[PDF] Lœuvre de René Magritte au carrefour du texte et de limage





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Titre : La Lecture défendue huile sur toile Le choc visuel qui s

René Magritte n° 209. Première publication: 20 septembre 2018. Mise à jour : Bernard Spee. Titre : La Lecture défendue huile sur toile. 1936. 544 x 73



René Magritte

René Magritte L'Ecuyère



Titre : Portrait dIrène Hamoir Le choc visuel de ce tableau ne peut

20 sept. 2018 René Magritte n° 208 ... "Irène ou La Lecture défendue" ... En résumé sur un appui de fenêtre avec un fond ouvert sur l'océan



Sur le doigt qui montre cela

L'interprétation analytique n'est-elle pas de cet ordre ? Dans La Lecture défendue Magritte écrit un mot sur le plancher. Un index.



Dufays-Ricker Magritte mai 2016 v10

15 juin 2016 René Magritte La lecture défendue



Lœuvre de René Magritte au carrefour du texte et de limage

d'autres modalités de liens établis entre la littérature et les peintures de Magritte. Un exemple fécond est celui de La lecture défendue (193616).



Louis Hébert Pascal Michelucci et Éric Trudel (dir.) 2018. Magritte

la base de données dans leur analyse en prenant en compte la totalité du corpus (1957 œuvres de Magritte s'y trouvent répertoriées) ou en.



Louis Hébert Pascal Michelucci et Éric Trudel (dir.) 2018. Magritte

la base de données dans leur analyse en prenant en compte la totalité du corpus (1957 œuvres de Magritte s'y trouvent répertoriées) ou en.



Expo MAGRITTE

L'exposition «Magritte. La trahison des images» propose une approche à ce jour inédite de l'œuvre de l'artiste belge René Magritte.



Compte rendu : Louis Hébert Pascal Michelucci et Éric Trudel (dir

L'analyse distingue environ 3000 éléments différents revenant Dans La lecture défendue (1936) la lettre i est remplacée



pédagogique R le dossie - musee-magritte-museumbe

En 1916 Magritte s’inscrit à l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles dont il fréquente peu les cours Son goût pour le réalisme de la représentation semble cependant naître de cette époque d’apprentissage En 1919 il se lie d’amitié avec les frères Bourgeois Pierre et Victor Ensemble ils participeront à la création et au

Quels sont les problèmes de Magritte?

Dans sa conférence, Magritte cite les problème de la porte, de la fenêtre, de la lu- mière, de la femme, du cheval. L’artiste peint une série de variantes, de solutions possibles, avant de trouver l’association parfaite qui clôture ce cycle. « Cette expérience picturale confirme ma foi dans les possibilités ignorées de la vie.

Quelle est l’œuvre de Magritte ?

L’œuvre de Magritte est l’exemple parfait de la résolution du rêve et de la réalité proposée par Breton, la parfaite surréalité. “ Magritte récuse les deux [le monde visible et l’univers de l’énigme], mieux : il réalise l’indissociable union des deux risques : celui du monde familier, et celui de la pensée libre et ressemblante ” [6].

Quels sont les motifs de prédilection de Magritte ?

Ici apparaît pour la première fois ce qui deviendra un de ses motifs de prédilection : la pipe. Comme de nombreux artistes, Magritte n’a pas manqué pas de s’inspirer de chefs d’œuvre de l’Histoire de l’Art. Comme l’avait fait Dalí avec ses métamorphoses de la Vénus de Milo et de la Joconde, Magritte s’est attaqué à des œuvres connues.

Quels sont les dossiers Magritte ?

Ce dossier présente à travers les collections des Musées royaux des Beaux-Arts quelques visages de la violence sociétale pour amorcer une réflexion sur le monde d’aujourd’hui. Les dossiers Magritte abordent la vie, l'œuvre, le système de pensée du peintre dans le contexte plus large du surréalisme. Un dialogue unique entre Arts et Droits humains!

Lœuvre de René Magritte au carrefour du texte et de limage

L'oeuvre de René Magritte au carrefour du texte et de l'image. Enjeux sémiotiques et propositions didactiques Jean-Louis DUFAYS & Marie-Émilie RICKER Introduction Différentes réalités nous paraisse nt inviter aujourd'hui les didacticiens de la littérature et des arts à conjuguer leurs forces. En premier lieu, l'histoire et l'analyse combinée de l'art et de la littérature commencent seulement à acquérir une place digne de ce nom dans les programmes scolaires1 : il y a donc là un terrain neuf à investir, qui rend nécessaire l'élaboration d'outils et de dispositifs fondés sur des recherches. En deuxième lieu, il est manifeste qu'arts et littérature mobilisent des pratiques de réception et des clés de lecture communes : les p artager à propos d'objets qui les mobilisent pareillement relève donc autant de l'intérêt stratégique que du bon sens didactique. Ce travail commun s'avère d'autant plus pertinent que, comme en atteste la vogue actuelle des productions multimédias et multimodales, les langages de l'écrit et de l'image sont aujourd'hui de plus en plus entremêlés, imbriqués, indissociables. À ces motivations s'en ajoutent deux autres, qui concernent les enjeux de la formation : il semble bien que les jeunes du 21e siècle aient plus que jamais besoin de développer des compétences d'analyse critique pour décoder et interpréter les articulatio ns texte-image, 1 C'est le cas notamment en France. En Belgique francophone, cette matière reste réservée aux options artistiques.

Enseigner la littérature en dialogue avec les arts 106 d'imaginer et de créer des productions mixtes, et le développement de ces compétences semble d'autant plus crucial que l'art et la littérature apparaissent comme un contrepoids vital fa ce à l'approche fonctionnelle et utilitariste du monde. Mais si les rais ons d'articuler didactiquement les ar ts et la littérature ne manquent donc pas, encore faut-il créer les conditions pour rendre cette articulation féconde. La première condition est bien sûr de prendre le te mps de se rencontrer entre didacticiens de la littérature et de l'histoire des arts. Il s'agit ensuite de s'accorder pour travailler sur des oeuvres " mixtes », qui just ifient le c roisement de leurs compétences. Pour ce faire, un objet privilégié réside dans les oeuvres " patrimoniales » qui " comptent » pour l'école, tant par leur fortune transtextuelle2 que par leur caractère prototypique, c'est-à-dire par la manière dont elles incarnent une rupture, une période clé de l'histoire de l'art et de la littérature3. Plus une oeuvre " rayonne » ainsi - dans la culture de son époque comme dans celle des ép oques ultérieures -, plus elle se prête à l'exploration et à l'exploitation d'une diversité de potentialités interdisciplinaires et didactiques. Au regard de ces critères, l'oeuvre de Magritte nous apparait à divers égards comme une mine d'or didactique. Cet artiste s'impose en effet d'abord par sa va leur patrimoniale et proto typique : protagoniste du surréalisme international, il est aussi l'emblème du surréalisme wallon et d'une certaine " belgitude », et por teur plus largement d'enjeux significatifs de l'art moderne. Cité, exploité, imité, détourné à toutes les sau ces, il s'impose en outre p ar sa fo rtune transtextuelle. Travailler sur un tel artiste permet enfin de dépasser une vision stéréotypée du surréalisme au profit d'une compréhension plus dense et plus nuancée de ses enjeux. 2 Cf. Genett e (1982). Louichon (201 5) parle à ce propos d'OSS, d'" Objets sémiotiques secondaires ». 3 Le concept d'oeuvre prototypique, qui a été développé notamment par Dufays, Gemenne et Ledur (2015), est important dans une logique didactique ; il rejoint le conc ept d'oeuvre " mixte », qui définit un c orpus didactiquement propice, emblématique d'une catégorie, " idéaltypique ».

