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Argumentation et Analyse du Discours

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La légitimité et l'autorité l'épreuve les premièresallocutionssurlecoronavirus

Construire la légitimité et l'autorité

politiques en discours Constructing political legitimacy and authority in discourse Ruth

Amossy

Édition

électronique

URL : https://journals.openedition.org/aad/5984

DOI : 10.4000/aad.5984

ISSN : 1565-8961

Traduction(s)

Constructing political legitimacy and authority in discourse - URL : https://journals.openedition.org/

aad/6398 [en]

Éditeur

Université de Tel-Aviv

Référence

électronique

Ruth Amossy, "

Construire la légitimité et l'autorité

politiques en discours

Argumentation et Analyse

du Discours [En ligne], 28

2022, mis en ligne le 25 avril 2022, consulté le 29 avril 2022. URL

: http:// journals.openedition.org/aad/5984 ; DOI : https://doi.org/10.4000/aad.5984 Ce document a été généré automatiquement le 29 avril 2022.

Argumentation & analyse du discours

est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modi cation 4.0 International. Construire la légitimité etl'autorité politiques en discours Constructing political legitimacy and authority in discourse

Ruth Amossy

Introduction

1 Comment s'effectue la construction de la légitimité et de l'autorité politiques endiscours ? Sans doute ces deux notions ont-elles fait dans le domaine des sciences

sociales l'objet d'innombrables travaux savants, dont certains sont devenus des références incontournables. Qu'il suffise d'en mentionner quelques-uns parmi les plus célèbres : Max Weber (1965, 2003), Hannah Arendt (1972 [1957]), Jürgen Habermas (1975, 1996), Pierre Bourdieu (1982), Alexandre Kojève (2004), Pierre Rosanvallon (2008), David Beetham (2013) - ouvrages de fond auxquels s'ajoute une abondante production savante en sociologie, science politique, philosophie. Les sciences du langage s'en nourrissent, mais la moisson y est moins riche. On compte cependant d'excellents travaux théoriques parmi lesquels ceux de Patrick Charaudeau (2005,

2015), la monumentale Rhétorique de la confiance et de l'autorité (2013) de Marc Angenot,

les recherches de Claire Oger sur l'autorité (2013, 2021) et dans le domaine anglosaxon les travaux des tenants de la Critical Discourse Analysis (CDA) comme Teun van Dijk (1997), Theo van Leeuwen (dont son article influent " Legitimation and Discourse in Communication » de 2007), Ruth Wodak (1999 avec van Leeuwen, 2020 avec Rheindorf) ou Fairclough et Fairclough (2008). Il faut y ajouter les travaux de rhétorique qui étudient l'ethos comme un moyen pour l'orateur de se conférer l'autorité nécessaire à toute entreprise de persuasion, ou encore qui se penchent sur la construction de la légitimité dans le contexte des organisations ou des institutions. Néanmoins, même si on puise dans ces sources, bien des questions non résolues subsistent lorsqu'on tente de saisir les modalités de construction de la légitimité et de l'autorité dans le discours politique. Construire la légitimité et l'autorité politiques en discours

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2 Elles découlent en partie d'une relative indifférenciation entre les notions de légitimité

et d'autorité, ou tout au moins de la tendance à les faire glisser l'une sur l'autre. Elles proviennent en même temps du fait que l'accent dans les élaborations théoriques et les

analyses concrètes est mis principalement tantôt sur la légitimité, tantôt sur l'autorité,

si bien que dans les deux cas, l'une se trouve subordonnée à l'autre et parfois englobée en elle. La présente réflexion tente de préciser et de démêler quelque peu les deux notions souvent utilisées de façon très fluide, pour étudier les modalités selon lesquelles s'effectue leur construction dans la trame verbale. Cette mise au point devrait permettre non seulement d'éclairer leur mise en mots, mais aussi de dégager leurs enjeux socio-discursifs dans des discours politiques particuliers en situation.

3 Pour aborder cette problématique, on fera d'abord un point rapide sur les notionsconvoquées - la légitimité et l'autorité, la légitimation et la construction d'autorité - en

s'interrogeant sur leur nature et leur interrelation complexe. On tentera alors de repérer, en s'appuyant sur un corpus composé des premières allocutions des dirigeants de pays démocratiques sur la Covid-19, les modalités discursives et argumentatives selon lesquelles il est possible aux chefs d'État de construire leur légitimité et leur autorité en une période de crise où elle est particulièrement fragilisée, et plus que jamais nécessaire. Cela permettra de dégager un ensemble ouvert de procédures qui participent à cette construction verbale.

