[PDF] Jules Renard moraliste et en particulier sur le

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Jules Renard, moraliste

Abstract of Thesis

Author: STAROSTA, Irène

Title of Thesis: Jules Renard, moraliste

Department: French Language and Literature

Degree: Ph.D.

Notre thèse aborde l'oeuvre de Jules Renard dans une pers pective nouvelle. Si notre auteur n'est nullement un moraliste d'intention, il est, par son caractère et par sa formation, un moraliste de tempérament et de vocation. Dans la première partie, nous examinons les influences qui ont marqué l'écrivain et ont développé en lui le penchant mo raliste. En étudiant quelques épisodes clefs de la vie de Jules Renard, nous montrons comment ce dernier manifeste son "humeur" de moraliste. La seconde partie traite de la morale de Jules Renard dans son oeuvre, et l'expression qu'il lui donne. A ses préoccupa tions personnelles s'ajoute le désir, sinon de résoudre t du moins de poser et de discuter certains problèmes d'ordre éthique et social. De plus, sa morale répond à un souci d'ordre esthé tique. C'est une manière d'écrire qu'il a choisie et qui lui convient. La conclusion précise le jugement auquel nous avons abouti sur Jules Renard, et en particulier sur le Journal, pièce maî tresse qui s'inscrit dans la ligne des grandes oeuvres mora listes de la littérature française moderne.

JULES RENARD, MORALISTE

by

Starosta

'/J( t!:es is submitted to the Facu1ty of Graduate Studies and Research,

McGi1l University,

in partial fulf.i1ment of the requirements for. the degree of

Doctor of Philosophy

Department of French Language

and Literature @ Irène Starosta 1973

March 1972

TABLE DES MATIERES

Page AVANT-PROPOS .......................................... 1

PREMIERE PARTIE

A. Formation morale

Chapitre l -Milieu familial................... 6

Chapitre II -Milieu social et littéraire •••••• 23

B. Expériences morales

Chapitre l -Le Mariage et la paternité •••••••• 45

Chapitre II -"Renard et le c1erg6 •••••••••••••• 70

Chapitre III -Les Amis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 90

Chapitre IV -Renard, homme de lettres et

"petit engagé" ••••••••••.••••••••

127

DEUXIEME PARTIE

Chapitre l -La Vie intérieure ••••••••••••••••• 165

Chapitre II -Le Peintre de moeurs et de

caractère .••••••.••••••....•.•... 198

Chapitre III -La "Manière" du moraliste ••••••• 259

CONCLUSION ••••••••••••••••••

•••••• 287

BIBLIOGRAPHIE ••.•.•••••••••••••••

• 301

AVANT-PROPOS

L'intérêt que nous portons à Jules Renard date de notre lecture du Journal, son oeuvre la plus vivante et la plus sincère, qui, enfin, est en train de le rendre populaire. Ce Journal, miroir fidèle de la société de la seconde moitié du XIXe siècle, est un document psychologique de grande valeur. Rien de plus irritant, et, en même temps, de plus passionnant que sa lecture. Il fourmille en réflexions morales, quelquefois plaisantes, mais le plus souvent dures et cruelles, traduisant une détresse morale que l'humour et l'esprit n'ar- rivent pas toujours à masquer. L'étude de l'oeuvre entier de Renard a confirmé le jugement sur l'homme, que nous avions formulé dès un premier contact avec le Journal. Renard est un moraliste attentif et désabusé: un homme au caractère difficile, d'une sensibilité aiguë, qui, au contact de certaines influences familiales et à travers des expériences personnelles, s'est appliqué à s'observer et à observer autrui. ce- pendant, n'a pas de "morale" dans le sens traditionnel du mot, il n'a que des opinions, parfois même décousues et contradic- toires. A travers la vie et l'oeuvre, nous apprenons à mieux - 2 - connattre, comprendre et respecter un nouveau visage de

Jules Renard.

Nous allons à la rencontre d'une oeuvre et d'un écrivain, et loin de supprimer l'auteur, comme le voudrait une certaine critique d'aujourd'pui, nous ne pouvons l'en détacher. A vivre, Renard a dépensé une grande énergie et il s'est imposé des exigences très strictes qui ont eu des consé- quences certaines sur l'oeuvre. La première partie de notre thèse étudie certaines expériences de Jules Renard. Nous insistons sur ses humeurs, son envie, sa cruauté, ses petites- ses et sa timidité, en montrant qu'elles sont les conséquences d'un héritage maternel et d'une enfance malheureuse. Son caractère le rend pessimiste sur la nature humaine. Son égo- tisme maladif fait que sans cesse il s'interroge, se plaint et accuse une société dans laquelle son ame sensible eut tant à souffrir. Il est constamment enclin à l'observation et au plaisir de l'analyse. Pourtant, son intention n'est pas, dans ses livres, de faire de la morale ou de soutenir des thèses: mais malgré. lui son tempérament de moraliste prend le dessus, et il lui arrive même, parfois, de donner des leçons. Renard n'est pas un moraliste dont les idées reposent - 3 - comme chez Montaigne, sur la culture ou, comme chez les mora listes des dix-sept et dix-huitième siècles, sur la vie de société et de salon.

