[PDF] Fan culture: résistance et mémétique sur les médias sociaux





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Fan culture: résistance et mémétique sur les médias sociaux

31 jan. 2019 d'apprendre du savoir-faire des autres et contribue par là au ... narration





1 Entre référence artistique et « incitation » : un milieu pour

particulier d'enseignement où il est impératif de faire faire pour faire de narration ou de communication » (BO. ... Marseille 9-12 janvier 2013.



1 Entre référence artistique et « incitation » : un milieu pour

Cette façon de faire permet d'une part d'allier la structure du cours et l'intentionnalité didactique du professeur et d'autre part



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5 août 2014 3.5 Change of Narration. ... Applied Mathematics Math-113 by Nasir -ud-Din Mahmood



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27 sept. 2022 The AIG Story Maurice R. Greenberg 2013-01-09 Selected as one of ... engineering math to hard measurements reflected in various engine parts ...



Délivré par l"Université Montpellier III - Paul Valéry

Préparée au sein de l"école doctorale 58

Et de l"unité de recherche EMMA,

Études Montpelliéraines du Monde Anglophone

Spécialité : Études du Monde Anglophone

Présentée par Morgane Brucelle

FAN CULTURE : RÉSISTANCE ET

MÉMÉTIQUE SUR LES MÉDIAS SOCIAUX

Soutenue le 24 novembre 2018 devant le jury composé de Mme Delphine Letort, Professeure, Université du MansRapporteur M. Xavier Lemoine, Maître de Conférences, Université

Paris-Est Marne-la-ValléeRapporteur

Mme Monica Michlin, Professeure, Université Paul-Valéry

Montpellier 3 Présidente

du jury M. Claude Chastagner, Professeur, Université Paul-Valéry

Montpellier 3 Directeur

Remerciements

Je souhaite tout d'abord remercier chaleureusement mon directeur de recherche, monsieur

Claude Chastagner, pour sa disponibilité, sa patience et sa bienveillance, et tout particulièrement

pour avoir continuellement légitimé mes choix théoriques et méthodologiques par son enthousiasme

et ses encouragements. Je tiens également à remercier les membres de l'équipe EMMA pour leurs précieux conseils et leur assistance, notamment pour garder le cap sur la houle administrative.

Ma gratitude va également à toutes celles et ceux qui, sciemment ou à leur insu, et à travers

leurs conversations, m'ont apporté de nouvelles perspectives et m'ont permis de mettre en ordre mes

idées ainsi que d'enrichir mon raisonnement.

Je n'oublie bien sûr pas les fans internautes, qui représentent bien plus qu'un sujet d'étude. Je

les remercie pour leur passion, leur créativité et leur humour, ainsi que pour leur détermination à

contester les contenus culturels et à améliorer les représentations. Mes remerciements ne vont pas à Netflix, Tumblr et Twitter, qui m'ont fait perdre beaucoup de temps, pas plus qu'ils ne vont à mes proches, sources intarissables de divertissement et générateurs d'improductivité. 3

Tables des matières

Introduction

9

Fans et subcultures 11

Fandoms : communautarisme et politisation 13

La culture de convergence 17

Polysémie des textes et résistances sémantiques 20 L'ancrage américain et ses limites 24

L'apport mémique 27

Chapitre 1 Médias sociaux : quels espaces pour les fans 33

1) Écrire la fiction légalement : le cas de la fanfiction 36

2) Le " hashtag », clé de voûte des médias sociaux 49

3) Écrire SwanQueen à coups de hashtags 52

4) Interagir avec Hollywood 56

5) Le rôle du visuel dans le fan art 64

6) Les codes visuels de la production télévisuelle américaine 69

7) Vers une interaction créative entre fans et producteurs ? 74

Chapitre 2 " LGBT Fans Deserve Better » : la contre-offensive des fans 83

1) La singularité narrative de The 100 83

2) " Bury Your Gays » : une convention narrative toxique 85

3) La blogosphère face à ses antagonistes : scepticisme, méfiance et suffisance 93