1. Réflexions sur les notions de base : légitimité et

légitimation

1.1 La légitimité démocratique

4 Tout d'abord, donc, un retour sur la notion de légitimité politique s'impose. L'étude des

procédures qui la construisent en discours (la " légitimation » sur laquelle se penchent l'AD (Charaudeau et Maingueneau [2002 : 340] et la CDA) est nécessairement tributaire de la définition qu'on en fournit. Or, on peut constater en consultant la littérature savante sur le sujet qu'elle fait l'objet de considérations nombreuses qui divergent sensiblement (Bouquet 2014).

5 Commençons par sa définition lexicographique : lorsqu'elle n'est pas simplement

équivalente de " légalité » (" conforme au droit, à la loi »), la légitimité désigne la

" Conformité de quelque chose, d'un état, d'un acte, avec l'équité, le droit naturel, la

raison, la morale » et " en partic. Conformité du pouvoir politique exercé avec les règles

de souveraineté, d'exercice du pouvoir dans le pays considéré » (TLFi). Plus

spécifiquement, dans des dictionnaires professionnels comme le Dictionnaire du droit privé de Serge Braudo (en ligne, 1996-2021) on trouve :

La " Légitimité » est la conformité à un principe supérieur qui dans une société et à

un moment donné est considéré comme juste. La notion de légitimé ne recouvre pas celle de légalité qui est plus restreinte et qui caractérise ce qui est seulement conforme à la Loi. La notion de légitimité est contingente de la culture [...] 1.

6 Et encore, dans le Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la participation

(Hatzfeld 2012) : La légitimité est le droit reconnu à une personne (ou plusieurs) de parler et d'agir au nom de principes, valeurs, règles, lois... Par son étymologie (du latin lex, legis :

loi), la légitimité est proche de la légalité, mais elle s'en distingue par son sens : laConstruire la légitimité et l'autorité politiques en discours

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légalité consiste à appliquer une loi, alors que la légitimité se réclame de principes

qui, dans certains cas, peuvent être en contradiction avec une loi. Les principes qui fondent la légitimité sont de nature variée : principes moraux et politiques, habitudes, droits, normes... La hiérarchie de ces principes variant selon les individus et les sociétés, elle est source de nombreux différends 2.

7 Divers analystes du discours soulignent des aspects de la légitimité qui concordent avec

ces vues. Ainsi, on peut lire dans Le discours politique (Charaudeau 2005 : 52) que la légitimité est le " résultat d'une reconnaissance par d'autres de ce qui donne pouvoir de faire ou de dire à quelqu'un au nom d'un statut ». Dans le domaine de la CDA, Rojo et van Dijk notent que cette nécessaire reconnaissance est obtenue à l'aide de stratégies verbales visant à prouver que les actions proposées ou entreprises par celui qui est en possession d'un statut institutionnel sont en accord avec " le système de lois, normes, accords ou objectifs qui sont acceptés par (la majorité) des citoyens » (1997 : 528 ; je traduis).

8 On peut retenir de ces définitions lexicographiques et de ces travaux plusieurséléments :

- la distinction entre le domaine bien défini de la légalité, et le principe plus large de légitimité qui peut recouvrir le légal mais ne s'y limite pas (et peut même s'y opposer) ; - la nécessaire conformité de la légitimité à un ensemble de valeurs et de normes consensuelles ;

- le fait que la légalité s'attache à la lettre de la loi, alors que la légitimité dépend

aussi de facteurs culturels et politiques ;

- l'idée que la légitimité implique une reconnaissance (elle doit être " considérée

comme juste », elle est un " droit reconnu », elle implique un " mécanisme de reconnaissance ») ; - l'idée subséquente que la légitimité désigne une relation entre ceux qui la revendiquent et ceux qui doivent la reconnaître ; - l'idée qu'en raison de ce lien relationnel et de cette dépendance par rapport à des principes diversifiés et changeants, elle ne peut être fixée de façon absolue, si bien qu'elle peut donner lieu à des évolutions et des dissensions.

