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Thèse de Doctorat /

Décembre

2017

Université Paris II - Panthéon-Assas

information et communication (ED455)

Thèse de doctorat

soutenue le 7 décembre 2017. au questionnement sur les pratiques professionnelles

Laurent BIGOT

Sous la direction de M. le Professeur Rémy RIEFFEL

Membres du jury :

M. François DEMERS, professeur titulaire, Université Laval de Québec M. Benoît GREVISSE, professeur ordinaire, Université catholique de Louvain M. Arnaud MERCIER, professeur des universités, Paris 2 - Panthéon-Assas M. Franck REBILLARD, professeur des universités, Paris 3 - Sorbonne Nouvelle M. Rémy RIEFFEL, professeur des universités, Paris 2 - Panthéon-Assas (dir.) Mme Roselyne RINGOOT, professeure des universités, Grenoble-Alpes - 2 - BIGOT Laurent| Thèse de doctorat | décembre 2017 - 3 -

Avertissement

dans cette thèse ; ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur. BIGOT Laurent| Thèse de doctorat | décembre 2017 - 4 - BIGOT Laurent| Thèse de doctorat | décembre 2017 - 5 -

À mes parents.

À mon fils, Pierre-Louis.

" En une seule chose ne céderai-je à personne, en la recherche de la vérité, de laquelle néanmoins je ne me fais pas garant. Étant malaisé par son père le temps. Mais encore se trouvera[-t]-il peut-être des -là tel bruit était tenu pour véritable. Théophraste Renaudot, La Gazette, préface, 1631. BIGOT Laurent| Thèse de doctorat | décembre 2017 - 6 -

Remerciements

Les pages qui suivent ont été écrites au cours des trois dernières années. De la même

Aussi dois- abord remercier chaleureusement mon directeur de thèse, le professeur Rémy Rieffel, pour sa confiance, ses conseils et ses encouragements Je remercie également chacun des membres du jury, dont les travaux ont été précieux pour éclairer mes réflexions et mener à bien mes recherches. Je suis particulièrement honoré que les professeurs François Demers, Benoît Grevisse, Arnaud Mercier, travail et de me faire bénéficier de leurs considérations sur ce sujet qui continue de journalisme journalisme, comme Claudine Ducol et Nicolas Sourisce, comme ceux qui ont guidé

