (actes d'une journée d'étude), dir. P. Thouvenin,

2007, p. 99-115

Comédien attaché un temps à la troupe de Molière, Brécourt s'empare à son tour du thème de la misanthropie en racontant l'histoire légendaire de Timon1. Celle-ci est devenue une sorte de mythe et, dès lors, le personnage est apparu comme le type même du misanthrope. Inspirée du dialogue satirique de Lucien Timon ou le misanthrope, qui lui-même

imite le Plutus d'Aristophane, la comédie de Brécourt, créée en 16842, semble surtout avoir

été conçue comme la suite ou le prolongement du Misanthrope. La légende veut même que,

comme Molière dans Le Malade imaginaire, Brécourt soit mort sur scène en interprétant sa

pièce. Mais, alors que l'auteur du Misanthrope se plaît à dépeindre la société de cour à

l'époque louis-quatorzienne, son disciple décrit un monde primitif où les dieux Jupiter, Mercure et Plutus ont pris la place d'Éliante et de Philinte. La chronologie des pièces met

donc à mal l'autorité du mythe puisque Timon, figure originelle du misanthrope, succède à

Alceste en prenant modèle sur lui. S'il a pu lire les textes de Lucien et d'Aristophane, Molière

ne semble cependant guère s'en être inspiré, tant sa pièce témoigne du regard qu'il porte sur

ses contemporains. Tout se passe donc comme si l'auteur du Misanthrope avait réinterprété le

mythe à travers les réalités sociales de son temps. Au-delà des effets d'intertextualité qui unissent les deux pièces3, nous nous proposons de les mettre en regard en examinant la manière dont les personnages, Alceste et Timon,

1 Guillaume Marcoureau, sieur de Brécourt (1638-1685) fit partie de la troupe de Molière de 1662 à 1664, avant

de rejoindre les comédiens de l'Hôtel de Bourgogne. Au sujet de sa vie et de son oeuvre, voir G. Mongrédien, Les

Grands comédiens du XVIIe siècle, Paris, Le Livre, 1927, p. 261-291 ; id. et J. Robert, Les Comédiens français

du XVIIe siècle, Paris, éd. du C.N.R.S., 1981, p. 47-48 ; G. Grente, Le XVIIe siècle, éd. révisée sous la dir. de P.

Dandrey, [Paris], Fayard, 1996, p. 145.2 Voir G. Mongrédien, Les Grands comédiens du XVIIe siècle, op. cit., p. 288. Timon, [s.n.], [s.d.]. La pièce est

republiée sous le titre Les Flatteurs trompés, ou l'ennemi des faux amis (Caen, J. Godes, 1699). Nos références

appartiennent à la seconde édition. Nous renvoyons le lecteur à notre article "Le philosophe fou dans deux

comédies du XVIIe siècle : Les Illustres fous de Beys et Timon de Brécourt", p. 31-43 dans actes du colloque Le

Philosophe sur les planches : l'image du philosophe dans le théâtre des Lumières (1680-1815), éd. par P.

Hartmann, Strasbourg, P.U.S., 2003. 3 Par exemple, le sous-titre donné à la pièce de Brécourt dans l'édition de 1699, L'Ennemi des faux amis, fait

écho au célèbre vers d'Alceste "L'ami du genre humain n'est point du tout mon fait" (I 1, v. 64).

2 expriment leur propre vision du monde. La question est donc de savoir quels sont les modes de représentation possibles de la misanthropie et quels rapports le personnage d'Alceste entretient avec la figure originelle du misanthrope, telle que Brécourt la reconstitue dans sa

pièce. Le retour aux origines devrait permettre de mieux faire apparaître la spécificité du

misanthrope moliéresque. Cette comparaison nous conduira à définir l'esthétique dans laquelle chacun des deux auteurs choisit de se placer. En effet, si les deux pièces appartiennent l'une et l'autre au genre de la comédie, et plus précisément de la comédie sérieuse, le dénouement du Timon, qui paradoxalement s'apparente plus à celui du Dom Juan

qu'à celui du Misanthrope, montre la distance qui les sépare. Les deux pièces révèlent

également les mécanismes de la comédie sociale dans laquelle les courtisans, tels de

médiocres acteurs, se dissimulent derrière des masques. La réflexion autour du thème de la

misanthropie engage donc aussi une interrogation sur le rapport du comédien à son personnage. Cette question prend un relief tout particulier lorsqu'on se rappelle que Molière, dans L'Impromptu de Versailles, met en scène Brécourt sous les traits d'un "homme de qualité".