9 Ces divers éléments ont été conceptualisés par des théoriciens qui participentessentiellement des domaines du droit, de la philosophie politique et des sciences

sociales. Les spécialistes du droit sont essentiellement préoccupés par des questions de validité légale, les philosophes par la conformité à des principes moraux qui peuvent être justifiés au regard de la raison, en d'autres termes par la justification des relations de pouvoir. Cependant, selon David Beetham (2013), il existe sur ce sujet une différence importante entre les philosophes moraux ou politiques et les sociologues. Elle réside dans le fait que les premiers examinent la question sous un angle normatif de type universel, alors que les seconds ne la conçoivent qu'en termes descriptifs et en contexte. Les chercheurs en sciences sociales prennent en compte le fait que la

légitimité peut varier d'une société ou d'une époque à l'autre, et en conséquence ne

fixent pas de normes absolues auxquelles tout homme de raison devrait adhérer. Construire la légitimité et l'autorité politiques en discours

Argumentation et Analyse du Discours, 28 | 20223

10 Beetham rejette le principe de Max Weber selon lequel la légitimité serait tributaire de

la croyance qu'ont en elle les agents impliqués. " Une relation de pouvoir », note-t-il

(2013 : 11 ; je traduis) " n'est pas légitime parce que les gens croient à sa légitimité mais

parce qu'elle peut être justifiée en fonction de leurs croyances. Cela peut sembler une distinction subtile, mais elle est fondamentale ». Par ailleurs, pour Beetham, l'intérêt de l'approche des sciences sociales est qu'elle s'attache aux conséquences empiriques de la

légitimité. En effet, la légitimité a la capacité de déterminer des comportements - en

l'occurrence, de susciter l'obéissance des gouvernés. Cette approche fournit une clé

précieuse à la compréhension des rapports entre légitimité et autorité sur lesquels nous

reviendrons plus loin.

11 Pour reprendre la synthèse que fait Beetham (2013 : 18-19) des conditions nécessairespour qu'un pouvoir soit considéré comme légitime, il faut : 1. Qu'il se conforme à des

règles établies (sous peine d'être illégitime) ; 2. que les règles puissent être justifiées

par des références aux croyances partagées (sans quoi il souffre d'un déficit de légitimité) ; 3. que le pouvoir soit expressément reconnu par des actes qui marquent cette reconnaissance (quand il y a non-coopération, résistance, désobéissance,... il y a délégitimation). Ces trois niveaux complémentaire (celui des règles, de la " justifiabilité » en termes de croyances et du consentement des gouvernés) ne sont

jamais réalisés de façon absolue ; la légitimité est une affaire de degré, une légitimité

peut être érodée, contestée ou incomplète (ibid. : 20) ; mais dans tous les cas, c'est elle

qui offre aux dirigés les fondements moraux de leur coopération avec les dirigeants 3.

12 Les travaux de Pierre Rosanvallon ajoutent en ce qui concerne les régimesdémocratiques contemporains deux éléments intéressants à ces élaborationsthéoriques. Tout d'abord, le politologue relève un vecteur de légitimité supplémentairedu dirigeant et de ses décisions qui est caractéristique de notre époque : il concerne la

conception du bien commun au service duquel doivent se mettre les gouvernants, et qui confère au pouvoir la justification de sa légitimité. Selon Rosanvallon, cette notion au départ ancrée dans celle de majorité s'est transformée dans la mesure où le peuple n'apparaît plus comme " une masse homogène » : " La société se manifeste désormais sous les espèces d'une vaste déclinaison des conditions minoritaires » (Rosanvallon

2008 : 14). La légitimité de la personne politique passerait alors par sa capacité à

prendre en compte les expressions plurielles du bien commun.

13 Elle passe aussi par une évaluation du droit du dirigeant à représenter les citoyens,

fondée sur une évaluation de ses capacités à comprendre les problèmes de ceux qu'il gouverne. On peut alors parler avec Rosanvallon d'une " légitimité de proximité ». Celle-ci est issue non d'un mode d'élection mais d'un comportement traduit en paroles et en actes. L'exigence générale de représentativité aurait cédé la place à une " représentation-empathie » que Rosanvallon range dans la rubrique de la " politique

de la présence » (ibid. : 297). En d'autres termes, la légitimité de proximité est liée à la

nécessité pour les dirigeants d'écouter et de manifester leur solidarité envers ceux qui,

subissant des épreuves extrêmement difficiles, ont le sentiment de ne pas être pris en

compte. L'expression de la généralité démocratique devient alors sollicitude,

compassion, voire rachat d'un déni d'existence. Dans une perspective similaire, Le Bart

et Lefèvre (2005 : § 1) notent : " La proximité est considérée comme une valeur sociale

refuge dans un monde pensé comme sans repères, impersonnel, anomique, complexe [...] À travers la valorisation des rapports de proximité