4) De la community au fanbase : le cas d'une synchronisation socio-politique 103

5) Le " queerbaiting » dans les démarches promotionnelles 114

6) Émotions fictives ou réalité de la fiction : fans illégitimes ou lecteurs sensibles ? 120

7) LGBT Fans Deserve Better : les fans passent à l'action 134

8) " The fans don't get to steer the ship » 143

Chapitre 3 De l'intersectionnalité dans la fan culture 147

1) Conceptualiser l'identité 152

2) Stéréotypes et pouvoir 158

3) Conceptualiser la " race » 165

4) Les producteurs de sens et la pratique du " whitewashing » 170

5

5) Le " blanchissement » de la communauté latina-américaine 180

6) De la nécessité d'un cadre intersectionnel 187

Chapitre 4 Un regard mémique sur la production culturelle 199

1) La théorie mémique 202

a) Le mème, " réplicateur » et unité de sélection de l'évolution culturelle 202

b) Le " réplicateur » égoïste 205 c) L'algorithme universel de Dennett 207 d) La transmission mémique : deux modèles 209 e) Problème de définition de la taille du mème 213

2) Blackmore et l'imitation 214

3) Aunger et le mentalisme 218

4) Le super-organisme selon Bloom 224

5) Adaptations narratives et mémiques 230

6) Subvertir un trope narratif par une adaptation mémique 233

7) Un super-organisme défavorable à l'amélioration des représentations 241

Chapitre 5 Changer le code pour changer l'histoire 251

1) Le code mémique 255

2) Le super-organisme du fandom : le cas des " ship » " slash » fanoniques 267

3) La mémétique sort du laboratoire 274

4) Le " mème Internet » : quelle(s) qualité(s) dans une (dé)programmation mémique ? 281

5) " It Gets Better » : succès de programmation mémique 283

6) Déprogrammer pour résister : l'art de rallier par le mème 289

Conclusion 293

Vers une évolution culturelle dirigée 297

Bibliographie 303

Index 355

6

Introduction

I think Mr. Edgar Allan Poe has a lot to say to us because he invented simultaneously two new techniques of communication that were previously unknown in literature, or almost unknown-the symbolist poem and the detective story. Now, the very peculiar property of these two forms is that the audience is expected to be co-author, co-creator. You are not given a completely processed package, you are not given an object ready for a quick and easy consumption. You are given a series of clues, and a series of parts with instructions, hints, and suggestions and the general over-all instruction, " Do it yourself. » (...)The electronic revolution means " do it yourself »-" you are the poet ». 1 McLuhan rédige l'article dont est extraite cette citation en 1958, soit une dizaine d'années

avant l'établissement du premier réseau informatique ancêtre d'Internet. La révolution électronique

qu'il mentionne ici réfère aux répercussions de l'évolution technique et technologique des moyens

d'impression tant sur la production que sur la réception de la littérature. Sa désormais célèbre

formule " the medium is the message »

2 traduit l'ampleur du pouvoir qu'il confère au médium, qu'il

s'agisse d'un moyen de communication conventionnel (la machine à écrire dans la citation ci- dessus) ou de tout autre artefact susceptible de permettre une instance de communication. McLuhan

prendra notamment l'exemple de l'ampoule et des systèmes d'éclairage qui, selon lui, sont à tort

exclus des écrits théoriques autour des médias et de la communication sous prétexte qu'ils ne

renferment aucun " message » (McLuhan, Understanding Media, 11). Selon McLuhan, non

seulement le médium est le message mais le contenu d'un médium donné est toujours lui-même un

autre médium : " The content of writing is speech, just as the written word is the content of print,

and print is the content of the telegraph. » (McLuhan, Understanding Media, 10).

L'électricité serait le médium ultime, celui sans lequel la révolution technologique n'aurait

pu s'amorcer, celui qui, en s'infiltrant dans l'usage alors millénaire de la technologie mécanique, a

bouleversé des sociétés entières de façon irréversible. Grâce au développement de la lumière

électrique et à l'automatisation des modes de production, puis avec l'avènement de la technologie

1McLuhan, Marshall, " Speed of Cultural Change », College Composition and Communication, Vol. 9, N° 1, février

1958, pp. 16-20, 17, JSTOR,

http://www.jstor.org/stable/354088. Accès 4 mai 2018.