Jean-Louis DUFAYS & Marie-Émilie RICKER 107 Plus précisément, nous identifions six relations intéressantes à explorer et exploiter à pr opos de l'oeuvre de Magritte : celles qui relient le textuel et l'iconique au sein de ses peintures ; celles qui relient les titres des peintures et leurs contenus ; celles qui relient l'oeuvre picturale de l'artiste et son oeuvre littéraire ; celles qui relient ses peintures aux oeuvres littéraires qu'elles ont illustrées ; celles qui relient lesdites peintures à leurs exploitations métatextuelles ; et celles qui les relient à leurs exploitations hypertextuelles (cf. Genette, 1982). Notre démarche dan s cet article sera d'abord d'illustrer, d'analyser et de " discuter » chac une de ces relations. Nous chercherons chaque fois à en dégager des enjeux didactiques, avant de proposer in fine un parcours d'ensemble adaptable pour les classes du collège ou du lycée. 1. Le texte dans le tableau Lorsque l'on s'intéresse à l'oeuvre de René Magritte sous l'angle spécifique du carrefour entre le tex te et l'image, la première caractéristique frappante est l'insertion de l'écriture au sein du champ pictural, et on notera d'emblée que cette présence s'actualisera de diverses manières. 1.1. Première peinture de mots La toute première " peinture de mots » réalis ée par Magritte s'intitule La clef de s songes4. Elle a été peint e à Pe rreux-Sur-Marne (banlieue parisienne) en octobre 1927, alors que l'artiste venait de s'y installer en vue de se rapprocher de Camille Goemans et du cercle surréaliste parisien (Sylvester, 1992-1997 : 239-240). Il reste utile de préciser que le surréalisme belge se différ encie profondément, à certains égards, du surréa lisme parisien, notamment p ar l'attitude subtile et subversive, comme le précise Xavier Canonne (2007 : 9), " d'un petit g roupe d'hommes ayant long temps refusé l'étiquette "surréaliste" avant de s'y résoudre pour les commodités de la conversation ». 4 1927, h/t, 38 x 55 cm, Staatsgalerie moderner Kunst, Munich.

Enseigner la littérature en dialogue avec les arts 108 La composition de La clef des songes est sobre et structurée : un cadre illusionniste en pierre crée quatre rectangles noirs identiques où sont peints quatre éléments familiers en-dessous desquels sont écrits des subst antifs. Sous la valise est écrit " Le ciel » ; sous le canif, " L'oiseau » ; sous la feuille, " La table », et sous l'éponge, " L'éponge ». La mise en forme de l'oeuvre, qui rappelle le mode de fonctionnement basique des " Alphabets de lecture5 », induit automatiquement la mise en relation de chaque image avec le mot inscrit dessous. En utilisant l'habitude intuitive de l'apprentissage traditionnel de la lecture, le sp ectateur est décontenancé car trois mots semblent " inexacts » du fait qu'ils ne correspondent pas aux images. Ensuite, de manière inattendue, si le lecteur opère dans le sens habituel de la lecture, de gauche à droite et de haut en bas, le dern ier mot est , lui, exact puis que un e éponge surmonte la graphie " L'éponge ». Trois inexactitudes, une exactitude : comment interpréter cela au regard du titre de l'oeuvre : La Clef des songes ? En fait, M agritte choisit t rès soigneusement les titre s de ses tableaux, qui, comme on le verra plus loin, sont souvent, à tout le moins, polysémiques. Dans ce cas-ci, l'intitulé La Clef des songes est le titre donné par Henry Vidal à sa traduction française de l'Oneirocritica d'Artémidore d'Ephèse. Or, il est attesté que Magritte possédait un exemplaire, publié en 1921, de La Clef de s songes d'Henry Vidal (Sylvester, 1992-1997 : 239). Dès lors, le choix du titre La Clef de s songes établit un lien évident avec la v olonté fondamenta le du surréalisme qui revendique, selon sa définitio n, d'exprimer le fonctionnement réel de la pensée, en l'absence de tout contrôle exercé par la raison. Mais, de manière plus précise, on peut également observer que Magritte innove ici en inventant un lien inusité entre le texte et l'image qui pourrait correspondre à la suite de la définition du surréalisme, généralement moins citée : " Le surréalisme repose sur la 5 Cf. http:/ /www.neoprofs.org/t70157-les-methodes-de-lecture-anciennes-1900-1980, Page de lecture : 3 fiches (8 bis, 9 bis, 10 bis) des Jeux et exercices de lecture "Daniel et Valérie" ; ht tp://manuelsanciens. blogspot.com/2015/04/jeux-et-exercices-de-lecture-daniel-et.htm : Houblain, Vincent, Daniel e t Valérie, cahier d'exercices n°3 (1964).

Jean-Louis DUFAYS & Marie-Émilie RICKER 109 croyance à la réalité supérieure de certaines formes d'associations négligées jusqu'ici » (Breton, 1924-1987 : 328). Dans ce cas-ci, une nouveauté associative réside dans les relations visuelles et conceptuelles établies explicitement au sein de La Clef des songes entre les images e t les mots, qui mêle nt, sans raison apparente, l'inexactitude et l'exactitude. Par ailleurs, Magritte n'exploite pas de procédés créatifs liés à l'automatisme. En effet, sa démarche est mureme nt réfléchie et s'exprime dans une mise en forme sobr e, dépouillée e t volontairement impersonnelle, qui, paradoxale ment, deviendra en quelque sorte sa marque de fabrique. Dans ce sens, l'artiste opte pour une attitude a ssez prémonitoire de l'art de la deuxiè me moitié du vingtième siècle, en donnant la primauté à l'idée et non à la mise en forme. Son but est de surprendre en révélant le mystérieux présent dans le familier : le tour de force est que le banal présenté de manière anodine devient étrangement énigmatique. Le procédé visuel observé dans La Clef des songes, qui associe trois images à trois mots qui ne leur corresp ondent pas et une quatrième image au mot qui lui correspond, v a être r éutilisé par Magritte, quasiment à l'identique, dans un texte po étique intitulé " Théâtre en plein coeur de la vie » qu'il pu bliera en 1928 dans le premier numéro de la revue Distances : nous y reviendrons dans la troisième partie de cet article. 1.2. La trahison des images (Ceci n'est pas une pipe) 1.2.1. Sources iconographiques et littéraires Dans la lignée de la falla cieuse simplicité, la plus c élèbre peinture de mots réalisée par l'artiste, est sans doute La trahison des images (Ceci n'est pas une pipe6), dont le titre complet est confirmé par Magritte dans une lettre adressée en 1935 à Paul Éluard (Sylvester, 1992-1997 : 331). 6 1929, h/t, 60 x 81 cm, Los Angeles, County Museum of Art.

Enseigner la littérature en dialogue avec les arts 110 Cette oeuvre constitue une étape supplémentaire décisive dans l'établissement d'un nouveau rapport entre les mots et la peinture, révélant ainsi l'ambigüité des liens entre les objets réels, leur image et leur nom. Ce problème spécifique est explicitement développé par Magritte dans " Les mots et les images », article publié en décembre 1927 dans La Révolution surréaliste, que nous commenterons dans la troisième partie de cette analyse. Dans La trahison des images (Ceci n'est pas une pipe) , le dépouillement stylistique de la facture picturale est également frappant et trouve son explication dans une affirmation de l'artiste qui établit une métaphore explicite avec la création littéraire : " J'essaie toujours que la peinture ne se fasse pas remarquer, qu'elle soit la moins visible possible. Je travaille un peu comme un écrivain qui rechercherait le ton le plus simple, qui se refuserait à tout effet de style, de façon à ce que le lecteur ne puisse distinguer dans son oeuvre autre chose que l'idée qu'il a voulu exprimer » (Magritte, 1979 : 660). Mais pourquoi Magritte a-t-il choisi tout particulièrement une pipe pour faire passer ce message ? Outre le fait que cet objet était beaucoup plus banal à cette époque qu'actuellement, on observe que l'iconographie de La trahison des images (Ceci n'est pas une pipe), pourrait être inspirée d'une illustration présente dans l'ouvrage de Le Corbusier Vers une architectur e (1923), dont les idées nova trices enthousiasmaient Magritte. En effet, on y retrouve une illustration de pipe intitulée Coopérative " la Pipe » (Le Corbusier-Saugnier, 1923 : 243) en dessous de la phrase finale du texte : " Architecture ou révolution. On peut éviter la révolution ». Cependant, Le Corbusier n'apporte aucune explication à propos du lien à établir entre le text e et l'illustration de la pipe7. 1.2.2. " Ceci n'est pas... » : une formule féconde qui circule Le texte " Ceci n'est pas une pipe » n'est vraisemblablement pas neuf non plus. Il est peut-être inspiré d'un pannea u affiché dans 7 Selon Christian Girard, il y a là une " pipe (...) que rien dans le texte n'appelle et dont la présence ne suscite pas la moindre note explicative » (Girard, 1986 : 144).