4 c'est la verticalité des relations

sociales qui se trouve contestée ». L'existence d'un mode de relation horizontal seConstruire la légitimité et l'autorité politiques en discours

Argumentation et Analyse du Discours, 28 | 20224

substituant à, ou tout au moins complémentant, la relation verticale de pouvoirintroduit une variante intéressante dans la légitimation. 1.2. Le processus de légitimation

14 Dans la perspective discursive qui est la nôtre, ce n'est pas la légitimité en soi mais le

processus de sa construction qui est en jeu. On peut souligner, comme le fait Pierre Bourdieu (1982), la prépondérance du statut institutionnel qui confère à un individu sa légitimité et lui assure la reconnaissance de celle-ci par le public. Traditionnellement, en démocratie, les élections au suffrage universel qui désignent un représentant du

peuple chargé de veiller à l'intérêt général sont garantes de sa légitimité, et donc du

dire et de l'agir, ainsi que de la ligne politique annoncée dans le respect des grands principes de la république (ou d'un autre type de régime démocratique en vigueur). Cependant Charaudeau note bien, en parlant de ce qu'il appelle la " légitimité par mandatement » dans les démocraties représentatives, que la souveraineté qu'elle octroie a " constamment besoin d'être réactivée par des justifications diverses du fait qu'elle peut être remise en cause par ceux-là même qui l'ont octroyée » (2005 : 57). Rosanvallon remarque qu'à l'ère du repli des idéologies, l'élection qui intronise le dirigeant a désormais une part réduite : elle se contente de " valider un mode de désignation des gouvernants » (2008 : 21), sans pour autant impliquer une légitimation automatique des politiques menées par la suite. Il en résulte que le gouvernement élu

par la majorité jouit d'une " légitimité imparfaite » qui reste toujours soumise à des

contraintes supérieures de justification », et qui a besoin " d'être confortée par d'autres

modes de légitimation démocratique » (ibid. : 29 ; c'est l'auteur qui souligne).

15 La légitimation renvoie au processus par lequel la légitimité nécessairement imparfaite

des dirigeants tente de se dire et de se faire reconnaître. Elle est une dynamique discursive. Selon Rojo et van Dijk (1997 : 528) le discours de légitimation a pour objectif de faire reconnaître la politique du dirigeant comme obéissant aux règles instituées et comme motivée par la recherche du bien public, soit de faire admettre qu'elle est, en la circonstance, défendable du point de vue légal et moral. La réussite de ce processus ne garantit pas seulement l'approbation des mesures proposées ou dictées par le pouvoir, elle s'étend aux gouvernants, à leur position et à leur leadership. En d'autres termes, on

a affaire à une procédure verbale qui vient consolider une légitimité

institutionnellement octroyée au départ, mais qui a besoin d'être réaffirmée et renforcée. Rojo et van Dijk ajoutent qu'elle est particulièrement nécessaire " dans des contextes d'actions controversées, d'accusations, de doutes, de critique ou de conflits concernant des questions de relations entre groupes, de domination et de leadership »

(ibid.; je traduis). Elle est à plus forte raison mobilisée dans des situations désignées par

l'expression bien connue de " crise de légitimité » introduite par Habermas (1975) qui traduit une chute de la confiance octroyée aux institutions en place et aux dirigeants au pouvoir. Dans tous ces cas, la légitimation comme dynamique discursive peut prendre la forme de la manifestation ostentatoire et du rappel, ou encore de la consolidation et du renforcement.

16 C'est dans la mesure où elle appelle une justification, à savoir des raisons, que la

légitimation participe du domaine de l'argumentation. Dans Political Discourse Analysis (2012), I. et N. Fairclough reviennent sur cette notion de légitimation telle qu'elle a été

étudiée en discours. Ils insistent sur l'importance d'inscrire l'analyse dans le cadre nonConstruire la légitimité et l'autorité politiques en discours

Argumentation et Analyse du Discours, 28 | 20225

seulement de l'analyse du discours mais aussi de l'argumentation, sans quoi " la nature exacte de la légitimation demeure un mystère » (ibid. : 110). En même temps, ils notent qu'il faut se garder de dissoudre la légitimation dans la notion globale d'argumentation. En effet, selon eux, dans les travaux des tenants de la CDA, la légitimation a reçu une

acception beaucoup trop étendue. En particulier, elle a été assimilée à la notion globale

de justification, donc de toute raison donnée pour soutenir une action. Or, la légitimation a une acception plus étroite. Le type de justification réalisé par la légitimation se distingue en ce qu'il invoque des systèmes institutionnels de croyances, valeurs et normes partagées publiquement et justifiables publiquement, et parfois hautement formalisées, codifiées, en vertu desquels l'action proposée est considérée comme légitime. Des justifications d'action qui n'invoquent pas ce genre de systèmes partagés de règles ou de normes partagées ne peuvent pas à proprement parler être appelées légitimation (ibid. : 109 ; je traduis).