2McLuhan, Marshall, Understanding Media: The Extensions of Man [document PDF], 1964, 23,

9

électrique dans la vie quotidienne, de l'électroménager à la télévision, l'électricité en tant que

médium (c'est-à-dire, prise indépendamment de ce qu'elle permet de produire) aurait suscité le

passage d'un monde fragmenté où chacun évolue à l'intérieur de limites spatio-temporelles définies

à ce que McLuhan appelle le " village planétaire » : These new media of ours (...) have made our world into a single unit. The world is now like a continually sounding drum, where everybody gets the message all the time. A princess gets married in England and boom, boom, boom go the drums and we all hear about it. An earthquake in North Africa, a Hollywood star gets drunk, away go the drums again. 3

Le village planétaire est un monde interconnecté, " tribal » parce que répondant à des règles,

des codes et des traditions communs. L'interconnexion dont il s'agit ici ne désigne toutefois pas

encore tout à fait celle que l'on connaît aujourd'hui : le tambour mcluhannesque retentit et rassemble

des individus pourtant disséminés sur la surface du globe, mais à ce stade de l'évolution

technologique, la simultanéité dans la réception d'une même information est tout ce dont l'électricité

peut être le médium. La tribu nouvellement formée devra attendre l'avènement du numérique pour

faire de la possibilité d'interaction instantanée un système de partage et de production collectif.

Les prédictions de McLuhan quant à la place de la technologie dans le développement des

pratiques d'amateurisme s'avèrent continuellement justes. Aujourd'hui, non seulement est-il possible

pour les membres du " village planétaire » de synchroniser leur visionnage d'un programme

audiovisuel, mais ils sont également en mesure, grâce aux dispositifs numériques et au soin mis

dans l'élaboration de machines mobiles individuelles, d'y réagir de manière immédiate, publique et

conjointe. Le mariage d'un membre de la famille royale britannique retient toujours l'attention des

téléspectateurs : dernièrement, celui du prince Harry avec l'actrice américaine Meghan Markle en a

rassemblé presque deux milliards dans le monde entier

4. Mais, outre les taux d'audience calculés

pour un programme donné, ce qui de nos jours assoit encore davantage la popularité d'un

événement, d'une information ou d'un contenu, c'est sa présence dans les conversations en ligne. En

l'espace d'une journée (du 19 au 20 mai 2018), le mariage du prince Harry a, par exemple, généré

plus de 6 millions de tweets

5, ce qui représente, à titre comparatif, trois fois plus que le nombre de

3Healthcarefuture, " Marshall McLuhan - The World is a Global Village (CBC TV) », YouTube, 24 mars 2009,

https://www.youtube.com/watch?v=HeDnPP6ntic. Accès 6 juillet 2018.

4" 1.9 Billion People Watched Royal Wedding: Report », The Economic Times, 20 mai 2018,

report/articleshow/64243728.cms. Accès 10 juillet 2018.

5" More Than Six Millions Tweets Shared On Royal Wedding: Monitor », Hurriyet Daily News, 20 mai 2018,

http://www.hurriyetdailynews.com/more-than-six-million-tweets-shared-on-royal-wedding-monitor-132055. Accès 10

juillet 2018. 10 tweets recensés pour le mariage de son frère aîné, six ans plus tôt6. On pourrait lire, dans ces chiffres, un intérêt globalement plus vif pour la vie du prince Harry plutôt que celle du prince William ; nous y voyons, pour notre part, l'expression de la

popularité toujours croissante de la plate-forme Twitter. Se réunir sur les médias sociaux pour

s'informer sur un fait divers, discuter un événement politique ou sportif, un concert, une pièce de

théâtre ou la sortie d'un film est devenu un automatisme ; et parmi les multiples fonctionnalités

qu'offrent les outils numériques, ce sont celles que les fans de contenus audiovisuels prêtent à ces

plate-formes dans leurs démarches de lecture et de réécriture que nous allons problématiser dans ce

travail.

