[PDF] Lidentité féminine dans loeuvre de Charels Baudelaire





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Limage de la femme dans quelques poèmes de Charles Baudelaire

En ce qui concerne Un hémisphère dans une chevelure il fait partie du Spleen de Paris



LE SPLEEN DE PARIS - Bibebook

CHARLES BAUDELAIRE. LE SPLEEN DE PARIS femme décrépite et remplissait la maison de ses glapissements. Alors la bonne vieille se retira dans sa solitude ...



Lidentité féminine dans loeuvre de Charels Baudelaire

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BAUDELAIRE - Le Spleen de Paris

APOLLINAIRE Alcools. Au nom de la Liberté (anthologie). BAUDELAIRE



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Christine Queffélec Le Spleen de Paris: poétique de la misère

Une vingtaine de poèmes sur les cinquante du Spleen de Paris leur sont Le poème met à jour toute l'ambivalence des êtres : la vieille femme tient de.



LAnnée Baudelaire - Musée dOrsay Octobre 2021 - Janvier 2022

La femme sans nom l'histoire de Jeanne et Baudelaire En contrepoint du Spleen de Paris

L"identité féminine dans l"OEuvre de Charles Baudelaire

Par Paul Savouré, étudiant,

né en 1992 Sous la direction de Madame Lesain-Bardiot professeur de littérature à l"Institut

Albert-le-Grand

2

Sommaire :

Introduction 3

I- La femme ou l"incarnation du mal 6

A- La femme et la chute 6

B- L"incarnation du mal 9

C- Baudelaire et le dandysme 13

II- La femme idéale 15

A- L"idéal 15

B- La mère 18

C- Les veuves et les vieilles femmes 21

III- La soeur 23

A- Le muse familière 23

B- Le Lesbos 25

C- L"incarnation de la soeur : Marie Daubrun et Mariette 27

Conclusion 31

Bibliographie 33

3

Introduction

La contribution de Charles Baudelaire à la poésie française est incommensurable.

Qu"il soit le dernier poète romantique, ou le premier des modernes, critique d"art ou

dramaturge, ce poète a, par sa vie et ses oeuvres, livré à la littérature française une matière

incontestablement belle et titanesque. Pourtant, malgré la variété de ses travaux, c"est bien le

recueil de quelques cent poèmes paru en 1857, sous le titre Les Fleurs du mal, qui sera la pierre angulaire de son OEuvre. Aussi, si l"on convient, certes d"un point de vue quelque peu réducteur, que chaque

écrivain ne conte finalement à ses lecteurs qu"une de ses " obsessions », force est de constater

que les Fleurs du mal, non contentes de ne pas déroger à cette règle, malgré la multitude des

topiques qui s"y croisent, s"y abandonnent. Cette " obsession » en filigrane, que le lecteur attentif ne pourra manquer de remarquer, et que nous appellerons, par commodité, sous le

terme générique de mundus muliebris, semble avoir été pour le poète substantiel, intrinsèque à

sa personne, comme il le décrira plus tard dans Les Paradis artificiels parus en 1858. Inspirés

des Confessions d"un Anglais mangeur d"opium de Thomas de Quincey parues en 1822, Baudelaire y évoquera l"enfance de son inspirateur troublante de ressemblances avec la

sienne. Aussi écrira-t-il au chapitre dûment intitulé Chagrins d"enfances de ses Paradis

artificiels : Les hommes qui ont été élevés par les femmes et parmi les femmes ne ressemblent pas

tout à fait aux autres hommes [...]. L"homme qui dès le commencement, a été longtemps baigné dans

la molle atmosphère de la femme, dans l"odeur de ses mains, de son sein, de ses genoux, de sa

chevelure, de ses vêtements souples et flottants [...] y a contracté une délicatesse d"épiderme et une

distinction d"accent, une espèce d"androgynéité, sans lesquelles le génie le plus âpre et le plus viril

reste, relativement à la perfection dans l"art, un être incomplet. Enfin, je veux dire que le goût précoce

du monde féminin, mundi muliebris, de tout cet appareil ondoyant, scintillant et parfumé, fait les

génies supérieurs 1. Évoquer la femme chez Baudelaire, c"est comprendre à quel point elle tient une place

particulière dans son oeuvre. Ce mundus muliebris Baudelaire l"a expérimenté, il en est

l"enfant, la production. Il est cet androgyne au " génie supérieur » qui se prend dès l"âge de

seize ans dans le piège du mysticisme qu"il se tend à lui-même, et qui marquera la femme du sceau d"une sensualité en mouvement, de l"intouchable et du mystère d"un autre insaisissable:

Il aimait à la voir, avec ses jupes blanches,

Courir tout au travers du feuillage et des branches Gauche et pleine de grâce, alors qu"elle cachait

1 Charles Baudelaire, Un mangeur d"opium, Les Paradis artificiels chap. 6, OEuvres Complètes (O. C.) t. 1, La

Pléiade, 1975, p. 499.