I. De la philanthropie à la misanthropie

Les raisons qui expliquent la misanthropie d'Alceste sont très différentes de celles qui

ont conduit Timon à devenir lui-même misanthrope. Certes, dans les deux cas, la

misanthropie est le résultat d'expériences malheureuses dans la société des hommes, mais le

cheminement suivi par chacun des deux héros n'est pas du tout le même. À la différence

d'Alceste, Timon est un ancien philanthrope, que des circonstances particulières ont poussé à

se convertir à la misanthropie. Alors qu'il était encore riche, ses "amis" le courtisaient, et lui-

même, se méprenant ou s'aveuglant sur leurs motivations réelles, faisait preuve d'une générosité hors du commun. Lorsque devenu pauvre il aura besoin d'aide, les dieux seuls lui

porteront secours. Finalement couvert d'or grâce à la prodigalité de Plutus, il se vengera de ses

anciens compagnons en les chassant à coups de pierre. De Philinte qu'il était d'une certaine

manière Timon est donc devenu une sorte d'Alceste. Cependant, à la différence de Philinte, il

ignore le sens de la mesure, ce qui explique que sa misanthropie se révèle aussi radicale que le

fut jadis sa philanthropie. Tandis que chez Molière les deux attitudes sont incarnées par deux personnages distincts, chez Brécourt elles se confondent en un seul _ signe qu'elles ne sont peut-être pas aussi éloignées l'une de l'autre qu'on pourrait l'imaginer. 3 Dans l'élaboration de la fable, le Timon commence donc là où Le Misanthrope s'achève. Aussi le personnage de Brécourt radicalise la position défendue par Alceste et, plus encore,

réalise le rêve caressé par ce dernier. En effet, le "désert" dans lequel le misanthrope de

Molière menace de se retirer tout au long de la pièce4, le personnage de Brécourt s'y trouve

dès la première scène, "une bêche à la main et vêtu de haillons"5. La didascalie initiale précise

ainsi que "le théâtre est un désert, pauvre et inhabité"6. Néanmoins, dans les deux pièces, il

semble que le mot désert ne recouvre pas exactement la même réalité : alors que dans le Timon il se rapproche de l'acception moderne, dans Le Misanthrope il désigne simplement une "retraite solitaire"7. À cet espace primitif que constitue le désert s'oppose le salon de

Célimène, image d'une société régie par un ensemble de règles particulièrement complexes8.

Le lieu dans lequel l'ancien citoyen d'Athènes a trouvé refuge marque littéralement un retour à

l'état de nature. Or, pour Alceste comme pour Timon, la nature indique le chemin de la vérité,

c'est-à-dire que l'individu découvrira sa vraie nature dès qu'il se sera éloigné de toute forme de

civilisation. L'intrigue du Timon appartient également à une époque révolue, à laquelle

Philinte lui-même fait allusion lorsqu'il évoque "cette grande roideur des vertus des vieux

âges"9. L'expérience de la pauvreté, qui le prive de ses liens avec la société, est pour Timon le

moyen d'accéder à une forme de vérité : "Ce qui fait assez voir qu'en ce siècle où nous sommes, L'Or est le fard qui seul peut embellir les hommes"10. Comme le dira plus tard le personnage allégorique de la Pauvreté, elle seule est capable de préserver la vertu : "Des Vices, des Grandeurs, j'avais su le [Timon] guérir,

On va l'y replonger, ses vertus vont mourir"11.