17 En bref, si toute légitimation repose sur une justification, tout processus de justification

ne relève pas de la légitimation. Cette position a des conséquences pratiques au niveau de l'analyse des discours politiques et de ses méthodes qui expliquent pourquoi l'approche élaborée ici à la croisée de l'AD et de l'argumentation ne s'en tient pas,

malgré son intérêt certain et son succès, à la grille établie par van Leeuwen (2007) et

van Leeuwen et Wodak (1999), reprise par Wodak dans le présent volume.

2. La question de l'autorité en discours

2.1 L'autorité dans son rapport à la légitimité

18 Comme la légitimité, la notion d'autorité a fait l'objet de multiples travaux dans

différents domaines de connaissance. De ce terme, Marc Angenot note : " Le mot est éminemment polysémique et les divers sens se superposent et s'emmêlent » (2013 : 8). On cherchera ici exclusivement à éclaircir l'autorité politique, à bien distinguer du pouvoir, dans toutes les situations où le dirigeant doit faire accepter ses décisions et en assurer la réalisation pratique. En même temps, on tentera de revisiter dans ce cadre

bien délimité la relation de la légitimité à l'autorité, deux notions si étroitement

imbriquées sur le plan théorique et pratique qu'il s'avère souvent malaisé de les démêler.

19 Qu'en est-il donc de l'autorité ? Le TLFi la définit globalement comme " le pouvoir

d'agir sur autrui ». Pour Kojève, " L'Autorité est la possibilité qu'a un agent d'agir sur

les autres (ou sur un autre), sans que ces autres réagissent sur lui, tout en étant

capables de le faire » (2004 : 58). Si l'autorité est la capacité à se faire écouter et obéir,

c'est cependant à travers une obéissance dans laquelle, comme le pose Hannah Arendt, les hommes gardent leur liberté (1972 : 140). En d'autres termes, l'autorité se distingue de l'exercice du pouvoir en ce qu'elle suscite une soumission consentie : " il faut se garder de superposer pouvoir et autorité, ou autorité et domination », souligne Claire Oger (2021 : 15). L'autorité (à distinguer de l'autoritarisme) est " une force symbolique qui se passe précisément de coercition » (Angenot 2013 : 8), et non " une "violence" qui

force à la soumission » (ibid. : 15). C'est parce qu'elle est étayée par des raisons, qu'elle

est argumentable (même si elle n'est pas explicitement argumentée) qu'Angenot parle

d'autorité rhétorique. Dans le domaine politique, ajoute Angenot (ibid : 13) " c'estConstruire la légitimité et l'autorité politiques en discours

Argumentation et Analyse du Discours, 28 | 20226

l'autorité qui, le cas échéant, permet au pouvoir, aux pouvoirs de s'exercer en faisant l'économie du recours à la force ».

20 Or, cette définition de l'autorité est étroitement liée à sa relation à la légitimité. Tout

d'abord, rappelons qu'il ne convient pas de les confondre - voici comment Charaudeau les distingue : On ne confondra pas [...] légitimité et autorité. La première [...] est un droit acquis. L'autorité, en revanche, est intrinsèquement liée au processus de soumission de l'autre. Elle place le sujet dans une position qui lui permet d'obtenir des autres un comportement (faire faire) ou des conceptions (faire penser et faire dire) qu'ils n'auraient pas sans son intervention. La légitimité ne met pas le sujet qui en est doté dans une situation d'avoir à soumettre l'autre (2005 : 52).

21 Cependant, en démocratie, l'autorité qui en appelle à une soumission consenties'appuie nécessairement sur une légitimité reconnue. Beetham montre bien que c'est la

légitimité qui offre un fondement moral à la demande d'obéissance et de coopération : Dans la mesure où les gens reconnaissent le pouvoir comme juste, comme acquis de

façon valide et convenablement exercé [ce qui est sa définition de la légitimité], ils

sentent l'obligation correspondante de lui obéir et de le soutenir sans avoir pour le faire à être soudoyés ou à faire l'objet d'une coercition (2013 : xi ; je traduis).

