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La gazette des grands prédateursn°43 - février 2012 - page 22

Kodiak, en terre de gŽants

par Marine Drouilly J "aime le frisson des grands dŽparts, c"est pourquoi j"ai quittŽ la France un matin de juin 2010 pour l"Alaska, la

Je cherchais un lieu brut, une terre de

wilderness. Je l"ai trouvŽ sur l""le de Kodiak o j"ai passŽ un ŽtŽ ˆ Žtudier les ours gŽants.

De part sa superficie de 8 975 km², Kodiak

prŽsence humaine, l"archipel de Kodiak reste un lieu sauvage, un bijou de roches et de glaciers dans un Žcrin d"aulnes et de lupins. A Kodiak, la population travaille dur et vit principalement de la pche dans les flots tumultueux du Pacifique Nord.

Mais Kodiak, c"est surtout 3000 ours bruns

pour environ 13 700 ‰mes humaines. Les sont aussi les plus gros omnivores terrestres au monde : les ours bruns de

Kodiak, Ursus arctos middendorffi, des

gŽants bruns aux pattes de velours.

Nourris par les saumons qui ont fait de l""le

un paradis pour les pcheurs, les ursidŽs y atteignent des proportions gigantesques,les m‰les pouvant peser jusqu"ˆ 680 kg. La population du plantigrade sur l""le reprŽsente trois fois celle du reste des

Etats-Unis. Entre mi-juillet et mi-

septembre, les ours quittent les prairies d"altitude pour se rassembler autour des importantes que les ours se contentent parfois de ne manger que le ventre des riche en calories.

Le Kodiak National Wildlife Refuge, avec

ses 4500 km² recouvrant les deux tiers du sud de l""le, les "les de Ban et Uganik ainsi qu"une petite partie de l""le d"Afognak, est le bastion des ours gŽants. L"avifaune y est

Žgalement variŽe et abondante avec plus

nicheurs de Pygargues ˆ tte blanche. ou hydravion, aucune route, aucun chemin millŽnaires tracŽs dans la haute vŽgŽtation par des gŽnŽrations d"ours. Les paysages, constituŽs de prairies alpines, de zones humides mais aussi de forts d"aulnes et de montagnes aux pentes rocheusesescarpŽes, lui ont valu le surnom d""le

Žmeraude.

l"endroit, ce lieu de montagnes et de lacs, n"a rien de lisse ni de lŽchŽ. Je sais que je choses, en phase avec les cycles naturels, la pluie, le vent, le soleil, la brume, les ours. Un hydravion jaune, un Beaver, dŽcolle de la ville de Kodiak pour m"emmener, ainsi que les autres techniciens, sur une toute petite "le au milieu du lac Karluk qui constituera notre point de chute pour les trois prochains mois : Camp Island. Juin ˆ Kodiak, c"est le retour en masse des couleurs Žparses des fleurs sur les dŽbris de l"hiver, la grande

Žtendue du jour, la fonte des neiges, les

bagarres des oursons. La vie ici se partage entre soleil et brouillard, entre le cri d"un plongeon arctique et le bleu chatoyant des lupins. Nous sommes 6 techniciens de terrain ˆ passer l"ŽtŽ ˆ Žtudier les ours bruns autour du lac Karluk. Notre superviseur, le biologiste William B.

Leacock, vŽrifie que nous sommes tous

Jeune femelle ourse Kodiak © Marine Drouilly

La gazette des grands prédateursn°43 - février 2012 - page 23 formŽs et prts ˆ travailler en zone ˆ ours autour des tentes, maniement d"une arme

ˆ feu - que nous n"aurons heureusement

jamais ˆ utiliser - et de rŽpulsifs ˆ ours, sŽcuritŽ en bateau, techniques de secours en montagne... L"excitation monte.

