[PDF] Ordre et justice chez Jean-Jacques Rousseau





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Nature humaine et état de nature chez Rousseau Kant et Fichte

moral de Rousseau telle que la donnera la Sittenlehre de 1798. Toutefois le Rousseau qui est l'objet de cette critique n'est pas celui du Contrat social



NATURE HUMAINE ET ETAT DE NATURE CHEZ ROUSSEA U

libéré à la nature telle que Rousseau l'a définie



Nature humaine et pouvoir politique chez Hobbes et chez Rousseau

me) tel qu'il a du sortir des mains de la Nature ecrit Rousseau telle que Hobbes l'avait decrite



LANGAGE NATURE ET SOCIÉTÉ SELON ROUSSEAU

La réflexion sur le langage occupe chez Rousseau une place considé attention à la théorie du langage telle que Rousseau l'a élaborée



Philosophie de la cc société internationale )) de Hobbes et

nature chez Hobbes et chez Rousseau toutefois



DUMAS

15. jul. 2008 possible de croire que Rousseau veut protéger la nature humaine contre toutes ... Le premier point est présent chez Rousseau tel quel ; en.



éthique et environnement chez jean-jacques rousseau

fois la nature telle qu'elle est immédiatement donnée à l'homme et c'est aussi l'homme tel qu'il Chez Rousseau



Nature raison

https://www.jstor.org/stable/40903895



LE NATUREL CHEZ ROUSSEAU : UNE CONSTRUCTION

C'est cet aspect constitutif du concept de nature que le rousseauisme va diffuser au XIXè siècle. Or la tragédie de la modernité ne commence-t-elle pas à se 



Ordre et justice chez Jean-Jacques Rousseau

24. apr. 2014 Ces deux paradigmes de la justice chez Rousseau convoquent les ... de nature telles qu'elles sont établies aux chapitres 14 et 15.



L'HOMME ET LA NATURE CHEZ ROUSSEAU - JSTOR

L'HOMME ET LA NATURE CHEZ ROUSSEAU L'homme de la nature un homme absolument isolé OU DÉTENTEUR DÉJÀ D'UNE CERTAINE CULTURE ? par Jean-Luc Guichet L'objet de cet article est de proposer quelques nuances dans la vi-sion devenue classique des rapports entre état de nature perfectibilité



L’idée de nature dans la pensée de Rousseau - Dogmalu

L’idée de nature dans la pensée de Rousseau La nature est au centre de la philosophie de Rousseau Elle constitue l’axe fondamental sur lequel s’édifie son discours anthropologique moral et politique Omniprésente elle n’occupe pas seulement ses ouvrages doctrinaux mais aussi ses écrits autobiographiques

Que dit Rousseau de l’homme de la nature ?

Comme le dit Rousseau de l’homme de la nature, « Quoique ses semblables ne fussent pas pour lui ce qu’ils sont pour nous, et qu’il n’eût gueres plus de commerce avec eux qu’avec les autres animaux, ils ne furent pas oubliés dans ses observations » [22].

Quel est l’homme du pur État de nature de Rousseau ?

Par conséquent, l’homme du pur état de nature de Rousseau est ici dans le cas de l’aanimal chez Condillac, qui atteint très rapidement la satisfaction de ses besoins, limite sur laquelle s’arrête net l’effectuation de sa perfectibilité.

Pourquoi l’herbier de Rousseau tient-il à cœur ?

Cette volonté de préserver la nature, de la conserver, trouve un exemple parfait dans l’herbier de Jean-Jacques Rousseau, une œuvre qui lui tient à cœur tant parce qu’elle est le symbole du soin et de l’attention qu’il porte à la Nature, à la nécessité de la préserver, pour ce qu’elle contient de puissance d’évocation, d’expériences sensibles.

Qu'est-ce que l'exaltation de Rousseau sur la nature ?

Sa signification est plus simplement, mais aussi plus fondamentalement, celle d’une nouvelle perception de la nature : celle déjà proche de la nôtre, c’est-à-dire se situant hors d’un cadre doctrinal en général, qu’il soit religieux ou autre. Le trait significatif du discours d’exaltation de Rousseau sur la nature est en effet qu’il est sans cadre.

2

UNIVERSITE LILLE 3 - CHARLES DE GAULLE

ECOLE DOCTORALE " Sciences de l'Homme et de la Société »

UMR 8163 " Savoirs, textes, langage » C.N.R.S.