Jean-Louis DUFAYS & Marie-Émilie RICKER 111 la Galerie du Parlement à Bruxelles (vers 1922) par Geert Van Bruaene, protagoniste du sur réalisme bruxellois. Dans cette galerie d'art, Van Bruaen e vendait éga lement des bonbons, en-dessous desquels était placé un panneau " Ceci n'est pas de l'art ». Il s'était peut-être lui-même souvenu du texte de Diderot " Ceci n'est pas un conte » (1773). Si la formule n'est donc pas vraiment nouvelle, elle n'en est pas moins bizarre dans le contexte pictural, où elle parait fonctionner au second degré. Magritt e lui-même est ple inement consc ient de l'étrangeté du procédé, puisque, en préparant l'édition de la première monographie qui lui est consacrée, en 1943, alors que la Belgique est sous occupation et censure allemande, il écrit à Marcel Mariën (auteur de l'ouvrage) au sujet des illustrations : " Je ne suis pas fort enclin... de montr er "La pipe" qui pourr ait servir de prétexte à me faire enfermer dans un asile » (Sylvester, 1992-1997 : 332). 1.2.3. Ambigüité entre l'objet réel, son image, son nom, la graphie de celui-ci Dès lors, le s " peintures-alphabets » ou " peintures-mots » réalisées par Magritte au cours de son séjour parisien de 1927 à 1930 visent à mettre en doute le lien, qui semblait jusqu'alors logique et normal, généralement é tabli entre les objets représentés, leur dénomination et la graphie de leur nom. Ces oeuvres proposent donc un nouvea u rapport entre les mots et la peinture, révélant a insi l'ambigüité des rapports entre les objets réels, leur image, leur nom, leur graphie. Avec des moyens familiers et transparents, l'artiste crée efficacement le trouble de l'incertitude. Autre démarche typique de l'artiste pour certaines oeuvres qui remportent un grand succès, Magritte produira, entre 1929 et 1966, une dizaine de variantes de La trahison des images (Ceci n'est pas une pipe). On notera, par exemple, une version anglophone (This is not a pipe, 19358) ou une allusion explicite à la démultiplication de l'oeuvre qu'il 8 " La trah ison des images », huil e sur toile, 27 x 4 1 cm, Bruxelles, Galerie Isy Brachot.

Enseigner la littérature en dialogue avec les arts 112 intitule ironiquement Ceci continue de ne pas être une pipe (19529). Une des dernières versions aboutira à une forme de mise en abyme de l'oeuvre dans Les deux mystères (196610), où l'on retrouve le tableau représenté dans le tableau, confrontant ainsi deux images de la pipe. Parfois, il introduira une variante por tant sur le s ujet représenté, notamment dans Ceci n'est pas une pomme (1964). Mais il est intéressant de noter que le thème de la pipe, fort vraisemblablement traité au premier degré par l'artiste dans les oeuvres axées autour de La trahison des images11, donnera parallèlement lieu à d'autres productions qui e xploiteront une dimension plus ironique et caricaturale12 ou allusivement sexuelle, comme dans La liberté de l'esprit13. Para llèlement, on observe que Magritte, produira, au moins, deux petits dessins de pipe (dont l'un est exposé au Musée de Bruxelles) qui sont très explicitement sexuels en présentant le tuyau de la pipe en forme de pénis. Cette production, qui juxtapo se parallèlement deux types de dé marches, l'une conventionnelle et bénigne, l'autre volontairement provocante, subversive - parfois même illégale - illustre une caractéristique de Magritte que nous aborder ons également à travers les tracts anonymes. Ce double jeu est no tamment sou ligné par Xavier Cannone, qui considère que les activités du surréalisme wallon se différencient du surréalisme parisien par " leur méthode subtile, leur ton allusif et leur volonté de discrétion allant jusqu'à l'anonymat » (Cannone, 2007 : 9). 1.2.4. La fortune littéraire de la pipe Alors que l'oeuvre picturale La trahison des images (Ceci n'est pas une pipe) frappe par sa simplicité e t son appar ente tran sparence, elle a donné lieu à une importante exégèse littéraire, caractérisée par une complexité conceptuelle qui n e sera pas nécessairement facile à 9 Gravure. 10 Huile sur toile, 60 x 80 cm, coll. part. 11 Interprétation qui a été aimablement confirmée par Xavier Cannone. 12 Dessin au crayon et crayon de couleur sur petite fiche perforée, 1935, 12 x 7,4 cm, Musée Magritte, Bruxelles. 13 1949, huile sur toile, 100 x 80 cm, Musée des Beaux-Arts de Charleroi.

Jean-Louis DUFAYS & Marie-Émilie RICKER 113 exploiter d'un point de vue didactique. Nous relèverons tout d'abord l'essai de Michel Foucault (1973) Ceci n'est pas une pipe. Deux lettres et quatre dessins de Re né Magritte. L'auteur commence par met tre en évidence l'aporie de la mise en scène du tableau : " Ce qui déroute, c'est qu'il est inévitable de rapporter le texte au dessin (comme nous y invitent le démonstratif, le sens du mot pipe, la ressemblance de l'image), et qu'il est impossible de définir le plan qui perm ettrait de dire que l'assertion est vraie, fausse, contradictoire ». Ensuite, Foucault imagin e que Magritte aurait cons truit, puis déconstruit, un calligramme : " La diab lerie, je ne peux m'ôter de l'idée qu'elle est dan s une opération que la simplicité du résultat a rendue invisible mais qui seule peut expliquer la gêne indéfinie qu'il provoque. Cette opération c'est un calligramme secrètement constitué par Magritte puis défait avec soin » (Ibid. : 19). Le caract ère hypothétique de la démarche ne permet pas réellement au lecteur de se f orger un e opinion arrêtée à ce sujet. D'ailleurs, très rapidement après la publicatio n de l'ouvrage de Foucault, André Blavier, critique d'art et poète, proche de Magritte, publie, en forme de réponse sceptique à Foucault, Ceci n'est pas une pipe. Contribution fur tive à l'étude d'un tableau de René Magritte, où il précise : " Je trouve d'autant plus volontiers conf irmation de ma position, réticente à l'égard des thèses volontaris tes de Foucault » (Blavier, 1973 : 7). Blavier met en garde contre les interprétations qu'il qualifie de simplistes de cette peinture car il estime que le but de l'oeuvre est de créer une tension entre l'objet et ses différents modes de représentation : " Négligeant ce que nous nommerons plus loi n le Simplisme, on pourrait en effet avancer que Magritte oppose ici non l'objet au mot qui l'énonce, mais à ses représentations, tant plastique que verbale. L'inadéquation verbale étant elle-même posée en termes plastiques, et les deux modes de représentation [...] rendus solidaires en une commune altérité d'avec l'objet » (Ibid. : 6). Quant à Gilles Deleuze, il estime que Foucau lt, dans son oeuvre, fait apparaitre de trois manières une béance entre le visible et l'énonçable : humoristiquement, logiquement et historiquement. Pour

Enseigner la littérature en dialogue avec les arts 114 Deleuze, la réponse donnée par Foucault dans son ouvrage Ceci n'est pas une pipe est de nature humoristique lorsqu'il suppose que, s'il y avait une forme commune à l'énonçable et au visible, cette forme apparaitrait dans ce qu'on appelle un calligramme14. Avec toute la prudence et la modestie qu'exige le commentaire de ces différents tex tes, il n'est pas éviden t de mesurer, de prime abord, si le texte de Foucault comporte effectivement une dimension humoristique ou si l'analyse de Deleuze doit se compre ndre au premier degré. Quoi qu'il en soit, La trahison des images, nonobstant son apparente innocence, apparait comme la source de spéculations complexes et diverses, part iellement disco rdantes15, qui s emblent démultiplier la trahison et le jeu de dupes, bien au-delà des images. 1.3. D'autres oeuvres cryptée s de Magritte en lien avec la littérature ? Après avoir abordé les peintures de mots, on peut envisager d'autres modalités de liens établis entre la littérature et les peintures de Magritte. Un exemple fécond est celui de La lecture défendue (193616). En se réf érant pr écisément au titre de la peintur e concernée, le spectateur peut interpréter celui-ci à un premier niveau. En effet, la lecture du mot écrit sur le tab leau est e mpêchée par le do igt qui dissimule une lettre. Titillé par cette difficulté, le spectateur se lance dès lors instinctivement dans une supposition de lecture " probable » : s(i)rène ? On p eut enfin imaginer un troisiè me niveau de lectu re, crypté cette fois, dan s lequel cette peint ure évoquerait l 'édition clandestine du texte érotique de Louis Aragon intitulé Le con d'Irène 14 G. Deleu ze, Cours 6 sur les for mations historiques , tran scription d 'un enregist rement (26/11/1985). http://www2.univ-paris8.fr/deleuze/article.php3?id_article=423, consulté le 10 mai 2016. 15 C'est cette instabilité sémantique irréductible, jusqu'au malaise, comme dans le " jeu de vertige », que Caillois appelle ilinx. Même la tonalité thymique de l'ilinx reste oscillante entre l'euphorie et la dysphorie sémiotique. 16 Huile sur toile, 54 x 73 cm, Bruxelles, MRBA.

