[PDF] La pédagogie en France aux XVIIe et XVIIIe siècles. Thèse pour le





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La pédagogie en France aux XVIIe et XVIIIe siècles. Thèse pour le

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UNIVERSITÉ DE PARIS FACULTÉ DES LETTRES ET SCIENCES HUMAINES LA

PÉDAGOGIE

EN

FRANCE

AUX XVIIe

ET XVIII" SIÈCLES

THÈSE

POUR LE DOCTORAT ES LETTRES PRÉSENTÉE A LA FACULTÉ DES LETTRES ET SCIENCES HUMAINES DE L"UNIVERSITÉ DE PARIS

PAR

Georges SNYDERS

Ancien Élève de l"École Normale Supérieure Maître-Assistant de Psychologie à la Faculté des Lettres et Sciences humaines de V Université (leN ancy

PRESSES UNIVERSITAIRES

DE FRANCE 108, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, PARIS

1964

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AVANT-PROPOS

La période dont nous abordons l"étude a déjà fait l"objet de recherches extrêmement nombreuses - et nous devons tout de suite avouer que nous n"apportons aucun document inédit, pas même de renseignement nouveau. Ce sont les textes les plus connus, les plus classiques que nous avons interrogés, une fois de plus. Sur deux exemples précis, notre projet a été de montrer combien forte est la cohérence d"un système pédagogique à travers ses aspects multiples - et nous nous sommes efforcés de remonter jusqu"à une visée fondamentale qui l"anime et où l"on peut déchiffrer comment les éducateurs se représentent l"enfant, et par conséquent l"adulte et son destin. A partir de cette perspective, ce qui semblait erreur ou négligence ou défaillance apparaît en fait comme une exigence réelle de ce type d"éducation, une réponse particulière au problème précis qu"il devait résoudre. Cette impulsion première d"une pédagogie ne se comprend qu"en quittant le domaine strict de la pédagogie : le privilège, et la servitude de l"éducation, c"est de représenter tout ce qui, de la philosophie, peut, à un moment donné, dans des circons- tances données, être proposé à la masse - à la masse des jeunes. Un type d"enseignement, c"est, pour une société consi- dérée, tout ce qu"elle peut faire entrer d"idéal dans sa réalité. C"est dire que la pédagogie occupe une position intermédiaire et qu"elle se rattache, d"une part, aux recherches des philo- sophes et des écrivains - et de l"autre aux conditions directes de vie ; organisation de la société, problèmes des métiers et, avant tout, jeu des institutions familiales. Elle constitue le point de rencontre ou plutôt le lien vivant entre le quotidien de la vie des hommes et l"exceptionnel de la méditation ou de la nécessité artistique. Si nous avons choisi d"étudier - et nous avons cent fois ressenti combien ce thème était immense et notre ambition outrecuidante - l"opposition Retrouver ce titre sur Numilog.com

entre l"éducation au XVIIe siècle et les aspirations du XVIIIe, c"est parce que le rattachement nous est apparu ici directement convaincant entre les conditions de vie, les structures de la famille, l"atmosphère générale où se joue la vie de l"enfant - et les exigences, les buts posés par les éducateurs. Le rapport n"est pas moins frappant avec l"image que les artistes nous donnent de l"enfant, le portrait qu"en tracent les penseurs et Jes théologiens. Nous n"avons envisagé que l"enseignement donné dans les collèges - ce que nous appellerions aujourd"hui enseignement secondaire ; non pas que nous méconnaissions les efforts déployés par certains en faveur de l"instruction élémentaire - et chacun songe ici à l"œuvre de J.-B. de La Salle ; mais pour celui qui veut saisir les idéologies en œuvre dans un système éducatif, il semble plus éclairant de les considérer là où l"on propose à des jeunes gens un programme scolaire complexe et élaboré que dans les débuts, où l"on inculque à des enfants les rudiments de la lecture, de l"écriture ou même de la religion. Pour une raison finalement semblable, sur un thème tout différent, nous ne considérons que les écoles catholiques, car les protestants, sans cesse sur la défensive et le qui.-vive, n"eurent guère, à cette époque, le loisir d"instaurer des doctrines péda- gogiques. Qu"il nous soit permis ici, au moins par une allusion rapide, d"élargir notre propos et d"aborder ce qui forme la justification profonde de notre travail : l"histoire de la pédagogie. L"histoire de la pédagogie ne semble pas être tellement en honneur aujourd"hui, du moins en France ; les travaux ne sont pas si nombreux qui sont consacrés à tel pédagogue du passé, ni non plus ceux qui s"efforcent d"étudier un courant pédago- gique, un système d"éducation. Outre les difficultés de la tâche et la double compétence qui y serait nécessaire (et, pour notre part, nous avons durement éprouvé notre manque de formation au travail d"historien), n"y a-t-il pas à ce dédain une raison de fond ? La pédagogie d"aujourd"hui, si soucieuse - et à bon droit - de s"appuyer sur la psychologie de l"enfant, ne semble pas éprouver le besoin de prendre appui sur son propre passé, ne semble pas attendre de son passé qu"il puisse l aider à résoudre ses problèmes actuels. C"est peut-être que, pour beau- Retrouver ce titre sur Numilog.com

coup, la notion même d"histoire de la pédagogie n"a pas pris une existence réelle. Considérons

le débat le plus classique dans notre ensei- gnement actuel de la pédagogie : la confrontation entre le courant dit des " méthodes actives » ou de l" " éducation active » et les positions d"Alain. Claparède, dans les premières pages de UEducation fonc- tionnelle, rattache à une lignée unique Rabelais, Montaigne, Fénelon, Rollin, Dewey et lui-même ; dès lors, il n"y aurait qu"un seul type d"éducation réussie, un seul équilibre valable, les autres formes étant de dessèchement, de dépérissement. Tous les efforts créateurs des pédagogues d"autrefois devraient être rattachés à l" " éducation nouvelle » - et l"on appellera pédagogie traditionnelle celle qui paraît morne, mécanique. D"une façon assez paradoxale, lorsqu"il s"agit du déroulement d"une vie humaine, Claparède a su montrer qu"elle était suscep- tible de plusieurs configurations, réellement différentes les unes des autres, mais chacune valable dans son ordre, la phy- sionomie de l"enfance en face de la physionomie de l"adulte ; mais, pour les pédagogies, il semble n"en admettre qu"un type unique - avec quelques formes embryonnaires ou appauvries. Il n"y aurait, par définition, jamais eu un moment de réussite et de vie de l"éducation traditionnelle. Alain, de son côté, s"il ne le dit pas d"une façon aussi explicite, semble considérer comme évident qu"il n"y a qu"une seule pédagogie, une péda- gogie éternelle, immuable en son essence - et simplement elle s"incarnerait dans des réalisations plus ou moins heureuses suivant la personnalité de l"enseignant. L"enjeu du débat est réel : si l"on suit cette ligne de pensée, l" " éducation nouvelle » par exemple serait à prendre ou à rejeter tout entière, au mieux à nuancer par quelques compromis ; mais il ne pourra pas être question de dépassement, de synthèse avec des courants autres, puisque, à proprement parler, il n"y aurait pas d"autres directions réelles. Mais au contraire, si, comme nous essayons de le montrer, chaque grand moment de la pédagogie possède sa physionomie cohérente et sa force propre, on peut se représenter le progrès de la pédagogie non plus comme le développement unilinéaire d"un même système, mais comme confrontation, affrontement et synthèse : quelque chose de l"ancien est maintenu et en même Retrouver ce titre sur Numilog.com

