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La démocratie participative de mai 68 aux mobilisations anti-TGV

10 août 2012 Erik Neveu. Professeur à l'Institut d'Etudes Politiques de Rennes (CRAP). Page 3. 2. A la mémoire de Marc De Antoni.



N° 24

31 mai 2007 Arrêté n° 194/DACI du 16 mai 2007 portant nomination du régisseur de recettes auprès de la Fédération Départementale.



La participation du citoyen à la décision administrative

4 mars 2020 66 Loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale JO



RECUEIL DES ACTES ADMINISTRATIFS

15 avr. 2016 ARRÊTÉ du 4 avril 2016 portant subdélégation de signature des actes de gestion des personnels des services déconcentrés de l'administration.

1

UNIVERSITE PARIS I - PANTHEON SORBONNE

THESE pour l'obtention du Doctorat en Science Politique _______ Présentée et soutenue publiquement le 20 janvier 2000 par Cécile BLATRIX

LA " DEMOCRATIE PARTICIPATIVE »,

DE MAI 68 AUX MOBILISATIONS ANTI-TGV

Processus de consolidation d'institutions sociales émergentes

Volume II

__________________

Directeur de thèse :

Monsieur Daniel Gaxie

Professeur à l'Université Paris I (CRPS).

__________________ JURY M. Bastien François Professeur à l'Université Paris I (CRPS).

M. Daniel Gaxie Directeur de thèse.

M. Pierre Lascoumes Directeur de recherche au CNRS (GAPP / ENS Cachan). M. Pierre Muller Directeur de recherche au CNRS (CEVIPOF / FNSP). M. Erik Neveu Professeur à l'Institut d'Etudes Politiques de Rennes (CRAP). 2

A la mémoire de Marc De Antoni.

3

REMERCIEMENTS

C'est d'abord grâce à la confiance de Daniel Gaxie que j'ai pu mener cette thèse à son terme. Je voudrais ici le remercier pour tout ce que j'ai appris à son contact. Mes remerciements vont également à tous ceux qui m'ont fait part de leurs commentaires à différentes étapes de ce travail, même si je n'ai pas toujours pu ou voulu en tenir compte : José-Frédéric Deroubaix, Jean-Michel Fourniau, Charles Lilin, Yves Poirmeur, Marianne Ollivier-Trigalo, Hélène Thomas. Je remercie également Ian Holliday, Simon Farmer et Ron Holley pour leur accueil si chaleureux lors de mes déplacements en Grande-Bretagne. A mes parents et ma soeur, merci pour leur présence et leur constant soutien. Je

tiens à remercier tout particulièrement José-Frédéric Deroubaix, à qui cette

recherche doit beaucoup. Sans son aide, ses conseils, et son affection tout au long de ce travail, j'aurais sans doute cédé plus d'une fois au découragement. Enfin, que toutes les personnes qui, en acceptant de répondre à mes questions, en m'ouvrant leurs archives, m'ont apporté leur concours, trouvent ici l'expression de ma gratitude. Cette recherche n'aurait pas été possible sans l'appui du Centre de Recherches Politiques de la Sorbonne, où j'ai été allocataire de recherche. Le poste d'attachée temporaire d'enseignement et de recherche que j'ai occupé à l'Université Paris XIII - Paris Nord, m'a permis d'en achever la rédaction. 4 L'Université Paris I n'entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans cette thèse. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur. 5

INTRODUCTION GENERALE

6 La thématique de la " démocratie participative » est incontestablement dans " l'air du temps ». C'est là un sujet qui suscite généralement l'approbation et l'intérêt au sein du personnel politique comme au sein de l'administration. Elle fait l'objet de nombreux colloques