Fans et subcultures

Le terme " fan », bien que de moins en moins synonyme de l'adolescent socialement inapte,

solitaire par défaut, au mental fragile et prompt à la violence, suscite encore la dérision et le dédain

d'un côté et l'embarras de l'autre. Un préjugé usé mais tenace, faussé ainsi que l'atteste le panorama

grandissant des médias sociaux disponibles sur Internet dédiés aux ouvrages de culture populaire

que les internautes alimentent quotidiennement. Loin du personnage inadapté et antipathique, et

parallèlement à la popularité croissante de la figure geek, le fan se caractérise par sa passion autant

que par son instruction, sa réflexion et sa soif de partager, et apparaît jouer un rôle majeur dans les

transformations qui s'opèrent au sein de la production culturelle actuelle.

Cette particularité du fan moderne, le fait que la majorité de ses pratiques s'effectuent par le

biais du numérique, exige la prise en considération de nouveaux paramètres dans l'observation de

son activité. La première remise en cause résultant de l'utilisation du numérique concerne le statut

du fandom, très souvent assimilé à celui de la subculture dans le métatexte de la fan culture.

Les dictionnaires proposent les définitions suivantes quant à ce que l'on devrait comprendre par subculture : " An ethnic, regional, economic, or social group exhibiting characteristic patterns of behavior sufficient to distinguish it from others within an embracing culture or society » 7. Le

sens avancé ici semble omettre un affinage sémantique décisif du terme. Si le radical " culture »

transcrit une généralité, le sens littéral du préfixe " sub » dénote " un degré inférieur de la qualité

6Richmond, Shane, " Royal Wedding Swamps Twitter, Facebook », 29 avril 2011, Telegraph,

Accès 10 juillet 2018.

7" subculture », Merriam-Webster, https://www.merriam-webster.com/dictionary/subculture.

11

exprimée »8, un placement de la notion définie non pas seulement en tant qu' " autre », mais

verbatim en tant que " moins qu'autre », en tant que " sous la culture ». Ainsi, " subculture » ne

déterminerait pas un groupe particulier dans une société en comparaison à d'autres groupes

particuliers mais une structure qui fonctionne en marge d'une culture dominante donnée et qui se caractérise par sa distanciation avec les codes de la norme souveraine. La norme ne désigne pas l'acte de se conformer à un ensemble de règles socioculturelles

transcendantes et performatives : aucun groupuscule ne se réunit dans le but de décider, dans un

élan d'unanimité toute puissante et irréfutable, de la place de chaque rouage de la gigantesque

machine sociale. La norme désigne plutôt un procédé, inatteignable en soi : celui de l'aspiration à la

conformité, de la démarche pour la conformité. Elle implique de construire et de déconstruire la

conformité par des ambitions et des projets, en jugeant, en estimant, en comparant et en

transmettant des preuves matérielles témoins d'une tranche spatio-temporelle donnée : les objets

mythiques de Roland Barthes. Avoir des standards normatifs signifient alors être capable d'impressionner, de choquer,

d'embarrasser et d'effrayer par une simple altération dans l'algorithme social : un langage familier

dans un article universitaire, des baskets sur un tapis rouge, un homme en robe, une femme à la tête

d'une entreprise multinationale, le refus de s'approprier une identité sexuelle et genrée fixe. La

norme n'existe qu'en confrontation avec un scandale acceptable, elle n'est que blasphème pondéré,

" harmonie grinçante »

9. Au-delà se trouve l'antichambre de la norme, l'intervalle où les punks, les

teds et certains individus queer choisissent ou sont forcés de prospérer : la subculture.