Jean-Louis DUFAYS & Marie-Émilie RICKER 115 (1928), qui fut menacé d'être mis littéralement " à l'index17 » (Vanhoonacker, 2009 : 19). Un autre exemple intéressant est La géante (1929/3018), qui est constitué de deux parties, l'une représen tant une femme surdimensionnée par rapport au décor et au personnage masculin qui s'y trouve, l'autre, à droite de cette scène, sur un fond noir, présente un poème intitulé " La géante », que Magritte a signé " Baudelaire », et qui commence ainsi : " Alors qu'un monde bas mais de grâce prenante Berce de ses couleurs l'espoir vain de vos yeux Au milieu de ma vie se meut une géante Méprisante, masquée, et négligeant vos dieux [...] ». En réalité, il ne s'agit pas du texte de Baudelaire, puisque le texte éponyme du poète se présente comme suit : " Du temps que la Nature en sa verve puissante Concevait chaque jour des enfants monstrueux, J'eusse aimé vivre auprès d'une jeune géante Comme aux pieds d'une reine un chat voluptueux [...] » (Mariën, 1979 : 19). De nouveau, on observe là une ruse discrète, un détournement principalement réservé aux initiés puisq ue, selon Marc el Mariën (Ibid.), Magritte a utilisé ici un texte " embelli » par son ami le poète Paul Nougé, qui l'a créé spécifiquement pour ce tableau. Cet exemple montre déjà combien Magritte colla borait activement avec les écrivains de son cercle surréaliste. Comme on le verra plus loin, cette collaboration s'étendait aussi au choix des titres de ses peintures. 17 I. Vanhoonacker (dir.), Dossier pédagogique Magritte, Bruxelles, Educateam. Musées royaux des Beaux-Arts, 2009, p.19. www.extra-edu.be/pdf/Magritte_FR.pdf. 18 Gouache et encre de chine sur Isorel, 54 x 73, Cologne, Museum Ludwig.

Enseigner la littérature en dialogue avec les arts 116 1.4. Enjeux didactiques Didactiquement, la présence de textes da ns les tableaux de Magritte et le dialogue fréq uent qu'il ét ablit entre le textu el et l'iconique permettent de faire comprendre aux élèves que la simplicité apparente des oeuvres du peintre repose sur des sources d'inspiration aussi diverses que complexes. Étudier ces oeuvres en classe permet de découvrir petit à petit le cryptage des images et des textes, qui vont souvent au-delà des évidences. Parallèlement, on peut ainsi percevoir la volon té de l'artiste de rendre visible l 'invisible, par une factu re picturale sobre, en vue de révéler le mystère derrière la fausse banalité du quotidien. À travers cette démarche, apparait le caractère subtil, ambigu, allusif du surréalisme de Magritte. De plus, ses collaborations avec des écrivains et des poètes mettent en évidence les liens féconds et inventif s qu'il en tretenait avec les membres de son " cercle » surréaliste. Dans le cadre d'un atelier créatif, on peut inviter les élèves à imaginer d'autres mots ou phrases à insérer à l'intérieur de peintures de Magritte en établissant des liens avec les objectifs du surréalisme. 2. Les jeux de l'oeuvre avec le paratexte 2.1. Le dialogue entre les titres des oeuvres du peintre et leurs contenus iconographiques Jusqu'à présent, suivant une tradition occidentale bien établie, nous avons envisagé les titres des tableaux comme des moyens de décodage ou d'explication de leur sens. Or, Magritte s'est exprimé très clairement pour contester cette habitude : " Les titres des tableaux ne sont pas des explications et les tableaux ne sont pas des illustrations des titres. La relation entre le t itre et le tableau est poétique » (Magritte, 1979 : 259). Le peintre reviendra plusieurs fois sur cette volonté de donner une dimension poétique aux titres des tableaux : " Le titre p oétique n'a rien à nous apprendre, mais il doit nous surprendre et nous enchanter » (Ibid. : 263). Dès lors, rendre ses titres surprenants et enchanteurs de manière à leur donner une dimension

Jean-Louis DUFAYS & Marie-Émilie RICKER 117 poétique constituera un défi pour le peintre, qu'il relèvera à nouveau souvent avec l'aide de ses amis écrivains. 2.2. Trouver un titre : un " problème » pour Magritte Magritte envisage la manière d'intituler ses tableaux sous l'angle de la résolution de problème, comme il le confirme notamment à propos du tableau Le viol (193419). Ainsi, lors d'une conférence qu'il a donnée en 1938, il précise que les titres sont des " solutions » trouvées pour régler des " problèmes » de corrélation entre un objet, la chose attachée à lui dans l'ombre de sa conscience et la lumière où cette chose doit parvenir, et il conc lut : " La femme don na Le viol » (Scutenaire, 1977 : 90-91). Les liens de ce tableau avec la littérature seront féconds, puisqu 'il illus trera notamment la couvert ure de l'ouvrage d'André Breton Qu'est-ce que le surréalisme ? paru en 1934. Le tableau La reproduction interdite (193720) établit un autre type de rapp ort entre le titre et la littéra ture. À première vue, le titre renvoie explicitement au contenu puisque le reflet du personnage y semble interdit, celui-ci étant montré deux fois de dos. Si l'on regarde attentivement les détails, on constate cependant que le livre posé sur l'appui de la cheminée est, à l'inverse du personnage, correctement reflété, et qu'on peut y lire " Edgar Poe. Aventures d'Arthur Gordon Pym ». Il s'agit donc de la traduction fr ançaise d'un roman d'aventures de l'Américain Edgar Allan Poe, qui était l'un des auteurs favoris de Magritte. La réalité du livre semble ainsi plus prégnante que celle du personnage, Edward James, dont Magritte prétendait faire le portrait. 2.3. Des titres choisis avec l'aide d'amis écrivains... et qui évoluent Comme on l'a vu plus haut, Magritte demandait fréquemment à ses amis de l'aider à choisir le titre de ses tableaux. Prenons l'exemple 19 Huile sur toile, 73 x 54 cm, Houston, The Menil Collection. 20 Huile sur toile, 79 x 65 cm, Rotterdam, Musée Boijmans.

Enseigner la littérature en dialogue avec les arts 118 du table au finalement intitulé Les jours giga ntesques21. En c e qui concerne le sujet, Magritte avait écrit à Marcel Lecomte : " Le dessin, comme tu le ver ras, repr ésent e une tentative de viol, la femme visiblement est dans l'effroi. Le sujet, cet effroi qui possède la femme, je l'ai traité avec un subterfuge... » (Sylvester, 1992-1997 : 277). Le titre du tableau a été choisi en trois étapes. Dans un premier temps, Magritte écrit à Paul Nougé (2 avril 1928) qu'il n'est pas vraiment content du titre La peur de l'amour qu'il a trouvé pour ce tableau et il lui demande d'en trouve r un meilleur. En réponse à cette demande, Nougé propose L'aube désarmée, titre qui est alors ch oisi pour la publication du dessin dans Distances en avril 19 28, et dont l'inscription, à demi effa cée, est encore visible au dos de la toile. Finalement, d'après Marcel Mariën , c'est Louis Scut enaire qui a trouvé le titre définitif Les jours gigantesques, inscription qui sera dès lors définitivement indiquée au dos de la toile (Ibid.). À travers cet exemple emblématique, on comprend combien atteindre ce qu'il es timait être la dimension p oétique du titre constituait réellement un problème à résoudre pour l'artiste ; et l'on voit aussi à quel point la c ollaboration avec ses a mis écrivains et poètes était intense. 2.4. Enjeux didactiques En prenant appui sur ces divers cas qui illustrent l'importance des titres donnés par Magritte à ses peintures , l'enseignant peut sensibiliser les élèves à la varié té des jeux instaurés e ntre l'oeuvre picturale et le paratexte. Il pe ut également mett re en évidence les enjeux sémiotiques du choix du titre dans la démarche s urréalis te, selon laquelle le titre apporte une strate poétique et interprétative qui doit surprendre et enchanter : le titre devient alors un discours à la fois entrelacé à l'iconique et indépendant de celui-ci, dans un usage spécifique où la forme extra-courte n'est pas seule ment un nom d'objet mais devient un discours à soi seul. Dans le cas de Magritte, 21 1928, huile sur toile, 73 x 54 cm, coll. privée.

