[PDF] Poétique du roman-fleuve de Jean-Christophe à Maumort





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Poésie urbaine

Verlaine “Belles villes du matin” de Jules Romains



Sensibilisation au développement durable Le développement

Analyse comparée des textes de Sartre (« New-York ville coloniale ») Belles villes du matin



Knock [ou

https://archive.org/download/knockouletriomp00roma/knockouletriomp00roma.pdf



Extrait du livre de Jean-Pierre Martin : Henri Michaux Gallimard

http://www.autoresdeluruguay.uy/biblioteca/Susana_Soca/lib/exe/fetch.php?media=jeanpierremartin.pdf



Poétique du roman-fleuve de Jean-Christophe à Maumort

4 ???. 2012 ?. Jules Romains Georges Duhamel



Compagnie du Berger

souvenir de collège KNOCK de Jules Romains



Solutions du livre de lélève

lundi matin j'ai deux heures de maths



à la une:

13 ???. 2021 ?. Du côté de la place Jules Méline sur les grilles de l'ancienne ... Crédits photos : Ville de Remiremont



1-UNITE 1

activités de loisirs d'une grande ville et Julie. Lundi 4. Matin. Départ pour Lyon. Après-midi. Retour de Lyon. Mardi 5. Matin ... Les monuments romains.



DISSERTATION

Siège au cœur de la ville jusqu'en 1990



Un recueil poétique en prise sur l’espace Poésie urbaine

Verlaine “Belles villes du matin” de Jules Romains “New-York” de Léopold Sedar Senghor “La Ville” de Saint-John Perse et “De la difficulté qu’il y a à ima-giner la cité idéale” de Georges Pérec Ils ont analysé diverses formes d’écriture et les procédés littéraires caractéristiques du texte poétique Du

UNIVERSITÉ SORBONNE NOUVELLE - PARIS III

ED 120

- Littérature française et comparée

EA 4400 Écritures de la modernité

Thèse de doctorat de Littérature française

Aude Leblond

POÉTIQUE DU ROMAN-FLEUVE DE JEAN-CHRISTOPHE À MAUMORT

Thèse dirigée par

Alain Schaffner

Soutenue le 2 décembre 2010

Jury :

M. Claude Coste, professeur à l'Université de Grenoble M. Jeanyves Guérin, professeur à l'Université Paris III

Mme. Nathalie Piégay-Gros, professeur à l'Université Paris VII M. Régis Tettamanzi, professeur à l'Université de Nantes

Remerciements

Je voudrais ici exprimer ma gratitude envers tous ceux sans qui ce travail n'aurait pas vu le jour. Je remercie mon directeur de thèse, Alain Schaffner, pour l'aide précieuse, les conseils avisés et le temps qu'il m'a prodigués depuis cinq ans. Je remercie Michel Charles, qui a accompagné mes débuts en critique littéraire, et m'a guidée de ses conseils attentifs jusqu'au seuil de la thèse. Pour leur soutien, leurs encouragements et leur amitié, je remercie Jean-Yves Guérin

et Michel Murat, qui ont toujours eu à coeur de faciliter mes tâches d'enseignante et

d'apprentie chercheuse. Je remercie Christophe Pradeau et Tiphaine Samoyault d'avoir accepté de mettre à ma

disposition leurs travaux, décisifs pour les débuts de ce travail ; ainsi qu'Hélène Baty-

Delalande pour ses encouragements, et les échanges fructueux que nous avons pu avoir. Je remercie mes constants compagnons de labeur, Raphaëlle Laignoux et Francisco Roa Bastos, ainsi que tous ceux dont l'amitié a rendu mon travail moins austère. Brice Megel et Émilie L'Hôte m'ont accordé un soutien précieux et m'ont fait

bénéficier de leurs talents informatiques et linguistiques aux moments décisifs : je les en

remercie. Ma gratitude va également à mes parents, pour avoir accepté de transformer dans les

dernières semaines leur maison en manufacture à thèse, et m'avoir apporté un soutien décisif