4

Sa jambe, si la robe au buisson s"accrochait...2

Toute femme est symbole, toute femme fait l"objet d"une idolâtrie, d"un culte. Fort de ce vécu, Baudelaire incarne et puise sa poésie dans un siècle, qui en pleine

révolution industrielle tourne le dos à un idéal romantique, qui avait entouré la femme d"une

aura divine, d"une courtoisie, pour s"acheminer par le regard destructeur de la masse vers une

beauté " désidéalisée ». C"est dans l"oeuvre de Baudelaire que surgit le nouveau statut des

femmes des grandes villes, soumises à une certaine uniformisation des sexes due au travail et

à l"urbanisation. Dans Le Peintre de la vie moderne il remarque la différence des sexes

brutalement modifiés par l"industrialisation, le travail des femmes, l"émergence des féminismes tout en faisant l"apologie d"une beauté moderne et urbaine : maquillage, artifice, mode, etc.

Peu d"artistes ont, autant que Baudelaire, souligné la diversité de la femme et l"ont peinte avec

autant de précision. Belles passantes, mendiantes touchantes, négresses fascinantes et

courtisanes avilies ont imprégné sa vie et sa poésie et rythment même l"une et l"autre. Dans le

monde baudelairien la femme apparaît à la fois comme un être divin et une créature du diable.

Dès lors, il convient de se demander et de voir en quels termes il nous est possible

d"envisager l"identité féminine qui paraît si vaste mais si inhérente à l"oeuvre de Baudelaire ?

Mieux, de voir combien cette femme agit comme une sorte de catalyseur, comme un centre vers lequel Baudelaire gravite, sans jamais pouvoir s"en extraire, faisant de la femme un filtre au travers duquel il véhicule, ce que nous appellerons " sa métaphysique ». Si cette étude porte plus particulièrement sur ce que nous avons déjà décrit comme la substance de l"oeuvre du poète, Les Fleurs du mal, nous nous intéresserons aussi au Spleen de Paris, à ses Journaux intimes qui semblent souvent, par des phrases qui s"apparentent au genre aphoristique, être plus explicites, ainsi qu"à sa très vaste Correspondance. La femme, sous ses multiples visages, procède dans l"oeuvre de Baudelaire d"une constante

opposition oscillant entre deux pôles qui s"excluent tout en s"alimentant l"un l"autre. La

femme est un objet hétérogène en tout point. Bien qu"objet de culte pour le poète, la femme

moderne est pour lui méprisable. Elle est l"incarnation du démon, d"un être naturel, qui pousse

l"homme à sa propre déchéance.

Pourtant, si le poète trouve la femme affreuse, étant l"appareil du mal, il l"adule, lui voue un

culte. Elle n"est alors plus qu" " un vampire aux flancs gluants, docte aux voluptés

3 » mais

une " fée aux yeux de velours

4» à laquelle le poète voue une véritable adoration.

Fort de ces constatations il nous est essentiel de distinguer une troisième acception de la

femme sous le terme générique de " soeur », comme un être en marge qui accompagne

2 Supplément, O. C., t. 1, p. 1582.

3 " La Métamorphose du vampire », Les Fleurs du Mal, O. C., t. 1, p. 159.