22 En d'autres termes, c'est la légitimité légale et morale reconnue comme telle quipermet d'exercer une autorité consentie. Sans doute, en l'absence de légitimité ouquand celle-ci est mise à mal, l'obéissance comme soumission au pouvoir peut être

imposée à grand renfort de sanctions (autorité devient alors autoritarisme). Mais, souligne Beetham, l'usage de la force doit alors se faire omniprésent, des ressources

considérables y sont consacrées ; et ce pouvoir qui ne repose plus sur la légitimité peut

se démanteler à tout moment dès que le système de coercition s'affaiblit.

23 C'est dans cette perspective que " l'autorité est généralement considérée par lessociologues comme un pouvoir légitime : un pouvoir qui n'a donc besoin que d'unminimum de coercition pour se faire respecter et obéir » (Coenen-Huther 2005). EtAngenot résume : " L'autorité est un pouvoir légitimé » (2013 : 8). Ainsi donc, l'autorité

s'adosse à la légitimité mais en constitue en quelque sorte une extension ; et la

légitimité conduit à l'autorité comme capacité à se faire obéir volontairement, mais ne

se confond pas avec elle. On sait d'expérience qu'un dirigeant peut être reconnu comme légitime sans pour autant qu'il parvienne à se faire écouter et obéir.

2.2. La construction discursive de l'autorité : une question d'ethos

24 Que faut-il alors à l'autorité du dirigeant légitime pour s'exercer ? La capacité à se faire

entendre et obéir découle en grande partie de la crédibilité du discours, et de la confiance qu'on peut accorder à la fois à la parole et à la personne du dirigeant.

25 Une précision sur la notion de confiance. Ce n'est pas par hasard que l'ouvrage de Marc

Angenot est intitulé Rhétorique de la confiance et de l'autorité (2013). On lit dans le Dictionnaire de la sociologie de Boudon et Bourricault : " On parle de l'autorité d'une personne, d'une institution, d'un message », " pour signifier qu'on leur fait confiance » ; " qu'on accueille leur avis, leur suggestion ou leur injonction, avec respect, faveur, ou du moins sans hostilité ni résistance, et qu'on est disposé à y déférer » (1982 : 32). Notons qu'en matière d'autorité, Angenot parle non de la confiance entre pairs, mais de la confiance " inégale » entre deux instances de statut

différent qui est nécessaire lorsque, dans une situation où il faut trouver une réponse,Construire la légitimité et l'autorité politiques en discours

Argumentation et Analyse du Discours, 28 | 20227

l'individu reconnaît " l'impossibilité, ou du moins le coût excessif qu'il y aurait à la rechercher de soi-même » (2013 : 19). Il se tourne alors vers celui qui a un savoir, des compétences, une expérience qui justifient de s'en remettre à lui. La confiance est purement relationnelle, elle est le fait de l'auditoire qui croit que le sujet de l'énonciation est fiable et qu'on peut lui faire crédit.

26 Il faut sans doute différencier la " confiance impersonnelle dans la fiabilité des

institutions », et celle qui tient " aux vertus attribuées à la personne qui tient une certaine position de pouvoir » (Origgi 2008 : 80-81). On pourrait dire que la première conditionne en partie la reconnaissance de la légitimité politique. Il faut que les citoyens aient confiance dans les institutions de leur pays pour qu'ils acceptent comme légitime, à savoir comme fondé en droit et en morale, tout ce qui en émane sur le plan

juridique, législatif, exécutif. Une méfiance généralisée envers le système - taxé par

exemple de corruption ou de favoritisme - mine la légitimité des instances de pouvoir.

Le dirigeant doit alors d'autant plus faire reconnaître sa légitimité propre de

gouvernant respectueux du bien public et des valeurs démocratiques. Cependant, pour reprendre la formulation de Charaudeau, la reconnaissance du droit à dire et à faire n'entraîne pas nécessairement celle de la capacité à faire dire et à faire faire. La confiance qui conditionne l'autorité suppose l'intime conviction de la compétence du locuteur, de la droiture de son jugement comme de ses intentions.

27 La confiance vouée à un homme ou une femme au pouvoir implique donc sa crédibilité.

Cependant l'autorité, comme le notent Michèle Monte et Claire Oger, " ne doit pas se dissoudre dans une simple crédibilité » (2015 : 6). De même qu'Angenot parle de la confiance entre deux instances de statut différent, de même Claire Oger souligne que

l'autorité " se fonde sur un surcroît de crédibilité [...], et sur une position de supériorité

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