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UNIVERSITE DE RENNES II - HAUTE BRETAGNE
ÉCOLE DOCTORALE HUMANITES ET SCIENCES DE L"HOMMEN° attribué par la bibliothèque
ThèseThèseThèseThèse
Pour obtenir le grade de Docteur de l"Université de Rennes 2 en Sciences de l"éducationL"ENSEIGNEMENT SCIENTIFIQUE A L"ECOLE DE BASE
APPROCHES DIDACTIQUE, ANTHROPO-CULTURELLE ET EPISTEMOLOGIQUE DESCURRICULA SCIENTIFIQUES DE L
"ENSEIGNEMENT DE BASE EN TUNISIE T OME 1 (Cadrage théorique et première partie)Présentée et soutenue publiquement par
Abdelwahab CHAOUED
Sous la direction du Professeur
Louis MARMOZ
JuryJuryJuryJury
M. le Professeur Patrick BOUMARD (Université de Bretagne Occidentale) M. le Professeur Alain LIEURY (Université de Rennes 2 - Haute Bretagne) Mme la Professeure Sylvette MAURY (Université de Paris 5 - Sorbonne) M. le Professeur Louis MARMOZ (Université de Caen - Basse Normandie)Rennes le 06 - 07 - 2006
DEDICACE
- À la mémoire d"Ahmed ben Chaoued, l"homme et le père - À ma mère, avec toutes les expressions d"amour et d"admiration - À mes frères et soeurs - À ma chère Leïla, avec tous mes voeux d"une vie pleine de bonheur et de réussite Ce travail est dédicacé aussi à toutes mes enseignantes et à tous mes enseignantsd"hier et d"aujourd"hui, de l"école primaire à l"université. Avec ma sincère reconnaissance et
un grand merci d"avoir nourri ma connaissance et exalté mon goût pour le savoir. 2REMERCIEMENTS
Je voudrais tout d"abord remercier infiniment mon directeur le Professeur Louis Marmoz qui m"a accompagné avec beaucoup de bienveillance et de patience depuis mespremiers pas dans le monde de la recherche. Son suivi régulier et attentif, ses précieux conseils,
ses encouragements et la confiance qu"il m"a toujours accordée, m"ont aidé énormément à
mener à bien ce travail. À lui alors toute ma gratitude. Je tiens aussi à remercier Madame et Messieurs les Professeurs, Sylvette Maury, Patrick Boumard et Alain Lieury pour avoir accepté de faire partie de mon jury. Mes remerciements vont également à tous ceux qui m"ont aidé directement ou indirectement au cours de mes recherches : - Monsieur le professeur Jean Manuel de Queiroz qui m"a accueilli pendant trois ans ausein de son équipe de recherche, où j"ai pu profité d"un foisonnement d"idées
remarquable. - Mes collègues doctorants des Universités de Rennes 2 et Rennes 1, avec qui j"ai eu deséchanges aussi passionnants que fructueux.
- Les enseignants du primaire et du secondaire qui ont accepté avec beaucoup de gentillesse et de bienveillance de participer à mon enquête de terrain. Ma pensée et ma reconnaissance vont aussi à mes anciens professeurs de l"université de Caen, en particulier Madame Françoise Chébaux et Monsieur Jacques Arveiller qui m"ont beaucoup appris. Une pensée toute particulière et beaucoup de reconnaissance vont à mes proches : - Ma mère et mes frères et soeurs qui m"ont toujours soutenu et encouragé. - Mes beaux parents pour leur hospitalité et leurs encouragements. - Mohamed et Jamila et leurs enfants, mes chers neveux et nièces, Lassaâd, Sami, Hana, Mariam et Ahmed qui m"ont toujours encouragé et très bien accueilli lors de mes séjoursà Tunis.