1, mais aussi d'ouvrages, d'essais, de

déclarations et autres manifestes. Sociologues et politistes, souvent sollicités par les autorités politiques sur ce thème, contribuent aussi à la construction de la " démocratie participative » en " problème officiel » 2. La " démocratie participative » ne renvoie pas seulement à des discours, mais aussi à des représentations, des pratiques, des procédures. Elle forme ainsi un ensemble complexe d'institutions sociales émergentes, qui semblent actuellement en voie de consolidation. Au-delà de la diversité de ce qu'elle recouvre, la " démocratie participative » tend en effet à s'imposer sur le mode de l'évidence et de la cohérence 3. La " démocratie participative » conserve cependant, ainsi qu'on va le voir, un caractère largement indéfini

4. Après avoir délimité notre objet et pointé les

difficultés soulevées par cette notion, on présentera les différentes analyses disponibles, avant de proposer une approche visant à rendre compte de la complexité et du caractère dynamique du phénomène participatif.

1 " Ville, entreprise, Europe : trois champs d'action pour la démocratie participative ». Tel est le

thème du colloque organisé par Michel Hervé (député PS), et la lettre Transversales, sous le

parrainage du Monde Diplomatique les 8 et 9 mars 1991. Le 10 février 1995, la RATP et

l'université Paris Dauphine organisent une journée d'étude consacrée aux " processus décisionnels

en matière d'infrastructures de transport : démocratie participative, études d'impact et problèmes

d'insertion ». Les 14 et 15 juin 1996 à Lille a lieu un colloque national autour de " La démocratie

participative et le local », organisé par l'association Agir. Les 5 et 6 février 1998 les universités de

Lille II et de Picardie organisent à Amiens et Lille un colloque sur " L'introuvable démocratie

locale ? Le renouveau de la démocratie participative en France ».

2 Le présent travail participant lui-même à la production du " problème ».

3 C'est une des principales propriétés des constructions institutionnelles, que d'apparaître sous la

forme d'une " combinatoire d'éléments reliés entre eux par des liens de nécessité (...) définis par

le système institutionnel lui-même, et assemblés de façon cohérente pour aboutir à un résultat ».

Bastien François, Naissance d'une constitution : La Cinquième République 1958-1962, Paris,

Presses de Sciences Po, 1996, p. 9.

4 C'est en raison de ce caractère indéfini que nous emploierons des guillemets pour évoquer la

" démocratie participative ». 7

Section I

Des institutions sociales en voie de consolidation

La " démocratie participative », objet de célébrations régulières, paraît

particulièrement difficile à définir. C'est cette absence de définition qui nous

conduira à adopter une approche privilégiant les représentations et les logiques

des acteurs intéressés à la lutte pour la définition de cette notion, en la saisissant à

travers ses usages sociaux.

§1. Une définition introuvable

Souvent assimilée sans discussion à un progrès de la démocratie, la " démocratie participative » recouvre des pratiques et des initiatives hétérogènes, liées à des objectifs éventuellement contradictoires.

A. Une notion valorisée

Ceux qui mettent en avant la " démocratie participative » semblent toujours bénéficier des profits liés à l'idée d'innovation et d'avant-garde démocratique. Les démarches dites participatives font en effet l'objet d'un discours normatif les assimilant à un progrès de la démocratie

1. Le chercheur est

d'autant plus tenté de reprendre cette notion à son compte sans examen, qu'elle renvoie à des images fortes et positivement connotées

2. Cette valorisation de

l'idée de " démocratie participative » et plus généralement, de tout ce qui touche à

1 Voir le point de vue d'Antoine Givaudan, " La démocratolâtrie », La Revue Administrative,

1984, n°217, p. 98-103.

2 Le prestige lié à certaines croyances politiques ou religieuses peut ainsi exercer sur le sociologue

une véritable " tyrannie » : " Les idées que nous nous en faisons nous tiennent à coeur, tout comme

leurs objets, et prennent ainsi une telle autorité qu'elles ne supportent pas la contradiction. Toute

opinion qui les gêne est traitée en ennemie. Une proposition n'est-elle pas d'accord avec l'idée

qu'on se fait du patriotisme, ou de la dignité individuelle, par exemple ? Elle est niée, quelles que

soient les preuves sur lesquelles elle repose. On ne peut pas admettre qu'elle soit vraie ; on lui

oppose une fin de non-recevoir, et la passion, pour se justifier, n'a pas de peine à suggérer des

raisons qu'on trouve facilement décisives. Ces notions peuvent même avoir un tel prestige qu'elles

ne tolèrent même pas l'examen scientifique. Le seul fait de les soumettre, ainsi que les

phénomènes qu'elles expriment, à une froide et sèche analyse révolte certains esprits ». Emile