Pour Žtudier les ours, il faut d"abord

pouvoir les suivre et les nouvelles technologies nous y aident. Avec un avion de bush Husky, nous repŽrons les femelles sur lesquelles nous pouvons poser des colliers Žmetteurs. Ce sont le vŽtŽrinaire et les biologistes qui endorment les femelles en leur injectant un anesthŽsiant depuis un sont ainsi capturŽes fin mai/dŽbut juin deux d"entre elles sont ŽquipŽes de colliers

GPS programmŽs pour enregistrer leur

position toutes les heures entre le 1er mai et le 15 novembre, pŽriode d"activitŽ de hivernation. Les 3 autres femelles sont munies de colliers VHF (Žmetteurs d"ondes radio) qui nous permettent de repŽrer leur prŽsence ˆ l"aide d"une antenne rŽceptrice.

Pour pouvoir tre reconnus de visu, les

ours capturŽs sont munis de boucles oranges numŽrotŽes aux oreilles. Nous chaque ours que nous envoyons au laboratoire pour dŽterminer prŽcisŽment leur ‰ge. En effet, les ours de Kodiak constituant une population chassable, ce pratique d"une Ç chasse durable È.

Quelques poils ainsi qu"un petit morceau

de chair sont prŽlevŽs pour permettre des Žtudes gŽnŽtiques. Enfin, chaque ours capturŽ reoit un tatouage sur la face

Ces mŽthodes, bien qu"invasives, sont

essentielles pour une collecte de donnŽes prŽcises qui serviront par la suite la cause des ours (voir interview plus bas). Le travail est fait efficacement, en minimisant vŽtŽrinaires s"assurent qu"ils ne souffrent pas. Les ours ŽquipŽs de collier, notre travail peut alors commencer.

DŽpart ˆ l"aube sur la piste laissŽe

p ar des gŽnŽrations d"ours bruns, marquŽe comme une empreinte indŽlŽbile dans la mousse rejoignant les hautes crtes. Je laisse un peu de mon humanitŽ faire accepter sans dŽranger, respecter l"animal et maintenir une distance suffisante entre nos deux mondes. Je parcours la symphonie magique des forts de peupliers et d"aulnes, puis les prairies d"altitude et enfin les crtes enneigŽes ˆ la recherche de signes de tiges d"heracleum sectionnŽes, des racines de fritillaires dŽterrŽes, une empreinte, une crotte, une touffe de poils. Tout est bon ˆ noter et ˆ Žtudier mŽticuleusement. Ce travail affžte les sens, amŽliore l"esprit du dŽtail, pousse ˆ regarder sous chaque feuille, entre chaque tronc d"arbre mort, au sein de chaque cavitŽ souterraine. Les colliers Žmetteurs nous donnent les positions des ours aux diffŽrentes heures de la journŽe. Nous nous rendons donc relever traces et indices de leurs activitŽs. alimentaire, l"identification des plantes de d"habitat. L"ŽtŽ se passe ainsi ˆ collecter des donnŽes, ˆ camper dans des zones sauvages et reculŽes, ˆ observer les ours.

De belles rencontres surviennent aussi

famille d"hermines, les campagnols nordiques qui semblent surgir de nulle part et une petite chauve-souris brune, la seule lucifugus). Nous observons frŽquemment le cerf sitka (Odocoileus hemionus sitkensis) qui a ŽtŽ introduit en 1924 pour des raisons cynŽgŽtiques et a colonisŽ toute l""le depuis. Aujourd"hui, il est en compŽtition avec l"ours brun dans certaines zones pour les ressources alimentaires et notamment le sureau ˆ grappes Sambucus racemosa. D"autres montagnes, la martre amŽricaine et l"Žcureuil roux.