- Mon cousin et collègue Mohamed El-Khamès pour son esprit chaleureux et collaboratif. Enfin, un grand merci à ma chère femme Stéphanie qui a supporté avec une patience formidable mes nuits blanches de travail, m"encourageant de temps en temps avec un sourire ou un petit café. Qu"elle trouve ici l"expression de ma reconnaissance affectueuse. 3SOMMAIRE
INTRODUCTION GENERALE...........................................................................5 1. DE L"ENSEIGNEMENT SCIENTIFIQUE..................................................................................6
2. PROBLEMATIQUE ET HYPOTHESES...................................................................................13
3. APPROCHES METHODOLOGIQUES....................................................................................16
PREMIERE PARTIE : L"ENSEIGNEMENT SCIENTIFIQUE : THEORIES ET PRATIQUES221. INTRODUCTION DE LA PREMIERE PARTIE.........................................................................23
2. P ARADIGMES EDUCATIONNELS : BASES THEORIQUES ET PROLONGEMENTSPEDAGOGIQUES
3. L"
ENSEIGNEMENT SCIENTIFIQUE : APPROCHE ANTHROPOLOGIQUE ET CULTURELLE179 4. D EMARCHE CURRICULAIRE ET DEMARCHE D"ANALYSE................................................223 5. CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE..........................................................................252
DEUXIEME PARTIE : STRUCTURES ET EVOLUTION HISTORIQUE DE L"ECOLETUNISIENNE
: DE L"HYPOTHEQUE " LANGUE NATIONALE/SCIENCES MODERNES »A LA REFONTE CURRICULAIRE DE JUILLET
2002 .........................................255
1. INTRODUCTION DE LA DEUXIEME PARTIE......................................................................256
2. A PPROCHE HISTORIQUE DE L"ENSEIGNEMENT EN TUNISIE...........................................258 3. L A GRANDE REFORME DE 2002 : UNE REPONSE AUX DEFIS SCIENTIFICO-TECHNIQUES DUXXIE SIECLE............................................................................................................................366
4. CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE..........................................................................534
4 TROISIEME PARTIE : LECTURE ANALYTIQUE DES CURRICULA SCIENTIFIQUES DE L "ENSEIGNEMENT DE BASE.......................................................................537 1. INTRODUCTION DE LA TROISIEME PARTIE.....................................................................538
2. MATERIAUX ET STRATEGIES..........................................................................................540
3. CONSTRUCTION DES GRILLES D"ANALYSE.....................................................................546
4. ANALYSE DU MATERIEL..................................................................................................557
5. CONCLUSION DE LA TROISIEME PARTIE.........................................................................630
CONCLUSION GENERALE.........................................................................633 TABLE DES TABLEAUX.............................................................................648 TABLE DES SCHEMAS ET GRAPHIQUES......................................................652 TABLE DES MATIERES..............................................................................772 5INTRODUCTION GENERALE
1. DE L"ENSEIGNEMENT SCIENTIFIQUE
2. PROBLEMATIQUE ET HYPOTHESES
3. APPROCHES METHODOLOGIQUES
3.1 PREMIERE APPROCHE THEORIQUE
3.2 DEUXIEME APPROCHE THEORIQUE
3.3 APPROCHE ANALYTIQUE ET CRITIQUE
61. DE L"ENSEIGNEMENT SCIENTIFIQUE
Aborder la question de l"enseignement scientifique d"une façon problématique, s"interroger et débattre sur l"apprentissage des sciences, se soucier des moyens qui permettentde rendre la culture scientifique plus adaptée à l"école, plus appréhendable et plus assimilable
par la population scolaire, sont des préoccupations qui ne cessent depuis quelques décenniesde mobiliser l"attention et l"énergie de plusieurs nations et de gagner du terrain à travers les
