[PDF] 2018 Pierre-Henry Frangne « Aux origines





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1 PRESSE AUX ORIGINES PHOTOGRAPHIE_F déf

Musée suisse de l'appareil photographique. AUX ORIGINES DE LA PHOTOGRAPHIE. Première étape de la nouvelle exposition permanente AUX ORIGINES DE LA 



2018

Pierre-Henry Frangne « Aux origines de la photographie d'alpinisme »



2018

consulté le 12 mai 2022.



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Quelle est l’histoire de la photographie ?

L’histoire de la photographie est apparue dans les années 1820. Comment est-elle née, qui l’a inventée, quels sont ses procédés ? A-t-elle été perçue comme une innovation importante, a-t-elle engendré une révolution dès le 19 ème siècle ?

Pourquoi la photographie digitale a-t-elle évolué pendant les années 60 ?

Durant les années 60, il y a un pic d’avancement dans la recherche de la photographie digitale, grâce au travail de George Smith et de William Boyle, même si à l’époque, les photos ne faisaient que 100 pixels, contre plus de 14 mégapixels aujourd’hui.

Qui a inventé la photographie en couleurs ?

En 1869, Louis Ducos du Hauron réussit la première photographie en couleurs en appliquant le principe de la décomposition de la lumière par les trois couleurs fondamentales, le rouge, le jaune et le bleu. Le premier procédé couleur monoplaque praticable par les amateurs naît en 1906.

Quelle est la première photographie conservée ?

Développant son procédé entre 1822 et 1827, il réussit à faire la première photographie conservée, datant probablement de 1825 ou 1827. Elle montre une fenêtre à Le Gras (Saint-Loup-de-Varennes, Saône-et-Loire) , sur un support de bitume de Judée étendu sur une plaque d’argent, après un temps de pose de plusieurs jours.

2018

Focales

2 | 2018

Le recours l'archive

Aux origines de la photographie d'alpinisme

Pierre-Henry

Frangne

Édition

électronique

URL : https://journals.openedition.org/focales/1171

ISSN : 2556-5125

Éditeur

Presses universitaires de Saint-Étienne

Référence

électronique

Pierre-Henry Frangne, "

Aux origines de la photographie d'alpinisme

Focales

[En ligne], 2

2018, mis

en ligne le 01 juin 2018, consulté le 12 mai 2022. URL : http://journals.openedition.org/focales/1171 Ce document a été généré automatiquement le 12 mai 2022.

La revue

Focales

est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution -

Pas d'Utilisation Commerciale 4.0 International.

Aux origines de la photographied'alpinismePierre-Henry Frangne Il n'est point étonnant qu'on ait désiré l'essai de l'appareil photographique pour fixer les tableaux magiques des solitudes de glaces et des points culminants, que si peu de crayons et de pinceaux avaient pu reproduire, pour donner une idée exacte de ces merveilles. [...] Vingt-cinq robustes épaules endossent des crochets, sur lesquels on dépose le volumineux attirail de l'excursion. La lanterne daguerrienne ouvre la marche, l'arsenal des fioles de cyanure et de collodion escorte le volumineux appareil ; les chevalets, les trépieds, les échelles de corde, la tente et les matelas de voyage ; les hottes des victuailles, bagage non moins précieux, ferment cette première partie de l'imposant cortège, que suit, pic à la main, Auguste Balmat, qui s'est réservé la lourde tâche de diriger l'expédition 1.

Ces nouvelles images ne prennent place parmi les

autres qu'avec en elles ce dont les anciennes ne savaient rien, et jamais n'avaient voulu rien savoir : le hasard, un hasard cette fois tout à sa liberté, pleinement en droit d'être lui-même 2.

1 Après de longs moments d'assoupissement, la photographie de montagne semble vivre

aujourd'hui comme une reviviscence

3. Elle semble vouloir sortir à nouveau du monde

des images médiatiques, du monde des images convenues, de mauvaise qualité ou stéréotypées dont nous abreuvent l'industrie du tourisme, le reportage sportif et le

marché de la carte postale, chacun tout à fait sûr - au point de perdre touteAux origines de la photographie d'alpinisme

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inventivité - de l'infrangible photogénie des massifs, des sommets, des vallées, des pics, des glaciers, de leurs crevasses ou de leurs séracs.