UFR DE PHILOSOPHIE

Thèse

pour obtenir le grade de

Docteur en Sciences Humaines et Sciences sociales

Discipline : philosophie

Présentée et soutenue publiquement par

Hamidani-Attoumani AMBRIRIKI

Le 2 octobre 2009

Sous le titre

ORDRE ET JUSTICE CHEZ JEAN-JACQUES ROUSSEAU

Jury Mme Hélène BOUCHILLOUX, Professeur à l'Université de Nancy 2 M. Patrice CANIVEZ, Professeur à l'Université Lille 3, Directeur de thèse

M. Etienne GANTY, Professeur aux FUNDP de Namur

Mme Catherine KINTZLER, Professeur émérite à l'Université Lille 3 3

DEDICACE

Aux hommes et femmes qui ont combattu pour Mayotte française. 4

REMERCIEMENTS

Je remercie Monsieur Patrice CANIVEZ pour l'attention qu'il a accordée à mes travaux antérieurs et présents. Ses remarques et conseils bienveillants m'ont

été précieux pour mener à bien mes recherches, ma thèse. Je ne peux que lui

témoigner ma profonde gratitude. Je remercie le Conseil Général de Mayotte qui a financé pendant quatre ans mes études doctorales. Je remercie mes parents qui ont supporté difficilement ma longue absence et m'ont encouragé pendant les moments difficiles : " les difficultés sont toujours accompagnées de facilités », me disait mon père (Paix à son âme). Je remercie mes soeurs et frères qui ont arrêté leurs études afin de s'occuper de la famille. Leur décision m'a permis de poursuivre mes études supérieures et doctorales avec une conscience tranquille. Je remercie mes amis (es) qui m'ont soutenu physiquement et moralement. 5

SOMMAIRE

DEDICACE ........................................................................................................................................... 3

REMERCIEMENTS ............................................................................................................................... 4

INTRODUCTION GENERALE......................................................................................................... 8

PREMIERE PARTIE : L'ORDRE, LA JUSTICE ET LA NATURE .......................................... 19

Introduction ........................................................................................................................................... 20

Chapitre I : de la loi de nature a l'ordre interne (individuel) et externe (cosmique) .................... 26

1 L'histoire de la loi de nature avant Rousseau ..................................................................................... 27

2 La loi naturelle chez Rousseau ........................................................................................................... 40

Chapitre II : le désordre de l'homme socialisé ................................................................................. 70

1

La nature humaine .............................................................................................................................. 70

2 La responsabilité humaine ................................................................................................................. 74

Chapitre III : la solidarité des éléments constitutifs de la nature physique ou réelle.................... 87

1

Du désordre apparent a l'ordre caché .................................................................................................. 87

2 " L'intime correspondance » des parties de la nature ......................................................................... 94

Chapitre IV : le monde comme résultat de l'action divine ............................................................ 106

1 La découverte de Dieu ...................................................................................................................... 106

2 Les lois naturelles physiques ............................................................................................................ 114

Chapitre V : Dieu et le problème du mal, du désordre sur terre .................................................. 130

1 L'injustice dans la nature : l'inégalité naturelle ............................................................................... 131

2 La fausse compréhension humaine de la justice transcendante ....................................................... 145

Conclusion .......................................................................................................................................... 161

DEUXIEME PARTIE : L'ORDRE, LA JUSTICE ET LA SOCIETE ....................................... 164

Introduction ......................................................................................................................................... 165

Chapitre I : la famille et les rapports entre les générations ........................................................... 169

1 Les relations entre homme et femme ................................................................................................ 169

2 Les relations entre parents (adultes) et enfants ................................................................................ 186

Chapitre II : société primitive et société moderne .......................................................................... 193

1 La société primitive .......................................................................................................................... 193

2 L'opposition croissante entre être et paraître comme origine de l'injustice dans la société

moderne.... .......................................................................................................................................... 206

3 L'injustice comme renversement de l'ordre naturel entre les activités sociales ............................... 213

Chapitre III : l'Etat et les relations internationales ....................................................................... 232

1 La société du paraitre et l'injustice : l'égalité illusoire des citoyens devant la loi............................ 233

2 L'injustice et l'Etat corrompu .......................................................................................................... 237