livre au Moyen Age, à la Renaissance et au XVIe siècle, de sorte qu"il reste peut-être à dire sur les deux siècles que nous avons voulu considérer ; il situe le XVIIe siècle essentiellement par rapport à ce qui précède ; le XVIIIe, sur bien des points, n"est que rapidement évoqué. Et puis, malgré tout ce que nous avons appris en le lisant, nous devons tout de même dire que nous ne partageons pas les idées fondamentales qu"il affirme : M. Ariès veut attribuer au XVIIe siècle un sentiment déjà très moderne de l"enfance, une compréhension très délicate des premiers âges : la famille du XVIIe siècle lui apparaît comme le siège d"une " affectivité nouvelle » (p. 464) où nous pourrions déjà reconnaître notre façon actuelle de nous adresser à l"enfant. Une simple gentillesse de langage, un dialogue animé comme celui d"Argan et de la petite Louison dans Le malade imaginaire semblent constituer un témoignage suffisant (p. 136). Tant de textes qui nous étonnent et nous scandalisent par leur sécheresse à l"égard de l"enfance ne feraient qu"exprimer un " sentiment d"agacement » (p. 116) ; ce serait des " grincheux » (p. 137) dérangés dans leur confort parce qu"on consacre trop de soins aux enfants, des atrabilaires " exaspérés » par les cajoleries des mères (p. 139). Leurs plaintes seraient simplement 1" " envers » d"une prédominance accordée par la plupart à la jeunesse. Mais peut-on vraiment considérer ainsi comme un mouve- ment de mauvaise humeur les méditations approfondies d"un Bossuet ou d"un Bérulle, lorsqu"ils rejettent l"enfance hors de la réalité de la vie humaine ? Ne faut-il pas les prendre au sérieux comme témoignages de la difficulté qu"éprouve, à un moment, une société à s"intéresser à ses enfants - et dès lors essayer de comprendre le pourquoi de ces obstacles ? Des théologiens du XVIIe siècle, et parmi les plus éminents, ont eu beaucoup de peine à donner place et valeur à l"enfance. Aussi bien ce jugement de M. Ariès ne manque-t-il pas de nous surprendre, lorsque, dès le siècle de Louis XIV, il soutient que " l"importance donnée à la personnalité de l"enfant se rattache à une christianisation des mœurs plus profonde » (p. 34). De façon générale, la peinture du XVIIe siècle nous semble, chez M. Ariès, bien idyllique : les éducateurs, à cette époque, " enseignaient une culture à la fois humaniste et chrétienne, ils Retrouver ce titre sur Numilog.com

ne cherchaient pas à imposer à leurs élèves les traits d"un type social idéal » (p. 316). N"est-ce pas passer bien légèrement sur le caractère très impérieux de l"éducation dispensée par les Jésuites ? Alors aurait été atteint un " équilibre entre la famille et la société » (p. 451) où se seraient , unis harmonieusement " un amour obsédant » pour l"enfance et la disponibilité aux contacts sociaux - et c"est le XVIIIe siècle qui marquerait la rupture de cette réussite ; le développement de l"internat et la " ségréga- tion des jeunes », la coupure d"avec la famille s"opéreraient " à partir de la fin du XVIIIe siècle » (p. 316) et seraient une marque de la bourgeoisie. Pour notre part, au contraire, nous avons pensé que le XVIIe siècle était traversé par des courants de dureté, presque d"hostilité à l"égard de l"enfance - même s"ils se rencontrent avec des tentatives pour l"aimer et l"honorer ; une tension souvent douloureuse entre l"école d"une part, la famille et la société de l"autre, s"inscrit dans le caractère rigoureux de l"internat clos. Et, à bien des égards, certains thèmes dominants du XVIIIe siècle nous ont semblé s"opposer violemment à l"idéo- logie et aux usages de l"époque précédente - et ouvrir une plus libre carrière à l"amour de l"enfance. A vrai dire, ces désaccords ont sans doute des racines plus profondes : le Moyen Age et la Renaissance apparaissent chez M. Ariès comme des sociétés unies et l"on oserait dire des sociétés sans classes : " Les mêmes jeux ont été, pendant des siècles, communs aux différentes conditions » (p. 466). Ç"aurait été une époque bien heureuse où les serfs étaient aussi contents d"être serfs que les seigneurs d"être seigneurs - et les maîtres étaient les camarades de leurs serviteurs : " La juxtaposition de ces extrêmes ne gênait pas plus les uns qu"elle n"humiliait les autres » (p. 466). C"est à partir du XVIIIe siècle que " les jeux et les écoles » auraient cessé d"être " communs à l"ensemble de la société » et qu"aurait disparu " l"ancien corps social unique » ; la bour- geoisie aurait rompu cette heureuse unité du monde féodal en faisant " sécession » et en s"organisant en familles closes. Dès lors, les formes modernes d"amour filial apparaîtront comme marquées d"une tare originelle : le bourgeois ne peut aimer ses enfants qu"en s"isolant, en refusant de vivre avec le Retrouver ce titre sur Numilog.com

reste de ses contemporains et en se condamnant bientôt à une sorte de standardisation abêtissante : incompatibilité entre famille et sociabilité (p. 461), on ne peut gagner en intimité familiale qu"au détriment des contacts sociaux : " Toute l"énergie du groupe (familial) est dépensée pour la promotion des enfants » (p. 457). La dernière phrase du livre ne craint pas d"unir l"amour pour l"enfance... et le racisme : " Le sentiment de la famille, le sentiment de classe et peut-être ailleurs le sentiment de race apparaissent comme les manifestations de la même intolérance à la diversité, d"un même souci d"uniformité » (p. 467). Sans doute cela peut-il se vérifier pour des formes appau- vries, desséchées de la vie familiale, mais essentiellement nous espérons montrer comment les philosophes du XVIIIe siècle ont su rattacher le sentiment de l"enfance, l"espoir placé dans l"enfance à l"instauration d"une société plus fraternelle et plus juste.

