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Université Michel de Montaigne Bordeaux 3
École Doctorale Montaigne Humanités (ED 480) THÈSE DE DOCTORAT EN " ÉTUDES GERMANIQUES »L'interculturel franco-allemand en entreprise
L'influence du management américain : l'exemple du management franco- allemand chez Total Présentée et soutenue publiquement le 10 juillet 2013 parVéronique BOIRIE
Sous la direction de Stephan Martens
Membres du jury
Hélène Camarade, Professeur de civilisation allemande, Université Bordeaux 3.Stephan Martens (directeur de thèse), Professeur de civilisation allemande en détachement,
Université Bordeaux 3.
Joël Massol, Professeur de civilisation allemande, Université Nantes. Hans Stark, Professeur de civilisation allemande, Université Sorbonne Paris 4. Henrik Uterwedde, Professeur de sciences politiques, Université Stuttgart. 2 3REMERCIEMENTS
Je tiens avant tout à remercier M. Stephan Martens d'avoir accepté la direction de cette thèse. Ses
encouragements répétés m'ont été, depuis mon DEA et tout au long de ces quatre années, d'un très
grand secours. Je dois également beaucoup à M. Jean-Paul Revauger, directeur de l'équipe EEE, qui
m'a permis d'effectuer ce travail dans de bonnes conditions, ainsi qu'à Mme Beate Ellrich, sans qui
la réalisation des entretiens auprès du personnel d'encadrement chez Total n'aurait pas été possible.
Je remercie aussi M. Alain Labruffe pour avoir accepté de s'entretenir avec moi et pour les pistes de
réflexion élaborées ensemble lors de nos rencontres. Tous mes remerciements vont à ma famille qui
m'a soutenue tout au long de ces quatre années, et particulièrement Danielle Boirie, qui a eu l'infinie
patience de relire ce travail et de me soutenir moralement, Caroline Boirie et ses mille remarquesconstructives, et Michel Boirie dont la philosophie m'a permis d'appréhender les choses simplement
et d'aller à l'essentiel. Je remercie Sylvain Bineau et Georges Dupont pour leurs fructueuses
remarques, et enfin mon indispensable ami, Dimitri Sanz. 4PAGES LIMINAIRES
- Résumé en français ; - Titre et résumé en anglais ; - Mots clés en français ; - Mots clés en anglais ; - Intitulé et adresse de l'unité où la thèse a été préparée 5Résumé en français
L'interculturel franco-allemand en entreprise est indissociable du contexte économique mondial
actuel dans lequel les États-Unis prédominent. Total, premier groupe pétrolier français, a constitué
notre terrain d'investigation pour répondre à la question de l'influence des pratiques managériales
américaines sur le management franco-allemand chez Total et notamment dans l'une de ses filiales à
Berlin. C'est auprès du personnel d'encadrement de la filiale allemande principalement, mais aussi
de la maison-mère située à Paris, que nous avons pu réaliser 35 entretiens : 12 auprès de managers
français - 11 au sein de la filiale à Berlin, un au sein de la maison-mère à Paris - et 18 auprès de
managers allemands à Berlin. Les autres entretiens ont été conduits auprès de trois managers belges,
d'un manager hollandais et d'un manager anglais.Dans une première partie, nous avons procédé à un état des lieux des travaux existant dans le
domaine du management interculturel qui a connu son envol dans les années 1980. Nous avonsarticulé théorie et pratique en traitant de l'influence de la culture nationale sur les organisations, ce
qui nous a permis de redéfinir les modes de fonctionnement des entreprises françaises, allemandes
et américaines et d'y associer, à partir de typologies, un style de management et une culture
d'entreprise types. Il s'agit bien entendu de modèles. Les décalages entre ces modèles théoriques et
la pratique ont trouvé leur expression dans une deuxième partie.Dans cette deuxième partie, nous avons recensé les malentendus interculturels franco-allemands à
travers l'évolution des relations franco-allemandes en entreprise de l'avènement du Marché commun
à aujourd'hui. Le cas du drame industriel de l'A380 chez Airbus en 2006, les travaux du consultant
Jacques Pateau sur la dimension interculturelle dans la coopération franco-allemande, les conseils
du cabinet J. P. B. consultants préconisant des solutions aux malentendus franco-allemands
récurrents, et les relations de travail entre journalistes français et allemands de la chaîne culturelle