6

3 L'injustice comme oppression interne : le despote est injuste envers ses propres sujets ................. 251

4 L'injustice comme oppression externe : le despote est injuste envers les peuples étrangers ........... 264

5 Le simulacre de paix internationale .................................................................................................. 270

Chapitre IV : la restauration de l'ordre et de la justice dans la société et le monde ................... 282

1 L'ordre juste défini par le contrat social........................................................................................... 283

2 La justice et l'inégalité .................................................................................................................... 316

3

La justice dans la modération des passions religieuses et nationales ............................................... 329

Chapitre V : individu et justice ........................................................................................................ 342

1 Le double accord avec le monde et avec soi-même comme résultat d'une éducation naturelle ....... 345

2 Le sentiment de la justice et les stades du développement humain .................................................. 368

Conclusion .......................................................................................................................................... 387

CONCLUSION GENERALE .......................................................................................................... 391

BIBLIOGRAPHIE .............................................................................................................................. 399

INDEX ............................................................................................................................................... 408

7 8

INTRODUCTION GÉNÉRALE

Les lecteurs de Rousseau sont quasiment unanimes pour affirmer que l'ordre et la justice sont omniprésents dans les réflexions rousseauistes. Mais les rapports entre les deux concepts sont difficiles à préciser. Dans La politique de la solitude, essai sur la philosophie politique de Jean-Jacques Rousseau, Raymond Polin écrit que " l'idée qu'il [Rousseau] se fait de la justice est tout entière subordonnée, on ne l'a pas assez dit, à une métaphysique de l'ordre »

1. La justice serait-elle moins

importante que l'ordre ? Les concepts d'ordre et de justice sont-ils équivalents ou subordonnés chez Rousseau ? Il ne semble pas que les rapports entre ces deux concepts aient fait l'objet de recherches développées, peut-être parce que ces rapports semblent évidents. Or, nous pensons que les rapports entre ces deux concepts sont tellement

complexes qu'ils méritent un examen approfondi et détaillé. Notre travail tend à

examiner systématiquement les rapports entre l'ordre et la justice en faisant l'hypothèse qu'il s'agit de rapports de solidarité et non pas de subordination d'un concept à l'autre. C'est ce rapport de solidarité entre l'ordre et la justice que nous tentons de préciser en reprenant le problème dans son ensemble. Rousseau affirme que " ceux qui voudront traiter séparément la politique et la morale n'entendront jamais rien à aucune des deux »

2. Il nous semble que cette affirmation s'applique

également à l'ordre et à la justice, dans la mesure où leur rapport est fondamental pour Rousseau. La question est la suivante : en quoi la notion d'ordre contribue-t-elle à définir la notion de justice et inversement ? L'ordre semble prééminent dans l'oeuvre rousseauiste mais sans la justice, il

n'a pas de valeur. Ou sa valeur est négative : il peut être un ordre injuste. Les

rapports entre les deux concepts dépendent donc du point de vue adopté. Du point de vue ontologique, métaphysique, politique et anthropologique, l'ordre précède la justice et permet de la définir. Ontologiquement, Dieu crée l'ordre et la justice le

1 POLIN Raymond, La politique de la solitude, essai sur la philosophie politique de Jean-Jacques

Rousseau, Ed. Sirey, Paris, 1971, chap. 3, p. 76.

2 ROUSSEAU Jean-Jacques, Émile ou de l'éducation, Ed. OEuvres complètes, Pléiade, t. 4, France,

avril 1999, liv. IV, p. 524. 9 conserve. Il existe chez Rousseau un ordre naturel, une organisation cosmique dont les éléments (Dieu, l'homme, les animaux et les objets) sont solidaires : " je juge de l'ordre du monde, quoi que j'en ignore la fin, parce que pour juger de cet ordre il me suffit de comparer les parties entre elles, d'étudier leur concours, leurs rapports, d'en remarquer le concert. J'ignore pourquoi l'univers existe, mais [...] je ne laisse pas d'apercevoir l'intime correspondance par laquelle les êtres qui le composent se prêtent un secours mutuel. »

3 Dans la " profession de foi du vicaire savoyard »,

Rousseau décrit un monde créé et hiérarchisé par Dieu. Celui-ci a attribué à chaque

