[PDF] La motion transubjective: un mouvement dautoréalisation de soi

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Délivré par U

niversité Paul Valéry Montpellier 3 Préparée au sein de l"école doctorale EPSYLON

Et de l"unité de recherche EA4556

Spécialité : P

sychologie et Psychopathologie C liniques

Présentée par G

AL Corinne

Soutenue le 21 octobre 2017 devant le jury composé de Jean-Michel VIVES, Professeur, Université Nice Sophia

Antipolis

Vincent ESTELLON, Professeur, Université Paul Valéry

Montpellier Président du jury,

Rapporteur

Directeur de thèse

Brigitte LEROY VIEMON, Maître de conférences, HDR, Université Paul Valéry, Montpellier Co-Directrice de thèse

Philippe ROBERT, Professeur, Université Paris

Descartes Rapporteur

Marc LEVEQUE, Professeur, Université Orléans Examinateur

LA MOTION TRANSUBJECTIVE

Un mouvement d"autoréalisation de soi impulsé par la méthode du psychodrame existentiel 2

RÉSUMÉ

La motion transubjective.

Un mouvement d"autoréalisation de soi impulsé par la méthode du psychodrame existentiel. Cette thèse montre comment le travail thérapeutique, en psychodrame existentiel de

groupe, permet un accès direct à " l"être-du-patient », sans sacrifier du temps au démêlage

des représentations. Dans ce cadre, la motion individuelle sollicitée se transforme, via

l"intersubjectivité, pour se loger " entre » (aida) les membres du groupe. Elle y prend une forme transubjective qui s"amplifie par résonance, pour délivrer une tonalité climatique singulière au groupe. J"ai nommé cette nouvelle dynamique : motion transubjective. Fonctionnant rythmiquement sur les pôles " ouverture-fermeture », la motion transubjective ouvre à l"espace corporel du Sentir, du " sens commun », et favorise un ajustement apaisé des patients au monde qui les entoure. Pour servir la thèse et modéliser ce concept, trois recherches-actions sont

présentées (menées auprès de différentes populations : travailleurs sociaux, personnes

atteintes de V.I.H. et personnes souffrant de psychose). Elles révèlent la valeur opératoire

de la motion transubjective, au coeur même de l"intersubjectivité humaine, que cette

dernière soit celle des foules, celle qui tient en contact les membres d"un groupe ou l"aida

que créent ensemble le thérapeute et son patient. Enfin, ces trois recherches-actions

concourent, en psychologie clinique, à la modélisation d"un processus émergent d"autoréalisation de soi, dans la rencontre avec le monde, qui se déploie dans la sphère de la corporéité. Outre la proposition d"un outil groupal -le psychodrame existentiel- cette thèse en discute les conditions de mise en oeuvre (en termes de dispositif d"intervention clinique) afin d"en comprendre les leviers thérapeutiques. Mots clés : psychodrame existentiel de groupe, motion transubjective, processus originaire, dynamique de groupe, rencontre, contact, aida, enaction, corporéité.

Ecole doctorale EPSYLON

Unité de recherche EA4556

3

SUMMARY

The Transubjective Motion

A movement of one"s being selfrealization triggered by the existential psychodrama method. This thesis shows how therapeutic work, in an existential psychodrama group, enables the therapist to access directly to "the-patients"-being", without spending some time unravelling representations. In this context, the individual motion is triggered. Then, it transforms, via intersubjectivity, to place itself "between" (aida) the members of the group. There, it turns into a transubjective form which expands through resonance to deliver a peculiar climatic tone to the group. I have named that new dynamism: transubjective motion. As it functions dynamically according to the "opening-closing" poles, the transubjective motion permits the opening to the Feeling body space to the "common sense" space, enabling the patient to have a pacified relationship to the world around. In order to demonstrate our thesis and to model the concept, three researches- actions are presented (they were conducted among different populations: social workers, persons suffering from H.I.V and psychotic patients.) They reveal the operational value of the transubjective motion, situated at the heart of human intersubjectivity, whether it reveals itself in a crowd, between the members of a group, or the aida created by the therapist and his/her patient. Finally, those three researches-actions contribute, in clinical psychology, to the modelling of an emergent process of one"s being selfrealization through the relationship to the world around, expressing itself in the area of corporality. Beyond proposing a group therapy method -the existential psychodrama- this thesis analyses the conditions for its implementation (in terms of clinical intervention experience) in order to understand its therapeutic efficiency. Key words: Group existential psychodrama, transubjective motion, originary process, group dynamism, contact, aida, enaction, corporality