européenne Arte, ont constitué des éléments de comparaison intéressants pour obtenir un panorama
des problèmes inhérents à la relation de travail franco-allemande, indépendamment du secteur
d'activité. L'exemple du groupe Total - à partir de l'analyse du discours de ses managers - montre
qu'il est possible de dépasser les malentendus interculturels récurrents ou " incidents critiques »,
6véritables entraves à la relation de travail franco-allemande. De l'interaction quotidienne entre ces
personnels de différentes cultures nationales résulte ainsi un style de travail commun, susceptible
toutefois de changer au contact d'autres influences culturelles. Les influences extérieures et les
interactions quotidiennes entre acteurs de différentes cultures nationales font de la culture
émergente un produit en perpétuelle construction, rendant le développement d'une compétence
interculturelle nécessaire. Dans une troisième partie, nous avons analysé ces influences extérieures
et les transformations qu'elles entraînent chez Total.Cette troisième partie traite de l'influence exercée par les États-Unis et leur pratique du
management sur la direction binationale de la filiale allemande de Total. Les techniquesmanagériales américaines font l'objet d'une appropriation différenciée par les managers français et
allemands travaillant de concert dans le groupe. C'est ainsi que, du contact entre les systèmesfrançais, allemand et américain, naissent de nouvelles pratiques : il s'avère en effet que les
managers du groupe tendent vers un style plus libéral, perçu et vécu différemment toutefois par les
Français et les Allemands. Les notions d'" équipe » et de " groupe de travail » trouvent une
application dans le quotidien professionnel du personnel d'encadrement de la filiale et jouent unrôle essentiel chez Total : les " équipes de projet » constituent un exemple concret d'emprunt au
managment américain et à la conception des relations de travail aux États-Unis. C'est ainsi, à
travers le métissage des styles de management américain, français et allemand, que l'on peut voir -
porté par les " équipes de projet » - se dessiner un nouveau concept, celui d'une identité à vocation
pratique. 7Titre et résumé en anglais
Franco-German cross-cultural relations in firms
The influence of American management: the case study of Franco-German management at Total. Franco-German cross-cultural relations in business cannot be dissociated from the world economic context in which the United States play a dominant role. We have used Total, the leader in the French petroleum industry, specifically through its German subsidiary in Berlin, as a case in pointfor our investigation of the influence of US business methods on a joint Franco-German top
management team. We conducted 35 extensive interviews, 12 of which were held with Frenchnationals, 11 of them top company officials at the Berlin office and one at corporate headquarters in
Paris; 18 of the tête-à-têtes took place with German top executives in Berlin. In addition, we
consulted one Dutch, one British and three Belgian directors of the petroleum group. Part One of the report is an inventory and review of the literature devoted at this day to cross-culture in the area of corporate management, a subject that began to attract the interest of
researchers in the 1980's. We here correlate theory and practice in dealing with the impact of
national cultures on corporate behavior. This leads us to reconsider the functioning modes of
French, German and US companies and thus, working on the typology of their respective business structures, to classify them according to their specific management styles and corporate cultures. We thus, of course, create mere models, significant but abstract. The distance between theory and actual practice is bridged in Part Two of the report. In Part Two, we concentrate on the cross-cultural ambiguities and misunderstandings that haveattended Franco-German business relations as these have evolved since the inception of the
Common Market to the present day. The misfortunes of the A380 at Airbus in 2006, consultant Jacques Pateau's reasearch and conclusions on the importance of Franco-German cooperation inbusiness ventures, the solutions offered for the recurrent cross-cultural conflicts by J. P. B.