4 Ibid., p. 24.

5

Baudelaire dans son désir d"exception, d"étrangeté ainsi que dans sa révolte contre l"âge

moderne. 6

I- La femme ou l"incarnation du Mal

Pour Baudelaire la femme est l"autre. L"autre absolument vers lequel tendent et sont

portés tous les hommes, sans pour autant que cet autre, insaisissable par nature, leur

appartienne jamais. Dès lors, la femme devient, pour le poète, l"objet d"un culte impossible, d"une religiosité qui se meut en damnation et qui entraîne l"homme dans la chute. La chute par le corps d"abord, puisque Baudelaire décrit la femme comme un être simplement charnel, comme une machine vivante et corruptrice, comme un être naturel, ou un vampire docte en

voluptés et qui, de ce fait, est docte dans l"art " de perdre au fond d"un lit l"antique

conscience ». Ainsi, c"est la femme naturelle qui livre l"homme au péché, étant l"instrument

du diable ; cette image trouvera une incarnation particulière dans la vie du poète, sous les traits de la juive Sarah, dite " la Louchette », mais surtout de la seule femme à laquelle le

poète restera attaché jusqu"à la fin de sa vie, ne pouvant jamais se résoudre à la quitter, Jeanne

Duval. Les conséquences de cette déchéance par la chair entraînent non seulement, comme nous l"avons dit, la mort de l"antique pureté, mais encore, et surtout, une chute spirituelle.

Elle réduit l"homme d"esprit, le dandy qui veut se dégager de la matière, s"élever par le travail

et l"exercice de son intelligence, à une régression qui le conduit à ployer sous le poids

insupportable de sa propre matière.

A- La femme et la chute

Dans ses Journaux intimes Baudelaire écrira : " La femme ne sait pas séparer l"âme du corps. Elle est simpliste, comme les animaux. Un satirique dirait que c"est parce qu"elle n"a que le corps

5» montrant par là combien la femme est pour lui réductible à un être strictement

charnel, à un être vide et sans âme. La femme est alors et ce de manière nécessaire vue

comme un être naturel : " La femme à faim et elle veut manger, soif et elle veut boire. Elle est

en rut et veut être foutue. Le beau mérite !

6 ». Elle est assujettie à ses désirs et, non contente

de ne pouvoir les réguler, elle n"en a même aucune conscience, elle se voit attribuer une âme

sensitive qui la réduit à l"état de bête, de brute, et de " vil animal

7 ».

Aussi, dans " l"Examen de Minuit

8 » Baudelaire se rappelle :

Nous avons blasphémé Jésus

Des Dieux les plus incontestables !

Baisé la stupide Matière

Avec grande dévotion

5 Mon coeur mis à nu, 49, O. C., t. 1, p. 694.

6 Ibid., p. 677.

7 " La Chevelure », Les Fleurs du Mal, O. C., t. 1, p. 26.

8 Ibid., p. 144.

7

En d"autres termes, Baudelaire affirme avoir " baisé » avec le diable, celui-là ayant pris

possession de la matière vacante, du corps féminin privé d"âme, la transformant en une sorte

de vampire qui tire l"homme vers la chute par la concupiscence, ce que rappellera encore le

poète dans ses Journaux intimes en écrivant que " L"éternelle Vénus (caprice, hystérie,

fantaisie) est une des formes séduisantes du diable9». La femme est pour Baudelaire l"incarnation du démon. Mieux, elle est l"instrument du

diable chargé d"amener l"homme à sa propre déchéance sous l"effet d"une concupiscence

débridée et grâce à une aptitude naturelle à faire le mal, étant donc par là même une

inconscience à le faire, le mal n"étant que le prolongement de sa nature. Nous pouvons voir

combien Baudelaire fut hanté par la sensation d"étouffement que représente la femme,

sensation mortelle incarnée par ses bras comme dans " La métamorphose du vampire

10 », où

il écrit : Je suis mon cher savant, si docte aux voluptés, Lorsque j"étouffe un homme en mes bras redoutés Ou encore dans " Le beau navire11 » où il répète que ces bras :

Sont des boas luisants de solides émules

Faits pour serrer obstinément,

Comme pour l"imprimer dans ton coeur, ton amant.

Ces quelques vers sont la preuve de l"angoisse véritable qu"éprouve Baudelaire face à cet étouffement physique, dans les rapports charnels qu"il entretient avec les femmes, mais aussi face à l"étouffement de sa création artistique, comme le montrera si bien sa relation avec

Jeanne Duval. La femme l"étouffe mais surtout le pervertit puisqu"elle est montrée, nous

l"avons dit, sous la forme d"un vampire ou d"un serpent, Baudelaire faisant par là une

référence explicite à la tradition judéo-chrétienne de la Genèse. Ainsi, " Le Serpent qui

danse

12 », est un poème duquel se dégage une sensualité très violement marquée qui montre

combien la " femme-serpent » est tentatrice, combien elle pousse l"homme au désir charnel:

À te voir marcher en cadence,

Belle abandon,

On dirait un serpent qui danse

Au bout d"un bâton.