Doctoral school EPSYLON

Research Team EA4556

4

À Marc.

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Je tiens à remercier tout particulièrement

Monsieur le Pr. Jean-Michel Vivès qui me fait l"honneur d"être président de mon jury et dont les cours sur Piera Aulagnier (à l"université Paul Valéry !), m"ont enthousiasmé et continuent à me passionner vingt-cinq ans plus tard. Monsieur le Pr. Philippe Robert qui m"accorde le privilège de sa présence à mon jury et dont les travaux fondamentaux m"éclairent et me permettent d"avancer dans le champ théorique et dans celui de la pratique clinique. Monsieur le Pr. Marc Levêque, soutien infaillible du Master " Phénoménologie des pratiques problématiques corporelles », et dont les recherches novatrices m"ont si souvent ouvert des pistes de réflexion. Sa présence à mon jury est une grande joie. Vincent Estellon, pour l"impulsion à l"écriture de cette thèse et sa vision " en hauteur » de mes écrits qui me donnait parfois l"impression, à certaines étapes du travail, qu"il comprenait mieux mes recherches que moi-même. Brigitte Leroy-Viémon, pour avoir accompagné mon cheminement (bien au delà de la thèse !) et sa présence rassurante pendant les moments d"égarement. Aussi pour tout le travail que nous menons ensemble depuis tant d"années. Mes partenaires de jeu, psychodramatistes talentueux : dr. Philippe André, dr. Hervé Bokobza, Jean-francois Bouix, André et Bernadette Kraemer, José-Luis Moraguès, Jean-Marc Urtis. Pour notre complicité psychodramatique. Odile Jacob et Caroline Rolland qui ont, en soutenant mon travail, relancé une nouvelle dynamique dans mon existence. Mes collègues de l"Université Montpellier 3 et du Centre psychothérapique Saint Martin de Vignogoul qui luttent pour conserver bon sens et qualité du travail et qui ont su, régulièrement, me manifester leur encouragement. Ma mère, mes amis qui ont supporté mon absence et su m"offrir quelques instants d"apaisement pendant l"épreuve de l"écriture de la thèse. 6

Mes étudiants et élèves de l"Institut de psychodrame Montpellier Méditerranée

dont le soutien m"a surprise et touchée. Mes patients, ceux qui figurent dans ce texte et tous les autres, qui chaque jour font voler en éclat certitude, a priori et stéréotype et qui me poussent en permanence à réinterroger ma pratique. 7

SOMMAIRE

INTRODUCTION .........................................................................................................................8

PROBLEMATIQUE .........................................................................................................14

HYPOTHESES INTUITIVES ..............................................................................................17

I De l"âme collective des foules à la puissance de l"intersubjectivité. ..............................................19

I-1 L"âme collective de la foule : les découvertes de Gustave Le Bon. ..................................19

I-2 La " psyché de groupe » : les avancées de Sigmund Freud. ...........................................23

I-3 L"avant guerre, de nouvelles nécessités de recherche et de prise en charge thérapeutique. .......34

I-4 Naissance de la " psychothérapie de groupe ». .........................................................46

I-5 Wilfred Bion : psychothérapie en groupe et psychothérapie de groupe. .............................61

I-6 Une synthèse de la clinique des groupes : le Schéma Référentiel Opératoire d"Enrique Pichon