être naturel une place qui doit être respectée en vue de la préservation de l'harmonie universelle. Chaque être est nécessaire à la conservation des autres et du tout. Il existe ainsi une solidarité naturelle (la conservation mutuelle liant les êtres qui composent la nature) dans cet univers ordonné ainsi qu'une hiérarchie naturelle entre les êtres. Il s'agit d'un ordre cosmique correspondant, d'une part, à la conservation

des espèces (conformément à l'équilibre naturel) et, d'autre part, à la hiérarchie des

êtres. Cet ordre définit une justice naturelle fondée sur la solidarité des éléments

constitutifs de la nature, mais qui pose le principe d'une justice proportionnelle. La proportionnalité est liée à la dignité, au mérite de l'homme qui conserve l'espèce

animale et l'espèce végétale. La production spontanée de la nature favorise la

domination des espèces dans la faune et la flore. L'intervention de l'homme, dans l'Essai sur l'origine des langues, permet de protéger certaines espèces contre les espèces prolifiques. Par son travail, l'homme conserve l'équilibre que la nature avait maintenu par les révolutions géologiques. Et par la soumission du corps à l'esprit, l'homme maintient son propre équilibre : " j'ai un corps sur lequel les autres agissent et qui agit sur eux ; cette action réciproque n'est pas douteuse ; mais ma volonté est indépendante de mes sens, je consens ou je résiste, je succombe ou je suis vainqueur, et je sens parfaitement en moi-même quand j'ai fait ce que j'ai voulu faire »

4. Métaphysiquement, l'ordre est

ainsi défini par la subordination du corps à l'âme. Politiquement, c'est la loi issue du contrat social qui prescrit les principes de la justice positive. La prééminence de l'ordre par rapport à la justice est consolidée par la loi civile. Rousseau souligne :

3 Rousseau, Emile, op. cit, liv. IV, P.578.

4 Idem, p. 585.

10

La loi est antérieure à la justice, et non pas la justice à la loi, et si la loi ne peut être

injuste, ce n'est pas que la justice en soit la base, ce qui pourrait n'être pas toujours vrai ; mais parce qu'il est contre la nature qu'on veuille se nuire à soi-même ; ce qui est sans exception [.] C'est donc dans la Loi fondamentale et universelle du plus grand bien de tous et non dans des relations particulières d'homme à homme qu'il faut chercher les vrais principes du juste et de l'injuste, et il n'y a point de règle particulière de justice qu'on ne déduise aisément de cette première loi .5 Pour certains philosophes, la justice est antérieure à l'ordre, car il existe indépendamment de toute convention humaine une justice naturelle pour les hommes. Cette justice universelle émane uniquement de la raison et est " fondée sur le simple droit de l'humanité ». Certes, Rousseau reconnaît l'existence de cette justice, mais il précise que les lois de cette justice sont vaines faute de leur reconnaissance réciproque entre les hommes, et faute de sanction naturelle. Contrairement à Hobbes ou à Locke qui pensent que les hommes sont déjà doués de raison, ont une conscience morale dans l'état de nature, Rousseau estime que les hommes y étaient comme des animaux stupides et bornés aux pures sensations, aux impulsions et aux appétits. Guidés par leur instinct, ils ignoraient la vertu, la justice et l'injustice. Ces valeurs morales apparaissent avec " l'ordre social, [...] un droit sacré qui sert de base à tous les autres. »

6 Rousseau prescrit les principes de la justice

positive à partir de la première loi, la seule véritable loi fondamentale : la préférence

de chaque être pour son propre bien, l'impossibilité de vouloir se nuire à soi-même qui s'applique au corps social aussi bien qu'à l'individu. Rousseau affirme clairement ici que l'ordre est antérieur à la justice. Enfin dans l'individu, la prééminence de l'ordre par rapport à la justice est soulignée par l'anthropologie de Rousseau. L'ordre cosmique (et social) est lié à l'ordre anthropologique. Il y a un ordre naturel dans lequel l'individu doit trouver sa place. Il y a aussi un ordre - une organisation - de la nature individuelle elle-même. Cet ordre est mis en évidence dans l'anthropologie de l'Emile, livre où Rousseau étudie la condition de l'homme. Il recommande à Emile de se contenter de sa place naturelle afin d'être heureux : " ô homme ! Resserre ton existence au-dedans de toi,

5 ROUSSEAU Jean-Jacques, Manuscrit de Genève, Ed. OEuvres complètes, Pléiade, t.3, France, mars

1996, liv. II, chap. .IV, p.329 ; " c'est à la loi seule que les hommes doivent la justice et la liberté.