Jean-Louis DUFAYS & Marie-Émilie RICKER 119 on obse rvera en outre l'importance et les modalités variée s de sa collaboration avec des amis écrivains. Dans le cadre d'un atelier créatif, on pourrait inviter les élèves à chercher en groupes, comme le faisaien t Magritte et ses amis, de nouveaux titres poétiques aux oeuvres du peintre susc eptibles d'intriguer le spectateur. 3. Quand le peintre se fait écrivain Comme on a déjà pu le constater, s'il était peintre avant tout, Magritte était aussi é crivain à ses heures. Il y a donc quelque pertinence à s'intéresser aux relations qui relient son oeuvre picturale à son oeuvre littéraire. Trois aspects seront particulièrement l'objet de notre attention : sa théorie du rapport entre les mots et les images, son engagement dans l'écriture de textes subversifs, et la poétique spécifique qu'on peut dégager de ses écrits. 3.1. Une théorisation du rapport entre les mots et les images Dans le n°12 de La révolution surréaliste (décembre 1929), parmi des textes signés Breton, Tzara , Char, Goemans, Éluard, Aragon, Dali, Crevel et Péret, Magritte publie un étrange " article » intitu lé " Les mots et les images », qui se présente comme une succession de 18 énoncés théoriques brefs - limités à une ou deux phrases d'une à trois lignes - qui sont illustrés chacun par un dessin en noir et blanc à l'encre de chine. Chacun de ces énoncés formule un type de relation possible entre les mots et les images. Non soumis à un ordre logique particulier, ils portent sur des phénomènes aussi divers que : - la fonction référentielle du langage : la phrase " Un mot peut prendre la place d'un objet dans la réalité » est illustrée par le visage d'une femme qui p rononce, co mme dans une bulle de bande dessinée, les mots " le soleil » ; - l'illustration traditionnelle du mot par l'image : l'énoncé " Un objet rencontre son image un objet rencontre son nom. Il arrive que l'image et le nom de cet objet se rencontrent » est suivi d'un dessin d'une forêt accompagnée du mot " forêt » ;

Enseigner la littérature en dialogue avec les arts 120 - l'arbitraire du signe : l'énoncé " Un objet ne tient pas tellement à son nom qu'on ne puisse lui trouver un autre qui lui convienne mieux » est illustré par le dessin d'une feuille d'arbre, qui est désignée par les mots " Le can on » ; plus loin, la phrase " Une forme quelconque peut remplacer l'image d'un objet » est suivie de quatre dessins représentant des formes variées qui sont chacun intitulés " le soleil » ; - l'autosuffisance de l'image : l'énoncé " Il y a des objets qui se passent de nom » est suivi d'un dessin représentant une barque sur la mer, sans autre commentaire ; - l'autosuffisance - à l'inverse - du langage : la phrase " un mot ne sert parfois qu'à se désigner soi-même » est illustrée par les mot " ciel » entouré d'une sorte de nuage ; - etc22. On le voit, à côté de phénomènes " triviaux » (comme celui de la simple illustration du mot par l'image de son ré féren t), cet ensemble d'énoncés met en évidence des relations plus insolites, non dénuées d'effets comiques, qui rejoignent des mécanismes récurrents de l'oeuvre picturale de Magritte et touchent à ce qu'il est convenu d'appeler son surréalisme. Certes, par son caractère épars et non systématique, ce texte relève plus de la promenade intellectuelle que de la t héorie proprement dite, mais en nomma nt ainsi lui -même quelques mécanismes de sa pr opre production, Magritte place d'emblée son écritu re sous le sig ne de la métacognition et de la réflexivité. Écrire pour lui, c'est déjà interroger les processus de l'art. 3.2. Des tracts anonymes subversifs Un deuxième trait de l'écriture de Magritte réside dans sa prédilection pour une certaine forme de subvers ion. Il n'est pa s inutile ici de rappeler que dans son Manifeste de 1924, André Breton définissait le surréalisme comme une " dictée de la pensée en absence 22 La plac e manque ici pour analyser systématiqu ement les d ifférents procé dés envisagés par ce texte, dont l'étude mériterait à elle seule un article entier.

Jean-Louis DUFAYS & Marie-Émilie RICKER 121 de tout contrôle exer cé par la raison, en deh ors de toute préoccupation esthétique ou morale ». Quand on considère certains textes de Magritte, il semble bien que, non content de se situer en dehors de préoccupations esthétiques ou morales, l'artiste ait parfois carrément choisi de s'ériger contre ce type de préoccupation. Il suffit pour s'en convain cre de parcourir trois tracts anonymes " au ton volontairement outrancier23 » qu'il a rédigés en 1946 avec son ami Marcel Mariën, et qui ont pour titre " L'Emmerdeur », " L'Imbécile » et " L'Enculeur24 ». Même si chacun de ces textes mériterait qu'on s'y attarde, nous nous limiterons à citer ici intégralement le deuxième : " Les bons p atriotes sont des imbéciles ; les bons pa triotes emmerdent la patrie. Chaque jour, à tous moments, un patriote au moins chie, sans scrupules, sur le sol sacré de la patrie. Les curés sont des imbéciles. Ils ignorent tout de la religion. Nous la leur apprendrons. Les bourreaux de Breendonck sont des imbéciles ; ils manquaient totalement d'imagination. Ils auraient pu, par exemple, obliger leurs victimes à se regarder dans des miroirs. Lecteur, vous êtes un imbécile aussi, naturellement. Les flics vous protègent (mal), mais vous souffrez (mal). Et puis merde. » Tournant en déris ion à la fois le patriotisme, la relig ion, les guerres, les policiers et le lecteur lui-même, ces tracts, c'est le moins que l'on puisse dire, contrastent avec l'image de respectabilité qui est associée aujourd'hui à Magritte. À mi-chemin entre la blague potache et la provocation dada, ils jettent une lumière singulière sur son oeuvre et amènent à s'interroger sur la part d'outrance et de dérision qui l'habitait pendant son travail de création. 23 Selon les mots de Canonne (2007 : 48). 24 Collection particulière et collection de la Province de Hainaut (X. Canonne, op.cit., p. 48).

Enseigner la littérature en dialogue avec les arts 122 3.3. Des écrits qui disent les " mystères de la pensée » Enfin, au-delà de ses textes " théoriques » et de ses écrit s " provocateurs », Magritte est aussi l'auteur de textes qui, pour être le plus souvent articulés à son oeuvre peinte, n'en relèvent pas moins, peu ou prou, de la poésie. Une poésie teintée de philosophie, que Jacques Meuris caractérise comme tout entière frappée au coin des " mystères de la pensée » : " Tout dire de ce qui est caché et cacher tout ce qui est dit, en une entreprise conjointe, ainsi que d'un jeu de gendarmes et de voleurs tour à tour chercheu rs et cherchés, à parts égales. A lors que l'impureté baroque pousse les mystères à se révéler, puis à s'évanouir et se diluer dans les sentiments, pour Magritte [...] le mystère est condition indispensable "pour qu'il y ait du réel". Le connu n'existe que par l'existence de l'inconnu... Et vice-versa. Probablement » (Meuris, 1992 : 108-109). À titre d'exemple, Magritte a publié en 1928 dans la revue Distances ce court texte intitulé " Théâtre en plein coeur de la vie » : " Une princesse sans doute sortait du mur en souriant dans la maison entourée d'un ciel magnifique. Les fruits choisis se trouvaient sur une table, pour représenter des oiseaux. L'éclairage était compréhensible malgré quelques ombres sans cause et l'absence de profondeur au-delà des portes ouvertes. L'ensemble pouvait se mouvoir grâce à ses proportions. Maintenant la princesse court, amazone sans vertige, sur des champs sans limite à la rech erche des preuves mystérieuses. Elle use les pensées et les actes d'une foule infinie de personnages. Elle franchit de poétiques obstacles : la valise, le ciel ; le canif, la feuille ; l'éponge, l'éponge25. » Certes, ce texte n'apparait en rien comme l'évocation explicite d'une peinture, et encore moins comme une desc ription fidè le de celle-ci. Cependant, si on considère le tableau La clé des songes (1927) dont nous avons déjà parlé plus haut, on y retrouve une partie des quatre " poétiques obstacles » désignés à la fin du texte, puisque ce tableau, qui est découpé en quatre images sur fond noir, encadrées et 25 Texte daté du 23 janvier 1928 et publié dans Magritte, 1979 : 45.