Consulting, and the close working relationship of French and German journalists on the Arte
cultural television network, all these have provided us with material for an accurate appraisal of the
8 problems raised by a Franco-German partnership in a corporate environment, whatever the area of professional activity. We learn from the experience of the Total company that it is possible to riseabove the recurrent cross-cultural "critical incidents" that plague such binational professional
communities, and to achieve common values in the working relationship, proof that it does not takegenerations to amend long ingrained cultural traits, and that these are amenable to outside influence.
The daily interaction between individuals of different cultural backgrounds will eventually lead to common cultural patterns of behavior, susceptible in turn to further changes in a unified framework.In Part Three, we shall inquire into the nature of these outside influences and the changes they have
brought to the inner workings of the Total company. Part Three of the report addresses the question of the influence exerted by US managerial praxis on the procedures at Total. This influence, merging with the unified methods developed by the Franco- German partners through their respective contribution of managerial know-how, has resulted in newconcepts in management, of a more liberal complexion, and yet, while now standard practice,
perceived in a different light by the French and the German executives; the different cultures color the outlooks differently even when the individuals act in harmony. The notion of "teamwork" and"group action" now prevalent at Total, is one of the concepts, now put into prevalent practice by the
executive staff, that the company owes to the American business philosophy. We were thus able toidentify a number of significant instances, the "project teams" are one, of the American influence on
a Franco-German management group. 9Mots clés en français
interculturel, franco-allemand, entreprise, management, communication, interaction, compétence, civilisationMots clés en anglais
cross-cultural, Franco-German, firm, management, communication, interaction, skill, civilization Intitulé et adresse de l'unité où la thèse a été préparée FRE 3392 CNRS : Europe, Européanité, Européanisation - EEE. Maison des Sciences de l'Homme d'Aquitaine - MSHA. 10, Esplanade des Antilles, 33607 PESSAC 10TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION GÉNÉRALE ....................................................................................................... 16
PREMIÈRE PARTIE : ...................................................................................................................... 31
L'APPLICATION DES TRAVAUX DES GRANDES FIGURES DU MANAGEMENT INTERCULTUREL AUX ENTREPRISES FRANÇAISES, ALLEMANDES ET AMÉRICAINES31Introduction ................................................................................................................................... 32
CHAPITRE I. INFLUENCE DE LA CULTURE NATIONALE SUR LES ORGANISATIONS36 Section I. Une lecture du modèle d'Edward Twitchell Hall : dimensions culturelles etapplication au monde des affaires ............................................................................................ 36
§ 1. Proxémique ................................................................................................................... 36
A) Agencement des espaces de travail en France, en Allemagne et aux États-Unis ...... 37B) Utilisation de l'espace et hiérarchie ........................................................................... 40
§ 2. La dimension temporelle : le modèle monochronie/polychronie ................................. 43
§ 3. Contexte et communication de l'information ............................................................... 46
A) Contexte riche/pauvre, communication implicite/explicite ....................................... 46
B) Communication indirecte/directe ............................................................................... 48
C) Communication non-verbale : l'exemple d'une réunion ........................................... 49
§ 4. Des rationalités différentes ........................................................................................... 53
Section II. Les modèles de Geert Hofstede, Fons Trompenaars et Charles Hampden-Turner :types de cultures d'entreprise, d'organisations et styles de leadership .................................... 57
§ 1. Fons Trompenaars, Charles Hampden-Turner : 4 types de cultures d'entreprise ........ 57A) Entreprises françaises et culture de type " Famille » ............................................... 58
B) Entreprises allemandes et culture de type " Tour Eiffel » ......................................... 59
C) Entreprises américaines et culture de type " Missile guidé » ................................... 60
D) Entreprises suédoises et culture de type " Couveuse » ............................................. 62
§ 2. Geert Hofstede et les " structures implicites d'organisation » : quatre typesd'organisation ...................................................................................................................... 64
A) " Place du marché » ................................................................................................... 66
B) " Machine bien huilée » ............................................................................................. 66
C) " Famille élargie » ..................................................................................................... 66
D) " Pyramide » .............................................................................................................. 67
E) Les limites du modèle de G. Hofstede ....................................................................... 67