C'est cet organe salutaire de la volonté de tous, qui rétablit dans le droit l'égalité naturelle entre les

hommes .c'est cette voix céleste qui dicte à chaque citoyen les préceptes de la raison publique et lui

apprend à agir selon les maximes de son propre jugement, et à n'être pas en contradiction avec lui-

même. C'est elle seule que les chefs doivent faire parler quand ils commandent », Discours sur

l'économie politique, Ed. OEuvres complètes, Pléiade, t. 3, France, mars 1996, p.248-249.

6 ROUSSEAU Jean-Jacques, Du contrat social, Ed OEuvres complètes, Pléiade, t. 3, France, mars

1996, liv. I, chap. I, p.352.

11 et tu ne seras plus misérable. Reste à la place que la nature t'assigne dans la chaîne des êtres »

7. Si l'individu est localisé dans l'ordre universel, l'enfant a sa place

déterminée par sa faiblesse physique dans l'ordre humain : " l'humanité a sa place dans l'ordre des choses, l'enfant a la sienne dans l'ordre de la vie humaine ; il faut considérer l'homme dans l'homme, et l'enfant dans l'enfant. Assigner à chacun sa place et l'y fixer »

8 afin que les adultes ne considèrent pas les enfants comme des

hommes prématurés en les préparant à la vie adulte dès leur enfance. Cette anticipation de l'homme à l'intérieur de l'enfance est absurde selon Rousseau, dans la mesure où les adultes privent les enfants de leur bonheur présent pour les préparer à un avenir qui n'arrivera peut-être jamais. La méthode éducative de Rousseau dans l'Emile doit au contraire permettre à l'enfant de vivre pleinement son bonheur d'enfant. L'ouvrage développe l'éducation grâce à laquelle l'individu vivra dans la société selon l'ordre naturel et sera en paix avec lui-même, la société et le monde.

Dans l'Emile, l'ordre naturel n'est plus l'état de nature précédant l'état de société ;

c'est l'ordre du développement individuel au sein de la société. La justice dans

l'individu résulte de la conformité de l'éducation individuelle aux étapes successives de la vie humaine (nourrisson, enfant, préadolescent, adolescent, adulte). Le sentiment de la justice évolue en fonction des stades du développement humain. Etant adulte, l'individu ayant reçu l'éducation rousseauiste est prêt à agir vertueusement, à combattre l'ordre social injuste. La contribution du concept d'ordre à la définition du concept de justice est alors confirmée par l'organisation cosmique

associée à la justice naturelle fondée sur la solidarité et la hiérarchie naturelles des

êtres, sur la supériorité de l'âme par rapport au corps, sur l'antériorité de la loi

naturelle par rapport à la justice civile, et sur la justice résultant de l'éducation

individuelle conforme aux stades du développement humain. Cependant, comme toute hiérarchie n'est pas légitime, comme la société est animée par l'individualisme, comme tous les contrats ne sont pas bons, comme les mauvaises éducations existent, Rousseau évalue systématiquement tout ordre afin de lui donner un sens. D'un point de vue critique et évaluatif, la justice précède l'ordre : c'est le principe des révoltes de Rousseau tout au long de son existence. L'ordre externe (naturel et social) est intériorisé par l'individu et devient un principe d'ordre

7 Rousseau, Emile, op. cit, liv.III, P.308.

8Idem, p.303.

12 individuel. Mais l'individu (Rousseau lui-même, Emile), porte également des

jugements de valeur sur cet ordre. Il découvre que la supériorité de l'ordre par

rapport à la justice est une apparence ; car si Rousseau pense que l'ordre est antérieur à la justice, cette primauté ne signifie pas que la justice est inessentielle dans sa pensée. Au contraire, la justice est fondamentale puisqu'en son absence l'ordre n'est qu'apparent : c'est un ordre qui est en réalité désordre. C'est par un examen critique de soi-même, des actes, des institutions de toute sorte que Rousseau revendique un ordre juste. Quelle que soit la signification attribuée au concept d'ordre, celui-ci suppose une interrogation morale, une définition morale, un sens ; c'est pourquoi la notion de justice contribue à définir la notion d'ordre. Cette interdépendance des concepts d'ordre et de justice est encore compliquée par leur polysémie. Ces deux notions sont paradoxales et soulèvent des problèmes d'interprétation. L'ordre se présente sous forme naturelle, sociale et individuelle, et la justice obéit à un double paradigme. D'une part, il existe un paradigme naturel de la justice basé sur l'égalité naturelle des hommes ou sur la conformité de l'ordre social à l'ordre naturel. D'autre part, il existe un paradigme