Rivière. ............................................................................................................71

I-7 La théorie des rôles. .........................................................................................85

I-8 Théorie psychanalytique des groupes, les avancées de Didier Anzieu. ..............................94

I-9 " L"appareil psychique groupal » et le groupe interne : René Kaës. ................................101

I-10 La psychothérapie systémique, présentation succincte. .............................................109

I-11 Le mouvement de la psychothérapie institutionnelle. ...............................................112

I-12 Conclusion de la première partie. ......................................................................128

I-13 Hypothèses opératoires. .................................................................................129

II-Les contextes de la recherche : Le psychodrame de groupe. De la théorie à la clinique. ....................130

II-1 Jacob Levy Moreno : la révolution créatrice. .........................................................130

II-2 Contexte épistémologique local : l"école montpelliéraine. ..........................................146

II-3 Les innovations théoriques et les concepts particuliers qui vont se dégager des ces contextes

clinico-théoriques ; le point de vue de la métapsychologie. .............................................153

II-4 À l"interface de la psychanalyse et de la phénoménologie : le processus originaire de Piera

Aulagnier. .......................................................................................................165

II-5 Le point de vue de la psychopathologie phénoménologique. .......................................173

II-6 Spécificités des recherches montpelliéraines. .........................................................186

II-7 La notion de contact. .....................................................................................208

II-8 Méthodologie de la recherche. ..........................................................................216

II-9 Thèse. ......................................................................................................230

III Cliniques du psychodrame. ..........................................................................................231

III-1 Présentation de la première recherche-action : Sida, dépression et relance existentielle. ......231

III-2 Présentation de la deuxième recherche-action : Principes d"un dispositif psycho-

phénoménologique " d"aide aux aidants ». .................................................................248

III-3 Présentation de la troisième recherche-action : Le psychodrame au centre psychothérapique

Saint Martin de Vignogoul. ...................................................................................273

CONCLUSION ..........................................................................................................................431

OUVERTURES ET PERSPECTIVES ...................................................................................444

TABLE DES MATIERES .............................................................................................................447

BIBLIOGRAPHIE des ouvrages cités & BIBLIOGRAPHIE générale....................................................457 - 469

INDEX des principaux concepts et notions utilisés & INDEX des auteurs cités................................492 - 496

8

INTRODUCTION

J"ai engagé ce travail de thèse après vingt-cinq ans de recherche et de pratique

thérapeutique clinique. La thèse s"est imposée à moi tant j"ai exploré deux champs : celui

de la psychose, et un outil, le psychodrame de groupe. Je travaille actuellement, en tant que psychologue clinicienne, au centre psychothérapique Saint Martin de Vignogoul, en psychiatrie adulte. J"y réalise des prises en charge centrées sur le groupe, selon les principes et les valeurs de la psychothérapie institutionnelle et au moyen d"un outil, le psychodrame. J"y anime trois psychodrames de groupe hebdomadaires. Dans ce cadre, je prends en charge des patients souffrant de psychose, de névrose grave et d"état limite.

Par ailleurs, je suis Maître de conférences associée (PAST) depuis 18 ans à l"université

Montpellier 3 dans le master de psychologie clinique, et plus précisément dans le parcours

" Phénoménologie clinique du sportif et des problématiques corporelles » que dirige

Brigitte Leroy-Viémon, Maître de conférences. Ma collaboration s"y déploie sur plusieurs versants et en particulier celui sur la formation des étudiants au psychodrame de groupe

Balint.

C"est grâce au psychodrame de groupe que j"ai pu découvrir un levier de

changement pour les patients que je prends en charge, et que j"ai mis à l"épreuve et

modélisé le concept de " motion transubjective ». Cette thèse portera donc sur ce concept

mis en valeur et rendu opératoire par des modalités originales d"animation d"un psychodrame de groupe.