Nous

serons beaucoup plus bref à propos des historiens de la pédagogie dont les œuvres, aussi riches qu"elles soient par ailleurs, n"essaient pas de dépasser les limites du domaine éducatif.

Compayré.

- C"est Compayré (1) qui nous a donné le goût de l"histoire de la pédagogie - et nous devons beaucoup à son œuvre et à son style de recherche. Il faut pourtant avouer que son désir d"exalter l"enseigne- ment public et laïc le conduit à imputer aux Jésuites ce qui est souvent une coutume de toute la société (par exemple les châti- ments corporels ou la séparation de l"enfant d"avec sa famille) - et surtout à méconnaître ce qu"il y a de très médité, de très consistant dans l"enseignement des Jésuites : qu"on approuve ou non la direction générale de leur système éducatif, on doit reconnaître qu"il répond à une conception approfondie de ce que sont l"enfant et sa destinée - et il semble impossible de le réduire à la rhétorique, à " une culture superficielle des facultés brillantes de l"intelligence » (p. 112). On peut ne pas aimer l"atmosphère intellectuelle dans laquelle ils ont voulu faire

(1) COMPAYRÉ, Histoire critique des doctrines de l"éducation. Retrouver ce titre sur Numilog.com

vivre leurs élèves, mais elle existe, elle a une réalité, et c"est la nier à trop bon compte que de dire : " Ils veulent former des gentilshommes aimables, des hommes du monde accomplis » (p. 115), ou bien : " Ils dirigent l"attention de l"enfant non sur les idées, mais sur les élégances du langage (...) exclusivement amoureux des exercices qui forment un beau langage » (p. 116 et 117). Malgré les légendes et peut-être le trop grand poids accordé aux accusations géniales, mais si cruelles de Pascal, les Jésuites sont très loin d"avoir été seulement " complaisance pour la faiblesse humaine » (p. 112) et surtout dans leur rôle d"édu- cateurs.

En revanche Compayré prodigue

les éloges aux maîtres de Port-Royal - mais on peut craindre parfois que ce ne soit au prix d"un affaiblissement, voire d"un affadissement de leur théologie : " On demande à l"effort, au travail, ce qu"on juge la nature incapable de produire par elle-même » (p. 131) ; la terrible pensée de la prédestination n"est-elle pas ramenée un peu trop sagement à l"obligation d"un travail régulier et constant ? Comme on pouvait s"y attendre, les projets pédagogiques du XVIIIe siècle sont fort loués, surtout en ce qui concerne l"extension de l"enseignement et son caractère public ; mais une étude plus détaillée demeure possible. Plus fondamentale- ment, si l"on a rendu l"enseignement des Jésuites superficiel, en quelque sorte inexistant, on se crée difficulté à comprendre à la fois l"immense influence qu"ils ont exercée et aussi les principes adverses à partir desquels ils ont été critiqués. Quant à Rousseau, Compayré l"approuve souvent, non sans manier les réticences et l"ironie. Il en aime le souffle général, une sorte d"enthousiasme qui anime l"ensemble, mais le dérou- lement des étapes et des prescriptions précises lui apparaît assez déconcertant : " En lisant l"Émile, on s"échauffe au contact de la passion que Rousseau apporte à tout ce qu"il écrit ; on pardonne aux erreurs et aux chimères, à raison des grands sentiments et des grandes vérités que l"on rencontre à chaque pas » (p. 258). Une fois reconnu le caractère d"exemple et de mythe que Rousseau a conféré à son traité d"éducation, nous voudrions le prendre plus au sérieux, dans le détail même de ses analyses. Retrouver ce titre sur Numilog.com

Hubert. - Hubert (1) se limite, lui aussi, à l"histoire de la pédagogie ; de là certaines difficultés, comme par exemple au moment où il constate que, pendant longtemps, le développe- ment de la philosophie cartésienne n"a pas modifié les habitudes scolaires ; il l"impute au " conservatisme pédagogique » (p. 57) sans pouvoir en chercher d"autres causes ; et le progrès final, lorsque tout de même il aura réussi à s"imposer, est attribué à la " constitution des sciences nouvelles » (ibid.). Au-delà du problème strictement éducatif, nous essayerons de dire que l"enseignement des Jésuites s"adaptait à cette société d"Ancien Régime - et il devait logiquement refuser le cartésianisme ; il fallait que cette société commence à s"ébranler pour qu"apparaisse un renouveau pédagogique. Hubert voit dans la pédagogie des Jésuites la forme d"édu- cation nécessaire à la bourgeoisie et adaptée à ses besoins : les Jésuites donnent aux fils des bourgeois qui sont en train de s"enrichir et d"acquérir une grande partie de la propriété noble " une culture préparatoire de bon ton, une éducation formelle de l"esprit et des manières » (p. 52), grâce auxquelles ils pourront se diriger vers les charges administratives et les professions libérales. Cette

interprétation ne va pas sans difficulté : comment comprendre alors que les philosophes du XVIIIe siècle, dont on admet le plus souvent qu"ils sont les porte-parole de la bour- geoisie, se soient si violemment opposés aux Jésuites ? Et d"autre part la pédagogie des Jésuites, si on ne lui attribue plus d"emblée mauvais vouloir et sombres desseins, tourne pourtant de nouveau à l"inconsistance, " formalisme, étroitesse, maniérisme littéraire et conventionalisme moral (...) vaine confiance dans la supériorité de ces pseudo-valeurs » (p. 54). Au contraire, tout notre effort a été de dégager une double polarité, deux grandes structures pédagogiques, deux attitudes, l"une et l"autre réelles, l"une et l"autre complètes - et il nous a semblé que la première s"était incarnée dans les collèges des Jésuites, la seconde laissant découvrir ses projets, ses visées dans l"œuvre des réformateurs du XVIIIE siècle. Hubert parle avec ferveur de Port-Royal : " Noblesse morale, ... sollicitude, ... accent mis sur la formation morale et spiri-