11§ 3. Styles de leadership ...................................................................................................... 68
§ 4. Comment l'autorité est-elle organisée en France, en Allemagne et aux États-Unis ? . 70
CHAPITRE II. CONTEXTE D'INTERPRÉTATION .................................................................. 73
Section I. Allemagne, France, États-Unis : des formations différentes ................................... 73
§ 1. Relation enseignant/apprenant ...................................................................................... 74
§ 2. Conception du management ......................................................................................... 76
§ 3. Des Allemands spécialistes/des Français généralistes ................................................. 77
§ 4. L'apport d'Henry Mintzberg : une critique de l'enseignement théorique dumanagement et la réalité du métier de manager .................................................................. 78
§ 5. Styles d'apprentissage : comprendre les différences à la base des malentendus ......... 79
Section II. Critères de recrutement dans les entreprises françaises, allemandes, américaines et
origine sociale des managers .................................................................................................... 84
§ 1. Critères de recrutement ................................................................................................. 84
A) France : le prestige du diplôme ................................................................................. 84
B) Allemagne : l'expérience professionnelle .................................................................. 84
C) États-Unis : la notion de " compétence » .................................................................. 86
§ 2. Le recrutement des élites .............................................................................................. 86
A) En France ................................................................................................................... 86
B) En Allemagne ............................................................................................................ 88
C) Aux États-Unis ........................................................................................................... 91
Section III. P. D'Iribarne : contextes nationaux de gestion ..................................................... 93
§ 1. Une France inégalitaire : la " logique de l'honneur » .................................................. 94
§ 2. Les États-Unis et l'univers britannique : la figure du propriétaire et la logique ducontrat .................................................................................................................................. 97
§ 3. Allemagne et pays d'Europe du Nord : le groupe et la logique du consensus ............. 98 CHAPITRE III. STYLES DE MANAGEMENT ET AVÈNEMENT DU MANAGEMENTINTERCULTUREL .................................................................................................................... 102
Section I. Styles de management : typologie ......................................................................... 102
§ 1. Management paternaliste ............................................................................................ 102
§ 2. Management par objectifs .......................................................................................... 103
§ 3. Management participatif ............................................................................................. 103
§ 4. Management par la fonction ou par la description de poste ....................................... 104
§ 5. Ressemblances et divergences .................................................................................... 104
§ 6. Uniformisation des styles de management ou clivage ? ............................................. 105
Section II. Avènement du management interculturel ............................................................. 106
12§ 1. Management et relativisme culturel ........................................................................... 106
§ 2. Rôle du management interculturel .............................................................................. 108
A) Déni de la différence culturelle ............................................................................... 109
B) Conception fonctionnaliste de la culture ................................................................. 110
Conclusion .................................................................................................................................. 111
DEUXIÈME PARTIE : ................................................................................................................... 112
LES MALENTENDUS INTERCULTURELS FRANCO-ALLEMANDS EN ENTREPRISE ..... 112Introduction ................................................................................................................................. 113
CHAPITRE I. L'ÉVOLUTION DES RELATIONS FRANCO-ALLEMANDES EN ENTREPRISE : DE L'AVÈNEMENT DU MARCHÉ COMMUN À AUJOURD'HUI ............ 115Section I. Rapprochements d'entreprises françaises et allemandes ....................................... 115
§ 1. Historique du mouvement de fusions-acquisitions en Europe et dans le monde ....... 115§ 2. Tentatives de fusions et coopérations franco-allemandes .......................................... 116
§ 3. Les relations franco-allemandes au travail ................................................................. 118
Section II. Le cas du drame industriel de l'A380 chez Airbus en 2006 ................................. 120
§ 1. Des problèmes de communication et d'intégration .................................................... 121