Dick Hebdige définit la subculture ainsi :

(...) subcultures are not privileged forms; they do not stand outside the reflexive circuitry of production and reproduction which links together, at least on a symbolic level, the separate and fragmented pieces of the social totality. Subcultures are, at least in part, representations of these representations, and elements taken from the "picture" of working-class life (and of the social whole in general) are bound to find some echo in the signifying practices of the various subcultures. 10

Hebdige insiste ici sur la dépendance qui lie une subculture à la société en marge de laquelle

elle se développe. Sans l'abondance de règles, officielles ou officieuses, constitutives d'un

environnement social normatif, pas de marge. Inversement, c'est l'épanouissement de cette vie

8" sub », Dictionnaire étymologique de la langue française, Paris, Hachette, 1912.

9Althusser, Louis, Sur la reproduction, Paris, Presse Universitaire de France, 1995, 170.

10Hebdige, Dick, Subculture: The Meaning of Style, 1979, New York, Routledge, 2001, 86.

12 adventive qui permet l'établissement d'une délimitation du normatif. Normes et subcultures coexistent et subsistent alors au moyen d'un contre-encodage réciproque.

Le concept de fandom partage certaines caractéristiques avec celui de subculture,

notamment la volonté de rendre flexible la fonction pré-établie d'un objet. La subculture récupère

les canons éthiques, moraux, esthétiques et comportementaux normatifs, et à partir du sens qu'elle

déduit de ces canons, programme un code dérivé. De la même manière, les fans modifient la forme

et le fond des textes qu'ils consomment. Ces textes seront assimilés puis disséqués, segmentés, pour

finir ré-assemblés sous divers supports et formats, porteurs d'une signification autre que celle

initialement prévue. Voilà ici ce en quoi consiste l'activité des fans et compte tenu des outils

numériques de dessin, d'assemblage et d'édition dorénavant disponibles à quiconque est mû par un

intérêt créatif, le fanart abonde. La comparaison entre ces deux notions s'arrête néanmoins ici. En effet, on ne retrouve pas

l'impossibilité de réconciliation significative de la relation qu'entretiennent normes et subcultures

dans l'interaction entre les fandoms et la sphère de production professionnelle. Les fans s'adonnent à

l'exploration d'un univers tout entier pour chaque objet culturel qui les captive et c'est au gré de

leurs découvertes, de leurs interactions et de leurs productions que s'organisent ces micro- communautés. Se distancier de la culture majoritaire, de la norme, ne constitue donc pas la motivation première à l'initiative d'un fandom. L'inclusion, en revanche, s'impose rapidement

comme un avantage collatéral d'une consommation textuelle pratiquée en collectif ; l'inclusion dans

un microcosme culturel donné, dans un fandom spécifique, dans une communauté, et enfin l'inclusion dans la structure sociale globale.

Fandoms : communautarisme et politisation

Nous indiquions plus tôt que les fans internautes constituaient notre sujet d'étude ; plus

exactement, nos observations porteront sur la faction queer de fandoms dédiés majoritairement à

des séries télévisées américaines (telles que nous les définirons plus loin). Le terme " fandom »

accepte une variabilité sémantique large et sera, par conséquent, utilisé pour désigner tout

regroupement de fans autour d'une thématique commune ; ainsi, nous dirons des fans de séries

télévisées qu'ils forment un fandom, des fans d'une série donnée qu'ils composent un autre fandom,

des fans d'un personnage de cette même série qu'ils forment à eux seuls encore un autre fandom, et

ainsi de suite. 13

Être fan d'une série télévisée implique très rarement d'approuver et de se passionner de tout

ce qui la compose. Un fan peut apprécier la série de façon générale, tout comme il peut y être tout à

fait indifférent, voire hostile ; cela importe peu. Les fans trouveront " quelque chose », une

caractéristique pour laquelle ils sont prêts à investir du temps, de la créativité et de l'argent, une

singularité qui a du sens pour eux sur un plan personnel. Il peut s'agir d'un trait de caractère ou

physique d'un personnage auquel les fans s'identifient, d'un thème exploité dans la narration, d'une

manière originale d'aborder ce thème, d'une relation amicale, familiale, amoureuse ; n'importe quel