Jean-Louis DUFAYS & Marie-Émilie RICKER 123 associées chacune à un mot, no us donne à voir tour à tour une mallette qui surmonte le s mots " Le ciel », un can if qui surmo nte " L'oiseau », une feuille qui surmonte " La table » et une éponge qui surmonte... " L'éponge ». Le texte poétique, on le voit, n'explique pas le table au, pas plus qu'il ne l'illustre, mais apparait co mme une exploitation et une exploration de quelques possibilités imaginaires qu'il suscite, possibilités dans lesquelles les mots et les choses sont tantôt en situation de pure redondance (l'éponge est désignée comme l'éponge), tantôt en situation de contraste insolite (le ciel désigne la mallette, l'oiseau désigne le canif, la table désigne la feuille). Dans ce processus, l'écrivain se donne une totale liberté par rapport aux choix du peintre puisque, d'une part, le texte dissocie des éléments (la table, l'oiseau) qui semblent ass ociés sur le tableau, et d'autre part, il introduit des éléments narratifs (une princesse, une maison, des fruits, des portes ouvertes) qui n'y figur ent nullement. Enfin, le texte n'oublie pas les dimen sions métacogn itive et co mique chères à Magritte puisque, par-delà son caractèr e énigmatique, il affirme le caractère arbitraire des relations mot-image (" Les fruits ch oisis se trouvaient sur une table, pour représenter des oiseaux ») et commente ironiquement sa propre illisibilité (" L'éclairage était compréhensible malgré quelques ombres sans cause et l'absence de profondeur au-delà des portes ouvertes »). 3.4. Enjeux didactiques En contexte didactique, ce rapide parcours des relations entre l'écriture de Magritte et son oeuvre peinte permet, croyons-nous, de faire comprendre a ux élèves trois choses : la cr éation picturale de Magritte est soutenue par une théorie iconoclaste de la relation entre les mots et les images ; Magritte était aussi un écrivain engagé dans la " corruption de la logique du langage » (Meuris) ; et, dans ses écrits plus encore que dans sa peinture, le " gentil Monsieur Magritte » était capable de mettre en oeu vre les principes les plus radicaux du surréalisme en transgressant la morale é tablie. Une manière intéressante de prolonger cette analyse en passant de l'observation à l'action, consisterait à faire écrire par les élèves des tracts à la manière de Magritte sur des réalités sociales et culturelles d'aujourd'hui.

Enseigner la littérature en dialogue avec les arts 124 4. Magritte illustrateur d'oeuvres littéraires Non conten t d'avoir commenté ou prolongé par écrit ses propres tableaux, Magritt e a consacré bon nombre de t oiles et de dessins à l'illustration d'oeuvres littéraires, et cette démarche a emprunté des modalités très diverses. La plus élémentaire a consisté à donner à certains tableaux un titre qui évoque une oeuvre célèbre. Si cet te référence s'avère énigmatique dans le cas du tableau Les Mille et une nuits (1946)26, elle est au contraire signifiante dans le cas des Fleurs du Mal (1946)27, où l'image d'une femme nue à l'allure impersonnelle évoque immanquablement le poème de Baudelaire " La Beauté » (" Je suis belle, ô mortels co mme un rêve de pierre... »), et plus la rgement l'érotisme qui a valu au poète d'être condamné pour immoralité. De manière plus élaborée, Magritte publie dans le n°12 de La révolution surréaliste (décembre 192928) un photomontage entourant la reproduction d'un de ses tableau x appartena nt à Breton, ce qui officialisa en quelque sorte son appartenance à ce courant : autour de ce tableau qui donne à lire la phrase " je ne vois pas la [image d'une femme nue qui se retourne] cachée dans la forêt », on reconnait des portraits de seize artistes su rréalist es29, parmi lesquels Magritte lui-même (non n ommés, mais néanmoins présentés par or dre alphabétique), qui tous ferment les yeux, c omme s'ils étaie nt sous l'emprise des pouvoirs du rêve chers au groupe. De même, Magritte a illustré un certain nombre d'auteurs dont il était proche. Comme on 26 Huile sur toile, 50 x 65 cm, Bruxelles, MRBA. 27 Sérigraphie couleur sur papier, 56 x 42 cm, Bruxelles, MRBA. 28 La révolution surréaliste, n°12, décembre 1929, Paris, p.73. 29 Dans l'ordre de gauche à droite et de haut en bas : Alexandre, Aragon, Breton, Bunuel, Caupenne, Dali, Éluard, Ernst, Fourrier, Goemans, Magritte, Nougé, Sadoul, Tanguy, Thirion et Valentin.

Jean-Louis DUFAYS & Marie-Émilie RICKER 125 l'a vu plus haut, Le viol (1934) a ainsi servi de couverture au livre de Breton Qu'est-ce que le surréalisme30 ? Un autre auteur que Magritt e se plait à illustrer est Lautréamont, l'auteur des Chants de Maldoror, dont Breton disait " C'est au comte de Lautréamont qu'incombe peut-être la plus grande part de l'état de choses poétiqu e actuel : ente ndez la révolution surréaliste ! » C'est en 1948 que Magritte se lance dans l'illustration de ce texte qui a tant inspiré les surréalistes et leur a offert un formidable territoire de fantasmes. Les gravures qu'il a réalisées dans ce cadre représentent d'étranges personnages, relevant à la fois de l'humain, de l'animal et du vég étal ; elles illustrent cha cune à leur manière la condition divisée, voire " monstrueuse » du personnage de Maldoror. Encore plus subversif est l'ensemble d'illustrations que Magritte a faites du récit de Georges Bataille, Madame Edwarda (1941), dédié à Paul Éluard, qui fut l'un des premiers ouvrages clandestins parus sous l'Occupation. Dans ce récit qui présente une lecture très personnelle de la théologie chrétienne, Madame Edwarda est présentée comme un " dieu divin » auqu el on ne peut accé der qu'en transg ressant des interdits. La série de six dessins31 que Magritte a réalisée en 1946 pour une édition pirate du livre illustre de manière on ne peut plus explicite le comportement de cette prostituée, folle et obscène, qui déclare être Dieu tandis qu'elle exhibe ses " guenilles ». Plus Madame Edwarda sera obscène, plus elle sera divine, un " dépassement de Dieu dans tous les sens ; dans le sens de l'être vulgaire, dans celui de l'horreur et de l'impureté ; à la fin, dans le sens de rien » (Bataille, 1941-2004 : préface). Dans l'un de ses dessins, Magritte illus tre ainsi sans ambigüité la scène dans laquelle Edwarda demande au narrateur de regarder ses " guenilles », c'est-à-dire son sexe béant : 30 Certes, comme le note Canonne, le groupe bruxellois dont Magritte faisait partie avait " longtemps refusé l'étiquette "surréaliste", avant de s'y résoudre "pour les commodités de la conversation" » (p. 9). Pour autant, Magritte n'en était pas moins impliqué depuis plusieurs années dans les activités parisiennes de Breton et ses amis. 31 Commandés par le libraire-éditeur Albert Van Loock, ceux-ci appa rtiennent aujourd'hui à des collectionneurs privés.

Enseigner la littérature en dialogue avec les arts 126 " Assise, elle maintenait haute une jambe écartée : pour mieux ouvrir la fente , elle achevait de tir er la pea u des deux mains. Ainsi le s "guenilles" d'Edwarda me regardaient, velues et roses, pleines de vie comme une pieuvre répugnante. Je balbutiai doucement : - Pourquoi fais-tu cela ? - Tu vois, dit-elle, je suis Dieu » (Bataille, 1941-2004 : 330-331). La relation de Magritte avec l'oeuvre littéraire de son ami complice de toujours Louis Scutenaire est d'une toute autre nature. En 1966, Magritte entreprend d'illustrer de gravures originales Le Lien de paille, écrit pour lui par Scutenaire, mais ce travail sera interrompu par sa mort, survenue le 15 aout 1967. L'illustration comprend quatre gravures : La Folie Al mayer, L'OEil, L'Art de vivr e et Sans titre (qui représente un homme au chapeau melon), mais seule la première, qui est aussi le f rontispice, a ét é grav ée par Magritte, les trois autres planches ayant été commencées par lui mais achevées par l'éditeur Georges Visat. Dix ans plus tard, Scutenaire publiera Louis Scutenaire avec Magritte (1977), livre dans lequel ce t orfèvre ès aphorismes multiplie les formules suggestives à propos de son ami disparu : " Il y a une manière, mais surtout une matière Magritte. » (14) " Ses gouts en peinture ? Il n'en a pas. » (21) " Il y a de l'hypnotiseur chez ce peintre. » (35) " Il cherche le réel tel qu'il est en souhaitant qu'il soit sublime. » " La réalité est pour lui la négation de l'impossible. » (42) " Dans ses tableaux, êtres et choses reprennent leur distance. » (46) " Pour s'évader, il s'est servi de sa prison. » (55) " Il a soif de mystères précis. » (63) Enjeux didactiques Si to utes les illustrations réalisées par Magritte ne sont sans doute pas à mettre dans les mains de jeunes élèves, la richesse de son travail d'illustrateur mérite assurément qu'on y consacre un peu de temps en classe. L'enseignant gagnerait, pensons-nous, à faire saisir par ses élève s la diversité des contextes dans lesquels Magritte a illustré des oeuvres littéraires, soit sur la seule base du titre (Les 1001 nuits, Les Fleurs du mal), soit à la demande de l'auteur (Breton), soit à la