4 Le Misanthrope, I 1, v. 144 et V 4, v. 1762-1763. 5 Timon, scène 1, p. 3. 6 Ibid., p. 3. 7 J. Dubois, R. Lagane et A. Lerond, Dictionnaire du français classique, Paris, Larousse, 1992, p. 145. Furetière

lui-même met en lumière la polysémie du mot : "désert adjectif. Qui n'est point habité ni cultivé. Désert, est

substantif dans le même sens. Désert se dit aussi d'une maison, d'une terre en désordre, qu'on a négligé

d'entretenir en bon état. On le dit en contresens d'un homme qui aimant la solitude, a fait bâtir quelque jolie

maison hors des grands chemins, et éloignée du commerce du monde, pour s'y retirer" (Le Dictionnaire

universel d'Antoine Furetière, 1re éd. 1690, Paris, Le Robert, 1978, t. I).8 La didascalie initiale indique que "la scène est à Paris, dans la maison de Célimène".9 Le Misanthrope, I 1, v. 153. 10 Timon, scène 2, p. 8. 11 Ibid., scène 4, p. 14.

4 Malgré son insatisfaction, "l'homme aux rubans verts", suivant le surnom donné à Alceste (V

4), n'est pas encore prêt à renoncer à tous les artifices de la vie en société. Le Misanthrope

laisse donc voir en filigrane le mythe originel, mais il s'agit là d'un idéal que jamais le héros

ne sera en mesure d'atteindre. Une fois que les dieux ont comblé ses attentes, Timon exprime avec une extraordinaire violence sa haine de l'humanité : "Mais seul avec mon Or, pour moi seul je veux vivre

Arrière tous ces noms d'amis et de parents,

Tous les Humains pour moi seront indifférents,

Je veux mépriser et Patrie et Royaume,

Et regarder l'honneur même comme un Fantôme.

Autant que je leur fus libéral, complaisant,

Je deviendrai cruel, barbare et violent"12.

Si, comme Timon, Alceste se distingue par son égoïsme, en revanche il ne semble pas être

particulièrement attiré par l'argent. De manière générale, les personnages du Misanthrope ne

sont pas tant mus par le désir de richesses que par le désir de reconnaissance : ainsi, Oronte

s'attend à recevoir des compliments au sujet de son poème (I 2), et Alceste cherche à obtenir

des marques d'affection de la part de sa maîtresse (II 1). En outre, la déclaration de

misanthropie qu'il fait entendre dès la première scène ("... Je ne trouve partout que lâche

flatterie, / Qu'injustice, intérêt, trahison, fourberie"13) n'est pas suivie d'effets et, lorsqu'il se

décide enfin à faire retraite, il invite la coquette Célimène à le suivre14 ! Moins liée aux

circonstances, la misanthropie d'Alceste est plus profonde, mais aussi moins violente que celle de Timon. En effet, contrairement à ce qu'il affirme parfois, le personnage de Molière accepte

de se plier à certaines règles : c'est bien à Philinte, non à Oronte, qu'il exprime son opinion au

sujet des vers composés par ce dernier15 et, à la différence de Timon, il ne refuse pas tout

contact avec ses semblables.

Proche de la mélancolie, la misanthropie est aussi une forme de dérèglement

psychologique et, comme dans le cas de Timon, son apparition peut être la conséquence d'un traumatisme. C'est ainsi que le héros de La Folie du sage de Tristan L'Hermite (1644), Ariste,

réagit à la mort (supposée) de sa fille. Le rejet qu'il manifeste à l'égard des autres est sans

12 Ibid., p. 20-21. 13 Le Misanthrope, I 1, v. 93-94. 14 Ibid., V 4, v. 1763-1764. 15 Ibid., I 2, v. 320-338. Les paroles qu'il adresse tour à tour à Oronte et à Philinte soulignent l'écart entre ce qu'il

dit et ce qu'il pense. Par la suite (v. 352, 358 et 362), ses dénégations successives montrent la part d'hypocrisie

qui entre dans son discours. 5 nuances (III 4) mais, dès que les circonstances le permettent, il se conforme à nouveau aux

règles que lui impose la société : après avoir rejeté toutes les formes d'autorité (politique,

morale, intellectuelle ...), il accepte de se soumettre au pouvoir royal (V 2). À la colère d'Alceste s'oppose la folie de Timon, à la mélancolie de l'un la mégalomanie de l'autre. Le

personnage de Brécourt refuse en effet de reconnaître la supériorité des dieux : emporté par

son enthousiasme, il s'exclame insolent "Je ne vois que mon Or, mon Or est mon idole"16.

