[PDF] LHÉROÏNE EN FRANCE UNE HISTOIRE SOCIALE ET

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Rapport pour l"Agence nationale de la recherche

UNE HISTOIRE SOCIALE ET CULTURELLE

DE LA DIFFUSION DES USAGES ET DES TRAFICS

1968
-2004

Juin 2016

AUTO SUPPORT ET REDUCTION DES RISQUES

PARMI LES USAGERS ET EX USAGERS DE DROGUES

Association Loi 1901

Agréée au niveau national pour représenter les usagers dans les instances hospitalières ou de santé publique

(décret du 06/07/2012) 1

Rapport pour l"Agence nationale de la recherche

UNE HISTOIRE SOCIALE ET CULTURELLE

DE LA DIFFUSION DES USAGES ET DES TRAFICS

1968
-2004

Juin 2016

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UNE HISTOIRE SOCIALE ET CULTURELLE

DE LA DIFFUSION DES USAGES ET DES TRAFICS

1968
-2004

Rapport pour l'Agence nationale de la recherche

Equipe :

Michel KOKOREFF (PR Paris 8, sociologue, coordinateur)

Michel PERALDI (DR ERIS-CNRS)

Anne COPPEL (Sociologue)

Claire DUPORT

(MCF associée, Aix-Marseille, sociologue) Mikaël KAZGANDJIAN (doctorant en sociologie, Université de Gênes/CADIS)

Aude LALANDE (ethnologue)

Alexandre MARCHANT (agrégé et docteur en histoire) Fabrice OLIVET (directeur d'ASUD Paris, historien)

Liza TERRAZZONI (sociologue, CADIS)

Avec la collaboration de

Vincent BENSO (doctorant en sociologie)

Jean-Michel COSTES (ancien directeur de l'OFDT)

Emmanuelle HOAREAU (doctorante en sociologie, Paris 8)

Mylène FRAPPAT

3 4 5

Remerciements

Cette recherche n'aurait pas été possible sans l'aide et l'apport indispensables de nombreuses institutions et personnes, qui ont su en saisir l'intérêt et l'enjeu

Nous avons bénéficié de l'aide financière de la ville de Paris, pour laquelle nous avons rendu

plusieurs documents sur ce que nous apprenait l'histoire de l'héroïne sur l'histoire de la cocaïne. La Mission métropolitaine de prévention des conduites à risques a également

été un

soutien précieux, et nous remercions, outre ses responsables actuelles,

Betty Azocar, chargée

de mission. la Mission toxicomanie-sida de la ville de Marseille, Pierre Toubiana et Mylène Frappat ont

été un soutien constant, ils ont fait le lien avec les élus, dont l'adjoint à la Santé, Monsieur

Padovani, rendant possible l'indispensable participation financière de la ville. L'enquête à la

prison des Baumettes a été grandement facilité e par la docteur Catherine Paulet, directrice de l'antenne addictologie des Baumettes, et le docteur Olivier Bagnis, responsable du CSAPA,

qui m'ont permis l'accès au centre pénitentiaire et aux archives, ainsi qu'à l'équipe du CSAPA

qui nous ont accueillis et parfois prêté la main dans notre travail au sein de la prison. Toute

l'équipe d 'ASUD -Paris a été d'un soutien constant et a constitué un centre de ressources plus qu'appréciable. Nous remercions également les intervenants marseillais en charge des questions de toxicomanie avec lesquels les focus-groupes ont été d'une grande pertinence. Isabelle Michot, documentaliste à l'OFDT et Aurélie Wellenstein, du centre de documentation de l'hôpital Marmottan, ont été d' une aide constante et précieuse, ainsi que Jean-Pierre Lomme, qui nous a accueillis et fait visiter ce haut -lieu avec humour. Nos remerciements vont également aux anciens de

Libération

: Bénédicte Dulong, responsable des archives, et Alain Brillon, archiviste présent au journal depuis 1973, qui nous ont ouvert les portes du service, permis la consultation des lourds volumes encore sur papier

et autorisé de nombreuses photocopies ; Béatrice Vallaeys, elle aussi présente depuis le début,

qui a termi né sa carrière comme directrice -adjointe et a su restituer l'ambiance des " débuts »,

Jean-Paul Généraux, qui a été longtemps " le » spécialiste des drogues à Libé, Philippe Gavi,

membre historique de l'APL et fin chroniqueur des mutations culturelles et médiatiques,

François Pignet, rentré au journal en 1976 au service de la photogravure et passé ensuite au

service Culture, Patricia Tourancheau, qui a nous a donné de nombreux contacts et des informations précieuses. Bien que nous avions décidé de ne pas centrer la recherche sur les dimensions

institutionnelles (notamment pénales), nous avons bénéficié des témoignages de François Le