David Douyère, Gustavo Gomez-

profiter importants conseils. BIGOT Laurent| Thèse de doctorat | décembre 2017 - 7 - Il me faut aussi, bien évidemment, faire part de ma gratitude aux journalistes qui ont bien ce travail inédit en France à propos du fact- réalités de leur quotidien professionnel. Je remercie par ailleurs les chercheurs Et il y a ceux, nombreux, qui ne se retrouvent peut-être pas de manière aussi évidente Toujours curieux, parfois très spontanément enthousiastes, ou alors plus sceptiques, démarc recherche. quelques ils précieux soutien amical et intellectuel. Ils ne peuvent tous être cités ici, mais Asma, Céline, David, Delphine, Donald, Élodie, Hélène, Hugues, Jean, Jean-Sébastien, Julia, Lucie, Marc, Maria, Mariana, Sarah, Shabnam, Stéphane, Xavier se Christèle Bourdeau, qui, en amie, a accepté en prime la lourde tâche de relire et de famille. Je remercie mon épouse Céline, qui a su prendre soin de notre fils alors que et, surtout, soutien et leur affection, tout au long de mon parcours, quelles que soient mes intentions : ma mère, souvent encourageante malgré ses inquiétudes, et mon père, qui enthousiasme pour les nouveaux projets. Un grand merci à eux deux. BIGOT Laurent| Thèse de doctorat | décembre 2017 - 8 - BIGOT Laurent| Thèse de doctorat | décembre 2017 - 9 - au questionnement sur les pratiques professionnelles De plus en plus de médias dans le monde disposent de rubriques ou chroniques dédiées au fact-checking. Elles visent notamment à vérifier la véracité de propos tenus par des responsables politiques. Cette pratique revisite celle née aux États-Unis dans les années 1920, qui consistait à vérifier de manière exhaustive et systématique les contenus avant parution. Ce fact-checking " moderne » incarne une stratégie des rédactions web en dépit des crises structurelles et conjoncturelles pour renouer avec la diffusion de contenus mieux vérifiés, ainsi que leur capacité ravers -directifs avec des fact- de 300 articles et chroniques issus de sept médias différents, ce travail de recherche analyse dans quelle mesure le fact-checking, en tant que genre journalistique, valorise une démarche crédible, mais révèle aussi, en creux, des manquements dans les pratiques professionnelles. Il examine, enfin, comment la promotion de contenus -checking regagner la confiance des publics. Descripteurs : journalisme, fact-checking, vérification, politique, fausses informations, fake news, rumeurs, Désintox Libération, Les Décodeurs Le Monde, CrossCheck, First Draft News, Facebook, International Fact-Checking Network (IFCN) The rise of fact-checking: from the emergence of a journalistic genre to questioning professional practices A growing number of newsrooms around the world have established fact-checking headings or rubrics. They are dedicated to assess the veracity of claims, especially by politicians. This practice revisits an older fact-checking practice, born in the United maga contents before publishing. T fact-checking embodies both the willingness of online newsrooms to restore verified contents despite the structural and economic crisis of the press and their ability to capitalize on digital tools which enhance access to information. Through some thirty semi-structured interviews with French fact-checkers and the study of a sample of 300 articles and chronicles from seven media, this PhD thesis examines the extent to which fact-checking, as a journalistic genre, certainly valorizes a credible method, but also and indirectly reveals shortcomings in professional practices. Finally, it discusses how the promotion of more qualitative content, as well as media literacy, could place fact-checking at the heart of editorial strategies the latter aiming at retrieving trust from the audience. Keywords: journalism, fact-checking, verification, politics, fake news, rumors, debunking, French journalism, Désintox Libération, Les Décodeurs Le Monde, CrossCheck, First Draft News, Facebook, International Fact Checking Network (IFCN). BIGOT Laurent| Thèse de doctorat | décembre 2017 - 10 - BIGOT Laurent| Thèse de doctorat | décembre 2017 - 11 -

Sommaire

Introduction _______________________________________________________ 15

Partie 1 - -checking __________ 31

Chapitre 1. Vérifier, un " commandement » du journalisme ___________________ 35

1.1. Une règle intangible ______________________________________________________ 35

1.1.1. Incontournable dans les codes de déontologie ______________________________ 35

1.1.2. Sans vérifica _____________________________ 38

1.2. Un principe non garanti ___________________________________________________ 42

_____________________________________ 42

1.2.2. Une quête de vérité remise en cause ______________________________________ 47

Chapitre 2. Un environnement plus ou moins propice à la vérification ___________ 53 _________________________________________ 53

2.1.1. Tout, tout de suite et pour tous les médias _________________________________ 53

2.1.2. De la difficulté de faire vite et bien ______________________________________ 57

2.2. La triple crise de la presse _________________________________________________ 64

2.2.1. Une crise structurelle : informer sans modèle économique viable _______________ 64

2.2.2. Une crise conjoncturelle : du gratuit au payant ______________________________ 68

2.2.3. Une crise finalement éditoriale __________________________________________ 72

______________________________________________ 78

2. __________________________________ 78

2.3.2. La possibilité de faire intervenir les citoyens _______________________________ 82

2.3.3. Vers un journalisme enrichi / " augmenté » ________________________________ 86

Chapitre 3. Le fact-checking tel qu'il apparaît aux États-Unis__________________ 93

3.1. Les premiers fact-checkeurs dans les années 1920 _______________________________ 93

3.1.1. Le rapport du journalisme américain aux faits ______________________________ 93

3.1.2. La multiplication des journalistes-vérificateurs dans les rédactions ______________ 97

tradition » journalistique _______________________ 102

3.2.1. Les premiers sites web dédiés au fact-checking politique ____________________ 102

3.2.2. De nombreuses initiatives et innovations à venir ___________________________ 117

BIGOT Laurent| Thèse de doctorat | décembre 2017 - 12 - Chapitre 4. Le fact-checking tel qu'il apparaît en France _____________________ 125