en ravitaillement et en main d'oeuvre. Je remercie enfin tous mes lecteurs de bonne volonté. Daphné Leblond, Renaud Lejosne, Marion Moreau et Arthur Mitteau m'ont prêté leur regard attentif et leur patience inépuisable. Diane Leblond a non seulement accompagné ce travail de ses lectures et de ses commentaires pendant deux ans, mais m'a fait bénéficier dans les moments les plus difficiles

de son immense talent pour la maïeutique. J'espère pouvoir leur rendre à tous la pareille, d'ici

quelques mois ou quelques années. C'est à Arthur que revient mon ultime remerciement, pour l'aide immense qu'il m'a apportée, et pour le reste.

TABLE DES MATIÈRES

PREMIÈRE PARTIE : AU TEMPS DU ROMAN-FLEUVE..................31 Chapitre 1. Situation esthétique du roman-fleuve...........................................33

UNE ARRIÈRE-GARDE LITTÉRAIRE..........................................................................34

1.1. ACTUALITÉ DE LA LONGUEUR..........................................................................39

1.1.1. Retour au lecteur : Rivière et le roman d'aventure...............................................39

1.1.2. Thibaudet : défense et illustration de la longueur.................................................53

1.2. AUX SOURCES DU ROMAN-FLEUVE..................................................................70

1.2.1. Modèles et contre-modèles du roman-fleuve : vers une internationale du roman..71

1.2.2. Lectures de Tolstoï..............................................................................................83

1.2.3. Roman-fleuve et cycle romanesque.....................................................................97

UNE MIMÉSIS INACTUELLE ?..................................................................................114

1.3. UNE FOI MIMÉTIQUE..........................................................................................121

1.3.1. L'optique du spectateur.....................................................................................122

1.3.2. La " méthode cinématographique » : une poétique du visuel.............................127

1.3.3. Un éthos réaliste................................................................................................133

1.4. LES IMPASSES LOGIQUES DU RÉALISME.......................................................141

1.4.1. Le mythe de l'indépendance des personnages....................................................145

1.4.2. Le commun et l'exceptionnel : Tolstoï et Dostoïevski.......................................162

1.4.3. D'une poétique illusionniste à un réalisme magique..........................................171

LE RENOUVELLEMENT DU PACTE DE LECTURE.................................................177 Chapitre 2. Roman-fleuve et histoire des représentations.............................189

2.1. LE ROMAN ENTRE SCIENCE ET CONSCIENCE...............................................206

2.1.1. L'ambition épistémologique du roman après le naturalisme..............................210

2.1.2. Figures de l'homme de science : portrait du romancier en médecin...................217

2.2. NOUVELLES FORMES DE LA CONSCIENCE....................................................226

2.2.1. Le temps et la conscience : durée, mémoire, élan vital.......................................227

2.2.2. Le continent inexploré de l'inconscient.............................................................251

2.3. DISSOLUTION ET RECONSTRUCTION DU LIEN SOCIAL..............................268

2.3.1. Émergence de la sociologie : une nouvelle science du lien social......................270

2.3.2. Nouvelles " communautés imaginaires »...........................................................288

DEUXIÈME PARTIE : POÉTIQUE DU ROMAN-FLEUVE................313 Chapitre 3. Les ruines du livre-monde : un substrat thématique..................321

3.1. INDIVIDU, FAMILLE, SOCIÉTÉ : LES CERCLES DU ROMAN-FLEUVE.........322

3.1.1. Famille et naturalisme.......................................................................................324

3.1.2. Groupe et société : " exprimer une phase de la vie collective »..........................338

3.1.3. Le destin individuel...........................................................................................354

3.2. LE TEMPS, L'HISTOIRE, LA GUERRE................................................................367

3.2.1. L'Histoire dans la fiction...................................................................................368

3.2.2. La guerre, pierre de touche de la fiction.............................................................385

3.2.3. Le temps du roman-fleuve.................................................................................402

Chapitre 4. La composition du roman-fleuve................................................427 LECTURE ET STRUCTURATION ROMANESQUE...................................................429