" objet », visuel ou conceptuel, sur lequel il est possible de (se) projeter. La profusion des productions de fans sur les médias sociaux illustre la propension des fans à

passer outre ce qu'on leur propose, à creuser une problématique, à faire d'un critère en apparence

bénin le sujet d'une discussion riche de sens. Tumblr, une plate-forme de microblogage qui permet

aux utilisateurs de publier différents types de multimédia, génère quotidiennement plusieurs

centaines de ces productions sur le seul paradigme des séries télévisées. Une publication basique

(entendons celle qui demande un moindre travail de remaniement) consiste en captures d'écran d'un

épisode, en gifs d'une scène spécifique ou en texte. Les publications suscitant le plus de travail

préalable à la publication varient sous les formes de gifsets, de fanvideo, de fanfiction, de dessins ou

de bandes dessinées. Tumblr permet également de rebloguer les productions d'autres utilisateurs,

toujours en spécifiant la source, ou simplement de publier un lien direct vers ces productions sur

leur site d'hébergement original. Afin de faciliter la compréhension du lecteur pour la suite de l'analyse, entendons-nous maintenant sur cette terminologie qui demeure largement anglophone. Un gif (Graphics Interchange Format) est un format d'image numérique permettant aux fans

l'isolation d'un mouvement d'une scène. Il est silencieux, dure à peine quelques secondes et se

répète à l'infini. Un gifset est l'assemblage de plusieurs gifs dont le but consiste à fragmenter une scène dans

son intégralité ou à mettre en parallèle des éléments à l'intérieur d'une même scène, d'un même

épisode, d'une même série ou encore, d'établir un jeu d'échos intertextuels entre les composants

d'une série et ceux d'un objet culturel externe. Une fanvideo (ou fanvid) désigne une vidéo amateur d'extraits de scènes (modifiés ou conservés tels quels) d'une ou plusieurs séries, montée sur de la musique.

Enfin, fanfiction définit l'écriture littéraire de fiction à partir de personnages et d'univers déjà

existants. 14 Le fanwork (ce que nous appellerons " productions de fans » tout au long de ce travail) se

compose donc du fanart, à savoir les productions numériques que nous venons de mentionner et les

arts plastiques, visuels et musicaux nécessitant un travail préparatoire non technologique, et de ce

que nous pourrions établir comme la critique en marge du fanart. Comprenons par " critique » les

essais sur les retombées politiques, sociales et culturelles d'une production officielle, les

commentaires laissés sur les différents médias sociaux à propos du fanart ou de la production

officielle dont il est dérivé et enfin, les hashtags, incarnés par le symbole dièse et censés faciliter la

classification de milliers de travaux de fans qui existent dans le monde numérique (dont nous verrons la fonction le plus souvent détournée au profit de commentaires personnels). Bien que les détournements culturels ne représentent pas systématiquement le besoin de

corriger le texte officiel, ils constituent une démarche de réécriture. Tout fandom passe

automatiquement de " canon », qui définit la " réalité » du monde fictif dépeint par l'équipe

engagée dans la production originale (écrivains, acteurs, techniciens, etc.), à " fanon » qui réfère à

la narration de fans, aux différents récits qu'ils construisent afin de donner un sens à un personnage,

une situation ou simplement pour mettre en scène les personnages qu'ils affectionnent dans des situations inédites.

Ces réécritures illustrent la tendance des fandoms à se politiser même s'ils ne sont pas

intrinsèquement politiques. Les fans d'une série, par exemple, se réunissent avant tout autour d'un

intérêt commun et décident ou non de participer aux discussions, à partager leurs productions, à

commenter les productions d'autres fans et à organiser des rencontres ; en somme, de contribuer au

maintien d'un fandom. Ce qui déclenche une politisation à l'intérieur d'un fandom va généralement

de paire avec les valeurs injectées dans l'objet d'attention (autrement dit, l'ouvrage culturel dont il

est question) et les attentes que ces valeurs génèrent. Dans notre cas, un fandom queer n'est ni

politisé par nature, ni même exclusivement composé d'individus auto-définis queer. Au sens littéral,

queer signifie : " differing in some odd way from what is usual or normal »