§ 2. Le poids des " hiérarchies nationales » ...................................................................... 125
§ 3. Des solutions .............................................................................................................. 128
A) Le patriotisme économique européen : une solution à l'impasse de la création degroupes franco-allemands par voie politique ? ............................................................. 128
B) Vers un modèle européen d'entreprises ? ................................................................ 130
CHAPITRE II. " INCIDENTS CRITIQUES » DANS LE MANAGEMENT FRANCO-ALLEMAND .............................................................................................................................. 131
Section I. J. P. B. consultants : sept types d'incidents critiques ............................................. 132
§ 1. Confiance .................................................................................................................... 133
§ 2. Motivation et Attentes ................................................................................................ 134
§ 3. Communication et Information .................................................................................. 135
§ 4. Esprit de Groupe ......................................................................................................... 136
§ 5. Planification ................................................................................................................ 137
§ 6. Le Marché ................................................................................................................... 138
§ 7. Faisabilité d'une idée .................................................................................................. 139
Section II. Pateau consultants : " la dimension interculturelle dans la coopération franco-
allemande » ............................................................................................................................ 140
Section III. La langue ............................................................................................................. 144
13 CHAPITRE III. MALENTENDUS INTERCULTURELS DANS LE MANAGEMENT FRANCO-ALLEMAND CHEZ TOTAL : ANALYSE DU DISCOURS DES MANAGERS .. 150Section I. De l'interculturel à l'intraculturel ........................................................................... 150
§ 1. La coopération tripartite entre Français, ex-Allemands de l'Ouest et ex-Allemands del'Est .................................................................................................................................... 150
A) Choc des cultures ..................................................................................................... 151
B) Relations interpersonnelles, transmission de l'information et rapport à l'autorité .. 152C) Condition de la femme dans l'entreprise ................................................................. 156
D) Des systèmes de formation différents à l'Est et à l'Ouest ........................................ 158
E) Internationalisation .................................................................................................. 159
§ 2. Kriegsspiel : roman illustratif des différences franco-allemandes en entreprise ........ 160
§ 3. Français et Allemands de l'Est : une relation de travail privilégiée ? ........................ 165
§ 4. Reconnaissance d'une identité est-allemande ............................................................ 168
Section II. Vérification des postulats et déconstruction des stéréotypes ................................ 170
§ 1. Organisation ............................................................................................................... 170
A) La ponctualité : une inversion des tendances ? ........................................................ 170
B) Des Français impulsifs, des Allemands méthodiques .............................................. 171
C) Des Allemands fiables, des Français imaginatifs .................................................... 174
D) Style franco-allemand et compétence interculturelle .............................................. 178
§ 2. Attentes des managers ................................................................................................ 182
§ 3. Communication .......................................................................................................... 189
A) Communication directe et indirecte ......................................................................... 189
B) Modes privilégiés de transmission de l'information ............................................... 191
Section III. Arte/Total : analogies révélatrices de problèmes récurrents dans la relation de
travail franco-allemande ......................................................................................................... 196
§ 1. Des fonctions perçues différemment des deux côtés du Rhin .................................... 196
§ 2. Deux visions différentes de la réalité : la culture et l'Europe ..................................... 199
§ 3. Prise de décision et formes de communication .......................................................... 201
§ 4. Les modes de résolution des conflits .......................................................................... 205
§ 5. Émergence d'un style de travail franco-allemand ...................................................... 207
§ 6. Dépasser les incidents critiques .................................................................................. 208
Conclusion .................................................................................................................................. 211