rationnel de la justice fondé sur la réciprocité des citoyens et la réciprocité dans les

relations affectives, dans la famille, dans l'activité économique, dans l'Etat défini par le contrat social. Ces deux paradigmes de la justice chez Rousseau convoquent les philosophes

anciens et médiévaux, les jurisconsultes et les écrivains politiques de l'époque

moderne. Car d'une part, Rousseau aborde la justice " en usant d'un vocabulaire traditionnel, lourd de résonances disparates et équivoques, le vocabulaire de la philosophie du droit naturel, qui convient mal à la nouveauté de l'usage qu'il en veut faire (...) d'autre part, (...) il se trouve à la croisée des chemins entre une philosophie classique de la Justice naturelle, fondée sur la nature des choses, et une

philosophie de la Justice par convention, déjà retrouvée au siècle précédent par

Hobbes »

9. Les deux paradigmes de la justice, chez Rousseau, découlent de

références ou de réminiscences dont la conciliation pose problème. Par exemple, le rapport que Rousseau établit entre ordre et justice s'inscrit dans la tradition des stoïciens. En appréhendant globalement la nature, les stoïciens

9 R. Polin, La politique de la solitude, essai sur la philosophie politique de Jean-Jacques Rousseau,

op.cit, chap.3, p.74. 13 aperçoivent un ordre cosmique confondu avec la justice naturelle fondée sur la conservation de tous les êtres qui composent l'univers. Toutefois, ils reconnaissent la supériorité des êtres raisonnables (Dieu, Homme) par rapport aux autres êtres (animaux...). De ce fait, des philosophes médiévaux réduisent le monde lorsqu'ils estiment que la loi naturelle ne concerne que la communauté des êtres raisonnables. En vue de la conservation du genre humain, cette loi commande à tous les hommes d'accomplir le bien et leur interdit de faire le mal. La conservation des hommes passe par la reconnaissance d'une justice immuable basée sur l'égalité naturelle des hommes. Selon Saint Augustin, Grotius, cette justice indépendante des conventions humaines est inhérente à la nature humaine même, étant donné qu'elle est partagée par tous les peuples du monde. La conscience morale d'Antigone réclamant une sépulture pour son frère Polynice indique que la justice naturelle est supérieure à l'ordre social. Ce dernier est dans l'obligation de respecter la dignité humaine. Cette

exigence de l'égal respect signifie que la nature s'érige en modèle pour la société au

point que Locke, comme Antigone, pense que le pouvoir public doit garantir les

droits naturels, individuels (la sécurité, la liberté, la propriété...). Il existe donc une

coïncidence entre ordre et justice dans le contrat social de Locke. Toutefois, cette équivalence est contestée par les auteurs qui constatent les rapports contradictoires entre ordre et justice. Le monde hiérarchisé des stoïciens

pose problème pour Empédocle : l'inégalité des êtres entraîne un certain désordre

dans la nature, car les hommes consomment les bêtes. Pour Empédocle qui reconnaît

la communauté de tous les êtres vivants, qui défend leur égalité devant le droit à la

vie, les hommes sont en contradiction avec la justice naturelle ou universelle, c'est-à- dire avec la loi de conservation mutuelle entre les êtres naturels. Ce radicalisme révèle que l'ordre naturel est déficient, imparfait. Au sein du cosmos même, il n'y a pas d'exacte coïncidence entre ordre et justice. La contradiction entre ces deux concepts est renforcée dans la société lorsque le roi Créon refuse l'enterrement de Polynice. Son refus désigne la prévalence de l'ordre social sur la justice ou la

supériorité de la loi positive par rapport à la loi naturelle. Face à la menace du