Jean-Louis DUFAYS & Marie-Émilie RICKER 127 demande de l'éditeur pour une réé dition (Lautr éamont), soit à l'initiative " pirate » du pe intre ( Bataille), soit encore da ns le cadre d'une entrepris e commune concertée (Scutenaire) . Il serait fort intéressant, en outre, de faire réfléchir les élèves aux effets de sens de ces différente s modalités, puis de les invit er, en guise de prolongement, à choisir à leur tour une ou plusieurs oeu vres de Magritte pour illustrer un poème, un recueil, un récit, une pièce. La réflexion gagnerait enfin à déboucher sur une problématisation de la notion même d'illustration, en parallèle à l'usage des noms d'oeuvres, qui ne consiste pas justement à " illustrer » au sens le plus ordinaire du terme. 5. Magritte inspirateur d'oeuvres littéraires Si les oeuvres de Magritte sont venues quelquefois se greffer sur des textes littéraires, elles ont aussi, largement, inspiré de nouveaux textes. Vu l'abondance de la matière, nous n ous limite rons ic i à présenter quatre cas de figure contrastés, que nous caractériserons très brièvement. 5.1. Quand Magritte inspire Éluard En premier lieu, on doit à Paul Éluard deux poèmes dédiés à son ami Magritt e. Le premier, qui date de 1951, s'intitule tout simplement " René Magritte » (Éluard, 1968, vol. 1 : 502-503) : Marches de l'oeil À travers les barreaux des formes Un escalier perpétuel Le repos qui n'existe pas Une des ma rches est c achée par un nuage Une autre par un grand couteau Une autre par un arbre qui se déroule Comme un tapis Sans gestes Champs immenses forêts déduites Au coucher des rampes de plomb Au niveau des clairières Dans le lait léger du matin Le sable abreuve de rayons Les silhouettes des miroirs Leurs épaules pâles et froides

Enseigner la littérature en dialogue avec les arts 128 Toutes les marches sont cachées On a semé les feuilles vertes Leurs sourires décoratifs L'arbre est teinté de fruits invulnérables Pour E.L.T. Mesens (1937), ami de Magritte et acteur important du surréalisme belge, le poème évoque le tableau La clé des songes. Il peut aussi faire songer à L'apparition (1937), qui représente sur un fond gris un homme de dos entouré de vignettes où sont inscrits les mots " fusil », " nuage », " fauteuil », " horizon » et " cheval ». L'important est de voir qu'Éluard, à l'instar de Magritte, s'empare des mots pour construire une représentation purement imaginaire, où les images, dans une succession aussi insolite qu'improbable, surgissent au gré d'une verbalisation qui peut paraitre aléatoire. Le second poème, dont les vers pourraient être inspirés par une toile de Magritte de 1937 intitulée Les Marches de l'été32, s'intitule, tout aussi sobrement, " A René Magritte » (Éluard, 1968, vol. 2 : 179), et Éluard le dédie à son ami par les mots suivants : " Cher René, Voici un poème sur toi que j'ajoute à mon grand livre sur les peintres. / Affectueusement. / Paul Éluard ». Les yeux et les seins nus Un sourire sur le lit S'était étendu la lumière les bras levés À sa toilette La lumière faisait le point De sa beauté Sous le lit une valse Le ciel remue se convertit répare Lumière épouse une chair éternelle Et le soleil a la chair ferme et rose Sourire est peu il lui faut rire un brin Rien n'est réel que ce rire en parade Coeur sans res pect à l'aise dans ses draps Rire à la main plus lourde qu'un fruit 32 Cf. Chiara Nifosi, " Magritte : The Mystery of the Ordinary, 1926-1938 », article en ligne www.nouvellefribourg. com/wp-content/plugins/download.../download.php?id=1189, p. 12.

Jean-Louis DUFAYS & Marie-Émilie RICKER 129 Sur le pont d'un navire Danse de cale basse mûr Et les malheurs terrestres sont jugés Le contraste avec le premier poème est saisissant : abandonnant le jeu de s nominatio ns énigmatiq ues, Éluard s'adonne ici à une description plus réaliste en apparence, mais qui adapte l'écrit à une autre des " manières » du pe intre, celle qui consiste à activer des symboles. Frappante ici est l'omniprésence de la lumière, du mouvement et du sourire, qui fait la place in fine au rire. 5.2. Michaux, En rêvant à partir de peintures énigmatiques (1972) Magritte le disait lui-même : " Tout dans mes oeuvres est issu du sentiment de certitude que nous appartenons, en fait, à un univers énigmatique » (Magritte, 1979 : 409). Il n'est dès lors pas étonnant que cette dimension énigmatiq ue ait inspiré le poè te de l'insolite par excellence que fut son compatriote Henri Michaux. Celui-ci publia en 1972 un recueil intitulé En rêvan t à partir de peintures énigmatique , où Magritte n'est jamais nommé mais où chaque texte fait référence de manière manifeste à une de ses to iles. V oici comment l'éditeur résume le projet du livre : " Mieux que des descriptions, des critiques, des éloges, ce sont là des pensées au cours libre , des rêv eries suscitée s par les peintures déroutantes de Magritte. Et il semble alors que c'est de la matière même de ces tableaux - poésie couchée sur toile - qu'Henri Michaux compose ces fragments oniriques » (Michaux, 1972 : 4e de couv.). À titre d'exemple, voici comment Micha ux dans ce r ecueil évoque la toile Le poison (1939) : " Deux nuages s ont entrés dans la c hambre, rôdent a utour des meubles, mais sans insister, toujours nuages, toujours pour au-delà, pour absence, entre fenêtre et porte, distrait, pas apprivoisés, petits, véritables poussins de nuages, pas pour cela moins nuages, toujours dans leur espace, dans leur monde, éludant les relations comme l'oeil du guépard dont, quoi qu'on fasse, on ne peut croiser le regard, qui toujours se porte au loin, attendant du lointain seul l'évènement.

Enseigner la littérature en dialogue avec les arts 130 Tableau plein, mais qui vide, négateur qui pourtant prolonge, traitre qui défai t ce qu'il ap porte, ayant malignement in troduit celles-là mêmes qui rendent "absent", les cotonneuses présences des espaces aériens » (Michaux, 1972 : 9). Tout aussi embléma tique du recueil es t ce texte, inspiré de L'empire des lumières (1954) : " Il est rare que le jour et la nuit soient surpris ensemble. Cela arrive et c'est alors particulièrement exemplaire. Quelle bonne, souveraine harmonie ils font alors , si toutefois le jour e st calme, très ca lme, imprégné de mystère. Grâce au mystère, alors, la nuit sans difficulté s'unit au jour. Ils s'unissent, et tout ensemble33 s'accomplissent dans un grand apaisement » (Michaux, 1972 : 33). On le voit, la prose de Michaux narrativise les toiles du peintre par des verbes d'action (" sont entrés », " rôdent » dans le premier texte) et des marqueur s tempore ls (triple " alors » dans le second texte), y associant en outre des images dérivées (" comme l'oeil du guépard ») et des sensations (" c'est particulièrement exemplaire ») qui n'existent que dans l'imagination du poète : en c ela, plutôt qu'un simple décalque du travail du peintre, le texte de Michaux se présente comme une invention propre, qui se greffe sur une autre invention. Regarder les toiles de Magritte est moins pour Michaux une source d'" inspiration » qu'un acte déclencheur de création nouvelle. 5.3. Paul Nougé, René Magritte ou les images défendues Un autre ami de Magritte que nous avons déjà évoqué fut Paul Nougé, auteur d'un livre intitulé René Magritte ou les images défendues, où l'oeuvre du peintre est évoquée par ces mots : " L'observation nous apprend que le plus banal et le plus simple comme le plus rare et le plus complexe peuvent nous toucher d'une façon identique, à la manière d'une chose "jamais vue" et tout à fait "incompréhensible" ; une ficelle, une t able, un pain, un mot , un dessin, un tableau, une action observée ou racontée, un souvenir, une 33 Sic.