4.1. " CONSTRUCTION D'ABORD ! » : LE DISCOURS DE LA DISPOSITIO..........438

4.1.1. Principes de composition métaphorique............................................................439

4.1.2. Images du désordre...........................................................................................454

4.2. RÉPÉTITION ET VARIATION..............................................................................474

4.2.1. Enjeux et fonctions du chapitrage : seuils et scansion........................................475

4.2.2. Structures de répétition......................................................................................490

4.2.3. Le paradigme musical.......................................................................................502

4.3. DÉCONSTRUIRE POUR RECONSTRUIRE..........................................................512

4.3.1. Déviation..........................................................................................................512

4.3.2. (fenêtre)............................................................................................................518

4.3.3. Montage : le paradigme cinématographique......................................................525

4.4. COMMENT FINISSENT LES ROMANS-FLEUVES.............................................542

4.4.1. Le dénouement comme apocalypse...................................................................543

4.4.2. Le dénouement impossible................................................................................547

4.4.3. Le refus de conclure..........................................................................................553

Chapitre 5. À quoi songe le roman-fleuve.....................................................565

SOUPÇONS SUR LA MIMÉSIS...................................................................................566

5.1. POLITIQUE DU ROMAN-FLEUVE......................................................................575

5.1.1. L'envahissement du politique............................................................................579

5.1.2. Questions d'éthique...........................................................................................594

5.1.3. Utopie du roman-fleuve....................................................................................607

5.2. FRONTIÈRES DE LA FICTION.............................................................................616

5.2.1. Le liseur............................................................................................................617

5.2.2. Le bovarysme...................................................................................................624

5.2.3. Une poétique de la reconnaissance....................................................................638

5.3. ASPECTS MÉTATEXTUELS ET RÉFLEXION GÉNÉRIQUE : L'INSCRIPTION

ROMANESQUE D'UNE POÉTIQUE...........................................................................658

5.3.1. Insertions génériques : miroirs et anti-miroirs....................................................662

5.3.2. Réflexivité et interférences génériques..............................................................674

1. CORPUS....................................................................................................................702

1.1. Les romans-fleuves.............................................................................................702

1.2. Autres romans, essais, journaux, correspondances................................................704

2. ESSAIS ET CRITIQUE AU TEMPS DU ROMAN-FLEUVE....................................711

3. HISTOIRE LITTÉRAIRE ET HISTOIRE DES REPRÉSENTATIONS.....................721

3.1. Approches du roman-fleuve.................................................................................721

3.2. Éléments contextuels...........................................................................................722

4. THÉORIE LITTÉRAIRE...........................................................................................729

4.1. Esthétique et genres littéraires..............................................................................729

4.2. Éthique, politique, analyse du discours.................................................................734

4.3. Sur la lecture........................................................................................................737

5. ÉTUDES SUR AUTEURS.........................................................................................743

5.1. Études sur Martin du Gard...................................................................................743

5.2. Études sur Romain Rolland..................................................................................750

5.3. Études sur Jules Romains.....................................................................................752

5.4. Études sur Duhamel.............................................................................................756

6. EN AMONT ET EN AVAL DU ROMAN-FLEUVE..................................................759

6.1. OEuvres.................................................................................................................759

6.2. Études critiques....................................................................................................762

Introduction

8

What do such large loose baggy monsters,

With their queer elements of the accidental and

the arbitrary, artistically mean 1

Voulez-vous que je vous dise ? Ces romans-

fleuves sont des romans pour critiques. Ça les intéresse de suivre des personnages comme nous suivons nos malades, pendant des années, d'en parler doctement et longuement, de faire des portraits sur des portraits, du roman sur du roman 2 Le roman-fleuve : un disparu de l'histoire littéraire En 1935, Thibaudet constate l'effet générationnel qui a conduit une série d'écrivains, la " classe de 1905 », à entreprendre des romans de longue haleine. Il est remarquable que la volée soit allée si naturellement au roman-cycle, avec Romains, Duhamel et Béraud. L'exemple avait d'ailleurs été donné moins par Rolland et Proust que par un romancier de la classe de 1901, Roger Martin du Gard. Par ses efforts vers la

construction simplifiée, la clarté, l'analyse, la signification, elle n'aura pas laissé le roman

français tel qu'elle l'avait trouvé. Cependant elle n'y a pas fait de révolution, à la manière de