(1) HUBERT, Histoire de la pédagogie. Retrouver ce titre sur Numilog.com

tuelle, sur la consolidation des convictions religieuses et l"élé- vation du caractère » (p. 55) ; sentiments semblables pour les Pères de l"Oratoire - et dans les deux cas, il y voit l"antithèse des Jésuites. Pour notre part, attribuant plus de profondeur à l"ensei- gnement des Jésuites et considérant de plus près les concep- tions de leurs rivaux, nous essayerons de montrer que sur beaucoup de points les pratiques convergent, et aussi les repré- sentations de l"enfance. De ce point de vue, Port-Royal nous apparaîtra moins comme l"opposé des Jésuites que comme une extrapolation, un passage à la limite. Durkheim. - Malgré certaines préventions - il serait peut-être temps d"examiner son œuvre de plus près et d"un œil nouveau - nous ne craindrons pas de dire que c"est chez Durkheim (1) que nous avons trouvé l"un des thèmes fondamen- taux de notre travail. Il a su prendre au sérieux l"enseignement des Jésuites, montrer qu"il agissait en profondeur et en dégager un des prin- cipes essentiels : " Le milieu scolaire doit être, dans une large mesure, étranger au siècle, au temps, aux idées qui y règnent et qui passionnent les hommes (...), le présent est tenu en sus- picion ; l"éducateur doit faire effort * pour en détourner les regards des enfants » (t. II, p. 94). Sans doute serons-nous moins aisément d"accord avec la suite de ce passage : " On admet implicitement que la réalité présente est plus laide, plus médiocre, d"un plus mauvais contact par cela seul qu"elle est présente, et que l"humanité s"idéalise à mesure qu"elle recule dans le passé. » C"est poser comme principe général ce qui ne s"est réalisé que pour un cas particulier : l"Antiquité gréco-latine, surtout latine, a représenté cette humanité modèle - ou plutôt nous essayerons de dire que les Jésuites ont pensé pouvoir la transformer jusqu"à la faire apparaître comme modèle. Du moins Durkheim a-t-il fort bien dépeint l"élève des Jésuites vivant dans " une sorte de milieu irréel, idéal (où) les hommes ne sont plus que des figures emblématiques des vertus, des vices, des passions » (p. 97). Et lorsqu"il s"agit de la discipline, la description ne nous semble pas moins juste, de

(1) DURKHEIM, L"évolution pédagogique en France. Retrouver ce titre sur Numilog.com

" l"enveloppement continu », se joignant à des rapports indivi- dualisés de maître à élève. Notre effort a été de poursuivre et d"illustrer l"analyse de ces thèmes - nous avons essayé de rattacher les problèmes pédagogiques au mouvement de la société, plus directement aux problèmes de la famille, en accordant une grande impor- tance à cette étape intermédiaire que constitue l"image que l"on se fait de l"enfant. Quand il aborde le XVIIIe siècle, Durkheim montre très luci- dement que sa pédagogie veut réaliser, par rapport à la pratique des Jésuites, une véritable " volte-face » - et non pas simple- ment un nouveau dosage (p. 152). Cette mutation est rattachée au mouvement par lequel " la société française prend directe- ment conscience d"elle-même, apprend à se penser en dehors de tout symbolisme religieux. (...) Par elle-même, sous sa forme laïque, elle acquiert aux yeux des individus un prestige suffi- sant pour que ses besoins et ses intérêts, même purement temporels, apparaissent comme éminemment respectables et sacrés » (p. 149). C"est une pédagogie que Durkheim appelle " réaliste », voulant indiquer qu"elle cherche à mettre l"élève en rapport avec des réalités. Pourtant, nous ferons grief à notre auteur de donner un sens bien étroit à ce terme de réalités : d"une façon paradoxale, le père de la sociologie semble ici considérer que seule la science de type physico-mathématique assure le contact avec le réel - et il aurait tendance à présenter les idées nouvelles de la pédagogie au XVIIIe siècle comme une victoire des sciences de la nature sur la pure connaissance de l"homme, mettant tout l"accent sur l"opposition entre le point de vue scientifique et le point de vue littéraire. Pour notre part, nous soutiendrons que c"est un désir de s"attacher au monde, de se rattacher au quotidien (et peuvent y contribuer les sciences, mais aussi une certaine direction de la littérature, de l"histoire, la compréhension de la politique et des courants sociaux) qui s"oppose à un effort pour déraciner l"enfant et le transporter dans un monde idéal, irréel. Nous nous étonnons, par ailleurs, que Durkheim attribue ce changement des idées pédagogiques à l"importance prise dans la société du XVIIIe siècle par " les intérêts économiques, administratifs, politiques (...) les intérêts religieux et moraux Retrouver ce titre sur Numilog.com

ne furent plus les seuls dont on tînt compte » (p. 142). Mais ne saisira-t-on pas mieux ce mouvement éducatif en considérant, d"un côté, un domaine plus vaste : l"ensemble des transforma- tions sociales, et un domaine plus spécifique : les modifications dans la famille, dans le statut de l"enfant, dans les espoirs qu"on place en lui ?

Note

sur la bibliographie. - Nous avons été amené, le plus souvent, à travailler dans des bibliothèques de province, où l"on ne dispose pas de toutes les éditions des œuvres - et passant d"une bibliothèque à une autre, nous ne retrouvions pas toujours pour la même œuvre la même édition. Nous avons pu constater alors combien étaient difficiles à utiliser, malgré leur précision apparente, les références qui indiquent, pour chaque citation, la page - car c"est là l"élément le plus variable, le plus fragile. Aussi bien, toutes les fois que les ouvrages le permettaient, et surtout pour ceux qui ont connu plusieurs éditions, nous avons situé nos citations par rapport aux chapitres, aux paragraphes - et non pas à la page. Du même coup, il devenait beaucoup moins important d"indiquer quelle édition nous avions nous-même utilisée. Les cas contraires seront indiqués sous la forme habituelle. Retrouver ce titre sur Numilog.com

INTRODUCTION

L"ENSEIGNEMENT AVANT LE XVII SIÈCLE

Il

ne peut être question ici de dresser un panorama histo- rique de l"enseignement en France ; nous voulons essayer simplement, en quelques pages, de situer l"objet de notre étude comme moment d"une évolution. Le Moyen Age voit l"essentiel de l"enseignement dans une culture logique. Aux XIIIe et XIVe siècles, les deux exercices fondamentaux sont, d"une part, l"expositio : le maître commente un texte, avant tout les œuvres d"Aristote et particulièrement ses traités de logique ; il met en lumière les arguments sur lesquels l"auteur appuie sa thèse, puis étudie ces arguments eux-mêmes, les décompose, les divise, remonte ainsi jusqu"à leurs éléments derniers. Pour mieux faire apparaître la démarche logique de la pensée, il l"exposera sous forme de syllogismes. D"autre part la disputatio : le livre étudié devient occasion pour instituer une discussion ; le maître choisit une proposition de l"auteur, examine tous les arguments qui vont en sa faveur, même ceux auxquels l"auteur n"avait pas songé, puis tous les arguments qu"on peut invoquer contre ; après quoi il annonce quel est son choix, le justifie et réfute toutes les raisons alléguées en faveur de la thèse qu"il rejette. Ici encore les arguments seront présentés en syllogismes, et chacune des prémisses à nouveau fondée en syllogisme. Les Commentaires de saint Thomas sur Aristote constituent un exemple magistral d"expositio. Quant à la disputatio, nous ne croyons pas inutile d"en donner un aperçu : il s"agit d"un extrait de Buridan : Questions sur le " De Caelo » (1340) (1) : " On demande si la terre est constamment immobile au milieu du monde. » Il y a deux problèmes distincts : la terre est-elle au