11, soit l'expression du

différent, de l'étrange, de l'anormal ou du malfamé. Le dictionnaire stipule qu'au sens familier le

terme prend une dimension offensive pour désigner un individu homosexuel ; la réalité de son

emploi dans cette acception est toutefois plus complexe. Étymologiquement le terme, apparu sous sa forme " queer » dans la langue anglaise au XV e

siècle, a toujours véhiculé la notion de courbe, d'arc, d'incurvation, soit l'état d'un objet non-

rectiligne, non-aligné, non-droit

12. Notons que cette acception précède de plusieurs siècles

11" queer », Merriam-Webster, https://www.merriam-webster.com/dictionary/queer.

12Cara, " More Than Words: Queer, Part 1 (The Early Years) », Autostraddle, 9 Janvier 2013,

https://www.autostraddle.com/more-than-words-queer-part-1-the-early-years-153356/. Accès 10 mai 2018.

15

l'utilisation du terme " straight » (" droit » en français) pour qualifier une identité sexuelle13. La

première utilisation recensée de " queer » en tant que terme dérogatoire remonte au début du XX

e

siècle. On la doit à John Sholto Douglas, 9e marquis de Queensberry, dont les deux fils furent tour à

tour suspectés d'entretenir des relations homosexuelles : le premier, Francis, avec Archibald Primrose, aussi connu sous le titre de Lord Rosebery et plus tard, de Premier ministre britannique ;

le second, Alfred, avec le non moins célèbre Oscar Wilde. Après le décès de Francis, Douglas

adresse une lettre au père de sa première épouse dans laquelle il qualifie Rosebery de " snob

queer » avant d'accuser le reste desdits " snob queer » londoniens d'avoir corrompu ses deux fils

14.

" Queer » restera dérogatoire jusque dans les années 1980 au cours desquelles s'amorça un

mouvement de récupération du terme pour contrer la recrudescence d'une idéologie homophobe favorisée par la crise du SIDA alors en cours aux États-Unis 15. Queer est aujourd'hui encore un concept qui divise à l'intérieur de la communauté LGBTQ,

avec d'un côté, ceux qui considèrent l'historique sémantique du terme ainsi que le flou identitaire

dont il est porteur comme une entrave à l'établissement d'une dialectique socio-politique égalitaire

solide, et de l'autre, ceux qui apprécient les délimitations identitaires flottantes qu'il permet. Car

" queer » couvre le spectre entier de comportements non-hétéronormatifs, de l'homosexualité

" simple » à une anatomie genrée non-conformiste, en passant par l'asexualité et le refus de se

définir. On l'utilise le plus souvent pour communiquer avec le monde " extérieur », le monde

mainstream, non pas à cause d'un manque dans l'élaboration de la taxonomie queer, mais au

contraire pour clarifier les discours adressés au grand public et éviter la confusion que pourrait

occasionner un lexique queer à la sophistication exponentielle. Lesbienne, gay, bisexuel, transgenre,

transexuel, genderbending, genderqueer, pansexuel, asexuel, etc. : autant de substantifs qui peinent à trouver leur acception au-delà de la marge LGBT. Un fandom queer désigne la base de fans d'un personnage ou d'une relation queer dans le texte canonique ou dans l'imaginaire " fanonique ». Ce qui signifie qu'il peut arriver qu'un fan hétéroxuel et cisgenre soit actif dans le fandom queer d'un personnage pourtant lui-même

hétérosexuel et cisgenre dans le texte original. Les bases de fans queer comptent toutefois une

majorité d'individus queer pour des raisons socioculturelles et politiques évidentes : ils manquent de

représentation, que ce soit sur les panneaux d'affichage, sur les posters aux arrêts de bus, dans les

brochures immobilières, les publicités pour le café ou dans les catalogues de prêts-à-porter. Pis

13" straight », Online Etymology Dictionary, https://www.etymonline.com/word/straight.

14Dellamora, Richard, Masculine Desire: The Sexual Politics of Victorian Aesthetics, Chapel Hill, University of North

Carolina Press, 1990, 212.