Tentation encore plus visible dans " Le Monstre 13 » où :

9 Mon coeur mis à nu, 48, O. C., t. 1, p. 693.

10 Les Fleurs du mal, O. C., t. 1, p. 159.

11 Ibid., p. 51.

12 Ibid., p. 29.

13 Ibid., p. 164.

8

Par sa luxure et son dédain

Ta lèvre amère nous provoque

Remarquons encore que de tous les symboles de l"érotisme présents dans la poésie de

Baudelaire, le plus puissant est l"odeur. Pour le poète, c"est par l"odeur que se dégage

essentiellement le désir de sombrer dans la concupiscence, comme il l"écrira avoir ressenti

déjà très jeune, dans ses Journaux intimes : " Je confondais l"odeur de la fourrure avec l"odeur

de la femme ». Cette odeur, au parfum animal et dont le chat sera l"incarnation tout en étant une des allégories de ses maîtresses, enveloppe, pour Baudelaire, la femme dans une sorte d"aura irrésistible :

Et, des pieds jusqu"à la tête,

Un air subtile, un dangereux parfum,

Nagent autour de son corps brun.

Cette odeur se mue, comme dans " La Destruction14 », en un instrument au service de Satan pour séduire sa victime et la faire succomber au désir : Sans cesse à mes côtés s"agite le Démon ;

Il nage autour de moi comme un air impalpable ;

Je l"avale et le sens qui brûle mon poumon

Et l"emplit d"un désir éternel et coupable.

Pour le poète, la femme oblige l"homme à combattre cette concupiscence inconsciente tout en

en étant elle-même la source. Elle fait perdre au poète " l"antique conscience », sa pureté

d"esprit. Elle incarne la figure d"une Ève qui pousse l"homme à la faute, dans laquelle il devra

se débattre seul puisque la femme, elle, n"en ressent pas les effets dans sa propre conscience.

Si la femme est la représentante de la perversité, l"homme lui est supérieur en atrocité par

la conscience qu"il a de faire le mal. Il nous faut, de plus, noter l"influence constante de la poésie baroque du XVI e siècle chez Baudelaire, qui en fut fervent lecteur. Cette influence, qui présente un monde hanté par

l"idée d"une mort omniprésente et d"un mouvement constant, se traduira chez le poète par une

volonté aigüe de briser toute image idyllique de la femme comme d"un être immuable et

supérieur. Si le poète lui rappelle sans cesse qu"elle n"est qu"une triste charogne en devenir,

elle est paradoxalement pour lui la plus aimable des créatures, un " ange », comme il le

rappelle à Jeanne dans " Une charogne

15 » :

- Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,

À cette horrible infection,

Étoile de mes yeux, soleil de ma nature,

14 Ibid., p. 111.

15 Ibid., p. 31.

9

Vous, mon ange et ma passion !

La femme idéalisée devient alors un cadavre vivant comme elle n"était qu"une machine

vivante. Dans " La métamorphose du vampire

16 » Baudelaire écrit encore :

Quand elle eut de mes os sucé toute la moelle,

Et que languissamment je me tournai vers elle

Pour lui rendre un baiser d"amour, je ne vis plus

Qu"une outre aux flancs gluants, toute pleine de pus !

Quand elle eut de mes os sucé toute la moelle

Il montre dans ces vers que c"est bien l"acte sexuel qui perd la femme, et qui la transformant

en une simple " outre aux flancs gluants » sans âme et sans amour. Notons dès à présent qu"il

y a pour Baudelaire une incapacité structurelle à aimer les femmes de manière charnelle, ce qui conséquemment rend l"incarnation de l"amour absolument impossible, puisque toute

incarnation conduit nécessairement à la destruction de l"idéal, que le poète s"est préalablement

forgé. Pourtant, malgré cela, le poète a eu de nombreuses relations avec toutes sortes de femmes, dont deux ont particulièrement incarné cette chute.