continents. Ainsi, on assiste ces dernières années dans bon nombre de pays (aussi bien du Nord que du Sud) à la naissance d"une nouvelle dynamique qui s"est traduite par la réformedes curricula, la création de structures de recherche spécialisées, le développement de
nouvelles stratégies et l"intensification des échanges d"expériences. Mais pourquoi cette préoccupation de plus en plus accentuée par l"enseignement des sciences ? Nous pensons que ceci est due à deux facteurs essentiels : Le premier facteur est lié àun constat inhérent aux faits éducatifs, l"autre découle directement d"une certaine vision du
monde et d"un désir de changement chez les uns et les autres. ▪ Un constat lié aux faits éducatifs : Plusieurs rapports nationaux effectués à des moments différents depuis la fin du siècle dernier dans plusieurs régions du monde font état d"un bilan, somme toute, peu satisfaisant quant à la qualité et aux résultats de l"enseignement scientifique1. D"autres études s"accordent
1 Nous citons dans ce cadre les trois exemples suivants :
- Un rapport américain de 1983, soutenant l"idée d"une impérieuse nécessité d"envisager une réforme de
l"enseignement des sciences et des mathématiques, établit ce schéma aussi exhortant qu"alarmant : " La nation
qui a spectaculairement et hardiment conduit le monde dans l"âge de la technologie échoue aujourd"hui à
pourvoir ses propres enfants des outils intellectuels nécessaires pour le XXI siècle (...) Nos enfants pourraient
devenir des traînards dans un monde technologique. » (National Commission on Excellence in Education, 1983)-
D"après Veleida Anahi Da Silva. Ed. ECONOMICA, 2004, p. 13.- Au Québec, le Rapport du Groupe de Travail sur la Réforme du Curriculum (2001) avance : " Nous devons
signaler l"état déplorable de l"enseignement des sciences au primaire. Dès 1990, le Conseil Supérieur de
l"Éducation attirait l"attention du ministre sur cette question. Depuis, rien n"a été fait pour corriger la situation.
(R.G.T.R.C.Q, 2001, Annexe 4, p.3).- En Tunisie, la Plan Exécutif de l"Ecole de Demain (2002), déplore des résultats très modestes en sciences et
en mathématiques, une insuffisance du temps consacré à l"enseignement des sciences et une faible présence des
7 pour dire que beaucoup d"enfants apprennent mal les sciences, que les matières et disciplinesscientifiques exercent très peu d"attrait sur eux et que la plupart des méthodes et stratégies
d"enseignement ne parviennent pas à aider les apprenants à substituer à leurs conceptionspremières, qui sont en général des conceptions erronées, d"autres conceptions scientifiquement
fondées. Certains auteurs affirment que ces conceptions premières sont parfois tellement
résistantes qu"elles persistent jusqu"à l"âge adulte (Harlen, 1988 ; Astolfi, 1998 ; De Vecchi et
Giordan, 2002).
Ce constat négatif ne concerne pas uniquement les pays pauvres ou en développement, mais touche aussi des pays développés qui disposent normalement de moyens matériels et scientifiques considérables pour mettre en place un enseignement scientifique efficace. D"oùun sentiment largement partagé de la nécessité de réfléchir sur les moyens supplémentaires à
mettre en oeuvre, les méthodes à suivre et les objectifs à définir et à atteindre pour remédier à
cette situation et rénover l"enseignement des sciences.Depuis lors, l"état et les résultats de l"enseignement scientifique se sont peut être
améliorés dans plusieurs pays, mais l"intérêt accordé au sujet ne cesse de s"accentuer,
notamment avec l"explosion exponentielle des nouvelles technologies de l"information et de la communication dans le monde et sa mise, de plus en plus affirmée, au service de l"enseignement et de l"apprentissage. ▪ Une certaine vision du monde et un désir de changementL"intérêt accordé à l"enseignement des sciences peut être aussi expliqué par la
prégnance et le caractère imposant de la modernité. C"est en quelque sorte le signe d"uneadhésion générale à une vision du monde incarnée par le modèle scientifico-technique
occidental. En réformant l"enseignement des sciences et des techniques, les pays du Sud
espèrent former des citoyens suffisamment qualifiés pour assurer leur développement national.