Durkheim, Les règles de la méthode sociologique, Paris, Flammarion, (1894), 1992, p. 126. 8 la démocratie n'apparaît jamais autant que quand on s'efforce d'en questionner le fonctionnement concret 1. Toute une mythologie démocratique est sollicitée dès qu'il est question de la participation des citoyens à la décision publique. Des références aussi prestigieuses qu'hétéroclites sont alors mobilisées : la Grèce Antique, mais aussi les sections et les tribunaux populaires de la Révolution Française, la Commune de Paris... Certains auteurs n'hésitent pas à établir une filiation entre ces épisodes historiques dans un récit des origines où sont présentées les différentes " tentatives de faire renaître le principe participatif » et soulignée la " continuité de l'idée de démocratie directe » 2. Au-delà de cette approche généralement " laudative » de la démocratie participative, cette notion recouvre un contenu particulièrement hétérogène.

B. Un contenu hétérogène

Le succès de cette notion semble en effet n'avoir d'égal que la diversité de son contenu. Sous le label de " démocratie participative » se trouvent les démarches et les procédures les plus diverses : grands débats sur les transports 3,

1 Les travaux sociologiques analysant le fonctionnement effectif des démocraties s'exposent ainsi

aux dénonciations des plus virulentes. Voir Jean Baudoin, " Sociologie critique et rhétorique de la

déploration », Revue Française de Science Politique, 1994, vol. 44(5), 1994, p. 894-912, et la

réponse de Daniel Gaxie, " Déni de réalité et dogmatisme de la doxa », Revue Française de

Science Politique, 1994, vol. 44(5), 1994, p. 913-931.

2 Philip Resnick évoque ainsi pêle-mêle l'expérience des town meetings en Nouvelle Angleterre,

l'initiative populaire législative, le référendum et le rappel (recall) des représentants avancés par le

mouvement populiste à l'ouest des Etats-Unis à la fin du XIXème siècle, et qui perdure dans

certains Etats américains comme la Californie, les assemblées annuelles dans certains cantons suisses et la pratique courante du référendum dans ce pays, mais aussi la Commune de 1871 et

l'expérience des soviets durant les révolutions de 1905 et 1917. Voir Philip Resnick, " Des sans-

culottes à la démocratie participative. La démocratie directe peut-elle coexister avec l'Etat

moderne ? », in Gérard Boismenu, Pierre Hamel, Georges Labica (dir.), Les formes modernes de la

démocratie, 1992, Presses de l'Université de Montréal/L'Harmattan, p. 245-261.

3 Le 21 octobre 1991, Paul Quilès alors ministre de l'Equipement charge Gilbert Carrère,

conseiller maître à la cour des comptes, de mener un débat national sur les infrastructures de

transport. Gilbert Carrère rend son rapport le 21 juillet 1992 au terme de neuf mois de débats

itinérants dans les régions, de colloques, groupes de travail, et questionnaires. Voir Alain Faujas,

" Les infrastructures de transport doivent concilier décisions publiques et intérêts privés », Le

Monde, 23 juillet 1992. Gilbert Carrère, Transports destination 2002. Le débat national :

Recommandations pour l'action, Rapport au Ministre de l'Equipement et des Transports, Paris, juillet 1992, 86 pages. 9 l'aménagement du territoire

1, consultation nationale des jeunes2, puis des lycées3,

conférence de citoyens

4, conférences régionales et Etats généraux de la santé5,

conseils de quartiers, comités de jeunes, de sages, d'immigrés, enquêtes publiques, référendum, concertations... L'évaluation des politiques publiques, les sondages délibératifs, la Commission Nationale du Débat Public, le droit à l'information, le droit de pétition, les autorités administratives indépendantes

6, les

nouvelles technologies d'information et de communication, l'exception d'inconstitutionnalité, les comités d'experts et de sages

7, sont encore présentés ici

ou là comme relevant d'une logique " participative ».