désordre (politique), un nouveau paradigme de justice s'impose aux hommes vivant en société : est juste tout ce qui est légal au sens civil. Cette conception de la justice permet à Hobbes de justifier la monarchie absolue. Pour lui, la sécurité de l'Etat ou la préservation de la communauté des citoyens sont plus importantes que la 14 conservation des libertés individuelles. Les lois civiles, les décisions du souverain, du juge sont indiscutables chez Hobbes, tandis que chez Locke, elles sont soumises à un examen critique, car celui-ci recherche à rétablir l'égalité entre les hommes dans son contrat social. Entre le conventionnalisme de Hobbes (la loi civile est le fondement de la justice) et la nostalgie de Locke (la justice naturelle doit être la référence de la loi positive) surgit la question des systèmes gouvernementaux (monarchie, aristocratie, démocratie,...), des critères de valeur qu'ils établissent (naissance, richesse, mérite,...), et de l'organisation sociale, des inégalités politiques, sociales, économiques qui sous-tendent les sociétés antiques, modernes et contemporaines. L'injustice peut résulter du droit, par exemple, lorsque certains groupes sociaux profitent des avantages au détriment des autres. Or, le respect de règles de justice est nécessaire pour éviter tout désordre social. Il s'agit non seulement de s'entendre sur les normes de la répartition juste qui conduirait à l'instauration d'un ordre optimal,

mais aussi de réfléchir sur les mesures de cette juste distribution. Cette dernière

dépend de l'individu qui vit dans une société désordonnée, corrompue mais qui est animé par le souci d'un ordre juste. Cette vertu de justice dépend de l'éducation individuelle. L'ordre et la justice sont ainsi interdépendants. Pour être fécondes, toutes les théories de la justice ne peuvent méconnaître leurs perspectives pratiques. L'idée de justice désigne un idéal universel et en même temps une vertu personnelle. Nous parlons de justice et de justes. Depuis l'Antiquité, il est classique de rapporter la

justice à la vertu. Le problème de la cité juste est essentiel. La solution de ce

problème est inséparable de la question suivante : comment pouvons-nous acquérir la vertu ? Par exemple dans la République, Platon pense qu'un Etat ne peut-être juste que quand il est gouverné par des hommes vertueux (sages) qui ont reçu une bonne éducation. Sa République est l'analyse la plus profonde de la vertu de justice. Aussi dans Ethique à Nicomaque (livre V) Aristote s'intéresse-t-il particulièrement à la justice qui est la vertu la plus importante relativement à la vie en société : en tant que distributive, elle s'efforce de répartir justement les biens et les honneurs entre les hommes libres dans la communauté ; en tant que corrective, elle compense les dommages subis. L'éthique aristotélicienne parvient finalement à la théorie politique 15 de cette vertu qu'est la justice qui est à la fois l'excellence de l'individu et l'excellence des rapports humains. La réflexion sur le lien entre ordre et justice a donc un enjeu essentiellement éthique, car l'ordre ne coïncide pas essentiellement avec la justice dans la nature comme dans la société, chez les Anciens comme chez les Modernes. Or, chez Rousseau, l'absence de coïncidence entre ordre et justice apparaît comme le fait de la société ; d'où le dualisme entre le paradigme naturel et le paradigme rationnel de la

justice, paradigme rationnel qui dans l'état de société, vient suppléer ou compléter le

paradigme naturel. Le dualisme des archétypes de la justice témoigne de la difficulté de saisir la pensée complexe et riche de Rousseau à travers ses différents textes : " j'ai écrit sur divers sujets, mais toujours dans les mêmes principes : toujours la même morale, la même croyance, les mêmes maximes, et, si l'on veut, les mêmes opinions. Cependant, on a porté des jugements opposés de mes livres, ou plutôt, de l'Auteur de mes livres parce qu'on m'a jugé sur les matières que j'ai traitées, bien plus que sur mes sentiments. »