(1) Cité dans E. FAKAL, Jeun Buridan, p. 68 sqq. Retrouver ce titre sur Numilog.com

l"on vit, où l"on travaille et où les maîtres viennent donner l"enseignement, l"endroit aussi où la jeunesse est soumise à une discipline : au xve siècle, il devient obligatoire pour les étudiants d"être internes dans un collège, à moins qu"ils ne résident chez leurs parents ou chez un membre de l"Université. Et la Faculté des Arts parvient peu à peu à surveiller la vie intérieure des collèges et à en prendre le contrôle. Le XVIe siècle, en ce domaine, ne bouleverse pas, mais continue le mouvement : les élèves sont plus étroitement " internés », ils tombent plus étroitement sous la dépendance des maîtres, et notamment tous les élèves, quel que soit leur âge, sont soumis aux châti- ments corporels ; par là se marque qu"ils sont traités en enfants, en petits, en mineurs. Ainsi le XVIe siècle nous apparaît-il complexe : pour le contenu de l"enseignement, il marque une rupture ; pour l"organisation des études, il prolonge, sous des formes parfois nouvelles, une évolution lente. Sous ces deux aspects, il annonce et prépare le mode d"éducation que nous allons longuement étudier par la suite, autour des années 1700. Il en possède déjà les caractères principaux : le souci de la surveillance, la convic- tion que l"enfant est l"être qui doit être surveillé, tenu en haleine, contrôlé - alors que le XVe siècle tendait à lui laisser régler sa vie et ses études à sa guise, lui offrant simplement des exercices et des occasions de culture. Et du même coup apparaît le désir de soutenir l"élève, d"adapter à ses forces la tâche proposée. Un désir de tenir l"enfant à l"abri des controverses et des problèmes les plus discutés, dont au contraire le Moyen Age avait fait le centre des intérêts ; l"élève vivra dans le monde plus calme et plus stable de la latinité, les fondements ne sont pas mis en question, et l"on compte sur l"éclat esthétique et moral de l"Antiquité pour retenir l"attention des élèves et donner le stimulant nécessaire. Mais si le xvie siècle ouvre ainsi la porte à ce qui sera l"ensei- gnement " traditionnel », il ne le réalise encore qu"avec beaucoup d"imperfections - et c"est pourquoi nous avons préféré commen- cer notre travail proprement dit au moment où ce type nous a semblé exister dans toute sa plénitude. Il n"en était que plus important de retracer les grandes lignes de cette évolution- ce qui va nous permettre maintenant de comprendre les diffi- cultés qui restaient à surmonter, que les pédagogues de la fin Retrouver ce titre sur Numilog.com

du xvie siècle et du début du XVIIe ont réussi à surmonter pour établir dans toute leur fermeté les structures souhaitées. Au XVIE siècle, à la fois on attend des élèves plus qu"ils ne peuvent donner et on laisse se perdre beaucoup d"énergie. L"emploi du temps est évidemment trop chargé ; par exemple au collège d"Auch (1), vers 1570, lever à 5 heures ; révision des leçons puis la messe à 6 heures en été et 7 heures en hiver ; court repos mais sans récréation proprement dite ; classe de 7 à 9 (ou de 8 à 10), étude jusqu"au repas de 11 heures ; seconde classe de midi à 13 heures, courte récréation, étude de 13 à 15 heures et interrogations ; troisième classe de 15 à 17 heures ; étude de 17 à 19 heures ; souper à 19 heures et récréation ; à 20 heures commence la dernière heure d"études et, à 21 heures, c"est le coucher. En outre, les récréations sont très insuffisantes, non seulement en durée mais dans le choix des exercices qu"elles proposent : au début du XVIE siècle, on ne permet guère aux élèves de jouer dans l"enceinte du collège ; les jeux vifs et les cris sont interdits ; les élèves doivent essentiellement se pro- mener dans la cour en devisant. Bref, on a voulu organiser les études, mais on n"a pas réussi encore à trouver un équilibre entre la vie du corps et la vie de l"esprit, entre le travail et les loisirs. De même pour la discipline : même si l"on admet la thèse de Porteau (2) qui voit beaucoup d"exagérations dans les descriptions fameuses de Montaigne et si l"on pense que la situation s"est beaucoup améliorée entre 1540 et 1580, il n"en reste pas moins que les châtiments apparaissent durs et souvent brutaux, impulsifs. Le programme du collège d"Auch, les recommandations qu"il croit nécessaire d"adresser vers 1570 ne sont pas tellement rassurants : " Chaque régent contiendra ses auditeurs en devoir, en les corrigeant toutefois sans être ému de colère et sans user de trop grande rigueur (...). Les maîtres éviteront de s"échauffer plus que ne l"autorise la dignité de leurs fonctions, ils n"inspireront pas la terreur » (3). Mais malgré cette rigueur, ou peut-être précisément à cause d"elle, une turbulence extrême des étudiants, non seulement à l"extérieur, mais pendant les enseignements : querelles, invectives, parfois même coups d"épée des élèves, avec la

(1)