Les pays du Nord, quant à eux, soucieux de maintenir leur rang parmi les nations avancées,aspirent à davantage d"excellence et de progrès dans un monde en perpétuelle mutation et où
la compétition entre les nations est de plus en plus rude. Pour les uns comme pour les autres, la mise en place d"un enseignement scientifique efficace et performant est une conditionnouvelles technologies dans les programmes d"enseignement (Nouvelle Réforme de l"Enseignement : Plan
Exécutif de l"Ecole de Demain, Juin 2002, pp. 48-50). 8nécessaire (bien que non suffisante) pour réaliser le changement et le progrès souhaités. La
liaison entre "système d"enseignement des sciences et de la technologie" et "développement national" est désormais chose bien établie 1. Si le lien entre le développement des sciences en général et de l"enseignementscientifique en particulier est reconnu par tous, il n"en est pas de même pour une autre
question cruciale qui s"est longtemps positionnée au coeur du débat sur l"école dans plusieurs
pays et notamment les pays de cultures non occidentales (en l"occurrence la Tunisie), et qui continue à animer les débats. On peut la formuler de la manière suivante : Quel enseignement scientifique pour quelle société ? 2 Outre la dimension épistémologique (que nous évoquerons rapidement ci-dessous et sur laquelle nous reviendrons par la suite avec plus de précision), cette question - qui touchedirectement aux choix d"élaboration curriculaire - est, à notre sens, problématique au moins à
deux niveaux, lesquels sont en interaction certaine : d"un côté, le niveau pédagogique et/ou
didactique, de l"autre, le niveau culturel et linguistique.· Le niveau pédagogique et didactique
À ce niveau, les questions qui nous semblent préoccupantes sont les suivantes : Existe-t-il une méthode pédagogique plus efficace que d"autres, si oui, laquelle ? Uneméthode pédagogique, est-elle universelle et décontextualisée ou spécifique et contextualisée ?
Quelle différence y a-t-il entre théorie éducative et méthode pédagogique ou méthode
d"enseignement ? Quelle théorie psychologique faut-il adopter pour comprendre le mode de développement de l"enfant et l"évolution de son système de fonctionnement cognitif ? Surquels critères faut-il s"appuyer pour juger de la validité d"une théorie développementale ou
d"un modèle éducationnel ? Ces théories, dont la plupart sont nées dans un contexte occidental,
1 Cf. à ce sujet " Innovations dans l"enseignement des sciences et de la technologie ». Vol. I et II (ss. dir. de
David Layton). Paris UNESCO, 1988.
2 En France, J.-P. Astolfi, A. Giordan, G. Gohau, V. Host, J.-L. Martinand, G. Rumelhard et G. Zadounaïsky ont
publié en 1978 un ouvrage collectif sous le titre : Quelle éducation scientifique pour quelle société ? (Paris, PUF).
Les auteurs ont consacré la plus grande partie de cet ouvrage (8 chapitres sur 9) à une analyse critique de
l"enseignement scientifique français de l"époque. Le dernier chapitre a été consacré à l"étude du type de rapport
qui devrait exister entre "culture scientifique" et "société" et le rôle du système d"enseignement scientifique et de
l"institution scolaire en général en ce domaine. 9 sont elles valables dans les pays du Sud ? Peut-on adapter une théorie exogène au contexteprécis d"une société donnée ? Quelle différence y a-t-il entre pédagogie et didactique ? Quels
sont les concepts pédagogiques et didactiques les plus valables pour une société donnée et qui
permettent de développer des stratégies d"enseignement efficace et favoriser un bonapprentissage des sciences ? Et puis, quelle vision épistémologique faut-il faire valoir à
l"école ? Doit-on enseigner les savoirs scientifiques en tant que produit prêt à être
"consommé", c"est-à-dire en tant que valeur immédiate ? Ou bien, doit-on prêter attention aux
conditions sociohistoriques et méthodologiques de leur élaboration ? Ces questions, et sans doute tant d"autres, reflètent un souci largement partagé quantaux liens possibles et nécessaires entre science, développement individuel, pédagogie et
société.· Le niveau culturel et linguistique