Proust

3 La mention prétéritive de Romain Rolland et Proust souligne plus une continuité qu'elle ne signale une rupture. Voilà donc réunis les acteurs d'une aventure ou d'un avatar du roman aujourd'hui largement oublié. Claude-Edmonde Magny, qui publie son Histoire du roman

français depuis 1918 en 1950, donne à cette vogue une année phare : " L'année 1930, point

cardinal dans l'évolution de notre littérature, (...) est en même temps une année tournante

pour les destinées du roman : c'est vers ce moment que surgit et prolifère cette variété géante

de l'espèce roman à laquelle on a donné le nom de "roman-fleuve" et qui, un moment, pense 1

Henry James, Préface de l'édition de New York de The Tragic Muse (1908), Literary Criticism : French

Writers, Other European Writers, The Prefaces to the New York Edition, éd. Leon Edel, New York, The Library

of America, 1984, p. 1107. 2

Thibaudet cite ici la lettre colérique d'un médecin lecteur mais pressé par le temps ; A. Thibaudet, Réflexions

sur la littérature, Paris, Gallimard coll. " Quarto », 2007, p. 1682. 3

A. Thibaudet, " Une volée » (1

er novembre 1935), Réflexions sur la littérature, 2007, p. 1574. 9 envahir le Jardin des Lettres 4 . » Si Claude-Edmonde Magny préfère le terme de " roman-

fleuve », là où Thibaudet proposait celui de " roman-cycle », tous deux font référence au

même corpus, ancré dans le même moment historique.

Le roman-fleuve, cette " variété géante » du roman, a un statut paradoxal dans

l'histoire littéraire, du fait de la dualité de sa réception. L'ampleur de son succès immédiat

offre un contraste frappant avec son présent effacement, tant auprès de la critique que du

public. Dès 1940, Paulhan s'étonnait d'une éclipse critique du roman-fleuve, et reprochait à

Arland de le passer quasiment sous silence :

Laisse-moi, à mon tour, te faire une critique : n'est-ce pas un défaut de ta " Chronique des

romans » qu'elle laisse, en janvier 1940, le lecteur de la NRF peu renseigné, ignorant,

inaverti sur les oeuvres que chacun considère comme les grands romans de l'entre-guerres : les 17 tomes des Hommes de bonne volonté, les Pasquier, les Thibault - j'ai bien envie

d'ajouter " l'Histoire d'une société » (qui n'est pas du tout indifférente). Et il se peut que

chacun se trompe, mais en ce cas n'était-ce pas à toi de le montrer ? N'est-on pas fondé à te

reprocher d'avoir évité le plus grave, le plus grand problème romanesque qu'a posé l'entre-

guerres 5 Jules Romains, Georges Duhamel, Martin du Gard, et à moindre titre René Béhaine : tels sont

les auteurs que Paulhan s'étonne de voir négligés. Fort lus au moment où ils publient leurs

romans, reconnus par leurs pairs, les auteurs de romans-fleuves sont bien intégrés dans les

réseaux de l'institution littéraire. On connaît le fameux jugement de Gide en 1913 sur l'auteur

encore inconnu de Jean Barois - " un gaillard ! » - qui fait instantanément de Martin du Gard un " auteur N.R.F. ». Duhamel accueille Jules Romains à l'Académie française en 1946. Il dirige le Mercure de France de 1935 à 1938. Romain Rolland obtient le Prix Nobel de

littérature en 1915, Martin du Gard en 1937, et il entre dans la Bibliothèque de la Pléiade dès