La première partie s"attachera à présenter de façon détaillée les modèles théoriques

et les postulats des auteurs pionniers dans la théorisation des groupes. En partant de

l"analyse des foules de Gustave Le Bon et Sigmund Freud, je limiterai mon objet de

recherche au groupe restreint. Présenter, voire juxtaposer des modèles d"auteurs (Kurt

Lewin, Jacob Levy Moreno, Wilfred Bion, Enrique Pichon-Rivière, Didier Anzieu, René

Kaës...) offre la possibilité d"un traversée rapide dans l"histoire de la théorie des groupes

depuis la seconde guerre mondiale. Cette première partie sera la toile de fond sur laquelle se précisera la modélisation de " la motion transubjective ».

Tous ces auteurs s"accordent sur ce point : il existe un phénomène psychique inhérent à la

situation de foule ou de groupe qui dépasse le seul individu. Le groupe a donc un effet direct sur chacun de ses membres, d"où l"importance de spécifier le contexte dans lequel le 9

groupe évolue. La perspective ouverte par Kurt Lewin par les " schémas galiléens » pointe

l"importance du rapport de réciprocité entre les attitudes d"un individu et le contexte dans

lequel il évolue, ce qui crée la situation dont le comportement est fonction. Ainsi,

l"interaction est perçue comme un tout irréductible aux constituants individuels et devient une " totalité dynamique ». La foule apparaît dans les textes freudiens comme le foyer du processus psychique primaire pulsionnel. Le lien intersubjectif est analysé sous la seule focale de la pulsion libidinale. Pourtant Sigmund Freud précise dans " Psychologie des foules et analyse du

moi » que l"interprétation libidinale n"apporte pas toutes les réponses que pose la

formation d"une foule. A la régression barbare de la foule qu"il analyse s"oppose une vie

groupale possible harmonieuse, plus encline à la solidarité qu"à la destructivité. En

déconstruisant les stéréotypes à l"égard des groupes, Kurt Lewin, Jacob Levy Moreno, Enrique Pichon-Rivière et Wilfred Bion proposent des modes d"animation oeuvrant aux

retrouvailles avec une éthique de la liberté et une réalisation de soi pour chaque membre du

groupe. Dans tous les cas, la position de l"animateur s"écarte d"une position de pouvoir. Et c"est de son mode d"animation que dépendra le climat du groupe (son ambiance). Ce climat déterminera les types de lien intersubjectifs entre les membres du groupe.

En plus d"avoir déterminé les phases traversées par un groupe pour atteindre son

intégration, ces auteurs insistent sur la notion d"apprentissage, trop souvent mise de côté.

L"apprentissage de l"authenticité pour Kurt Lewin, de la spontanéité pour Jacob Levy

Moreno, l"apprentissage par l"expérience pour Wilfred Bion. Cette notion atteint son apogée dans les travaux d"Enrique Pichon-Rivière qui la place au centre de son Schéma Conceptuel Référentiel et Opératoire. Dans la même dynamique, ces auteurs analysent les

" rôles stéréotypés » pris dans les groupes par les individus le composant comme aliénants

et opèrent à leur déconstruction. Je ferai par ailleurs la différence entre le rôle stéréotypé et

" jouer un rôle qui m"est attribué comme si j"étais le rôle » en psychodrame. La puissance de l"interaction, l"accent mis sur l"importance du contexte dans la psychothérapie ont conduit les psychologues à créer d"autres dispositifs groupaux spécifiques dont l"apport thérapeutique est largement approuvé de nos jours. Prendre en compte la psychothérapie systémique et la psychothérapie institutionnelle dans mes

réflexions me paraît important tant la notion de collectif est prégnante dans l"éthique du

soin. C"est en transformant le dispositif de soin que de nouveaux types de liens se créent, au sein d"une même famille, entre les patients, entre les patients et les soignants.