À ce niveau, des questions pivotant autour d"une même idée centrale sont souventévoquées lors des débats sur l"enseignement en général et l"enseignement scientifique en
particulier. Nous pouvons les formuler selon l"une ou l"autre des interrogations suivantes : Faut-il enseigner une science abstraite dissociée de tout contexte culturel ou, aucontraire, élaborer des curricula scientifiques qui prennent en considération le système de
valeurs de la société de référence des apprenants ? Faut-il enseigner ce que l"on appelle " la
science moderne » telle qu"elle, en tant que " produit culturel et daté, né dans certains pays de
l"hémisphère nord »1, ou faut-il l"adapter aux spécificités culturelles du pays concerné ? Dans
ce dernier cas, n"y a-t-il pas une contradiction problématique ? Les savoirs, les croyances etles systèmes de valeurs traditionnels (qui sont caractéristiques des cultures du Sud) ne sont-t-
ils pas des obstacles à l"accès aux sciences modernes ? Est-ce qu"une conciliation entre les valeurs traditionnelles et les valeurs incarnées dans les sciences modernes est possibles ? Si oui, comment faire pour y parvenir ? Est-il possible d"adhérer à un système d"enseignementscientifique moderne et préserver son identité culturelle ? N"y a-t-il pas dans un tel système un
risque d"hégémonie impérialiste ? Faut-il enseigner les sciences dans la langue nationale ou
dans la langue scientifique d"origine ? N"y a-t-il pas un risque d"être en décalage avec
1 LAYTON, D., " Les dilemmes de l"innovation et la réactualisation de l"enseignement scientifique et
technologique », in " Innovations dans l"enseignement des sciences et de la technologie ». Ibid., p. 23.
10l"évolution des sciences dans le premier cas, et un risque de la persistance d"une dépendance à
l"autre dans le deuxième ? Toutes ces interrogations sont le symptôme, dans plusieurs pays (dont la Tunisie), d"undéchirement entre un désir insistant de changement et de progrès et une crainte effrayante de
perdre sa spécificité et de se dissoudre dans l"autre. Entre la modernité occidentale imposante,
triomphante et très prégnante, d"une part, et la tendance humaine naturelle à préserver son
identité culturelle, de l"autre, comment procéder pour faire la part des choses et trouver sa voie ? Par ailleurs, il n"est pas toujours aisé de traiter de ces questions, tant elles appellent àrallier l"étude de l"extrêmement compliqué (sciences et culture, sciences et langue, sciences et
modernité, sciences et épistémologie) à celle de l"infiniment complexe (l"apprenant en tant
que sujet en devenir développemental et éducationnel). Et pourtant, il n"y a pas un autre choix pour les sociétés dites "en développement", qued"aller dans cette voie, d"affronter tous ces problèmes avec sérieux et détermination et de se
donner les moyens afin d"y apporter des réponses appropriées, faute de quoi elles seraient condamnées à demeurer en marge de la formidable marche scientifico-technique de l"espèce humaine. C"est dans le sillage de ce cadre général de réflexion et en vertu de cet ordre d"idées que nous avons envisagé cette recherche sur l"enseignement scientifique à l"École de Base tunisienne. Mais, pourquoi la Tunisie ? Et pourquoi l"École de Base en particulier ?· Outre le fait que nous sommes Tunisien et que, à ce titre, notre posture de pédagogue nous
pousse - presque instinctivement - à nous soucier des problèmes éducationnels de notre pays d"origine, le choix de la Tunisie comme aire géo-éducative de notre recherche est lié essentiellement aux conditions politico-historiques d"introduction des sciences modernes en ce pays. En effet, contrairement à beaucoup d"autres pays du Sud, le contact de l"écoletunisienne avec la science occidentale a été antérieur au phénomène colonial. " Dès 1840,
Ahmed Bey, roi éclairé, décide la création de l"école polytechnique du Bardo (jumelle à
l"école créée par Napoléon au début du 19 ème siècle) »1. Ainsi, une première expérience1 CHABCHOUB, Ahmed (2000), École et modernité en Tunisie et dans les pays arabes, L"Harmattan, p. 18.