C'est alors que Jupiter, désireux de le punir de son blasphème, le fait disparaître dans les

abîmes. Dans Le Misanthrope, et à la différence de ce qui se passe dans Dom Juan et même

dans Le Tartuffe, les dieux (ou leurs substituts) restent désespérément silencieux : nulle trace

de ce deus ex machina qui viendrait apporter à l'intrigue un dénouement satisfaisant.

Cependant, si Alceste dénonce le mécanisme d'une société fondée sur l'hypocrisie et le

mensonge, et bien que lui-même ne participe guère aux rituels de la cour, il ne lui vient pas à

l'esprit de contester l'autorité du roi. Il faut aussi reconnaître que Timon n'a pas eu la chance

de rencontrer un Philinte ou une Éliante car, comme le rappelle le titre de la pièce dans la

seconde édition, tous ses "amis" ne sont en réalité que de vains "flatteurs". L'auteur se plaît

ainsi à faire défiler des personnages plus caricaturaux les uns que les autres : le faux philosophe, le parasite17 ... Dès lors, on comprend que la misanthropie de Timon soit, plus

que le résultat d'une réflexion, une réponse à l'ingratitude des hommes et un moyen de prendre

sa revanche. La pièce de Molière est elle-même fondée sur une structure répétitive et, que les

personnages soient présents ou absents, sujets ou objets du discours, ils se succèdent sous le regard du spectateur18. Sans doute la bienveillance de Philinte explique-t-elle le comportement

d'Alceste qui, même s'il en a la tentation, ne renonce pas complètement à la société des

hommes. En outre, l'attachement qui le lie à Célimène le place face à ses propres contradictions. Brécourt introduit d'ailleurs un personnage qui s'apparente à celui-ci : Parthénice, une veuve coquette, qui elle-même joue le jeu de l'hypocrisie et à qui Timon

réservera un mauvais accueil19. La jeune femme reproche à son ancien amant de s'être éloigné

d'elle et à présent de faire preuve d'ingratitude : comble de l'hypocrisie bien sûr, puisque ces

récriminations n'ont pour but que de profiter de la fortune de Timon. L'auteur s'amuse au

passage à parodier le style tragique lorsqu'il fait dire à son héroïne : "Je perds Timon, il faut

que je perde la vie"20. Sans doute le vers doit-il être prononcé avec une certaine emphase,

celle-là même que Molière dénonce dans L'Impromptu de Versailles. Cette scène pourrait être

16 Timon, scène 9, p. 34. 17 Respectivement Philiades et Gnaton. 18 Voir, en particulier, la scène 4 de l'acte II du Misanthrope, communément appelée la "scène des portraits". 19 Timon, scène 9. 20 Ibid., p. 31.

6 rapprochée de la fameuse scène 3 de l'acte IV du Misanthrope, au cours de laquelle Alceste

adresse de vifs reproches à Célimène, mais celle-ci, à la différence de Parthénice, ne cache

pas à son amant ses véritables intentions21. Craignant d'être blessé par la découverte d'un rival,

Alceste invite même sa maîtresse à dissimuler la vérité22. Au total, les contradictions que

révèle le héros moliéresque font de lui un personnage infiniment plus complexe que Timon.

II. De la comédie de moeurs à la fable philosophique Le contexte social dans lequel Molière choisit de placer son intrigue reste en partie

étranger à la pièce de Brécourt. Dans cette comédie de moeurs qu'est Le Misanthrope, l'auteur

fait une critique en règle de la société de cour sous Louis XIV. Célimène, Oronte, les marquis

sont la parfaite incarnation de cette mondanité de laquelle le misanthrope ne saurait s'accommoder. Le salon de Célimène, dans lequel se rencontrent les personnages de la pièce, laisse deviner un autre espace social : la cour, et la ville en général, lieux qui restent définitivement inaccessibles au regard des spectateurs, mais que les contemporains de Molière reconnaîtront sans peine23. Le premier espace est en effet conçu comme une sorte de caisse de résonance du second. D'ailleurs, comme le montre le dialogue acerbe entre Célimène et