B- L"incarnation du mal

Il nous faut comprendre que pour Baudelaire, plaisir charnel et plaisir de s"avilir ne

forment qu"un tout. C"est pour lui, le moyen d"affirmer sa liberté, sa singularité, son goût pour

l"étrange et l"inhabituel, son refus des conventions mais surtout de trouver dans ces femmes

une hétérogénéité totale par rapport à l"idéal de pureté incarné par sa mère, Caroline. D"un

point de vue strictement biographique, il nous est nécessaire de comprendre que, malgré les multiples aventures amoureuses du poète, deux femmes ont profondément marqué sa vie en

incarnant et en contribuant à créer chez lui cette sensation de chute. Ces deux femmes

rencontrées au cours de ses années parisiennes sont l"incarnation mais aussi l"origine créatrice

de l"acception baudelairienne de la femme. Après son arrivée à Paris en 1836 pour finir ses études secondaires, il obtiendra son

Bac ès lettres avec difficulté, Baudelaire est logé, dès 1839, à la pension Bailly, où il mène

une vie qu"il qualifie de " libre », créant ses premières " amitiés littéraires » sous le nom

d"École normande. Là, Baudelaire rencontre nombre de ses futurs amis, comme Leconte de Lisle, mais fréquente aussi nombre de femmes trouvées dans les lieux de débauche parisiens. Ainsi, après avoir noté la rencontre d" " Une mendiante rousse

17 » Baudelaire se souviendra

16 Ibid., p. 159.

17 Ibid., p. 83.

10 de sa rencontre avec une prostituée juive du quartier Latin, Sarah la louchette, qui avait pour immense avantage d"être bigle, ce que Baudelaire, dans sa recherche de l"étrange, n"aura sans doute pas manqué de trouver du meilleur goût, comme il le rappelle dans ses Poésies de jeunesse :

Elle louche, et l"effet de ce regard étranger,

Qu"ombrage des cils noirs plus longs que ceux d"un ange, Est tel que tous les yeux pour qui l"on s"est damné

Ne valent pas pour moi son oeil juif et cerné

18. Ainsi, un de ses contemporains et amis rencontré à l"École Normande, Ernest

Pradond

19 lui écrira le 5 octobre 1842, lors de son retour à Paris à la suite du voyage

obligatoire, en direction des Indes, imposé par son beau-père le colonel d"Aupick, las de ses forfaits parisiens et croyant " l"arracher au pavé glissant de Paris » :

A MON AMI C. B.

Vous aviez l"esprit tendre et le coeur vertueux

Tous les biens convoités d"une amitié naïve,

Lorsqu"une femme belle et de naissance juive

Vous conduisit au fond d"un couloir tortueux.

Elle vous fit couler, d"un doigt voluptueux,

La source des plaisirs aux égouts de Ninive ;

Elle vous fit toucher, sur sa chair toute vive,

Du vice et de l"amour les secrets monstrueux.

Elle eût enivré Loth au fond d"une caverne,

Tenu comme Judith le sabre d"Holopherne

Et frappé du marteau le front de Sisara.

Et tétant au plaisir vos tristesses infimes,

De ce sein que l"amour et le vice déflora,

Vous avez fait couler vos funèbres maximes.

Ce poème résume ce que semble avoir été la relation entre Baudelaire et Sarah. Notons la

multiplication des références à la religion juive et à l"Ancien Testament, où chaque femme

évoquée par Pradond semble être la représentante du danger tentateur, mais aussi que ce

dernier semble porter une attention toute particulière à la corruption subite et exercée sur le

poète, quand il écrit : " Vous aviez l"esprit tendre et le coeur vertueux » que " l"amour et le

vice déflora ». C"est pendant sa relation avec La louchette que le poète contractera, dès 1842,

18 Sonnet, Poésies de jeunesse, O. C., t. 1, p. 204.

19 Poème d"Ernest Pradond extrait du recueil collectif Vers de 1843, et cité par W. T. Bandy et C. Pichois,

Baudelaire devant ses contemporains, Les Éditions du Rocher, p. 118. 11 la syphilis, maladie vénérienne encore mal connue au XIXe siècle, et qu"il soignera par une absorption massive de pilules de mercure et d"iodure de potassium. Le souvenir de cette prostituée juive restera puissamment tenace chez Baudelaire et il y fera de nombreuses fois référence, comme dans " Le vampire

20 » où il écrit :

Une nuit que j"étais près d"une affreuse Juive,

Comme au long d"un cadavre, un cadavre étendu,

Je me pris à songer près de ce corps vendu

À la triste beauté dont mon désir se prive. Force est de croire que l"origine juive de Sarah ne laisse pas Baudelaire indifférent mais que cela fait de cette femme l"objet d"une double corruption. Une corruption à la fois physique,

comme la vivante incarnation de l"Ève pécheresse, mais aussi, comme le symbole pour