Ce nlest pas un grand érudit,

et il nlaime pas assez la société pour en faire llétoffe de ses réflexions.

Sa morale est issue de son caractère

maussade et aigri, comme aussi de ses qualités que lion trouve dans la ligne de conduite qui il a suivie, et qui est caractérisée par des valeurs comme llamour de la vérité, de la justice et la religion du travail.

Ainsi cette section

de notre étude trouve sa justification.

Elle constitue

le sup port des chapitres suivants.

Dans la deuxième

partie de notre thèse, nous nous proposons dlétudier ce qulest la morale de Renard dans son oeuvre, et llexpression qui il lui donne.

Il aborde dans ses

écrits certaines

questions fondamentales de la vie auxquelles est liée la morale, en tant quiétude de moeurs et de caractère, et la morale, expression des devoirs.

Il est bien évident

que dl autres' moralistes, et il y en a toujours eu beaucoup, ont exprimé les mêmes idées avant Renard.

Le danger existe donc

de répéter des vérités connues depuis longtemps. "Tout est dit et lion vient trop tard depuis plus de sept mille ans qulil - 4 - 1 Y a des hommes et qui pensent ll , avait remarqué

La Bruyère.

Aussi le style assume-t-il une importance primordiale. Quand il s'agit de la forme,

Renard

est un Maitre incontesté. Dans ses portraits, aphorismes, conseils, recettes, tableaux, jus- qùe dans ses boutades, on relève les goüts de clarté et de précision classiques qui régnaient dans les salons de l'age classique ont fleuri maximes et pensées. Dans un chapitre sur la vie intérieure, nous nous fondons, en particulier, sur le Journal de Renard, document unique par les qualités d'esprit et d'art qu'il accuse. 00- minant tout l'oeuvre de l'écrivain, nous croyons que c'est là son grand livre. Nous tachons de ne pas négliger pour autant le reste de ses écrits, notamment dans le chapitre sur la peinture de moeurs et de caractère.

Et nous·

terminons cette

étude

en montrant que la morale, chez

Renard,

est aussi et surtout une forme littéraire.

1. La. Bruyère

IIDes ouvrages de l' esprit

Il , Les Caractères

(Paris:

Garnier,

1962),

p.67. ...J ...

PREMIERE PARTIE

A. FORMATION MORALE DE JULES RENARD

l

Chapitre l -Milieu familial

Rien n'est mystérieux comme

ces sourdes préparations qui attendent l'homme au seuil de toute vie. Tout est joué avant que nous ayons douze ans 2 •

L'enfance est le tout d'une vie,

nous en donne la clef • Les années d'enfance d'un écrivain éclairent l'oeuvre d'une manière souvent révélatrice. La vie de famille que Renard a connue, et dont il s'est inspiré pour écrire quelques-uns de ses ouvrages/ne lui a rappelé le plus souvent que des souvenirs douloureux. Pourtant, la sensation du malheur est beaucoup moins liée à des faits, qu'à une atmosphère qu'il faut évoquer sans trop s'attendrir.

1. Notre intention n'est pas de présenter dans cette première

partie une biographie complète de Renard. Nous nous pro posons seulement d'examiner son milieu familial et social et d'étudier les influences qu'il a subies, afin de mieux faire saisir son et sa personnalité.

2. Charles péguy, Pensées (Paris: Gallimard, 1934), p. 49.

3. François Mauriac, Mémoires intérieurs (Paris: Flammarion,

1966), p.10.

- 7 - Au lendemain de la mort de François Renard, son fils Jules envoyait à Tristan Bernard un billet lui annonçant la nouvelle: "Désespérant de guérir, mon pàre Si est tué hier dlun coup de fusil au coeur. Je vous assure que je suis plein 1 de respect et dl admiration pour sa mort". Que ce soit pour la façon dont François Renard a mis fin. à ses jours 2, ou pour celle dont il a vécu, Jules Renard a toujours manifesté res- pect et admiration pour son pàre qulil dépeint comme un homme rude, distant, farouche, fervent de chasse et de pêche. En- trepreneur de travaux publics, François Renard, apràs les déplacements dus au hasard des adjudications, se retira défi- nitivement à Chitry-les-Mines, son village natal, dont il devint maire avant son fils. A Chitry il mena la vie dlun bourgeois rural, épris de justice idéale, républicain de con- viction et anti-clérical. Ce pàre, Renard le fera revivre sous les traits de M. Lepic:

1. Jules Renard, Correspondance (Paris: Flammarion, 1954),

p.177, 20 juin 1897.