4.1. Un journalisme historiquement moins factuel _________________________________ 125

4.1.1. Le rapport du journalisme français aux faits _______________________________ 125

4.1.2. Des rédactions néanmoins organisées pour vérifier _________________________ 131

parition récente du fact-checking _______________________________________ 134

4.2.1. La déclinaison du modèle américain _____________________________________ 134

4.2.2. Panorama des initiatives en France ______________________________________ 139

4.2.3. Des équipes de jeunes journalistes web __________________________________ 165

Partie 2 - Le fact-checking, entre genre journalistique et vérification ostentatoire _________________________________________________________________ 179 Chapitre 5. Une opportunité pour regagner la confiance du public _____________ 183

5.1. Les médias suscitent la défiance ____________________________________________ 183

5.1.1. Les chiffres peu reluisants des sondages Kantar Sofres / La Croix _____________ 183

5.1.2. Les chiffres peu enviables des audiences et recettes des entreprises de presse ____ 191

5.2. La non-vérification et la connivence en cause _________________________________ 196

5.2.1. Des exemples de ratages journalistiques trop nombreux _____________________ 196

5.2.2. Connivence et proximité rejetées par les fact-checkeurs _____________________ 207

5.2.3. Le fact-checking, un label pour redorer le blason des médias ? ________________ 217

Chapitre 6. Un genre journalistique contestable et contesté ___________________ 231

6.1. Le fact-checking peut-il être un genre journalistique ? __________________________ 231

__________________________ 231

6.1.2. La décrédibilisation latente du reste des contenus __________________________ 241

______________________ 250

6.2.1. Des journalistes entre neutralité et engagement ____________________________ 250

6.2.2. Une vérification à cont _____ 268

6.2.3. Une oscillation permanente entre objectivité et subjectivité___________________ 275

BIGOT Laurent| Thèse de doctorat | décembre 2017 - 13 - Chapitre 7. Sur le fond, des faits mais aussi des choix ________________________ 283

7.1. Les méthodes de travail des fact-checkeurs ___________________________________ 283

7.1.1. Un fonctionnement à part dans les organisations _________________________ 283

7.1.2. Une gestion du temps déterminante ____________________________________ 288

7.1.3. Un rapport particulier aux sources _____________________________________ 296

7.2. Le contenu des rubriques consacrées au fact-checking __________________________ 307

7.2.1. Des choix citationnels qui ne doivent pas tout au hasard ___________________ 307

7.2.2. Une construction et une écriture qui se veulent convaincantes _______________ 324

7.2.3. Cas particuliers, familles et sous-familles de fact-checking _________________ 348

Chapitre 8. De la stratégie opportuniste au retour d'un "véritable" fact-checking 357

8.1. Rendre le fact-checking " moderne » plus performant ___________________________ 357

8.1.1. La nécessaire, mais difficile, évaluation des effets du fact-checking politique ____ 357

8.1.2. Compiler des données, automatiser des procédés : anticiper pour mieux vérifier __ 365

8.1.3. Des expériences participatives et collaboratives parfois prometteuses ___________ 373

8.2. La plus- __________________________ 384

8.2.1. Les essais concluants de quelques stratégies plus qualitatives _________________ 384

vec le fact-checking des origines ____________________ 390

8.2.3. Du savoir-faire au faire-savoir ______________ 398

Conclusion ________________________________________________________ 409 Bibliographie ______________________________________________________ 427 Sources __________________________________________________________ 469 Tables des illustrations et des tableaux _________________________________ 473 Annexes __________________________________________________________ 477 Index ____________________________________________________________ 525 BIGOT Laurent| Thèse de doctorat | décembre 2017 - 14 - BIGOT Laurent| Thèse de doctorat | décembre 2017 - 15 -

Introduction

Depuis fin 2008, les médias français comptent toujours plus de rubriques consacrées à -checking1. Littéralement : la vérification des faits, voire la

Les Décodeurs »

dans Le Monde, " Désintox », dans Libération ou sur Arte, " Vrai- » sur Europe 1 ou encore " Le Vrai du Faux » sur France Info, ces rubriques, qui semblent renouer avec une règle de base des pratiques journalistiques suscitent toutefois des réactions contrastées de la part des professionnels eux-mêmes.