Baudelaire d"une trahison contre sa propre religion " maternelle ». Au printemps 1842, Baudelaire revient à Paris après avoir vogué pendant quelques

mois en direction des Indes. Il se remet à fréquenter ses amis de l"École normande et

rencontre celle dont il ne pourra alors plus se défaire, Jeanne Duval, aussi appelée Mlle ou Madame Lemer ou encore Jeanne Prosper. Née à Saint-Domingue et alors âgée de trente-deux

ans, Jeanne est figurante dans de petits théâtres parisiens et joue de menus rôles au théâtre

Saint-Antoine, sous le nom de Berthe. Les descriptions qu"en firent les contemporains de Baudelaire sont quelques peu déroutante par leurs contradictions, mais, elle est, de manière

sûre à cause de son origine, l"occasion pour le poète de se remémorer la nostalgie des îles

exotiques qu"il avait entrevues pendant son voyage, comme dans le poème " Parfums exotiques

21 », qui révèle l"importance de l"origine de Jeanne et de l"idéalisation que le poète

en fait : Quand, les deux yeux fermés, en un soir chaud d"automne,

Je respire l"odeur de ton sein chaleureux,

Je vois se dérouler des rivages heureux

Qu"éblouissent les feux d"un soleil monotone;

Guidé par ton odeur vers de charmants climats,

Je vois un port rempli de voiles et de mâts

Encor tout fatigués par la vague marine,

Cette mulâtresse s"inscrit parfaitement dans l"idée baudelairienne selon laquelle la beauté est

l"étrange. Elle est aussi pour lui l"occasion de transgresser les lois bourgeoises qu"il

exècre : " tous les imbéciles de la Bourgeoisie qui prononcent sans cesse les mots : "immoral,

immoralité, moralité dans l"art" et autres bêtises me font penser à Louise Villedieu, [une]

20 Les Fleurs du mal, O. C., t. 1, p. 33.

21 Ibid., p. 25.

12 putain à cinq francs22 ». En vivant avec cette femme à la peau noire, Baudelaire se dresse contre l"opinion et le jugement de sa mère, incarnation de la pureté, faisant de Jeanne son parfait antonyme. Jeanne fait découvrir à Baudelaire des plaisirs charnels qui inspireront au poète nombre de pièces des Fleurs du Mal, ce dernier n"étant jamais las de chanter l"épiderme particulier ou l"envoûtement parfumé que lui procurent les cheveux de sa maîtresse.

Elle sera

pour le poète la " matrice » de toutes les autres femmes. Dès lors, Baudelaire ne pourra s"en

défaire que tardivement, il en subira sans cesse les frasques et les perversions, étant réduit à

l"état de simple jouet entre les mains de cette femme, qui tantôt l"assure de ses ardeurs, tantôt

pratique allégrement la bigamie, ce qui mettra par ailleurs Baudelaire dans des états de rages incontrôlées, tout en provoquant chez lui l"impression d"être son propre bourreau, comme il l"écrira dans " La chevelure

23 » :

Je t"adore à l"égal de la voûte nocturne

Ô vase de tristesse, ô grande taciturne,

Et t"aime d"autant plus, belle, que tu me fuis,

Je m"avance à l"attaque, et je grimpe aux assauts, Comme après un cadavre un choeur de vermisseaux, Et je te chéris, ô bête implacable et cruelle ! Jusqu"à cette froideur par où tu m"es plus belle !

Encore plus que toutes les autres femmes, Jeanne contribua à créer chez le poète une

impression de déchéance physique et d"accablement moral. Notons que ce qui aggrave cette chute est le fait que Baudelaire, et en cela on voit combien elle a effectué une attraction

totalisante sur Baudelaire, sait Jeanne complètement inculte. Il sait qu"elle est une entrave à sa

création artistique, comme il le dira à sa mère dans une lettre du 27 mars 1852 : Jeanne est devenue un obstacle non seulement à mon bonheur [...] mais encore au

perfectionnement de mon esprit [...]. Vivre avec un être qui ne vous sait aucun gré de vos efforts, qui

les contrarie par une maladresse ou une médiocrité permanentes, qui ne vous considère que comme

son domestique et sa propriété, et avec qui il est impossible d"échanger une parole politique ou

littéraire, une créature qui ne veut rien apprendre [...].

Pourtant, malgré cela Baudelaire restera attaché à elle jusqu"à la fin de sa vie même si, dès

1855, leur rupture est définitivement consommée, après quatorze ans de " vie commune ».