1 La discussion parlementaire de ce qui deviendra la loi du 4 février 1995 sur l'aménagement et le

développement du territoire a été précédée d'un grand débat national, démultiplié dans chaque

département sous la responsabilité des préfets. Sur l'élaboration de ce texte, voir Daniel Gaxie

(dir.), Luttes d'institutions. Enjeux et contradictions de l'administration territoriale, Paris,

L'Harmattan, 1997, 295 pages.

2 Le 21 avril 1994, à la suite des manifestations qui aboutirent au retrait par le gouvernement Juppé

du projet de Contrat d'Insertion Professionnelle, le Premier Ministre Edouard Balladur installait le

Comité chargé de la Consultation nationale des jeunes. Le Comité est notamment chargé

d'élaborer le questionnaire adressé au 15-25 ans, d'analyser les réponses et de proposer des

mesures. Sur cette consultation, voir Gérard Mauger, " La consultation nationale des jeunes.

Contribution à une sociologie de l'illusionnisme social », Genèses, décembre 1996, p. 91-113.

3 Cette consultation, dont l'organisation a été confiée à un comité d'une dizaine de membres

présidé par Philippe Meirieu, a été initiée par Claude Allègre, sur le thème " Quels savoirs

enseigner dans les lycées ? ». Elle s'est terminée par un colloque de clôture à Lyon le 11 avril

1998. Voir Quels savoirs enseigner dans les lycées ? Rapport final du comité d'organisation pour

le Ministère de l'Education Nationale, de la Recherche et de la Technologie, Lyon, 11 mai 1998,

28 pages.

4 En donnant son feu vert le 27 novembre 1997 à la mise en culture du maïs transgénique dans

l'hexagone, le gouvernement avait promis un débat public sur les organismes génétiquement

modifiés " afin que les citoyens s'approprient ce débat, qui n'est pas seulement scientifique mais

aussi philosophique et éthique ». L'Office Parlementaire d'Evaluation des Choix Scientifiques et

Techniques, organisme commun à l'Assemblée Nationale et au Sénat, a été chargé d'organiser ce

débat. Il a choisi de lui donner la forme d'une conférence de citoyens, calquée sur le modèle

danois des conférences de consensus, qui s'est tenue le 20 et 21 juin 1998. Sur ce point voir infra,

p. 189.

5 Initiés par le Ministère de l'Emploi et de la Solidarité, les Etats généraux de la santé ont été

lancés par Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la Santé, le 10 décembre 1998, et se sont terminés

au mois de mars 1999. L'organisation de ces Etats Généraux répond selon Bernard Kouchner à

" la volonté d'ancrer davantage la santé au coeur du débat démocratique en donnant à l'ensemble

des Français, usagers mais aussi citoyens, les éléments d'information indispensables à la

démocratie sanitaire qu'il nous faut construire ». La plupart des régions ont organisé dans le cadre

de ces Etats Généraux des Forums citoyens, sur le même principe que la conférence de citoyens de

juin 1998 sur les OGM. Voir par exemple le forum organisé dans la région Auvergne, .

6 Pour un tel point de vue sur les autorités administratives indépendantes, voir Jean Saint-Geours,

Moi et nous. Politique de la société mixte, Paris, Dunod, 1992, 192 pages. Voir également André

Vitalis, " L'apport à la démocratie des autorités administratives de régulation indépendantes »,

Revue européenne des sciences sociales, tome XXXI, 1993, n°97, p. 183-192.