Les recherches menŽes sur l"ours de Kodiak

indiquent que sa population est en bonne santŽ. Bien qu"il soit chassable, l"activitŽ semble actuellement gŽrŽe et ne constitue pas une menace pour le plantigrade. Avant la subsistance des populations humaines et aux cŽrŽmonies religieuses. Puis, sousl"occupation russe, l"ours fut chassŽ pour s a fourrure. Ce sont les guides de chasse qui furent les premiers ˆ vouloir conserver les ours de Kodiak dans un intŽrt

Žconomique. Aujourd"hui, un chasseur

d"ours ne rŽsidant pas en Alaska doit dŽbourser en moyenne 15 000 dollars et

tre accompagnŽ d"un guide professionnel

pour tuer un ours, ˆ quoi s"ajoutent les frais logistiques et de transport. Depuis les annŽes 1970, les gestionnaires de la vie sauvage maintiennent un niveau de la population totale d"ours ˆ Kodiak, tout en permettant l"essor de l"Žcotourisme. Septembre, l"ŽtŽ touche ˆ sa fin. Une des montagnes, un ciel immaculŽ, le reflet parfait des crtes dans les eaux du lac. Et dŽjˆ, les feuilles de saules et de peupliers, brunes ou or, tombent dŽlicatement sans qu"il y ait un souffle de vent. L"herbe folle para"t translucide, les baies ont mžri et forment des tapis rouges et noirs dont les ours raffolent. ‚a et lˆ se dressent encore quelques tiges de rumex de couleur rouille. Leurs graines ont ŽtŽ semŽes au vent de la fin aožt. PrŽparation en vue de l"hiver. Les ours se gorgent de baies et des restes des derniers saumons, les oiseaux accomplissent leur migration millŽnaire, le givre se forme chaque matin sur les bras comme des tresses d"eau. Il est temps de rentrer, de laisser les ours trouver une mordant et aux femelles de mettre bas. La graisse brune accumulŽe ˆ l"automne leur permettra de produire de la chaleur.

L""le de Kodiak constitue un environnement

unique au sein duquel hommes et ours d"annŽes. Des recherches poussŽes menŽes par l"U.S. Fish & Wildlife et l"Alaska

Department of Fish & Game ont conduit ˆ

rŽcolter de prŽcieuses donnŽes sur besoins pour maintenir une population viable. A travers une gestion raisonnŽe et les efforts des habitants de l""le, la population d"ours de Kodiak para"t aujourd"hui en bonne santŽ. L"attitude des hommes continuera de conditionner la destinŽe des grands prŽdateurs. Il en est de la responsabilitŽ de chacun d"engager qui l"entourent. Gageons que nous puissions faire de mme avec nos ours.

Marine Drouilly,

Žcologiste et biologiste, spŽcialisŽe en

biologie de la conservation, technicienne de terrain pour le Kodiak Brown Bear

Project en 2010.

Oursons devant une caméra permettant de suivre

la migration des saumons © Marine Drouilly La gazette des grands prédateursn°43 - février 2012 - page 24

Interview deWilliam B.Leacock,biologistespécialiste desOurs Bruns auKodiak NationalWildlife Refuge :

Depuis combien de temps

travaillez-vous sur les ours bruns ?

J"ai travaillŽ sur les ours pendant plus de

15 ans, dans le Montana, au Kamchatka

et en Alaska. J"ai pu lancer et mener le premier projet international de recherche sur l"ours brun au Kamchatka en Russie, entre 1996 et 2001.

Avez-vous travaillé sur d"autres

espèces ?

Oui, j"ai ŽtudiŽ les caribous et les

orignaux dans le Yukon Delta National

Wildlife Refuge en Alaska. J"ai Žgalement

menŽ des Žtudes sur les petits

Katmai et Kenai Fjords, toujours en

Alaska.

Entre 1994 et 1995, j"ai mis ˆ jour la

distribution et le statut de plusieurs dŽcouvertes au Laos, et ce dans le but d"identifier les zones critiques pour leur conservation.

On entend souvent parler de grizzli.

Quelle est la différence avec l"ours

brun ?

Unis, on parle de grizzlis pour dŽsigner

les ours bruns qui vivent ˆ l"intŽrieur desquotesdbs_dbs26.pdfusesText_32

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