Arsinoé (III 4), ce dispositif peut avoir des effets pervers car la sincérité, toute relative, dont

elles font preuve pour une fois illustre les vertus de l'hypocrisie. Espace clos, le salon constitue aussi une sorte de refuge pour Alceste qui, par ce moyen, évite de multiplier les

contacts avec le monde extérieur. Dans la pièce de Brécourt, le désert est partagé entre deux

autres espaces, dont la portée symbolique n'est pas moins décisive : la cité, d'où s'est

volontairement exclu Timon, et les enfers, où il est appelé à disparaître. Comparée à celle de

Timon, la position d'Alceste apparaît profondément paradoxale : lui qui rejette la société se

trouve pourtant au coeur du dispositif. Le comportement des personnages tout au long du Misanthrope témoigne des moeurs du temps : les courtisans se montrent sensibles aux honneurs, aux titres honorifiques qu'ils peuvent porter comme aux signes extérieurs de richesse qu'ils peuvent exhiber, Clitandre semble avoir ses habitudes au Louvre, tandis qu'Acaste se vante d'appartenir à une famille de haute noblesse24. Désireuse de supplanter sa rivale, Arsinoé propose à Alceste de lui faire

21 Voir, en particulier, les vers 1391 à 1414. 22 Ibid., v. 1385-1390. 23 Ibid., v. 85, 89, 1056 ... 24 Ibid., II 4, v. 597-600 et 567 ; III 1, v. 783-786.

7 obtenir une "charge à la cour"25. Enfin, pour plaire aux dames, les courtisans recourent à toutes sortes d'artifices : billets doux, perruques, rubans, etc., autant de signes auxquels

Célimène est prête à répondre favorablement (II 1). Bref, la cour est, outre un espace de

sociabilité, un lieu où l'on joue et où l'hypocrisie fait partie des règles du jeu. Or, en refusant

ces règles, Alceste se prive des "titres d'honneur"26 auxquels il pourrait prétendre. "Mais on

n'a pas aussi, ajoute-t-il, perdant ces avantages, / Le chagrin de jouer de fort sots

personnages"27. Plus encore, en refusant de flatter Oronte, dont le sonnet après tout s'inscrit

dans la pure tradition de la galanterie, il enfreint une des règles fondamentales de la société et,

de ce fait, s'expose au risque de ne plus pouvoir y trouver sa place28. Philinte reconnaît à son

ami le mérite de vouloir défendre la vertu, tout en affirmant qu'une telle attitude est incompatible avec les usages de la société : "Il faut fléchir au temps sans obstination"29. Alceste a donc de l'honneur une conception qui ne s'accorde nullement aux moeurs de ses

contemporains. Comme il le répète à son interlocuteur au cours de la première scène, un

"homme d'honneur" doit toujours se montrer sincère30. Pour Philinte au contraire, comme pour Dorante dans La Critique de l'École des femmes, un homme d'honneur doit aussi pouvoir s'adapter aux circonstances. Les personnages du Misanthrope prennent donc place dans un contexte social précis, tandis que ceux du Timon apparaissent plutôt comme des types.

Néanmoins, il est une expression que Brécourt semble avoir empruntée à Molière : "le siècle

où nous sommes"31, preuve que la société dans laquelle vit Timon n'est au fond pas très

différente de celle que se plaît à dépeindre Molière. Timon, comme Alceste, a beau vouloir

renoncer à tous les artifices de la vie en société ("pompe fleurie", "faux brillants", "perruque

blonde"32 ...), il finit malgré lui par retrouver ce qui fondait déjà son identité sociale.

Conformément à la légende, Brécourt situe son intrigue dans un désert proche d'Athènes33 : une Athènes de convention ou de fantaisie certes, où seuls les noms des personnages (Gnaton, Philiades, Thais ...) rappellent au lecteur que l'histoire se déroule dans

la Grèce antique. La société que dépeint Brécourt est en réalité le reflet de la société en

général, et Timon concentre en lui tous les traits de la misanthropie. Ainsi peut s'expliquer la

présence dans la pièce de nombreuses sentences, telle cette formule prononcée par Mercure :

25 Ibid., III 2, v. 1077-1080. 26 Ibid., III 5, v. 1089-1094. 27 Ibid., IV 5, v. 1093-1094. 28 Ibid., I 2 et V 1. 29 Ibid., I 1, v. 156. 30 Ibid., v. 35-36. 31 Ibid., I 1, v. 117 et V 1, v. 1485. Timon, scène 1, p. 5. 32 Le Misanthrope, v. 415, 416 et 482. 33 Comme l'indique la didascalie initiale, "la scène est dans un désert d'Athènes" (Timon, p. 2).