7 Ceux-ci se sont particulièrement développés dans les années quatre-vingt, avec la création en

février 1983 du Comité Consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé,

suivie en mai 1985 de la mise en place du Comité National d'Evaluation des Universités, en 1987

d'un Groupe de réflexion sur le SIDA, d'une Commission du code de la nationalité. Voir sur le 10 Qui cherche à définir ce terme risque ainsi d'être bien vite découragé par l'ampleur de la tâche et par la confusion qui règne en la matière. Force est de constater qu'il n'existe aucune définition " officielle » de la " démocratie participative ». Seules se rencontrent des définitions variables selon les acteurs, souvent imprécises

1, parfois contradictoires, et qui témoignent davantage des

enjeux liés à cette définition, qu'elles ne renseignent quant à la signification de la notion.

C. Des objectifs contradictoires

Le discours sur la " démocratie participative » se caractérise par la diversité des problèmes qu'elle est censée pouvoir résoudre, à tel point que les vertus qu'on lui prête semblent potentiellement contradictoires. Les objectifs qui lui sont assignés peuvent en effet être regroupés en deux grandes catégories. D'une part, elle renvoie à toute une série d'objectifs en terme d'efficacité. Celle-ci peut être définie en terme de rentabilité, de productivité, d'acceptabilité d'une décision. Il s'agit alors d'obtenir l'adhésion, le consentement des gouvernés, ou d'amélioration de la décision elle-même

2. D'autre part, la " démocratie

participative » renvoie à des objectifs en terme de démocratisation de la décision et de développement de la citoyenneté. La participation apparaît ici comme une fin en soi. La fonction éducative des procédures de " démocratie participative », lieux d'épanouissement individuel et d'apprentissage collectif, est alors mise en avant. La participation est vue ici comme facteur d'intégration sociale.

Comité National d'éthique, Dominique Memmi, " Savants et maîtres à penser : la fabrication

d'une morale de la procréation artificielle », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, n°76-77,

mars 1989. Pour une approche de ce type d'instances en terme de nouveaux modes d'action

publique, voir Myriam Bachir, " La consultation publique. Nouvel outil de gouvernabilité et

transformation des registres et répertoires d'action politique », in Bastien François, Erik Neveu

(dir.) Espaces publics mosaïques. Acteurs, arènes et rhétoriques, des débats publics

contemporains, Paris, Presses Universitaires des Rennes, 1999, p. 167-184.

1 Il s'agit par exemple, de permettre aux citoyens qui le souhaitent de " devenir des acteurs

politiques à part entière ». Pierre Bitoun, Voyage au pays de la démocratie moribonde. Et si nos

élus ne représentaient plus qu'eux-mêmes ? Paris, Albin Michel, 1995, p. 12.

2 Une même procédure participative peut d'ailleurs voir coexister des définitions contradictoires de

cette efficacité. Par exemple dans le cadre des projets d'aménagement et d'infrastructure, les

procédures de participation sont censées garantir à la fois, selon les acteurs, l'acceptabilité de la

décision, et la protection de l'environnement. 11 Ces deux registres paraissent indissociablement, et plus ou moins inconsciemment liés dans les discours sur la participation. C'est sans doute en partie parce que ces deux logiques coexistent au sein des mêmes discours et des mêmes procédures, que la notion de " démocratie participative » connaît un tel succès. Dès lors, l'interrogation qui s'impose d'emblée devant un objet aussi fuyant et contradictoire, est de savoir ce que des démarches, des procédures aussi différentes peuvent avoir en commun pour qu'on les baptise du même label, comme si c'était un gage de succès. En d'autres termes, d'où provient la " mise en rapport »

1 de ces différentes initiatives ? Vouloir s'intéresser à la " démocratie

participative » peut ainsi apparaître comme une gageure. En effet, la sélection des phénomènes relevant de " la démocratie participative » risque fort d'aboutir à une reconstruction a posteriori à partir de nos propres schèmes de perception et notre réserve personnelle de connaissances sociales. Le caractère diffus de cette notion pose à l'évidence le problème de ce qui autorise à regrouper comme faisant partie d'un même objet des phénomènes extrêmement hétérogènes