Pour trois raisons.

aucoup de journalistes professionnels, que, comme le dit Laurent Mauduit, journaliste co- pure-player Médiapart, " la vérification est un principe essentiel de la transmission » et que, partant, " le fact-checking réinvente le fil à couper le beurre du journalisme témoignages de professionnels qui ne font pas de la vérification systématique de nécessité de " croiser les sources » de leurs informations. Ensuite, la promotion récente du fact-checking comme genre journalistique à part entière (et non plus comme méthode de travail des journalistes) reposerait sur un de plus grande proximité avec les faits et uniquement les faits en oublieraient un peu de son auteur, une part action de

1 Nous tenons ici à indiquer que le terme anglo-saxon fact-

journalistique et de recherche en France. Par ailleurs, nous avons opté pour une francisation du nom " fact-checkeur » et du

verbe " fact-checker vérification » et

" vérifier ». Nous tenons toutefois à présenter nos excuses, sur ce point, aux francophones auxquels ce choix pourrait

sembler inapproprié. BIGOT Laurent| Thèse de doctorat | décembre 2017 - 16 - enir aux faits, on prendrait le chaque fois que, par exemple, pour réaliser du fact-checking, on choisirait un sujet à traiter , une citation à vérifier prononcée par tel homme politique plutôt que par tel autre, etc. À possible de se rapprocher ainsi a fortiori de la vérité2. Enfin, justement, les rubriques que les médias ont baptisées " fact-checking » ne l de vérification de la parole publique, essentiellement politique, sur le mode : " Tel responsable politique a dit ceci dans tel média pas vraiment de vérification des faits, donc. Plutôt un retour, une sorte de contrôle a posteriori, sur une déclaration initialement publiée ou diffusée telle quelle dans les contraire totalement fausse. Le reproche qui peut alors être fait à ces rubriques de fact-checking dans les

le même temps, ces médias se révèlent souvent de moins en moins à même de livrer à

leurs lecteurs, auditeurs, téléspectateurs et internautes une information fiable dans la plupart des autres rubriques. Cela, principalement pour des raisons économiques liées des modèles économiques médiatiques des consommations en lignes essentiellement. Nous rejoignons ici le constat du " grand malentendu » développé par le sociologue des médias Jean- " » et une réponse médiatique qui prône, elle, " la meilleure information possible avec les moyens dont (les médias) disposent »3. es aux journalistes en général et aux professionnels en charge des productions de fact- checking en particulier, il nous faut questionner les origines de cette pratique. Car le

2 CORNU Daniel, , Genève, Labor et Fides, 1994, p.373

3 CHARON Jean-Marie, Les journalistes et leur public: le grand malentendu, Paris, Vuibert, 2007, p.103

BIGOT Laurent| Thèse de doctorat | décembre 2017 - 17 - fact-checking prend sa source dans une véritable tradition de vérification de , en particulier aux États- Time recrutait, à ses débuts, les premiers fact-checkeurs de la presse magazine américaine, bientôt suivi par The New Yorker.4

Leur mission

confiée, en France, aux secrétaires de rédaction (avec des disparités dans la mise en effectué dans les rédactions avec une fréquence inversement proportionnelle à la mise en avant du fact-checking, tant les effectifs ont globalement diminué, alors que les canaux de diffusion des informations se sont multipliés, tandis que les flux, grâce aux technologies numériques notamment, se sont accélérés. Cette mise en avant du fact-checking essentiellement depuis 2008 en France, avec dédiée (" Désintox ») dans le quotidien Libération et, plus encore, sa construction en tant que véritable genre journalistique a donc de quoi inquiéter autant que rassurer. Certes, on ne peut reprocher aux médias français de de la parole politique. Leur délicate situation économique (globalement), ainsi que marqué par infobésité et la

5 leur enjoignent de se différencier afin

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