Si la mention faite par Baudelaire au sujet du " perfectionnement de son esprit » semble être anodine, il faut rappeler que le travail de l"intelligence et de l"esprit est pour

Baudelaire, plus qu"essentiel.

C- Baudelaire et le dandysme

22 Mon coeur mis à nu, 83, O. C., t. 1, p. 707.

23 Les Fleurs du mal, O. C., t. 1, p. 27.

13

Importé d"Angleterre, où il a été créé par Brummell, en France dans le courant d"une

anglomanie consécutive au retour des émigrés de la Révolution, le dandysme est à mettre en

relation avec le " mal du siècle » qui toucha les générations de 1830. Entre une société

aristocratique qui vit dans la certitude des valeurs héréditaires et une bourgeoisie montante,

haïe par Baudelaire, revendiquant les valeurs du travail et du profit, le dandysme est la

manière provocante d"affirmer la supériorité du génie individuel, mais il sera aussi pour

Baudelaire le moyen d"affirmer encore que " la femme est naturelle, c"est-à-dire abominable. Aussi est-elle toujours vulgaire, c"est-à-dire l"inverse du dandy

24.» Pour Baudelaire, les

dandys veulent à tous prix combattre la trivialité, pour n"avoir d"autres états que celui de

cultiver le beau dans leur personne, de satisfaire leurs passions, de sentir et de penser. Le

dandysme, comme l"écrira encore le poète, est une institution qui en dehors des lois, a des lois

rigoureuses auxquelles sont strictement soumis tous ses sujets. Le dandysme devient une lutte

avec soi-même. Une lutte constante qui vise à s"extraire de la trivialité. Il est une ascèse qui

force à prouver en tout lieu : " une originalité, contenue dans les limites extérieures des convenances

25. », laissant la place à la supériorité aristocratique de son esprit.

Dans ces Journaux intimes et dans Le peintre de la vie moderne, Baudelaire associe de

manière récurrente le dandy et la femme. Si le poète revendique très tôt dans ses Journaux

intimes, bien avant la rédaction du Peintre de la vie moderne, son appartenance au dandysme : " Le goût précoce des femmes. Je confondais l"odeur de la fourrure avec l"odeur de la femme.

Je me souviens... Enfin, j"aimais ma mère pour son élégance. J"étais donc dandy précoce

26. »,

il n"aura de cesse, dans sa lutte contre la trivialité, de chasser le naturel, rappelons la profonde

horreur du poète pour la campagne, au profit d"un artificiel créé de toute pièce par l"esprit. Le

poète écrira dans ses Journaux : " Pourquoi l"homme d"esprit aime les filles plus que les femmes du monde malgré qu"elles soient également bêtes

27 ? ». En d"autres termes comment

le dandy peut-il aimer la femme qui, comme nous l"avons vu, excelle dans l"art d"être

naturelle, étant par là " l"inverse du dandy » ? La femme se pose alors, comme le fera Jeanne

Duval, en menace pour l"homme qui veut créer, ou du moins chercher à s"élever par l"esprit.

Ainsi, un de ses contemporains rapporte : " Il prisait peu la causerie féminine, et, à un de ses

amis nouvellement marié, qu"il visitait quelquefois le soir, il disait, vers neuf heures : -Il est tard ; envoyez donc coucher votre petite femme : on ne peut causer avec ces gentils oiseaux là

28. ».

La conception de Baudelaire par rapport à la femme procède d"une tension entre deux

pôles contradictoires mais complémentaires. Deux pôles qui non contents de s"opposer,

24 Mon coeur mis à nu, 5, O. C., t. 1, p. 677.

25 Charles Baudelaire, le peintre de la vie moderne, chapitre 9.

26 Fusées, 18, O. C., t. 1, p. 661.

27 Ibid., p. 689.

28 Ange-Bénigne " Le moins connu parmi les célèbres », le Gaulois, 30 septembre 1886.

14 s"alimentent l"un l"autre. Si la femme est naturelle, abominable de par sa concupiscence

débridée, et par la chute vers laquelle elle entraîne l"homme, elle est aussi pour le poète, un

être sujet à une idéalisation très marquée qui conduit, non plus à une diabolisation mais à une

divinisation complète de la femme. La femme n"est alors plus Démon mais Ange, sans pour autant être jamais considérée comme une personne à part entière. Viens-tu du ciel profond ou sors-tu de l"abîme,

Ô Beauté ? ton regard infernal et divin,

Verse confusément le bienfait et le crime

29

29 " Hymne à la beauté », Les Fleurs du Mal, O. C., t. 1, p. 24.