2. Le risque est

d'introduire une cohérence là où il n'y en a pas, voire même par un " effet de théorie », de contribuer à la construction de ce que l'on se propose de soumettre à l'analyse. Toute tentative de définition a priori semble donc inopérante. C'est pourquoi il faut plutôt centrer l'analyse sur les différents usages de la thématique de la " démocratie participative ». Il s'agit donc, en s'interdisant volontairement toute prise de position préalable quant au bien fondé de ces usages, d'étudier

1 Florian Charvolin, L'invention de l'Environnement en France (1969-1971). Les pratiques

documentaires d'agrégation à l'origine du Ministère de la Protection de la nature et de

l'environnement, Thèse, IEP Grenoble/CSI, juin 1993, 503 pages. Nous définissons plus

précisément le sens dans lequel nous utilisons cette notion dans le chapitre II de la deuxième

partie. Sur cette notion, voir infra, p.250s.

2 " Au lieu de chercher à déterminer les " critères » au moyen desquels le groupe doit être défini et

les frontières qu'il " faut » lui donner pour obtenir un objet palpable et bien déterminé (...), on

peut alors tenter de rendre compte de la forme prise par le groupe en interrogeant le travail de

regroupement, d'inclusion et d'exclusion, dont il est le produit, et en analysant le travail social de

définition et de délimitation qui a accompagné la formation du groupe et qui a contribué, en

l'objectivant, à le faire exister sur le mode du cela va de soi ». Luc Boltanski, , Les cadres. La

formation d'un groupe social, Paris, Minuit, 1982, p. 51-52. 12 autour de quels enjeux s'organise la lutte pour la définition des contours de la " démocratie participative ». Ce sont les usages sociaux de ce terme qui seront analysés ici dans leur plus large diversité 1. §2. Une approche de la " démocratie participative » par ses usages sociaux La thématique participative gagne à être appréhendée comme le résultat de séries causales partiellement indépendantes, et non comme le produit de l'activité intentionnelle d'une seule catégorie d'acteurs. A. Le produit de séries causales indépendantes C'est ainsi que l'hétérogénéité des procédures et des techniques dites de " démocratie participative », et leurs objectifs potentiellement contradictoires, cessent de surprendre si l'on veut bien y voir le produit de séries causales indépendantes

2. Le discours participatif n'est pas propre à une catégorie d'acteurs

particulière

3. Il est mobilisé aussi bien par des élus locaux que par des

responsables associatifs ou des hauts fonctionnaires. Sans prétendre établir un inventaire exhaustif des " causes » du phénomène participatif, on mettra ainsi en évidence certains processus qui paraissent particulièrement significatifs, à partir d'une analyse compréhensive des stratégies des acteurs engagés dans la lutte pour

la définition de la " démocratie participative ». Différents agents sont intéressés à

la construction et au durcissement de cette notion en fonction de rationalités

1 La démarche adoptée ici est très proche de celle qu'emprunte Erik Neveu pour questionner

l'émergence d'une " société de communication », qui souligne par ailleurs la " convergence entre

les représentations sociales structurées sur l'idée d'une " société de communication » et celles

relatives à la 'démocratie' ». Erik Neveu, Une société de communication ? Paris, Montchrestien,

1994, p. 16.

2 " C'est pour des " raisons », des " motifs », ou des " intérêts » hétérogènes ou, mieux, sous l'effet

de séries causales ou de " déterminismes » largement indépendants les uns des autres que, en des

sites sociaux distincts, des groupes ou des individus sont incités à se saisir des mobilisations

lancées par d'autres, à les investir d'autres significations et à leur donner ainsi, par leur " entrée

dans le jeu », d'autres trajectoires historiques. Autrement dit, les mobilisations ne se réalisent pas

nécessairement, loin de là, autour d'enjeux, d'objectifs ou de perspectives stratégiques identiques

pour tous les acteurs et les segments sociaux mobilisés. » Michel Dobry, Sociologie des crises

politiques, Paris, FNSP, 1992, p.31.