P. BÉNÉTRIX, Les origines du collège d"Auch, p. 83. (2) PORTEAU, Montaigne et la vie pédagogique de son temps. (3) Cité par PORTEAU, ibid., p. 81. Retrouver ce titre sur Numilog.com

complicité d"un maître contre le collège et son principal ; un régent congédié ou inconstant emmène souvent avec lui les " martinets », c"est-à-dire les externes, les " portionnistes », internes qui paient le prix de leurs repas, et les " galoches », étudiants ou plutôt amateurs d"un âge avancé et qui n"ont guère d"autre profession que de suivre des cours ; bref, un régent s"est constitué une clientèle qui l"accompagne souvent lorsqu"il quitte l"établissement. Aussi bien le principal n"a-t-il encore que peu d"autorité, tant sur les maîtres que sur les élèves - et les maîtres bien souvent sont peu préparés à leur tâche : ce sont de jeunes gens, ils ne sont là que de passage, ils ne font ce métier que pour subvenir aux frais de leurs études ; souvent, vers 30 ans, ils cessent d"enseigner, quand ils ont atteint leurs propres diplômes de théologie, de droit ou de médecine. Parfois passionnés, parfois indifférents, ils trouvent difficilement l"équi- libre propre au métier d"enseignant. Le xvie siècle est un siècle d"innovation, le siècle où s"opère cette réforme qui fait porter tout l"accent sur une culture littéraire, et non plus dialectique et logique : d"abord chez les Jésuites et dans les écoles protestantes, un peu plus tard dans l"Université. On admet en général qu"elle a été appliquée pour la première fois dans son ensemble au gymnase de Strasbourg, fondé en 1538 par Jean Sturm (1). C"est-à-dire que le XVIE siècle est une époque de transition, conduisant vers une régularité, un ensemble mieux coordonné, mieux gouverné, plus calme, où pourra prendre tout son relief un type bien défini d"en- seignement.

(1)

Ch. ENGEL, L"École latiiie et L7ancienne Académie de Strasbourg, chap. III. Retrouver ce titre sur Numilog.com

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LIVRE PREMIER

LA PÉDAGOGIE TRADITIONNELLE Retrouver ce titre sur Numilog.com

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PREMIÈRE PARTIE

L"ENSEIGNEMENT

Notre

effort est ici de saisir la structure de l"enseignement " traditionnel » tel qu"il a voulu être et tel qu"il a effectivement existé autour des années 1700 - sans qu"on puisse donner à cette date une autre valeur que celle d"un simple point de repère, ainsi que nous l"avons expliqué dans l"Avant-Propos (1) ; saisir l"enseignement dans sa cohérence et dans son équilibre, montrer comment, à partir de ce que l"on pourrait appeler son idée directrice, il se déploie avec une logique et une harmonie certaines, et par là essayer de comprendre quelle signification de l"homme il entend promouvoir. Nous serons donc moins attentifs aux " lacunes » de cet

enseignement,

à ce qui apparaîtra plus tard comme ses lacunes, qu"à sa visée fondamentale, qui en porte la justification ; ou plutôt les " manques » nous intéresseront dans la mesure où ils peuvent nous faire mieux comprendre les plénitudes.

(1) En fait,

le " traditionnel » se prolonge sur les deux siècles et le * novateur * prend racine au xvnc, mais chacun mnjnrnt d"épanouissement propre. Retrouver ce titre sur Numilog.com

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du XVIIe siècle et une des causes du succès que connurent les Jésuites, c"est l"effort pour faire vivre une jeunesse si turbulente d"une façon méthodique, réglée, organisée : des maîtres large- ment préparés à leur tâche, une direction très ferme où le Père recteur a tous pouvoirs pour nommer, destituer et inspecter ses régents, une progression de plus en plus précise dans les études : 3 puis 4 classes de grammaire, à partir du milieu du XVIIe siècle ; 1 classe d"humanité, 1 classe de rhétorique (seule une petite minorité suit les 2 ou 3 années de philosophie) ; des règles minutieuses pour fixer le passage d"une classe à l"autre ; dans chacune des classes, un maître unique et qui a d"autant plus de pouvoir pour commander et coordonner les diverses activités. Qu"il n"y ait, dans les collèges, ni option ni bifurcation apparaîtra un jour comme une lacune, mais ce système unique favorise la constitution de classes très cohé- rentes, où l"élève se sent fortement encadré. A travers tous les moments de la vie scolaire, une discipline cherche à maîtriser un bouillonnement - mais au-delà de cette caractéristique très générale, l"organisation même du collège, sa structure administrative et visible de l"extérieur va nous révéler l"essentiel de son esprit : nous voulons parler de l"in- ternat et de ses modalités. Malgré le grand nombre d"externes, l"internat est le modèle éducatif. - On objectera que les Jésuites n"ont créé que peu à peu des internats, n"ont que peu à peu adopté le système de l"internat qui existait, dès le xve siècle, dans certains collèges de l"Université ; pendant longtemps, seuls étaient internes les futurs Jésuites. Mais n"est-ce pas parce qu"ils n"ont que peu à peu réalisé toutes les exigences de leur enseignement ? - On objectera aussi que les externes seront toujours beaucoup plus nombreux que les internes (à Louis-le-Grand, 2 500 externes en face de 500 internes) ; mais l"enseignement chez les Jésuites a beau être gratuit, la pension demeure élevée et ne peut être supportée que par certains nobles ou par de riches bourgeois ; sont donc externes tous ceux qui n"ont pas les ressources néces- saires pour l"acquitter. Il est vrai encore que la majorité des collèges de la Compagnie n"a pas d"internat et que si l"Oratoire possède un pensionnat par collège, les internes y sont peu nombreux : mais les raisons matérielles, la difficulté de cons- truire et de gérer un internat, de faire vivre ensemble, vu les Retrouver ce titre sur Numilog.com

conditions de l"époque, un grand nombre de jeunes gens, jouent ici un rôle évident. Les internes choisis et choyés. - En dépit des apparences, nous maintiendrons que l"internat constitue le mode de vie qui correspond profondément au but que le collège se propose ; d"un mot, les " véritables » élèves, ce sont les internes. Nous en verrons la preuve d"abord dans les précautions avec lesquelles on les choisit : on n"admettra pas ceux qui sont trop âgés, ni ceux qui sont déjà passés par un autre établissement ; et surtout dans les précautions avec lesquelles sont séparées les deux catégories, externes et pensionnaires : leurs bâtiments sont distincts et l"on veille à ce qu"il se crée le moins possible de relations entre eux. Cette indication du P. Croiset n"est-elle pas symptomatique, lorsqu"il avertit les internes qu"ils enten- dront tous les jours la messe " dans la congrégation des pen- sionnaires, séparés des externes et de tous ceux qui n"ont pas la même éducation que vous » ? Et il ne craint pas d"ajouter, avec une sorte de brutalité : c"est " le moyen le plus sûr d"y être recueillis et de n"y voir que de bons exemples » (1). C"est comme si l"on craignait qu"une contamination n"atteigne les pensionnaires ; et l"on voit avec quelles précautions on leur réserve les soins les plus attentifs ; c"est en eux qu"on place tous les espoirs ; ce sont eux, en quelque sorte, qui sont là de droit. Aussi ne nous étonnerons-nous pas qu"à la Congrégation, où se réunissent les élèves les meilleurs et les plus pieux, les externes ne soient point admis. Les externes ne le sont pas entièrement. - Ce primat de l"internat se laisse comprendre également à partir des efforts sans cesse poursuivis pour que les externes connaissent des conditions de vie les plus proches possible de l"internat : à côté des privilégiés qui sont entièrement internes, on fait tout pour que les autres du moins tendent vers cette limite : certains sont les pensionnaires particuliers d"un des régents du collège - et ce fut le sort de Francion, dans le roman de Charles Sorel ; d"autres, comme Marmontel, à Mauriac, logent, avec quelques autres écoliers, chez un bourgeois, ici un artisan, qui leur fait la cuisine - et les parents envoient chaque semaine