Jean-Louis DUFAYS & Marie-Émilie RICKER 131 idée. Le pouvoir de fascination de l'objet, sa vertu de provocation sont imprévisibles. Ces éléments de la peinture, ramenés à leur état de p ureté inintelligible et solitaire, devien nent susc eptibles de toutes les "perversions", sont aptes à entrer en rapport de mille manières, au gré de l'esprit qu'ils hantent. L'on passe ici du simple voisinage à la fusion la plus intime, à la transsubstantiation... Un arbre se combine à une pieuvre, à un corps de femme à un village, à un paysage de montage pour faire les "grands voyages" » (Nougé, 1943 : 235). À la différence de Michaux, on le voit, Nougé commente avant tout le travail de son ami peintre, sans manque en faire directement l'objet d'une nouvelle création34. Pour autant, ses descriptions n'ont rien de neutre, et l'écriture poétique se mêle ici, une fois encore, de manière indissociable à l'écriture métatextuelle. 5.4. Une chanson de Paul Simon Magritte n'a pas inspiré que des poètes surréalistes, et ce n'est pas seulement son oeuvre peinte qui a inspiré d'autres créateurs. En 1983, Paul Simon publiait une chanson intitulée " René and Georgette Magritte », qui évoquait non pas l'oeuvre de Magritte mais sa vie de couple après la guerre avec sa femme Georgette : René and Georgette Magritte With their dog after the war Returned to their hotelsuite And they unlocked the door Easily losing their evening clothes They dance by the light of the moon To The Penguins, The Moonglows René and Georgette Magritte With their dog après la guerre Side by side They fell asleep Decades gliding by like Indians Time is cheap When they wake up they will find 34 On note ra que ces formes de commentaire échappent aux foncti ons ordinairement assignées à ce genre de texte (description, explicati on, voire interprétation).

Enseigner la littérature en dialogue avec les arts 132 The Orioles and The Five Satins The deep forbidden music They'd been longing for René and Georgette Magritte With their dog after the war René and Georgette Magritte With their dog after the war Were strolling down Christopher Street When they stopped in a men's store With all of the mannequins dressed in the style That brought tears to their immigrant eyes Just like The Penguins, The Moonglows The Orioles and The Five Satins The easy stream of laughter Flowing through the air All their personal belongings Have intertwined Oh René and Georgette Magritte With their dog after the war Were dining with the power elite And they l ooked in their bedroom drawer And what do you think They have hidden away In the cabinet cold of their hearts ? The Penguins, the Moonglows The Orioles and The Five Satins For now and ever after As it was before René and Georgette Magritte with their dog after the war 35 La chanson trouve sa source dans une photographie prise en 1967 par Lothar Wolleh, un photographe allemand. Le cliché, nommé " René and Georgette Magritte with their dog after the war », exprime par son seul titre un souffle de libération, de paix sociale, de bonheur simple. Elle est opposée à une seconde photographie, vraisemblablement prise le même jour, en noir et blanc, qui s'intitule quant à elle " René and Georget te Magritte with their dog durin g the war ». Par cette opposition pendant-après, liée au jeu des couleurs, Wolleh parvient à créer deux images aux antipodes l'une de l'autre, qui évoquent en creux l'évènement de la Deuxième Guerre mondiale. 35 Paul Simon, Hearts and Bones, 1983.

Jean-Louis DUFAYS & Marie-Émilie RICKER 133 La chanso n de Paul Simon, quant à elle, tout en douceur, évoque la vie paisible et ralentie que mène le couple Magritte dans une suite d'hôtel luxueuse, o ù avant de diner avec " l'élite du pouvoir », il s'adonne au plaisir d'écouter la musique " défendue » de groupes de chanteurs noir s des a nnées 1950 (les Penguins, les Moonglows, les Orioles et les Five Satins). Sans rien dire de l'oeuvre du peintre, Simon lui rend un hommage paradoxal par cette évocation décalée, qui, en se limitant à décrire une vie immobile, provoque un contraste d'autant plus fort avec l'implicite que l'auditeur a forcément à l'esprit, à savoir la fulgurance de l'activité artistique. 5.5. Enjeux didactiques Avec des élèves, il serait in téressant d'étudier différents métatextes dont Magritte a fait l'objet, que ceux-ci portent sur une de ses oeuvres en particulier, sur son oeuvre en général ou encore sur sa personne. Il serait précieux aussi d'analyser les enjeux que présente l'un ou l'autre de ces métatextes par rapport à la création littéraire, par rapport à la connaissance de l'oeuvre de Magritte, ou plus globalement par rapport au surréalisme. Enfin, les élèves pourraient être invités à écrire des poèmes inspirés par une oeuvre de Magritte, ou à composer de nouveaux métatextes sur une oeuvre de Magritte ou sur son oeuvre en général. À l'inverse, pourquoi ne pas les inviter à aller du texte vers l'oeuvre peinte ? Bon nombre d'élèves prendraient c ertainement du plaisir à rechercher certaines des oeuvres qu i ont suggéré les métatextes de Michaux : outre sa dimension ludique, une telle enquête les amènera it à voyager librement dans l'oeuvre du peintre et à s'approprier nombre de ses productions. 6. Magritte inspirateur de " produits dérivés » De nombreuses peintures de Magritte apparaissent comme des sources d'inspiration inépuisables pour la publicité. Rien d'étonnant à cela quand on se souvient que Magritte s'est lui-même impliqué dans des activités publicitaires en utilisant son propre style pictural pour concevoir des réclames, comme l'a montré Georges Roque (1983). On pointera notamment qu'en 1928 l'artiste a créé les illustrations

Enseigner la littérature en dialogue avec les arts 134 d'un catalogue publicitaire pour les fourrures de la Maison Samuel, tandis que les textes étaient rédigés par son ami le poète Paul Nougé. On notera également une publicité pour les parfums MEM (1946) dans laquelle M agritte réexploite l 'image du tronc d'arbre qui se présente comme un placard avec des portes ouvertes. 6.1. Les avatars de la pipe La trahison des images (Ceci n'est pas une pipe) est sans doute une des oeuvres les plus réexploitées p ar la public ité. Les exe mples abondent, à propos de tous les secteurs d'activités, marchands ou non marchands, que ce soit pour v anter les mérit es de la c ompagnie d'assurance Allianz (" Ceci n'est pas un ma rteau. C'est un simple écraseur de doigt », 2006), pour promouvoir les " vraies » lunettes Ray Ban (" Ceci n'est pas une imitation »), ou pour faire valoir la compagnie d'aviation British Airways (" Ceci n'est pas un avion. Ce sont les cieux ouverts »)... La formule peut être utilisée avec humour au second degré, comme l'a fait l'association des avocats lillois en inscrivant au-dessus de l'image du fruit " Ceci n'est pas un avocat » et en dessous : " Ne faites pas confiance aux apparences, misez sur la compétence. Retrouvez la liste des avocats lillois sur l'annuaire du site du barreau » (2014). Dans un autre ordre d'idées, l'Organisation Non Gouvernementale " Terre solidaire » (Comit é catholique contre la faim et pour le développement) a axé en 2010 toute une campagne de publicité autour du même thème, en écrivant par exemple : " Ceci n'est pas une mère dans la détresse. C'est une femme qui alphabétise les enfants de Bogota ». Dans le domaine politico-économique, on relèvera un ouvrage intitulé Ceci n'est pas un e crise (Kroll, Labille, Verhofstadt et al., 2015). Les caricaturistes vont également exploiter le filon, par exemple Pierre Kroll lorsqu'il dessine un tableau vide où figure seulement la phrase " Ceci n'est pas Maho met » (201 2). De même, les attentats tragiques de janvier 2015 à Paris ont donné lie u à une explosion d'images sur les ré seaux sociaux , parmi lesq uelles celle d'une mitraillette sous laquelle est écrit " Ceci n'est pas une religion », qui aurait été postée par la chanteuse Anggun sur Twitter, ou celle d'un

Jean-Louis DUFAYS & Marie-Émilie RICKER 135 crayon noir surmonté de l'inscription " Ceci nquotesdbs_dbs29.pdfusesText_35

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