3 A cet égard, nous nous démarquons du travail de Marion Paoletti qui attribue au mouvement

gamiste un rôle qui nous paraît sinon excessif, du moins trop exclusif, dans la constitution de

" l'enjeu participatif local ». Marion Paoletti, Analyse de la démocratie locale à travers la genèse

institutionnelle du référendum, Thèse pour le doctorat de science politique, IEP de Bordeaux,

1996, sous la direction de Hubert-Gérald Hubrecht et Yves Poirmeur, 2 tomes, 495 pages.

13 différentes voire opposées

1. D'une part, un certain nombre d'acteurs, qui sont

souvent des prétendants au titre de porte-parole du public, font de la " démocratie participative » leur cheval de bataille. Leur action favorise la diffusion de la thématique participative, et inspire des réalisations labellisées sous cette dénomination. D'autre part, si l'émergence et la consolidation de la " démocratie participative » peuvent être reliées au travail d'un certain nombre " d'entrepreneurs de norme »

2 pour qui la défense d'une démocratie plus

participative constitue un objectif clairement affirmé, la construction de cette notion ne peut sans doute pas être réduite à leur seule action. La mise en place de procédures de " démocratie participative » peut également être un effet imprévu de l'action d'agents poursuivant d'autres objectifs. Contre une lecture qui

réduirait le phénomène participatif à l'action et aux intérêts de tel ou tel groupe

social, il importe donc de tenter de le restituer dans toute sa complexité. Il s'agit alors d'identifier les acteurs pertinents, qui en fonction de différentes logiques, ont pu contribuer à la construction sociale de la " démocratie participative », sans que cela constitue nécessairement un objectif de leur action. Le recours à la notion de " démocratie participative » peut constituer pour les politiques un moyen de justification de l'action, permettant de mobiliser les ressources attachées au fait de " donner la parole »

3. Nous formulons l'hypothèse

que la valeur donnée à la thématique participative tend à augmenter, au point d'en faire une ressource argumentative en dépit de - ou grâce à - son caractère flou. Il s'agit donc de repérer les processus à travers lesquels s'est diffusée la croyance - inégalement partagée - dans son efficacité et sa légitimité comme ressource

1 L'aide au développement fournit un autre exemple d'objectifs apparemment contradictoires

renvoyant à l'action de différentes catégories d'acteurs. Voir Peter R. Baehr, " Problems of aid

conditionality : The Netherlands and Indonesia », Third World Quaterly, Vol. 18, n°2, 1997, p.

363-376.

2 On s'appuie ici par analogie sur la notion " d'entrepreneurs de morale » élaborée par Howard S.

Becker à propos du mouvement prohibitionniste. Parmi ces entrepreneurs il distingue ceux qui

créent les normes (il parle ici de croisés de la morale), et ceux qui les font appliquer

(l'institutionnalisation de la croisade entraîne la création d'une nouvelle catégorie d'agents chargée

de l'application de la norme nouvelle). Le terme d'entrepreneur de norme politique paraît plus

approprié concernant la " démocratie participative », dans la mesure où il ne s'agit pas de

" morale », mais d'un ensemble de nouvelles règles du jeu politique. Voir Howard S.Becker,

Outsiders. Etudes de sociologie de la déviance, Paris, Métailié, 1985, chapitre 8, p. 171-188.

3 Jacques Defrance, " Donner la parole. La construction d'une relation d'échange », Actes de la

Recherche en Sciences Sociales, 73, 1988, p. 52-66. 14 politique. Mais la " démocratie participative » ne peut être réduite à de simples stratégies de justification. C'est ainsi que par une sorte d'effet retour, le développement de l'usage de ce type d'argument et son inscription dans la panoplie des actions politiques légitimes, ont pu contribuer à renforcer le phénomène participatif. Elle est de plus en plus intériorisée par les acteurs politiques et intégrée à leurs actions. Elle renvoie certes à des discours, mais aussi à des représentations, des pratiques et des procédures nouvelles.