(1)

P. Jean CHOISET, Heures el Règlements pour Messieurs les Pensionnaires, 1711, Ire Partie, IX. Retrouver ce titre sur Numilog.com

les provisions nécessaires. Mais ils ont beau être chez un parti- culier, les élèves demeurent sous la surveillance du préfet des études, qui peut à tout moment venir les surprendre, visiter, inspecter ; il peut aussi interdire telle maison aux enfants. C"est donc là comme une forme approchée d"internat, pour ceux qui ne peuvent accéder à la dignité suprême de pension- naires et à une époque où il n"est matériellement pas possible d"organiser de très vastes communautés.

B)

UN UNIVERS CLOS ET SURVEILLÉ

On

ne sort pas. - La forme propre à la pédagogie du collège, c"est l"internat, et un internat qui pousse très loin la rigueur de sa clôture : les sorties chez les parents sont extrêmement rares, il faut des événements familiaux graves pour les autoriser ; les vacances hors du collège sont très réduites et on sera étonné de constater qu"elles sont encore plus courtes pour les plus jeunes : 1 à 2 semaines dans les premières classes ; 3 semaines à 1 mois au maximum pour les aînés. On ne manquera pas de remarquer que l"Université et l"Oratoire observent sur ce point les mêmes règles que les Jésuites. Aux jours de congé, il n"y a point de sortie en ville, si ce n"est par promenade collective.

Non

pas par travail ininterrompu. - Si nous essayons de comprendre la signification d"un internat aussi strict, n"allons pas croire qu"il s"agisse d"obliger les élèves à travailler sans cesse : tout au contraire, les Jésuites ont innové en instituant deux récréations d"une heure chacune, après chacun des repas - et leur exemple a été progressivement suivi ; ils se sont attachés à ménager de nombreux moments de détente, depuis les jeux jusqu"au théâtre ; beaucoup de collèges possèdent une maison de campagne, et l"on y conduit fréquemment les élèves pour qu"ils y prennent des distractions plus animées. A travers tout le XVIIe siècle, le souci ne cesse de s"affirmer de ne pas surmener les élèves et de ne pas nuire à leur " forme physique », IIi par un excès de travail ni par I ascétisme ; une certaine rudesse de mœurs a définitivement disparu devant le progrès du confort et l"affinement du goût. Non pas par brutalité. - N"allons pas croire non plus que cette rigueur de l"internat corresponde à une discipline parti- Retrouver ce titre sur Numilog.com

culièrement rude ; certes les châtiments corporels sont prévus et appliqués, et il y aura lieu de revenir sur leur sens. Mais l"organisation méthodique du collège permet le plus souvent d"éviter les brutalités : chez les Jésuites, le " fouetteur » salarié

et

spécialisé ne doit intervenir qu"à la dernière extrémité et selon des normes prévues ; ce n"est jamais le maître qui inflige lui-même la punition ; et le fouetteur ne porte pas l"habit de l"ordre. En fait les Jésuites préfèrent exclure les élèves par trop indisciplinés. De la même façon, Rollin maintient, après hési- tation d"ailleurs, la verge comme argument suprême ; mais les soufflets et les coups, il les exclut formellement, parce que le maître risque de les distribuer dans un mouvement de colère, sans règle précise, et alors ce deviendrait pure violence, d"autant plus inefficace que les enfants y verraient trop bien un simple emportement d"humeur. Créer un univers à part. - Non, l"organisation de l"internat ne signifie ni travail ininterrompu, ni discipline brutale. Il faut aller jusqu"à dire que si le collège enferme l"élève, c"est dans un mouvement où s"exprime une véritable affection, une extrême prévenance. En fait le rôle de l"internat est d"instaurer un univers pédagogique, un univers qui ne sera que pédagogique - et il sera marqué par deux traits essentiels : séparation d"avec le monde, et, à l"intérieur de cette enceinte réservée, surveillance constante, ininterrompue de l"enfant. Le P. Croiset résume en quelques phrases l"esprit même de cette éducation, lorsqu"il avertit ainsi les nouveaux pensionnaires : " Ne trouvez pas dur si un grand nombre de préfets et d"autres gens qui vous observent, ne vous perdent jamais de vue, si vous ne faites pas un pas sans être observés, si dans vos chambres, à la salle d"étude, à l"église, au jeu, à la promenade et dans toutes vos récréations, vous êtes chacun sous les yeux de plusieurs préfets, et si l"on veille jour et nuit sur votre conduite : une belle et bonne éducation ne se peut pas donner à moins de frais ; cette éternelle vigilance est gênante, mais elle est nécessaire » (1). Toujours une présence. - Effectivement l"élève n"est jamais seul, jamais il n"est laissé à lui-même : dans leur grande majorité, les pensionnaires vivent par groupe de 10 à 20 élèves de la même classe dans un chambre commune, qui sert à la fois