J"insisterai, à ce propos, sur la valeur thérapeutique de l"action commune pour que le

10

groupe préserve sa force " instituante » et sur la possibilité de nouveauté dans la relation

hors champ transférentiel. Les auteurs pré-cités, pionniers dans le champ de la psychologie des groupes, mettent en exergue combien, en situation de groupe, la circulation d"émotions exerce sur chaque individu une influence puissante, au détriment de la raison. Wilfred Bion met en évidence un nouvel organisateur psychique groupal : le système protomental. Constitué de

présupposés de base archaïques et prégénitaux, le fonctionnement du système protomental

se situe en deçà des processus primaire et secondaire. En ajoutant à la composante

" groupe » la méthode du psychodrame travaillée dèsson origine avec les apports de son créateur : Jacob Levy Moreno, j"ai pu déterminer un nouveau type de lien originel, corporel, dépassant les limites de la psyché individuelle. Ce type de lien mobilise le groupe dans une dimension pré-psychique et provient du seul fait d"être en présence les uns avec les autres. Ce type de lien détermine l"ambiance du groupe et agit par uniformisation par contact. Il est la dimension" contactuelle » de l"existence. Il a découlé de cette première investigation que le dispositif groupal et psychodramatique se présente bien comme une occurrence féconde pour travailler la question d"une " intersubjectivité créatrice », pourvoyeuse de changements existentiels et pré-psychiques pour un sujet. Si nous connaissons bien les principes qui gouvernent ces changements potentiels grâce à

la psychanalyse qui s"attache à éclairer les mouvements psychiques liés aux registres

primaire et secondaire de représentation, il semble que les connaissances en la matière soient moins élaborées, notamment au niveau de ce qui se passe aux sources de la vie

pulsionnelle du sujet, c"est-à-dire du point de vue de l"activité non thématisable qui anime

le registre psychique originaire des pictogrammes (Piera Aulagnier), à ce niveau du " pré » et du " proto-psychique ». Les travaux de Didier Anzieu et René Kaës qui ont permis une avancée fondamentale dans la compréhension des phénomènes psychiques groupaux ciblent essentiellement les processus primaire et secondaire et ne me permettent pas d"avancer sur la question d"un " proto lien ». Si la première partie de cette thèse est constituée de façon horizontale, la seconde

assurera la verticalité nécessaire au développement de ma réflexion. Je présenterai au cours

de cette seconde partie l"étude de l"intersubjectivité corporelle, originelle, non libidinale et

cernerai mon objet de recherche : la motion transubjective. Je m"attacherai à cibler mon

objet de recherche sans céder à la tentation de revenir sur les processus primaire et

11

secondaire. Isoler un élément de sa complexité pour l"étudier est toujours une réduction

mais j"opérerai ce resserrement, visant avant tout à produire de nouvelles connaissances dans le domaine de la dynamique des groupes et plus spécifiquement du psychodrame de groupe, dont je reprendrai succinctement l"histoire de sa création et de son implantation en France (le psychodrame étant quasi exclusivement devenu en France d"obédience psychanalytique). Pour modéliser le concept de motion transubjective, j"articulerai les concepts de " système protomental » (Wilfred Bion), d" " interliaison » (Ophélia Avron), de

sensorialité (Christophe Bittolo, Philippe Robert) et de " processus originaire » (Piera

Aulagnier) pour interroger la métapsychologie freudienne du côté de la motion. C"est cela qu"il m"intéresse d"éclairer et je soutiens que le psychodrame que je qualifie d"existentiel tant son mode d"animation diffère du psychodrame psychanalytique me semble une voie particulièrement recommandée pour une telle entreprise. La motion transubjective co-créée par les membres du groupe en présence et exacerbée par la mise en mouvement corporelle que nécessite le jeu psychodramatique, se transforme et s"amplifie au contact d"autrui, au contact avec le monde qui nous entoure. Sa

source et son développement sont " entre » le sujet et autrui, " entre » le sujet et le monde.