15

II- La Femme idéale

Si la femme est l"autre, elle est aussi le lieu de toutes les antinomies, la Beauté étant l"incarnation, chez Baudelaire, alternativement du Démon et de l"Ange : " Viens-tu du ciel

profond ou sors-tu de l"abîme... ? » dont la charge est de conduire le poète " sur la route du

beau ». Cette opposition se nourrit d"elle-même, elle renforce l"identité propre à chacune de

ces deux acceptions. La femme est l"Abhorrée et l"Adorée. Si elle n"est plus un vampire " aux

flancs gluants », la beauté et la féminité sont dans un mouvement inverse sujettes à

l"idéalisation du poète. Idéalisation qui non seulement les rend intouchables mais encore les

désincarne pour en faire de véritables rêves de pierre. La femme est alors vue comme un absolu. Un absolu que rien ne peut, ni ne doit, compromettre sous peine, comme le montre la

relation entre Baudelaire et Madame Sabatier, de briser instantanément l"image idéale créée

par le poète. Cette nécessité d"un amour privé des sens trouve son origine dans la relation

particulière que le poète entretient avec sa mère, antonyme de Jeanne Duval, et gardienne comme Andromaque d"une absolue pureté. Aussi cette vision trouvera, pour le poète, une incarnation plus générique dans l"image de la vieille-veuve.

A- L"idéal

Influencé par le pétrarquisme qui exalte et prône des passions platoniques, excluant ainsi toute possibilité d"une quelconque souillure par la chair, Baudelaire, dans sa recherche de l"absolu, s"en inspire et crée une beauté désincarnée qui, comme dans " La Beauté

30 », est

semblable à une statue : Je suis belle, ô mortels! comme un rêve de pierre, Et mon sein, où chacun s"est meurtri tour à tour,

Est fait pour inspirer au poète un amour

Eternel et muet ainsi que la matière

Les poètes, devant mes grandes attitudes,

Que j"ai l"air d"emprunter aux plus fiers monuments, Consumeront leurs jours en d"austères études;

Cette beauté baudelairienne est froide, sans vie. Elle n"est qu"un rêve de pierre dont le sein ne

peut être meurtri, à l"inverse d"une femme telle que Jeanne Duval. Intouchable, cette beauté

ne peut automatiquement plus être souillée. Mieux, elle porte le poète vers le Beau, vers la

création artistique tout en élevant le poète et en l"extrayant du monde moderne qu"il exècre et

qu"il subit, comme il l"écrira dans son " Hymne à la beauté » :

30 Ibid., p. 21.

16

Rythme, parfum, lueur, ô mon unique reine !

-L"univers moins hideux et les instants moins lourds Après le commencement de sa vie libre à Paris, la famille de Baudelaire, comme nous

l"avons déjà écrit, accablée par ses demandes incessantes d"argent et la vie dissolue qu"il

menait aux yeux de tous, incite Baudelaire à partir du I er au 18 septembre 1841 en direction

des Indes. Baudelaire fait une escale à Port-Saint-Louis à l"Ile Maurice, où il fait la

connaissance de Madame Autard de Bragard, dont il se souviendra en écrivant " À une dame créole » :

Au pays parfumé que le soleil caresse,

J"ai connu, sous un dais d"arbres tout empourprés Et de palmiers d"où pleut sur les yeux la paresse,

Une dame créole aux charmes ignorés

31.

Ce séjour aura, sur le poète, une influence particulière puisqu"il contribuera à créer chez lui

une vision de la femme encore plus idéalisée. Les poèmes des Fleurs du mal, ou du Spleen de Paris destinés à Madame de Bragard sont au travers du prisme d"un exotisme exacerbé et

d"une grande sensualité entre les éléments, l"image d"un paradis pré-adamique où la femme

serait à l"image de ce qui l"entoure, pure. Ainsi dans " Parfum exotique

32 » le poète entrevoit :

Une île paresseuse où la nature donne

Des arbres singuliers et des fruits savoureux;

Des hommes dont le corps est mince et vigoureux,

Et des femmes

dont l"oeil par sa franchise étonne.quotesdbs_dbs1.pdfusesText_1
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