15Marusic, Kristina, " So What's Up With The Word "Queer" ? », MTV News, 6 juillet 2015,

http://www.mtv.com/news/2200271/so-whats-up-with-the-word-queer/. Accès 10 mai 2018. 16

encore, ils regrettent de ne pouvoir se reconnaître davantage dans les personnages fictionnels des

narrations qu'on leur propose. Le fandom tel qu'il nous concerne, c'est-à-dire le fandom construit

autour d'une série nord-américaine et plus particulièrement autour d'un personnage ou d'une relation

entre deux ou plusieurs personnages queer, se positionne donc à la croisée du normatif et de la

subculture. Il incarne un paradoxe, celui de suivre les codes d'un fonctionnement communautaire avec la marge sociale comme seul refuge et seule promesse d'un potentiel épanouissement, tout en

s'inscrivant de par les techniques et la technologie en oeuvre pour construire et maintenir ce fandom,

dans les pratiques culturelles majoritaires.

La culture de convergence

Bien que la multifonctionnalité de Tumblr, ajoutée à sa facilité de navigation et de

publication, en font le média social en vogue, la moindre plate-forme de (micro)blogage, la moindre

base de données de partage d'images ou de vidéos, le moindre site web constitue un point de convergence. Pour Henry Jenkins, ce procédé par lequel la moitié de la population mondiale

16 crée

et partage du contenu culturel constitue l'un des trois aspects de ce qu'il appelle la " culture de convergence » 17. Le fanart compose en partie le premier aspect, à savoir la culture de participation. Jenkins

entend par là un bouleversement dans ce que représentait le schéma producteur-consommateur dans

la production de culture à l'ère pré-cybernétique, c'est-à-dire un schéma simple composé, d'un côté,

d'une société de production (cinématographique, télévisuelle, musicale, etc.) chargée du

financement et de la promotion d'un produit (film, série TV, album, etc.), et de l'autre, un public.

Cette structure subirait donc des transformations notables en raison d'une technologie nouvellement

abordable tant sur un plan financier que fonctionnel et de l'interaction transnationale et

transculturelle qu'elle rend possible. Cela ne signifie pas, selon Jenkins, que les deux " groupes » n'existent plus. Ainsi qu'il le remarque : " Not all participants are created equal. Corporations - and even individuals within corporate media - still exert greater power than any individual consumer or even the aggregate of

consumers » (Jenkins, 3). Il existe bien sûr toujours des sociétés de production qui produisent et des

16" Internet Usage Statistics. The Internet Big Picture. World Internet Users and 2015 Population Stats », Internet World

Stats, mis à jour le 31 décembre 2017, tableau 1, https://www.internetworldstats.com/stats.htm. Accès 11 mai 2018.

17Jenkins, Henry, Convergence Culture: Where Old and New Media Collide, New York, New York University Press,

2006.
17 consommateurs qui consomment. Simplement, les termes se redéfinissent : " consommer » ne signifie plus uniquement lire un texte (visionner un film, une série TV, écouter un album) en échange d'argent. Pour de nombreux consommateurs, " consommer » implique de plus en plus de se

connecter, chercher la réaction d'autres internautes et participer à la conversation en apportant ses

propres commentaires, le tout sur différents espaces de communication en ligne et notamment les médias sociaux. Ce que la facilité d'accès et d'utilisation des moyens techniques et technologiques permet,

lorsqu'elle est associée à l'engouement pour les textes culturels, c'est la création d'un environnement

propice à la créativité et la production amatrices et collectives. Un fan internaute devient donc à

même de consommer, de produire et de promouvoir dans un microcosme numérique dont les règles

diffèrent immanquablement de celles du commerce et de l'entertainment en vigueur dans le monde

matériel. Et pour cause, si les internautes sont désormais capables de proposer des créations

amatrices, originales ou dérivées d'une production officielle, le monde corporatif peut lui utiliser ces

mêmes plate-formes de communication. En s'éloignant du domaine de la fan culture, auquel la culture de participation ne se limite

pas, on saisit l'étendue du rôle que jouent les médias sociaux dans les campagnes de marketing

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