B.Une norme politique émergente

En quoi la thématique participative constitue-t-elle une " norme » émergente, une nouvelle règle du jeu politique

1 ? Quels en sont les défenseurs ?

Quels sont les enjeux qui gravitent autour de son emploi et des contestations de son emploi ? Vouloir appréhender la construction sociale de la " démocratie participative », signifie d'une part reconstituer la genèse de cette norme, et d'autre part analyser sa (re)construction au jour le jour. Il s'agit d'abord de retracer l'histoire sociale du travail collectif qui a été nécessaire pour faire de la " démocratie participative » un problème légitime, public, officiel. Ce travail s'est fait à travers des lois et des décrets, mais aussi à travers les activités d'associations, de mouvements, des essais, des colloques, des programmes, des prises de position officielles, des conflits sociaux, bref des activités sociales multiples et hétérogènes

2. En

élargissant la perspective, elle peut aussi se comprendre à travers des transformations sociales qui ont contribué à la façonner, parfois de manière très

diffuse et indirecte, et selon des logiques largement étrangères à l'idée même

1 Au sens que Frédérik G. Bailey donne à cette expression, à savoir un ensemble de règles

normatives et pragmatiques. Voir infra, p. 59. Frédérik G. Bailey, Les règles du jeu politique -

Etude anthropologique, Paris, PUF 1971, 254 pages.

2 Les travaux analysant les processus d'institutionnalisation montrent ainsi que la définition d'une

institution sociale ou politique ne se réduit pas aux seuls textes juridiques qui l'encadrent, mais

renvoie à des ensembles beaucoup plus complexes d'activités sociales. Peter Berger, Thomas

Luckmann, La construction sociale de la réalité, Paris, Méridiens Klincksieck, 1986, 288 pages.

Bernard Lacroix, " Ordre politique et ordre social. Objectivisme, objectivation et analyse

politique », in Madeleine Grawitz, Jean Leca (dir.), Traité de Science Politique, Paris, PUF, tome

1, 1985, p. 469-465. Bernard Lacroix, Jacques Lagroye, Le Président de la République. Usages et

genèses d'une institution, Paris, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, 1992,

402 pages. Bastien François, Naissance d'une constitution, op. cit.

15 d'une " démocratie participative »

1. On peut ainsi penser que la " démocratie

participative » est aussi liée à des transformations très générales, comme

l'élévation du niveau d'instruction, l'invention de la forme associative, ou encore le développement de l'urbanisation. Mais les liens entretenus avec le phénomène

étudié sont, en raison précisément de son caractère diffus et hétérogène,

extrêmement difficiles à mettre évidence. A vouloir dresser la liste exhaustive de tout ce qui a pu contribuer à l'institutionnalisation de la " démocratie participative », on risquait donc d'aboutir à une succession de considérations très

générales, au risque d'une dilution de l'objet étudié, et de paraître " parler de tout

et de rien ». C'est donc en étant conscient de ces transformations d'arrière-plan, communes à tous les pays industrialisés, que l'on a choisi d'étudier ce qui a eu les effets les plus " immédiats », sachant que se concentrer sur ce type de facteurs " à court terme » n'interdit pas de saisir, à travers eux, les facteurs à plus long terme. Ainsi, par analogie avec la discussion théorique introduisant The American Voter, et en s'appuyant sur la notion " d'entonnoir de causalité » (funnel of causality) 2, on peut penser que la " démocratie participative », de même que le comportement électoral, est un phénomène complexe, soumis à des déterminations trop nombreuses pour être toutes recensées. Dès lors, la stratégie de recherche adoptée par les chercheurs de l'Université de Michigan est de se concentrer sur les phénomènes causaux les plus immédiatement efficaces, en faisant l'hypothèse qu'ils sont en interdépendance avec des déterminations plus anciennes ou plus lointaines

3. Selon cette perspective, si des transformations sociales plus générales

agissent sur la " démocratie participative », elles le font à travers des causes plus immédiates. C'est donc à l'étude de ces causes les plus immédiates dequotesdbs_dbs27.pdfusesText_33
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