(1) P. CROISET, ibid., Irc Partie, XXVIII. Retrouver ce titre sur Numilog.com

d"étude et de dortoir ; chaque élève a sa cellule, séparée des cellules voisines par une cloison et fermée sur le devant par un simple rideau ; les cellules sont réparties sur deux rangs, entre lesquels, au milieu de la pièce, une large allée demeure libre pour constituer le lieu de réunion. Un préfet est attaché à chaque groupe, et son action ne s"arrête que lorsque ses élèves sont en classe ; tout le reste du temps, il est littéralement lié à eux : il est là pendant la récréation, il est là à toute conversation, il inspecte armoires et pupitres, il lit les correspondances, il surveille chaque instant de leur vie - et leur sommeil. Il est par exemple expressément prescrit que les préfets ne doivent permettre à aucun élève d"entrer dans la chambre ou dans la cellule d"un autre, sous prétexte d"emprunter quelque objet. Et si, exceptionnellement, ils croient devoir accorder cette autorisation, la porte de la chambre devra rester ouverte ou le rideau de la cellule levé (1). Une surveillance qui veut aider. - Surveillance de tous les instants, de tous les actes - mais ici encore on méconnaîtrait absolument l"esprit de cet enseignement si l"on n"y voyait rien d"autre que tracasserie et système policier : c"est une surveil- lance d"aide et de dévouement que l"on veut réaliser. Les préfets sont en général de jeunes religieux qui suivent, au collège même, les cours de théologie ; souvent ils ont déjà enseigné ; ils sont d"Eglise et ont une autorité presque égale à celle des professeurs. Ils aident les élèves dans leur travail, procèdent à des " répétitions » générales de ce qui s"est fait en classe ; leur surveillance n"est pas seulement négative, visant à interdire telle action, elle constitue un long, constant travail d"exhortation, de conseil, de persuasion. Et surtout, le P. de Jouvency leur recommande une action pédagogique individua- lisée : ils adapteront leurs conseils et leur action à l"âge et au caractère des élèves, et pour chacun ils s"efforceront de comprendre qu"à tel moment il faut le mener par la crainte, les reproches - à d"autres, lui faire sentir une bienveillance qui le soutient. Ainsi donc une surveillance sans relâche, mais qui vise à avoir une valeur proprement pédagogique.

(1)

Dans ROCHEMONTEIX, Un collège ri£" Jésuites au XVIIe SièCle : le collèije Henri-IV de La Flèche, t. II, p. 29. Retrouver ce titre sur Numilog.com

Chacun surveille tous les autres. - Si l"on veut une surveil- lance de tous les instants, les préfets n"y peuvent suffire ; et c"est pourquoi chaque élève va devenir le surveillant, l"inspec- teur des autres ; sera puni non seulement celui qui lit, par exemple, un livre interdit, mais aussi celui qui ne l"aura pas dénoncé. Certains élèves seront d"ailleurs plus spécialement chargés de faire connaître aux autorités le nom de leurs cama- rades coupables : " Le préfet des études nommera dans chaque classe un décurion supérieur, qui signalera au préfet tout ce qui se fait de mal en classe, en l"absence ou en présence du maître » (1). Cette fonction tournera à la délation lorsque leurs camarades ignoreront qui sont ces " vigiles » ; nous ne pouvons pas ne pas en être choqués, mais il faut bien comprendre qu"ici le souci de surveillance efficace l"emporte sur toute autre consi- dération, et le P. Croiset affirmera que le devoir de dénoncer un camarade qui tient des discours peu chrétiens ou qui possède des livres de galanterie n"est pas moins impérieux que le devoir d"empêcher une contagion ou un incendie de s"étendre (2). Aussi bien surveillera-t-on tous les livres qui circulent, et avec beaucoup plus de rigueur encore les exemples et les relations que les enfants peuvent offrir les uns aux autres, toutes liaisons et entretiens particuliers. Il est bien clair qu"une telle surveillance ne peut être réalisée qu"à l"intérieur d"un univers clos, l"univers de l"internat, et ce mot d"un contemporain est très frappant lorsqu"il recommande de " multiplier sans cesse les barrières qui doivent défendre les moeurs » (3) : les barrières à l"abri desquelles l"enfant pourrait vivre dans un enclos vide de tentations, entièrement disponible à l"action de ses maîtres ; on le conduira sans cesse par la main, rien n"est laissé au hasard, chaque moment est réglé, déterminé, édifiant.

C) L"ÉDUCATEUR SE SENT EN PROIE A UNE MENACE CONSTANTE Si l"éducateur s"efforce ainsi de faire vivre l"enfant dans un univers

fermé sur soi et où il pourra être sans cesse surveillé, dirigé, c"est qu"il se sent en proie à une menace constante, à une double menace : d"une part l"enfant est tellement faible

(1) Ratio,

Règles du préfet des études inférieures, art. 37. (2) P. CROISET, ibid., Ire Partie, XXVII. (3) CERUTTI, Apologie de l"Institut des Jésuites, chap. XXII. Retrouver ce titre sur Numilog.com

et le mal est pour lui tellement attirant que toute rencontre, pour brève qu"elle soit, avec la tentation risque d"avoir un effet catastrophique ; et d"autre part la clôture doit être rigoureuse, parce que tout ce que les maîtres n"ont pas purifié est suspect, imprégné de malignité. Imminence du mal. - Dès lors, un seul instant peut suffire à tout perdre, une seule rencontre douteuse ; le P. Porée, entre tant d"autres, s"écrie : " Pour s"instruire du mal, point n"est besoin d"une longue pratique et de longues lectures. Souvent à peine le livre ouvert, en quelques instants, le malheureux enfant connaît tout » (1). C"est que cette révélation du mal, aussi furtive soit-elle, éveille en tout son être une complicité jusqu"alors simplement assoupie : " Ils lui reviennent alors à l"esprit, ces spectacles, ces paroles que jadis il n"avait pas compris... 0 bienheureuse ignorance, que tu as vite fait de périr ! Science de malheur, que tu es vite acquise. » Une occasion minime suffit à déclencher dans l"enfant la ruée vers le mal ; d"où une sorte d"obsession du dehors : il faudrait que la jeunesse puisse se passer tout entière à l"abri, dans le seul monde péda- gogique, une sorte de monde " en blanc » fait d"ignorance, de non-rencontre avec le péché - et aussi de surveillance, de discipline, de méthodes ininterrompues. Mais le P. Porée est trop lucide pour ignorer que les choses ne vont pas ainsi : " Sommes-nous assez écoutés ? surtout sommes-nous seuls écoutés ? A peine échappés de ces murs, n"allez-vous pas chercher, comme parle l"Apôtre, des maîtres d"impureté et de mensonge ? Et ces maîtres (il s"agit à la fois de certains livres et de certaines compagnies) savent bien ruiner en quelques instants de conversation tous les fruits de notre long travail » (2). C"est ce double thème : coupure d"avec le monde et surveil- lance sans relâche pour parvenir à soustraire l"enfant à sa terrible pesanteur naturelle, qui nous semble caractériser ce moment de la pédagogie, lui conférer son unité - et autoriser l"appellation de " pédagogie traditionnelle », et c"est ce double thème qui crée communauté entre tout un ensemble de péda- gogues de cette époque.

(1)

P. l"oRÉE, Discours de circonstances, cité dans J. de LA Si.-litvli-.BF, Un pro- fesseur d"Ancien Régime : le P. Charles Porée, p. 120. (2) P. PORÉE, cité ibid., p. 387. Retrouver ce titre sur Numilog.com

1965. - Imprimerie des Presses Universitaires de France. - VendÓme (France) ËDIT. N° 27 869 IMPRIMÉ EN FRANCE IMP. N° 18 558 Retrouver ce titre sur Numilog.com

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