11d"un enseignement scientifique tunisien en français y était amorcée. L"école de Bardo
périclitera en 1864, mais après avoir formé une première élite moderniste tunisienne. Onze
ans plus tard, en 1875, le Ministre réformateur Khéréddine, après s"être informé du système
scolaire français de l"époque, fonde le premier établissement scolaire moderne de la Tunisie,
le Collège Sadiki. On y enseigne les langues étrangères et les sciences exactes et naturelles,
qui étaient dispensées surtout en langue française par des professeurs en majorité Français.
Ce qui est important ici du point de vue de la recherche est le caractère initialement "choisi" -et non "imposé"- de l"introduction des sciences modernes à l"institution scolairetunisienne. Car cela permet d"étudier ce fait autant que tel, c"est-à-dire comme phénomène
s"inscrivant dans un certain contexte sociohistorique, et déterminé par la logique interne de ce contexte, et non en tant que résultat d"une violence culturelle imposant au système un modèle venant de l"extérieur.· Quant au choix de travailler sur l"Ecole de Base, il a été motivé par deux facteurs
essentiels : - Tout d"abord, un facteur lié à notre pratique professionnelle antérieure. Nous avions, en effet, exercé en Tunisie en tant qu"instituteur pendant douze ans, dont dix ans (de 1986 à1996) avec des élèves de sixième année, c"est-à-dire l"année charnière entre le cycle
primaire et le cycle secondaire dans le système éducatif tunisien d"alors. Nous avions pendant toutes ces années enseigné en langue arabe et nous avions donc en chargel"enseignement de plusieurs matières dont les mathématiques et les activités d"éveil
scientifique. À l"époque, les élèves de 6 ème année devaient passer un concours nationalpour accéder à l"enseignement secondaire. Et comme le système d"évaluation de ce
fameux concours accordait aux "matières nobles" (mathématiques et sciences) des coefficient, de loin, plus élevés que ceux des matières dites "subalternes" (langues, artset humanités), tout le monde était appelé à travailler hardiment les premières pour mettre
plus de chance de son côté et passer avec succès "le cap du 6ème". En dehors (et compte
tenu) des effets de cette variable sur l"attitude psychologique des élèves vis-à-vis des disciplines scientifiques, nous avions pu constater les énormes difficultés et les blocagesqu"éprouvaient beaucoup de ces élèves face aux leçons de sciences et de mathématiques.
Ce problème nous a toujours préoccupé et nous nous sommes souvent posés la question 12 sur les causes de ces blocages. Nous savons maintenant qu"on ne peut guère imputer ces difficultés à une cause unique et exclusive, tant la situation d"enseignement- apprentissage est complexe et à variables multiples, mais nous voulons à cet égard tenter d"apporter un certain éclairage sur les conditions et les possibilités de l"enseignement scientifique destiné à des jeunes du primaire et du premier cycle secondaire.- L"autre facteur a trait au caractère relativement récent de l"École de Base comme
concept et comme institution éducative en Tunisie. Cette école qui a été instituée envertu de la deuxième grande réforme de 1991 ne fut guère un projet facile à réaliser dans
un pays comme la Tunisie où le système scolaire a longtemps fonctionné, aussi bienstructurellement que méthodologiquement, selon un modèle hérité de l"époque coloniale.