Mouël, ancien directeur de l'OCRTIS dans les années 1970, décédé l'an dernier, de Serge

fait sa carrière dans la sécurité publique avant de se lancer dans la formation professionnelle

des policiers à laquelle il consacre une thèse de sociologie. 6 Nous remercions également François-Rodolphe Ingold, qui a traversé de manière toute

singulière cette histoire, ainsi que Nelly Boullenger, pour le récit de terrain très riche qu"elle

nous a livré. Une recherche de plus de trois ans réunissant une équipe de onze membres aux statuts variés implique une solide gestion qu"a assurée avec une grande compétence et patience Sandra Nicolas, gestionnaire au CRESPPA-GTM et responsable administrative de l"UMR, dont les qualités ont été particulièrement appréciées. Merci Sandra ! Sans Jimmy Kempfer, Azzedine Grinbou et Pascal Perez, cette enquête n"aurait pas été la même : les entretiens préliminaires effectués avec eux nous ont beaucoup appris, et nous n"aurions pas pu rencontrer les personnes qu"ils con naissaient, ni obtenu d"elles la confiance nécessaire pour parler avec nous. Nous les remercions d"avoir réalisé ce travail avec nous. Enfin, nous remercions tous ceux qui ont accepté de nous consacrer sans compter du temps et de répondre à nos questions : à Marseille, toutes celles et ceux qui ont contribué à l"élaboration de ce travail, en nous laissant nous immiscer dans leur vie, en nous accompagnant vers les lieux et les moments de leur histoire, en nous confiant le récit de leur trajectoire et l"exposé de leurs idées, en nous confiant des documents personnels : des

usagères et des usagers d'héroïne, des trafiquants et des revendeurs, leurs familles, leurs amis,

leurs voisins ; des militants de l'accompagnement des personnes à un moment vulnérables, ou

de la réduction des risques liés aux usages de drogues ; des professionnels de l'action sociale,

de la santé, de la justice ; en région parisienne, tous ceux qui ont pris de l"héro à certains

moments de leur existence, sont tombés dans la came, ont vendu de la " blanche » ou de la rose » par dizaines de kilos, et ont accepté de nous en parler si longuement, tous ceux aussi

qui ont vécu cette catastrophe de près, des habitants, des familles, des ami(e)s, des potos, qui

ont vu leur frère ou leur sœur, leur voisin ou leur cousin mourir, auxquels nous avons sans le vouloir rappelé des mauvais souvenirs mais qui ont compris que cette recherche était aussi une manière de lutter contre l"oubli et pour la mémoire.

Isabelle Célérier a relu et corrigé une grande partie des textes qui composent ce rapport dans

des délais très courts, nous la remercions pour son professionnalisme et sa disponibilité. Il va

de soi que nous assumons l"entière responsabilité du texte final. Ce travail est dédié à la mémoire de Jimmy Kempfer (1950-2015). 7

Sommaire

Reconstruction de l'objet de recherche

Dispositif méthodologique

Démarche

Première partie

CADRAGE CHRONOLOGIQUE (1964-2004)

Introduction : les quatre âges de la diffusion......................................................

1. Le temps des pionniers (1964

-1973/74), Anne Coppel.......................................

1.1 Les jeunes ont la bougeotte

1.2 Mai 68 et les drogues

2. Les

seventies et la première lame de fond de l"héroïne (1974-1980), Anne Coppel....

2.1 1972

-1974, les années charnières

2.2 1974

-1981, La société libérale avancée face au " problème de la drogue »

2.3. Le corpus des années 1974

-81.

2.4. Les embrouilles, les braquages, la délinquance

3. Les années catastrophe

ou la seconde grosse vague de diffusion (1981 -1988), Michel

3.1 Paradoxes des années 1980

3.2 Les cités, au coeur de la tourmente

3.3 De Paris à Marseille

4. Le temps du reflux (1988

-1996), Michel Kokoreff............................................

4.1 Les années 1990

: résurgences et éclatements

4.2 De la reconnaissance à l'objectivation d'un problème de santé publique

4.3 Trajectoires de sortie

4.4 De l'incorporation entre drogues et musiques à l'éclectisme culturel des

nineties

4.5 Regard

s sur le temps qui passe

Conclusion

8

Deuxième partie

Analyse transversale

Introduction

: modalités, lieux, formes et traitements publics de la diffusion de l'héroïne

5. Des modalités......................................................

5.1 District productif marseillais de l'héroïne : dispositif d'acteurs, Michel Peraldi et Liza

Terrazzoni

5.2 Le process productif de l'héroïne,

Michel Peraldi et Liza Terrazzoni

5.3 La syro

-libanaise : de la nécessité à la filière, Claire Duport

5.4 La

notion de filière dans le trafic d'héroïne : retour sur un mythe,

Alexandre Marchant

5.5 La notion de filière dans le trafic d'héroïne: analyse de la Chinese Connection (1974

1984),

Alexandre Marchant

6. Des lieux......................................................

6.1 Pa

rcours d'urbanité de l'héroïne à Marseille, Claire Duport....................................