1955, appuyé par la belle préface de Camus. Jules Romains préside la section française du

PEN Club de 1934 à 1944 ; Duhamel et Romain Rolland sont également des membres actifs

de cette " République des lettres ». Leur rayonnement est donc considérable : ils participent

de l'ancrage des intellectuels dans une politique internationaliste et humaniste. Parfaitement

intégrés à la vie littéraire et éditoriale de l'entre-deux-guerres, ces auteurs faisaient en somme

partie de ce que Thibaudet suggère d'appeler une " académie du roman », rassemblée autour

de Gide et de la N.R.F.

Le milieu gidien est devenu une sorte d'académie du roman, de lieu où le roman a été appelé

à réfléchir sur lui-même, à chercher, comme eût dit Brunetière, les lignes d'évolution de son

4

Cl.-E. Magny, " Roger Martin du Gard ou les limites d'un monde sans envers », Histoire du roman français

depuis 1918, Paris, Seuil, 1950, p. 276. 5

Lettre du 18 avril 1940, Correspondance Paulhan - Arland (1936-1945), Cahiers Jean Paulhan n° 10, Paris,

Gallimard, 2000, p. 193.

10 genre. Plusieurs causes à cela. Le groupe de la NRF se forme à une époque où le roman envahit tout. Et puis, pendant des années, la grande préoccupation de Gide est de faire son roman, d'arriver au roman par les étapes du récit et de la sotie. Les Faux-Monnayeurs, avec

leur partie critique, leurs procès-verbaux de formation, leurs propos sur le roman, leur

journal dans un journal, sont au centre de cette académie du roman, ou de cette critique romancée du roman 6

Ils sont donc aux premières loges des multiples expérimentations génériques qui se jouent lors

de la " crise du roman ». L'écriture des Faux-Monnayeurs, en particulier, s'accompagne d'un abondant dialogue critique avec Martin du Gard. Le couple formé par Martin du Gard et Gide

prend une valeur symbolique : leurs échanges prolifiques et productifs suggèrent de les

rassembler en une sorte de Janus bifrons du roman - comme le positif et le négatif d'une photographie figurant un seul et même moment de l'histoire littéraire. À la comète Proust, arrivée du dehors mondain, il serait curieux de comparer le mouvement

romanesque qui, depuis, est né du dedans, a été entretenu par l'élan régulier et authentique

de l'ancienne NRF. C'est ce qu'on pourrait appeler le dialogue des Faux-Monnayeurs et des

Thibault. Les Faux-Monnayeurs sont dédiés à Martin du Gard, Les Thibault à André Gide,

et les deux romans, écrits presque sur un même plan, impliquent, par leur existence, leur

contrôle mutuel et leur amitié, les plus curieuses oppositions et symétries entre un romancier

de nature critique et un romancier de nature constructrice 7 L'amitié et l'antagonisme esthétique qui réunissent Gide et Martin du Gard dans la même famille paradoxale est pour Thibaudet un " pôle de divergence » 8 essentiel du débat littéraire de l'entre-deux-guerres. Au vu de son oubli présent, on peut se demander si l'esthétique du roman-fleuve n'est pas devenue la face cachée du modernisme : en quoi Paulhan peut-il en faire " le plus grand, le plus grave problème de l'entre-guerres » ? Thibaudet nous fournit une première direction de réflexion en faisant de Martin du Gard un " romancier de nature constructrice ». En essayant de dérouler les implications de

l'antithèse ici proposée entre romancier critique et romancier constructeur, on peut délimiter

les prémisses essentielles de l'esthétique du roman-fleuve : ses dimensions improbables

seraient la trace d'une ambition mimétique totalisante. En élargissant ses dimensions à

l'échelle d'un monde, le roman-fleuve travaillerait à analyser le monde du romancier et du

lecteur, à en éclairer les significations et à en révéler la lisibilité. Il semblerait, ainsi, que cette

tentative romanesque s'efforce de reconduire l'élan réaliste et naturaliste de " concurrence à

l'état-civil », en révélant les rouages et les différentes strates de la société.