Autant ce projet suscitait l"enthousiasme et la détermination de ceux qui aspiraient à uneécole plus juste et plus adaptée aux besoins réels des enfants tunisiens et à leurs
caractéristiques tant psycho- et sociocognitives, que psycho- et socioaffectives, autant il générait craintes et scepticisme chez ceux qui pensaient qu"une telle entreprise pourrait compromettre l"avenir de l"école et mettre en péril le projet de modernisation del"institution scolaire, adopté dès l"indépendance du pays et mis en oeuvre depuis la
première réforme de 1958. Au coeur des préoccupations des détracteurs du projet de l"École de Base, figure la question de l"arabisation des enseignements scientifiques,qu"ils considèrent comme une aventure dont les risques sont non négligeables étant
donné, disent-ils, l"origine occidentale des sciences modernes et vu aussi l"absence, depuis plusieurs siècles, d"une tradition de recherche en langue arabe. Aussi bien les préoccupations des premiers (une école plus juste et plus adaptée à la réalité des enfants) que les craintes des deuxièmes (risques et enjeux de l"arabisation de l"enseignement scientifique) nous intriguent dans le cadre de cette recherche et nouspoussent à tenter de jeter un peu de lumière sur les possibilités et les limites de
l"enseignement scientifique à l"École de Base après, maintenant, quinze ans de son
existence. 132. PROBLEMATIQUE ET HYPOTHESES
Problématique de la recherche Compte tenu des idées et des interrogations avancées ci-dessus, nous articulons notre travail autour d"une problématique générale que nous formulons de la manière suivante : Quelles sont les conditions de possibilité, tant au niveaux pédagogique et didactique, queculturel et épistémologique de la mise en place d"un enseignement scientifique alliant "modernité
éducative" et "prise en compte des conditions psychocognitives et socioaffectives de l"apprenant dans le cadre curriculaire de l"École de Base tunisienne ?". De cette problématique, découlent quatre questions principales auxquelles nous essayerons à travers cette recherche d"apporter une certaine réponse : · Premièrement : Comment se positionnent les recherches psycho-développementales, pédagogiques et didactiques actuelles eu égard de l"enseignement des sciences à l"école primaire et moyenne ?· Deuxièmement : Qu"en est-il de la modernité ? Que désigne-t-on par cette notion ? Et quel
sens peut-on lui accorder dans le cadre de l"école tunisienne ? · Troisièmement : Est-ce possible, dans le cadre curriculaire de l"enseignement scientifiqueà l"École de Base tunisienne, de concilier "modernité", en tant que concept élaboré et
développé en Occident, et "spécificités culturelles" du sujet apprenant ? · Enfin, quatrièmement : Comment donner du sens aux enseignements scientifiques à l"École de Base tunisienne dans le cadre, d"une part d"une réflexion épistémologique et, d"autre part d"une réflexion anthropologique et culturelle ?Face à cette problématique générale et à ces questions, nous avançons la thèse
suivante : 14 Dans le cadre curriculaire de l"École de Base tunisienne, il serait possible de créer des conditions plus favorables à l"implantation et au développement d"un enseignement scientifique "moderne" et efficace, à condition de mieux prendre en compte l"apprenant en tant que Sujet socialement et culturellement construit, et d"adopter, sur le plan méthodologique, une approcheéducationnelle plus axée sur la didactique des sciences et une démarche épistémologique plus
ancrée dans la conception socioconstructiviste des savoirs scolaires. Hypothèses de la recherchePour répondre aux questions évoquées par la problématique générale ci-dessus
formulée et développer notre thèse, nous avançons les trois hypothèses suivantes :· La science moderne qui a pris forme et s"est développée dans le contexte historico-culturel
de la civilisation occidentale, trouve sa raison d"être dans les deux dimensions principalesde la modernité : le Sujet et la Raison. Si l"esprit rationnel peut être envisagé en tant que
dimension universelle et commune à toute l"humanité, le Sujet lui, doit être considéré dans
sa singularité en tant qu"être psychologiquement différencié, et au regard de son cadre