14TROISIÈME PARTIE : ................................................................................................................... 212
INFLUENCE DES PRATIQUES MANAGÉRIALES AMÉRICAINES ETTRANSFORMATIONS CHEZ TOTAL ......................................................................................... 212
Introduction ................................................................................................................................. 213
CHAPITRE I. INFLUENCE DES LOGIQUES AMÉRICAINES SUR LA FORMATION DESÉLITES ET LE MONDE PROFESSIONNEL ........................................................................... 214
Section I. Nouvelles logiques dans les mondes éducatif et professionnel ............................. 214
§ 1. Une internationalisation de la formation des élites .................................................... 214
§ 2. Une nouvelle conception de la pédagogie vers plus d'autonomie ............................. 215
§ 3. Professionnalisation de l'enseignement ...................................................................... 216
§ 4. Réforme des systèmes universitaires européens: objectif compétition et performance218
Section II. Changements de logiques dans l'entreprise : injonction à l'autonomie etperformance ............................................................................................................................ 220
§ 1. Rapport à l'autorité et prise en charge personnelle .................................................... 220
§ 2. L'individu contemporain oppressé ............................................................................. 222
Section III. Réception et appropriation des pratiques managériales américaines dansl'entreprise en France et en Allemagne .................................................................................. 225
§ 1. Mutations dans l'entreprise des deux côtés du Rhin .................................................. 225
§ 2. Techniques de management et stress au travail : sortir de l'exception française ........ 227
CHAPITRE II. UN MÉTISSAGE DES MODÈLES DE MANAGEMENT FRANÇAIS,ALLEMAND ET AMÉRICAIN : L'EXEMPLE DE TOTAL ................................................... 229
Section I. Changements .......................................................................................................... 230
§ 1. Des pratiques managériales plus libérales .................................................................. 230
A) Abandon du style de management autoritaire ......................................................... 231
B) Réduction des distances hiérarchiques .................................................................... 232
C) Droit à l'erreur et transparence ................................................................................ 235
D) Le coaching par les cadres ...................................................................................... 238
§ 2. La formation ............................................................................................................... 240
A) Le rôle du service des ressources humaines en France et en Allemagne ................ 240B) Quelle solution face à la méconnaissance de l'autre système ? ............................... 243
Section II. Quelles améliorations ? ........................................................................................ 245
§ 1. L'anglais : langue effective de communication .......................................................... 245
§ 2. Parité, diversité ........................................................................................................... 248
§ 3. La politique d'expatriation chez Total ........................................................................ 249
§ 4. L'image de Total ......................................................................................................... 254
15Section III. Influence américaine sur la culture d'entreprise chez Total ................................ 257
§ 1. Culture d'entreprise et " forced ranking » .................................................................. 257
§ 2. Total Attitude : des valeurs européennes ou américaines? ......................................... 260
A) Formules récurrentes ............................................................................................... 260
1. " L'humain au centre » ......................................................................................... 260
2. " Devoir de vérité » et " Courage managérial » ................................................. 262
3. " Exemplarité du management » et " Comportement destructif » ...................... 264
B) Logiques contradictoires .......................................................................................... 265
CHAPITRE III. CONFORMATION ET RÉSISTANCE AUX STANDARDS AMÉRICAINS267Section I. Conformation aux standards de la firme américaine ............................................. 267
§ 1. Adoption des standards américains comme normes de référence .............................. 267
§ 2. " Écarts de styles relatifs » par rapport à une norme américaine : analogies entre
pratiques journalistiques et pratiques managériales .......................................................... 271
Section II. Résistance aux standards américains : logique ethnocentrique et élites nationales
chez Total ............................................................................................................................... 277
§ 1. Le français, nouvelle lingua franca des affaires ........................................................ 277
§ 2. Le français, gage de confiance pour accéder à des postes à responsabilité chez Total281
Conclusion .................................................................................................................................. 285