Ce phénomène pourra se décliner avec le processus de la rencontre tel que le philosophe Martin Buber et le psychiatre phénoménologue Bin Kimura l"ont modélisé. La motion transubjective, à la base de tout phénomène de rencontre, présente chez tout homme, est attraction pour la vie, de la vie (que l"on s"en approche ou que l"on s"en détourne). Elle témoigne d"un savoir-faire corporel spécifique lié au mouvement, au geste interactionnel (Marcel Jousse) et au Sentir (Erwin Straus) ; le Sentir étant le niveau du circuit de la motion. La théorie de l"enaction (Francisco Varela) me permettra de déployer la relation

entre corporéité et sens commun et de montrer à quel point, cette relation, présente dès les

premières heures du nourrisson, assure une liaison pathique avec ce qui nous entoure. Je spécifierai combien le patient psychotique souffre d"une pathologie de la rencontre tant la perte du sens commun rend inopérante les manifestations de l"élan vital et de la

spontanéité. Puis, la dimension du contact, telle qu"elle a été développée par l"école

hongroise de psychanalyse, clôturera l"apport théorique nécessaire à la compréhension de

la motion transubjective.

Avant de déployer les recherches-actions, je spécifierai ma position de chercheur et

expliciterai combien la démarche de la psychologie clinique inspirée de la psychanalyse gagne en se liant à la méthode phénoménologique. Cette deuxième partie me permettra d"éclairer la thèse qui sous-tend mon travail. 12 Puis, pour servir la thèse, j"ai rassemblé trois études qui seront présentées dans la

troisième partie. Deux d"entre elles ont été effectuées, avant la perspective de la thèse, dans

le cadre du laboratoire de recherche de l"Université Paul Valéry, le PRIR (Processus de

Représentation et d"Interprétation des Risques, dirigé par le Pr. Jean-Pierre Martineau). La

troisième à partir de mon travail de psychodramatiste au centre psychothérapique Saint

Martin de Vignogoul.

Les deux premières recherches-actions ont été réalisées auprès de deux institutions

différentes :

- Au sein de l"association AIDES où j"ai animé un psychodrame de groupe, avec d"autres chercheurs associés, auprès de personnes atteintes du V.I.H. La commande

était de créer et d"évaluer un dispositif apte à prendre en charge, au plan psychologique, un groupe de personnes en état de dépression et en danger de désinsertion sociale. Cette recherche-action a crédité, en psychologie clinique, une compréhension psychanalytique et phénoménologique de l"identité humaine comme produit d"un déterminisme psychique et d"un processus émergent d"autoréalisation de soi dans la rencontre avec le monde qui se déploie dans la sphère de la corporéité.

- Au sein du CHRS l"Oustal (Centre d"Hébergement et de Réinsertion Sociale) où j"ai pu mener, avec des chercheurs associés, une pratique de psychodrame de groupe (de type Balint) auprès de travailleurs sociaux. Cette recherche-action a permis de découvrir la possibilité pour les travailleurs sociaux, en les convoquant

sur le versant corporel, de développer leurs capacités à ressentir, par laquelle ils se retrouvent en disposition d"accueillir et d"intégrer l"altérité, non plus sur le mode

identificatoire de la représentation où l"altérité est recouverte par les traits de

quelque autrui, mais sur le mode du Sentir où l"altérité leur apparaît comme pure potentialité. - La troisième recherche-action est menée sur mon lieu de travail, le centre psychothérapique St Martin de Vignogoul. Il s"agit d"une recherche-action prise dans une pratique multifocale (insérée dans une institution) qui porte sur la clinique quotidienne des psychoses. Elle sera présentée en deux volets, le premier concerne la présentation et la description de la façon dont j"anime le psychodrame existentiel