2. "Que de gens ont voulu se suicider, et se sont contentés

de déchirer leur photographie!" Jules Renard, Journal

Bibliothàque de la Pléiade, 1965), p.17.

"Cette mort ajoute à mon orgueil." p.4l9. r. -.-J •.• - 8 -

Mon père qui était entrepreneur de travaux

publics a eu maintes fois l'occasion de voler. Bien qu'il en ait eu la tentation, que mille motifs soient venus à son aide, il n'a jamais pu voler. En morale la vo lonté est impuissante l•

Il exigeait des autres une droiture absolue,

n'admettant aucune faiblesse, offrant aux mensonges indispensables aussi peu de prise qu'un rocher à pic à des ongles d'enfant.

Il allait à la justice par le plus court,

aussi par le plus étroit

2•

• • • • • • • • • • • • • D • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •

Chitry a gardé le souvenir de mon père, qui

n'allait pas à la __ mais qui avait une haute idée de la justice et de ses devoirs d'honnête homme3• Cette esquisse morale de François Renard révèle éga- lement le fils, qui a témoigné, lui aussi, de son vif amour de justice et de son inépuisable générosité envers les humbles. Les sentiments de droiture et d'honnêteté, Renard les a probable- ment hérités de son père. Leurs rapports n'ont jamais été très affectueux, mais la brusquerie et la dureté du père masquaient surtout une grande timidité. !ILes mots filial et paternel ne

1. Renard, Journal, p. 27.

2. Jules Renard, Les Cloportes dans Oeuvres (Paris: Gallimard,

Bibliothèque de la Pléiade, 1970), l, 100-102.

3. Jules Renard, Mots d'écrit dans Oeuvres complètes (Paris:

Bernouard, 1927), XVI, 318.

- 9 - signifiaient rien entre nous. Un mélange d'estime, diéton nement et de crainte, voilà ce qui nous re1iait,,1. Entre les deux êtres existait une sorte d'entente tacite, de ten- dresse contenue, quasi cachée. "Un rocher a de la mousse. Mon père n'avait pas de tendresse visib1e,,2, écrit l'auteur qui ajoute ce commentaire admirable: "Mon père et moi, nous ne nous aimions point par le dehors, nous ne tenions pas l'un à l'autre par nos branches: nous nous aimions par nos racines souterraines,,3. Lors d'une visite de Léon Guichard à Léon Blum, ce dernier rappelle les liens qui unissaient. Jules à François Renard: "Entre Jules Renard et s';)n père, il y avait urIe identité de nature qui rendait toute communication inutile. Ils se comprenaient en silence,,4. Après la mort de son père, Jules Renard se reprochera de ne pas l'avoir assez aimé. "J'ai des remords de ne l'avoir pas aimé comme je devais ..

5•

1. Renard, Journal, p. 406.

2. Ibid., p. 427.

3. Ibid., p. 431.

4. Léon Guichard, "Comment ils virent Jules Renard", Dans la

vigne de Jules Renard (Paris: Presses Universitaires de

France, 1966), p. 256.

5. Renard, Journal, p. 771.

-10 -

Sa famille était l'une des plus anciennes

de Chitry, et il est important de souligner cette ascendance terrienne de Jules Renard qui se sentait, en son fond, IIplutôt paysanll.

IIFils d'un paysan de mon village qui poussait

la charrue, j'ai encore de la terre aux racines .. l•

C'est par des racines pro-

fondes qu'il a pu comprendre les paysans et pénétrer dans leur vie. Son grand-père,

Etienne,

avait été lIun patriarche d'utile conseil, consulté parce qu'il était bon, écouté parce qu'il 2

était honnête

et pauvre ll • Selon Henri Bachelin, notre auteur avait hérité de ce grand-père la rectitude de jugement et la volonté d'être un homme de bien. Si Châlons-sur-Mayenne avait vu na1tre Jules Renard le 22 février 1864, c'est Chitry-les-

Mines qui le nourrit

et le forma. Renard se veut lIenfant par le coeur de Chitry-les-Mines car c'est le pays de mon père, qui fut un sage regretté"

3•

Le manque

d'amour dont il souffrit pendant son en-

1. Renard, Journal,

p. 1259.

2. Cité par Henri Bachelin

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