CONCLUSION GÉNÉRALE ......................................................................................................... 287
Bibliographie ................................................................................................................................... 290
Annexes ........................................................................................................................................... 314
Entretien 28 .............................................................................................................. 316
Entretien 2 ................................................................................................................ 337
Entretien 4 ................................................................................................................ 354
Entretien 18 .............................................................................................................. 375
Entretien 7 ................................................................................................................ 396
Entretien 24 .............................................................................................................. 425
Entretien 31 .............................................................................................................. 458
Entretien 20 .............................................................................................................. 495
16INTRODUCTION GÉNÉRALE
La mondialisation, plus que la construction européenne, a modifié le visage des firmes et l'espace
dans lequel les entreprises de l'Union européenne (UE) évoluent, postulant ainsi la non-existence de
l'entreprise européenne. Les entreprises sont " plus nationales et mondiales qu'européennes » et la
" logique du chacun pour soi reste prédominante entre grands pays pour ériger en champions
européens ses propres champions nationaux »1. La dimension européenne est peu visible, voire
inexistante au niveau des entreprises de l'UE sur le plan de la gouvernance, de la culture et dumanagement. Trois modèles d'entreprises qui correspondent à trois formes de capitalismes sont à
distinguer. Il s'agit du modèle anglo-saxon orienté vers les marchés financiers et visant la
satisfaction de l'actionnaire par un haut niveau de rendement du capital à court terme, du modèle
rhénan qui s'applique aux pays du Nord de l'Europe et à l'Allemagne, qui fonctionne sur le système
de la cogestion de l'entreprise et privilégie la relation avec des partenaires financiers de long terme,
les banques, et avec les salariés de l'entreprise et enfin du modèle latin dans lequel le contrôle est
exercé par un seul gros actionnaire, souvent une famille ou l'État. Les différences sont ainsi
nationales et non européennes.Aujourd'hui, ces différences tendent à disparaître au profit du modèle présenté par la firme anglo-
saxonne2. L'internationalisation durant ces dernières décennies et la dépendance croissante des
entreprises européennes vis-à-vis des marchés financiers, ont entraîné la disparition des différences
nationales dans le management de ces entreprises, les amenant à adopter des " standards anglo- saxons de gestion »3. La loi Sarbannes-Oxley de 2002 en est un exemple. Il s'agit d'une pratique
d'origine anglo-saxonne qui impose à toute entreprise cotée en Bourse de mettre en place des
procédures d'alerte en matière comptable, en raison des scandales financiers survenus dans lesgroupes américains Worldcom ou Enron. Cette pratique a pour objet de dénoncer les actes
frauduleux sans crainte de représailles. Toutefois, son intégration dans les entreprises françaises
s'est avérée difficile. Elle pose un " paradoxe éthique » aux salariés à qui l'on demande de dénoncer
les actes graves : " L'introduction d'une telle pratique dans les filiales françaises de groupes
américains a suscité des méfiances. Ces méfiances tiennent à l'appréhension des dérives possibles
sur le terrain de la délation. En imposant au salarié une obligation de dénonciation, c'est octroyer à
celui-ci les obligations que l'employeur doit normalement assurer et attenter aux libertés
1 Marc Chevallier, " L'entreprise européenne n'existe pas », Alternatives économiques, Hors-série n° 81, 3è trimestre 2009, pp.
36-37.
2 Ibid.
3 Patrick Artus, " Peut-il y avoir une entreprise européenne avec l'internationalisation ? », colloque sur " L'entreprise
européenne dans la compétition mondiale », Le Cercle des économistes, IVe Rencontres Économiques d'Aix-en-Provence, 9-11
juillet 2004. URL : http://www.defi-univ.org/IMG/pdf/Artus.pdf 17individuelles et collectives [...]. En ce sens, les tribunaux ont ordonné le retrait de ces notes
éthiques comprenant les descriptifs des procédures d'alerte. Néanmoins, certains auteurs défendent
cette procédure en ce qu'elle ne doit pas nécessairement être placée sur le terrain de la délation [...].
La question se pose de savoir si cette procédure peut être prévue par un code de conduite ou une
charte éthique. Cela revient à se demander si les outils tels que conçus par la pratique anglo-
saxonne peuvent trouver une application similaire dans les pays plus légalistes. Par ailleurs,
l'approche américaine s'inscrit dans un contexte culturel différent des pays à tradition romano-
germanique : la dénonciation auprès d'une autorité n'est pas conçue de la même manière selon les
cultures. Dans le système romano-germanique, c'est en effet au législateur qu'appartient de
développer les dispositifs d'alerte »4. Les différences culturelles existent dans les firmes
multinationales et dans la manière de les diriger, rendant ainsi les transferts de modèles
managériaux d'un pays à un autre difficiles.En ce sens, l'exemple des cabinets de consultants réputés à l'international est intéressant à analyser.