6.2 L'appartement : lieu de vie, lieu de vente, lieu de fête. Styles de vie, circulations,

porosités : un marché intégré, Aude Lalande...........................................................

6.3 Scènes et marché de rue pa

risien,

Aude Lalande

6.4 L'arrivée de la came dans les cités, Michel Kokoreff.....

6.5 L'héroïne dans les trajectoires de polyusage liées aux raves, Emmanuelle Hoareau.......

7. Des formes..................................................................

7.1 L'affaire de Bandol : une histoire dans l'histoire, Vincent Benso.............................. 7.2

La diffusion de l'héro à travers

Libération, Michel Kokoreff................................... 7.3 Penser les drogues : Deleuze et Guattari, Michel Kokoreff....................................

7.4 L'évolution de la place des toxicomanes dans les prison

s (1970 -1990), Alexandre

7.5 Polytoxicomanie, cambriolages de pharmacie et auto

-substitution des héroïnomanes (1970 -1980), Alexandre Marchant.......................................................................

7.6 Une histoire raciale de l'héroïne (1980-1995), Fabrice Olivet..................................

7.7 Itinéraire d'un voyou devenu "

sans-papiers », Michel Kokoreff................................

8. Des traitements publics......................................................

8.1 Combien de toxicomanes, combien de morts ? Jean-Michel Costes 8.2 L'impossible tournant sécuritaire des années 1980, Alexandre Marchant..................... 8.3 L'échec du tour de vis répressif du début des années 1990,

Alexandre Marchant............

8.4 Entre diffusion et réduction des risques, la case prison , Claire Duport........................ 8.5

Compter les familles et les fratries touchées par la diffusion locale de l'héroïne, Azzedine

Grinbou et Michel Kokoreff .................................................................. Conclusion générale...................................................... 9

Présentation

La came est le produit idéal, la marchandise par excellence... Nul besoin de boniments pour séduire l"acheteur ; il est prêt à traverser un égout en rampant sur les genoux pour mendier la possibilité d"en acheter. Le trafiquant ne vend pas son produit au consommateur, il vend le consommateur à son produit.

William Burroughs,

Le festin nu

(1959)

Au fond,

qu'est-ce que c'est que l'expérience de la drogue ?

Sinon ceci : effacer les limites, rejeter les

partages, mettre hors-circuit toutes les exclusions. Et se poser à ce moment-là la question : qu'en est-il du savoir ? Est-ce que l'on sait quelque chose de tout à fait autre ? Est- ce que l'on peut encore savoir ce qu'on savait avant l'expérience de la drogue ? Est-ce que ce savoir d'avant la drogue est un savoir qui est encore valable ? Ou est-ce que c'est un nouveau savoir, auquel cas quel est-il ? C'est un problème, et je crois que dans cette mesure-là, l'expérience de la drogue n'est pas marginale dans notre société. »

Michel Foucault

À l'origine de cette recherche, une rencontre entre chercheurs en sciences sociales et

acteurs de la réduction des risques, confrontés à une énigme : comment l"héroïne s"est-elle

diffusée en France dans divers milieux sociaux, et en particulier dans les mondes populaires et issus de l"immigration post coloniale ? En quoi l"explosion des consommations par injection a-

t-elle constitué, en lien avec l"épidémie de sida, une catastrophe invisible ? Autrement dit, que

s"est-il passé pour que l"héroïne devienne socialement si attractive, non seulement pour la

génération des pionniers » mais aussi pour les générations qui ont suivi, en dépit du

stigmate associé, tant au produit et à ses modalités d"usage qu"aux trafics et trafiquants

(figures dégradées des junkies, des toxicos, overdoses, collusion entre banditisme, politique et

État, hostilité des militants d"extrême gauche, des journalistes, des antiprohibitionnistes,

etc.) ? Comment l"héroïne est-elle passée d"une consommation limitée à quelques cercles

restreints à une consommation élargie à divers milieux et mondes sociaux ? Comment les

réseaux de distribution et de commercialisation se sont-ils réorganisés ? Quelles conséquences

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