8 "Quand un Homme en [de richesses] a trop, il est toujours des aides, Qui contre cet excès sont d'assurés Remèdes"34.

À l'évidence, la dimension atemporelle du mythe contribue à rapprocher les deux

personnages. Dès lors, les pièces peuvent être lues comme des oeuvres édifiantes, même si le

caractère démonstratif est plus nettement affirmé dans le Timon. Selon une certaine tradition

critique, Philinte, défenseur d'une morale fondée sur la raison, véhicule tout le sens que

Molière semble avoir voulu imprimer à sa pièce. La comédie de Brécourt, quant à elle, se

présente plutôt comme une sorte de fable philosophique car, plus encore que sa misanthropie, la cupidité de Timon est vivement condamnée par les dieux. Les derniers vers, prononcés par Mercure, délivrent ainsi le sens ultime de la pièce : "Exemple à qui ne sait user de ses trésors,

Profitez-en, bonsoir, imitez-moi je sors"35.

Les dieux se comportent comme des justiciers, d'abord en rétablissant Timon dans sa fortune

afin de le consoler de l'ingratitude de ses anciens "amis", puis en le condamnant à disparaître

dès qu'il aura fait un mauvais usage de sa fortune. D'ailleurs, les métaphores animales qui jalonnent la pièce ne sont pas sans rappeler les fables de La Fontaine, dont certaines ont pu même inspirer l'auteur : "Le rat qui s'est retiré du monde"36 est, comme Timon, une sorte

d'ermite qui le moment venu refusera de porter assistance à ses congénères. Dans la pièce de

Brécourt, Jupiter compare les hypocrites à des "corbeaux", Mercure voit en Parthénice un "dangereux gibier" qui prend au piège le chasseur lui-même, avant que Timon ne la qualifie

de "vipère" et ne compare à son tour les hypocrites à des "chiens"37. Philinte déjà avait eu

recours à de semblables métaphores, sans pour autant s'étonner du comportement de ses semblables : "Et mon esprit enfin n'est pas plus offensé De voir un homme fourbe, injuste, intéressé,

Que de voir des vautours affamés de carnage,

Des singes malfaisants, et des loups pleins de rage"38,

34 Ibid., scène 4, p. 16. 35 Ibid., scène dernière, p. 35. 36 Fables, livre 7, III, éd. de J.-P. Collinet, Paris, Gallimard (Poésie), 1974, t. I, p. 219-220. 37 Timon, scène 2, p. 7 ; scène 9, p. 31, 33 et 34. 38 Le Misanthrope, I 1, v. 174-178.

9 paroles auxquelles Alceste répond un peu plus tard en disant : "Puisque entre humains ainsi vous vivez en vrais loups, / Traîtres, vous ne m'aurez de ma vie avec vous"39. Il convient, par ailleurs, de s'interroger sur le sens à donner au dénouement de chacune des deux pièces. Timon renonce non seulement à la société des hommes, mais aussi au commerce avec les dieux. La disparition du personnage se veut donc particulièrement spectaculaire, à l'image de celle de Dom Juan qui, comme Timon, rejette toutes les formes

d'autorité. À l'évidence, Brécourt a calqué son dénouement sur celui de Molière, comme en

témoigne la dernière phrase de sa pièce ("La montagne d'Or et Timon abîment ensemble"40),

qui rappelle la description finale du Dom Juan ("Le tonnerre tombe avec un grand bruit et de

grands éclairs sur Dom Juan ; la terre s'ouvre et l'abîme ; et il sort de grands feux de l'endroit

où il est tombé"). Alceste lui-même menace de quitter ce monde-ci pour rejoindre un autrequotesdbs_dbs47.pdfusesText_47
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