Les dirigeants des grands groupes internationaux sont conseillés par des cabinets de consultants américains comme McKinsey, Booz Allen Hamilton, Boston Consulting Group, qui développentdes concepts aux valeurs dites de " portée universelle » que l'on retrouve tant dans les firmes
multinationales américaines qu'européennes5. Chaque groupe tente d'adapter une même philosophie
de l'entreprise à sa culture propre. Les effets s'avèrent souvent problématiques en termes de
transferts culturels de valeurs dont l'interprétation varie selon les pays et dont découlent des
comportements de référence parfois inadaptés au système culturel auquel ces valeurs s'appliquent :
" Loin de faire du sur-mesure et d'innover, les cabinets de conseil transposent leurs modèles d'une
entreprise à l'autre [...]. Une des clés de la prospérité croissante du métier du conseil tient à la
fonction de la légitimation que jouent les cabinets auprès du management des entreprises : en ayant
recours à leurs services et en suivant leurs préconisations, les dirigeants y trouvent en effet une
légitimité à usage interne, mais aussi externe en direction de leurs clients ou de leurs
investisseurs »6. Le management interculturel, encore aujourd'hui, n'est visiblement pas un sujet pris
suffisamment au sérieux dans les entreprises. Pourtant, le contexte économique mondial dans lequel
elles évoluent les met face à une réalité dans laquelle différentes cultures coexistent, générant des
dissonances culturelles.4 Brigitte Pereira, " Chartes et codes de conduite : le paradoxe éthique », La Revue des Sciences de Gestion, Direction et
Gestion, n° 230, avril 2008, p. 29.
5 Le Boston Consulting Group a fait de ses théories des produits. C'est le cas pour la " courbe d'expérience (selon laquelle le
coût unitaire d'un produit décroît d'un pourcentage constant chaque fois que l'entreprise multiplie sa production par deux) ou la
matrice BCG (qui aide les entreprises à mieux allouer leurs ressources au sein de leur portefeuille d'activités » ; cf. Marc Chevallier,
" Les recettes des cabinets de conseil », Alternatives économiques, n° 311, mars 2012, p. 48.
6 Ibid.
18La logique de l'honneur7, caractéristique de la culture d'entreprise française, n'est cependant plus
d'actualité. Les stock options et parachutes dorés des grands patrons français qui, pour certains, se
sont montrés peu préoccupés de leurs devoirs et de leur dignité, en témoignent. Les entreprises
européennes deviennent ainsi des " adeptes du modèle anglo-saxon »8. Pourtant, regarder dans la
même direction ne signifie pas pour autant se ressembler. " Les contacts n'engendrent pas
nécessairement une uniformisation culturelle. À l'inverse, ils provoquent souvent une exacerbation
des différences. La culture est ainsi utilisée pour affirmer une identité ethnique ». On parle de
" procédure de différenciation ». La culture se construit au contact des autres, elle constitue ainsi un
" ensemble dynamique ». Les acteurs sociaux, à l'instar des managers et du management dans lesentreprises, " créent eux-mêmes, dans l'interaction, les règles, les conventions et les représentations
qui organisent et donnent sens à leur existence collective [...], ils peuvent aussi les réviser, les faire
évoluer, les transformer, ce qui justifie en grande partie le changement culturel » 9.Qu'entend-on par " management » ? Dans une entreprise, le " management » constitue l'équipe de
direction de l'entreprise. Il renvoie aussi à la notion d' " administration » inaugurée en 1916 par
l'ingénieur français Henri Fayol10. La " notion classique d'administration chez H. Fayol (la
fonction administrative11) reste l'aspect essentiel de la notion contemporaine de management »12.
Pour H. Fayol, administrer, c'est " prévoir, organiser, commander, coordonner et contrôler »
13. H.
Fayol se demande dans son ouvrage Administration industrielle et générale, s'il faut faire entrer le
commandement dans la fonction administrative. Il écrit : " Ce n'est pas obligatoire, on pourraitétudier le commandement à part ». Dans la présente recherche et à l'instar d'H. Fayol, le
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