6

A. Thibaudet, " De la critique gidienne » (1

er mars 1933), Réflexions sur la littérature, 2007, p. 1478. 7

A. Thibaudet, " Après vingt ans » (1

er mars 1929), Réflexions sur la littérature, 2007, p. 1276. Cependant,

Thibaudet commet ici une confusion : Les Thibault sont dédiés à Pierre Margaritis, et c'est Maumort qui sera

dédié à la mémoire de Gide. 8 Ibid. 11 État de la recherche : une apesanteur historique On comprend, à partir de là, que Claude-Edmonde Magny qualifie Martin du Gard de " naturaliste attardé dans l'après-guerre » 9 . Elle ne fait au reste que relayer les doutes que

celui-ci avait déjà confiés à Gide, constatant la difficulté de donner à son roman une portée

véritablement collective : " voulant peindre une société, je ne parviens à faire que des croquis

d'hommes. Et d'hommes pris individuellement. De sorte que ça ne fera jamais un ensemble.

(Je suis le contraire d'un "unanimiste", en somme). Tout compte fait, je ne suis guère

content ; cela reste superficiel et ébauché. D'un naturalisme désuet, dont je ne parviendrai

jamais à m'évader » 10 . Duhamel écrit dans son journal, qui fait des Thibault un point

d'arrivée : " Ce Thibault c'est aussi bien que possible. Et pourtant, je crois que c'est un

immense effort sur une forme d'art épuisée, c'est d'une honnêteté absolue, cela trouvera en

outre son public, mais je ne peux pas m'empêcher de penser que, ni dans la technique, ni dans

la psychologie, ni dans aucun des procédés d'art mis en jeu, cela n'ajoute quoi que ce soit aux

grands romans naturalistes de la fin du siècle dernier 11 . » Le constat semble s'imposer, à la suite des doutes que manifestent les auteurs eux-mêmes, d'un décalage temporel : le roman- fleuve prend les allures d'une survivance du naturalisme. Cependant, on peut avancer que ces textes sont perçus comme retardataires surtout

dans la mesure où ils explorent des directions esthétiques différentes des grands auteurs

modernistes : ils disparaissent ainsi à la faveur d'effets de perspective générés par l'histoire

littéraire 12 . En adoptant ce point de vue, on passe nécessairement à côté de la résonance qu'ils peuvent trouver dans leur propre époque - et que sanctionne leur succès auprès du public

immédiatement contemporain. D'où le projet d'une étude qui construise des outils pour

réfléchir au roman-fleuve tel qu'il s'écrit, au moment où il s'écrit. Ce projet s'inscrit

9

Claude-Edmonde Magny, Histoire du roman français depuis 1918 (1950), Seuil, " Points essais », 1971, p.

318.
10

Martin du Gard, lettre à André Gide du 13 juin 1932, Correspondance André Gide - Roger Martin du Gard, t.

1, p. 525.

11 G. Duhamel, Le Livre de l'amertume : Journal 1925-1956, Paris, Mercure de France, 1983, p. 73. 12

Le règne de la théorie et de la nouvelle critique n'a pas échappé au critère pourtant renié de la valeur, comme

le rappelle Vincent Kaufmann : " La belle époque de la théorie littéraire, qui pourtant s'est voulue si peu

historique, n'a en fait cessé de penser l'histoire de la littérature en lui imaginant un sens, un progrès, etc. : il y

avait ceux qu'il fallait lire, et ceux qu'il ne serait plus jamais possible de lire, paléolittérature faite pour les

poubelles de l'histoire. » ; V. Kaufmann, " L'arrière-garde vue de l'avant », Les Arrière-gardes, dir. W. Marx, p.

26.
12 notamment dans la perspective ouverte par les travaux de Franco Moretti 13 , qui appelle à

l'exploration, nécessairement collective, des pans oubliés de la littérature, tâche à laquelle

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