culturel d"appartenance. À ce titre, c"est par rapport à la Raison humaine et au Sujet à la fois psychologique et socioculturel qu"il faut envisager l"enseignement scientifique à l"école tunisienne.· Tout au long de son histoire (époque précoloniale, époque coloniale, époque républicaine),
l"école tunisienne aurait entretenu un rapport coloré de confusion et d"ambivalence, aussi bien vis-à-vis des composantes principales de la culture nationale (langue, tradition, religion) que vis-à-vis de la modernité. En ce qui concerne la culture nationale, il y aurait un décalage (en particulier avant la réforme de 1991) entre le discours officiel ayant souvent tendance à valoriser cette culture et la pratique curriculaire effective qui, au contraire, aurait tendance à la maintenir dans unesituation dévalorisante. Nous pensons à cet égard notamment au statut attribué à la langue
arabe et au degré de prise en compte des spécificités culturelles de la société de référence
de l"apprenant dans les curricula scolaires. 15Pour ce qui est de la modernité, il y aurait, d"une part une tendance à adhérer à la culture
scientifico-technique occidentale et, d"autre part, une absence de vision claire délimitantsans ambiguïté le sens et le rôle assignés à cette modernité dans le contexte de l"école
tunisienne. Tout se passe comme si l"institution scolaire cherchait à instituer un compromis entre les valeurs authentiques et les valeurs modernes, mais sans aller jusqu"à l"élaboration d"un projet complet avec des choix clairs et bien établis.· Enfin, depuis la réforme de 1991, et surtout grâce à la dernière réforme de 2002, les
curricula scientifiques de l"École de Base tunisienne ont été sensiblement améliorés, surtout
au niveau de la méthode didactique adoptée et eu égard de la reconnaissance de l"élève en
tant que Sujet. Toutefois, ces curricula (en particulier les manuels scolaires) seraient encore parsemés de conceptions empiristes et accuseraient un certain décalage par rapport à la didactique moderne des sciences, et un écart épistémologique important par rapport à la vision socioconstructiviste de l"enseignement scientifique, laquelle serait plus adaptée à l"école et plus proche de la dynamique réelle du mouvement scientifico-technique de notreépoque.
163. APPROCHES METHODOLOGIQUES
Cette recherche s"appuie sur trois types d"investigation articulés en trois parties : o Une investigation théorique développementale, pédago-didactique, anthropo-culturelle et technico-analytique, qui correspond à la première partie du travail : " Première approche théorique » o Une investigation théorique historico-éducative et curriculaire, qui correspond à la deuxième partie de la recherche : " Deuxième approche théorique » o Une investigation pratico-analytique et critique, qui correspond à la troisième et dernière partie : " Approche analytique et critique ».3.1 PREMIERE APPROCHE THEORIQUE
Compte tenu des éléments que nous avons développés aux deux chapitres précédents, nous tenterons, dans la première partie, d"approcher l"enseignement scolaire, en particulier l"enseignement scientifique, sous l"angle de cinq logiques théoriques :- Une logique développementale : cette logique repose sur un postulat très simple qui
consiste à dire que, à partir du moment où nous décidons de faire du domaine de
l"enseignement et de l"apprentissage scolaire un objet d"étude et d"intérêt, que ce soit dans
son aspect global ou par rapport à l"une de ses multiples facettes, il devient fort souhaitable, voire nécessaire, d"avoir une certaine connaissance de l"enfance et de son développement psychologique et mental. L"idée soutenue ici (laquelle est le corollaire de ce postulat) est que tout "paradigme éducationnel" sous-tend - plus ou moins directement - au moins unmodèle théorique psycho-cognitif et développemental, auquel il se réfère et qui constitue
pour lui une source d"inspiration et même parfois de légitimation. 17 - Une logique pédagogique et didactique : Il est question dans le cadre de cette logique detenter d"établir le lien entre, d"une part, la sphère pédagogique, bien ancrée dans la tradition
de recherche sur l"enseignement/apprentissage et, d"autre part, la sphère didactique, beaucoup plus récente (du moins du point de vue des directions actuelles de la recherche)quotesdbs_dbs45.pdfusesText_45[PDF] al traduction arabe PDF Cours,Exercices ,Examens
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