10 Bien qu'il avertisse ici M. de Beaumont, Rousseau est toujours

considéré par certains de ses contemporains et de ses commentateurs comme un penseur paradoxal, voire, contradictoire. Notre méthode, au contraire, consistera à tenter de saisir la permanence, l'homogénéité des principes (ou des sentiments) moraux de Rousseau dans des textes hétérogènes. Nous nous sommes lancé le défi suivant : en dehors des écrits musicaux qui sont moins pertinents eu égard à notre thème, nous tentons de synthétiser, de rassembler les concepts d'ordre et de justice éparpillés dans les textes de Rousseau pour voir s'ils sont en accord ou non. Pour dégager les rapports entre l'ordre et la justice à l'intérieur de l'oeuvre rousseauiste, nous devons savoir dans quelles circonstances ils se nouent : cette méthode qui prend en compte la variété des contextes nous permettra d'éclaircir les différents aspects de la relation entre les deux concepts. En d'autres termes, nous étudierons les rapports de l'ordre et de la justice dans leurs champs d'application. Nous pourrons voir de ce fait, leur apparition ou leur manifestation, nous pourrons suivre leur évolution ou leur développement, comprendre leur solidarité et leur influence réciproque, déterminer leur nature et leur fonction respectives, les enjeux

10 ROUSSEAU Jean-Jacques, Lettre à C.de Beaumont, Ed. OEuvres complètes, Pléiade, t. 4, avril

1999, p.928.

16 de leurs rapports. L'accord ou le conflit entre l'ordre et la justice qualifieront leurs relations qui ne doivent pas être isolés de différents contextes dans lesquels apparaissent les deux notions. D'une manière générale, ces relations se distribuent dans deux champs fondamentaux, en l'occurrence la nature et la société :

Il y a dans l'état de Nature, affirme Rousseau, une égalité de fait réelle et

indestructible, parce qu'il est impossible dans cet état que la seule différence d'homme à homme soit assez grande, pour rendre l'un dépendant de l'autre. Il y a

dans l'état civil une égalité de droit chimérique et vaine, parce que les moyens

destinés à la maintenir servent eux-mêmes à la détruire ; et que la force publique ajoutée au plus fort pour opprimer le faible, rompt l'espèce d'équilibre que la Nature avait mis entre eux. De cette première contradiction découlent toutes celles qu'on remarque dans l'ordre civil, entre l'apparence et la réalité. Toujours la multitude sera

sacrifiée au petit nombre, et l'intérêt public à l'intérêt particulier. Toujours ces noms

spécieux de justice et de subordination serviront d'instruments à la violence et

d'armes à l'iniquité : d'où il suit que les ordres distingués qui se prétendent utiles

aux autres, ne sont en effet, utiles qu'à eux-mêmes aux dépens des autres ; par où l'on doit juger de la considération qui leur est dûe selon la justice et selon la raison. Reste à voir si le rang qu'ils se sont donné est plus favorable au bonheur de ceux qui l'occupent, pour savoir quel jugement chacun de nous doit porter de son propre sort. Voilà maintenant l'étude qui nous importe ; mais pour la bien faire, il faut commencer par connaître le coeur humain. 11 Ce texte est particulièrement révélateur de la démarche de Rousseau, qui

oppose souvent la nature à la société. En comparant la nature à la société, Rousseau

fait l'éloge de la première et critique la dernière. Dans l'état de nature, les hommes sont libres. Leur liberté signifie qu'ils sont naturellement et effectivement égaux devant la loi naturelle. Cette égalité naturelle est réelle et indestructible parce que les différences naturelles, physiques ou mentales d'homme à homme ne sont pas assez importantes pour la remettre en cause. L'espèce d'équilibre que la Nature avait mis entre les hommes montre que l'ordre naturel est juste alors que l'opposition de l'ordre social à l'ordre naturel, de même que les contradictions internes à l'ordre civil signifient que l'ordre social est injuste. Pour étudier le rapport moral entre ordre et justice chez Rousseau, il faut alors, d'une part, examiner ce paradigme de l'ordre juste que constitue l'état de nature ; d'autre part, analyser l'opposition entre nature et société (les figures de l'injustice sociale) et poser la question de la restauration d'un ordre juste dans la société. Ma thèse comporte donc deux parties, qui sont consacrées

à ces deux grandes questions.

Première partie : en quoi l'ordre naturel est-il un ordre juste ?

11 Rousseau, Émile, op. cit. liv. IV, pp. 524-525.

17 Lorsque nous examinons la nature, les concepts d'ordre et de justice semblent équivalents, ils semblent se signifier réciproquement. Néanmoins, cette équivalence

initiale entre ordre et justice pose un problème d'interprétation, car la nature se

présente sous une multitude d'aspects : anthropologique, cosmologique, physique, métaphysique, religieux et moral. Cette polysémie du concept de nature chezquotesdbs_dbs16.pdfusesText_22
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