au plus près de ma pratique, et le deuxième cible les différentes possibilités

qu"offre le psychodrame existentiel aux patients. Mon objet de recherche étant la 13 motion transubjective, ses conditions d"apparition et ses formes, je ne présenterai pas une analyse psychopathologique, pas d"étude de cas à propos de la psychose. Plutôt, je m"attacherai à démontrer comment la conduite psycho- phénoménologique du psychodrame favorise chez les participants l"émergence d"une présence à soi et aux autres en contournant les dynamiques représentationnelles et leurs avatars. Contourner ne signifie pas ignorer. La prise en compte des dynamiques transférentielles, des enjeux identificatoires et projectifs, du fonctionnement libidinal, du système défensif singulier ...., tels que la psychanalyse les décrit si bien, est prépondérante dans ma pratique. Mais ma démarche de recherche n"est pas de répéter le déjà connu et le vérifier mais de tenter d"apporter de nouvelles connaissances à notre communauté. Ainsi, les apports de la phénoménologie ou d"autres disciplines permettent, en complémentarité, un supplément de compréhension de la complexité de la vie psychique. Au lieu de rencontrer des différences incompatibles dans mes lectures, j"ai bien plus trouvé un fond d"unité tant la thématique de l"originaire est riche d"incarnations multiples. Ainsi, je démontrerai qu"un lien originel, non libidinal, est à la base de la vie en tant que premier mouvement irrépressible de l"attraction vers l"animé qui nous entraîne irrémédiablement dans la rythmicité de l"existence. Ces trois recherches-actions ont montré la valeur du psychodrame de groupe du point de vue du " corps en mouvement ». Elles créditent, en psychologie clinique, la compréhension d"un processus émergent d"autoréalisation de soi dans la rencontre avec le monde qui se déploie dans la sphère de la corporéité. Ces recherches-actions se mettent au service d"un changement social et d"un

changement de position dans l"existence pour les participants. " Changer » équivaut à

sortir des répétitions, à explorer de nouvelles façons d"être avec soi, avec les autres, avec le

monde qui nous entoure. " Changer » c"est retrouver le mouvement du vivant, s"extraire de la peur de la vie pour que son intensité nous emporte et nous transforme. Dans les trois recherches menées, je participe à la fois à l"analyse des problématiques énoncées par les participants et leur propose un dispositif d"intervention psychodramatique que j"anime. Dans tous les cas, ma position de chercheur est engagée,

totalement impliquée dans les processus mis en oeuvre, plus " militante » que détachée ou

réservée. Le but assumé est l"amélioration de la vie des personnes impliquées notamment

par la prise en compte par les personnes elles-mêmes de leurs propres ressources. Ressources qu"elles pourront dès lors mobiliser pour leur propre épanouissement. Les 14 groupes participants et les individus composant les groupes auront à trouver eux-mêmes les solutions pour apaiser une existence faite de tourment. Jamais il ne leur sera soufflé une

bonne façon d"être mais le travail permettra de co-créer des chemins qu"ils pourront

utiliser à leurs façons. Je suis ainsi, en tant que chercheur, concernée par l"expérience dans

l"intégralité de la vie émotionnelle, sensorielle, corporelle, imaginative et rationnelle.

L"accent est mis sur la praxis en tant qu"action théorisée et impliquée, c"est à dire associée

à un dispositif d"intervention. Ainsi mon implication est à double sens, je m"implique et

par là même j"implique l"autre tout en acceptant d"être impliquée par l"autre dans la

situation d"interaction. Ainsi chaque expérience est unique et non réductible à un modèle

quelconque. Le chercheur participant est immergé dans un vécu sensible de proximité où s"opère la rencontre " Je-Tu » décrite par Martin Buber 1. Ainsi, cette thèse s"ouvre dans la perspective d"analyser le dispositif d"intervention, le psychodrame, d"en affiner l"exercice et d"en comprendre les leviers thérapeutiques. Ces trois parties révèlent la valeur opératoire de la motion transubjective au coeur même de l"intersubjectivité humaine qu"elle soit celle des foules, celle qui tient en contactquotesdbs_dbs26.pdfusesText_32

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