2 Tout se passe comme si la photographie de montagne profitait de l'actuelle - et peut-

être encombrante - vitalité du paysage qui est au coeur du monde contemporain parce

qu'il est soucieux de son urbanisme proliférant et parce qu'il est inquiet de

l'environnement naturel malmené par l'ensemble des activités humaines. Tout se passe comme si, également, elle profitait peut-être de notre lassitude vis-à-vis du paysage ordinaire

4, du paysage " sans qualité » dont la photographie contemporaine est le lieu

et l'instrument, ce paysage " sans qualité » au sens de Robert Musil

5, c'est-à-dire - sans

aucun jugement de valeur évidemment - capable de toutes les formes, de toutes les métamorphoses et de toutes les inventions. Libérée des normes de la tradition du paysage pictural hérité de la Renaissance et profondément ouverte à toutes sortes d'images de la réalité extérieure quotidienne, la photographie semble donc et malgré

tout rester fidèle à la vocation qu'elle s'est donnée dès le milieu du XIXe siècle : celle

d'enregistrer, non seulement tous les monuments de toutes les cultures, mais aussi tous les sites de toute la nature

6. Face à la prolifération imprévisible et ouverte

d'innombrables types de paysage que la prise de vue a rendu possible, face à l'indétermination de la notion même de paysage qu'elle a mise en oeuvre et qui fait toute sa plasticité et toute sa vitalité, face enfin aux bouleversements climatiques qui font fondre les glaciers et qui modifient leur physionomie, la photographie contemporaine revient en montagne si l'on peut dire ; ou plutôt, elle s'intéresse un peu plus aujourd'hui à ce qu'elle n'a pourtant jamais cessé de regarder et de capter.

3 Mais ce regard captivant aux deux sens de l'expression n'est pas seulement celui de la

nature " telle qu'en elle-même l'éternité la change » pour paraphraser Mallarmé ; il n'est pas seulement celui du paysage montagnard comme un lieu commun de la photographie et du paysage dans son ensemble au point que John Ruskin pouvait dire en 1856 dans Modern Painters qu'il " est le commencement et la fin de tout paysage7 » : il est aussi celui de l'homme en haute montagne, de l'homme qui s'y immerge pour la conquérir, pour la découvrir, pour l'explorer et pour se divertir. Par ce regard, l'être humain se regarde lui-même au sein d'un environnement ou d'un milieu hostiles et sauvages, milieu ou environnement faits de couches géologiques, de rochers amoncelés et érodés, de glaces épaisses, en équilibre et ouvertes, qui nous sont désormais bien connus et qui sont devenus habituels par toute cette épaisseur d'images également amoncelées et érodées depuis celles que prirent les frères Bisson au tout début des

années 1860 et qu'ont continué à prendre au XXe siècle les Gay-Couttet, les Tairraz ainsi

que de très nombreux alpinistes ? Quelles sont les significations de ces images ? Quels sont leur portée ou leur enseignement pour nous aujourd'hui ? Sur quoi repose leur puissance de fascination et leur pouvoir d'interrogation mêlés ? Telles sont ici, pour moi, les trois principales questions.

Inauguration

4 Pour tenter de leur apporter ici une rapide réponse, partons du texte originaire où se

dit pour la première fois la rencontre avec les images photographiques de l'homme en haute montagne. Ce texte est celui que Théophile Gautier fit paraître au début des années 1860 dans le Moniteur universel où le " poète impeccable » comme l'appelait

Baudelaire raconte ses excursions dans les massifs des Vosges et des Alpes suisses ouAux origines de la photographie d'alpinisme

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françaises. Le récit republié en un seul volume en 1869 est intitulé Les Vacances du lundi

et sous-titré Tableaux de montagne. Paradoxalement encore attaché au modèle pictural, celui qui s'est voulu lui-même le " daguerréotype [ou daguerréotypeur] littéraire

8 »

débute son ouvrage par le commentaire critique des photographies de Louis-Auguste (1814-1876) et d'Auguste-Rosalie (1826-1900) Bisson montrant leur triple ascension du

Mont-Blanc

9. Bisson frères, Ascension du Mont-Blanc, départ des grands Mulets

5 Devant les grandes planches exposées dans leur atelier parisien du Boulevard des

Capucines, devant les premières images photographiques de la montagne et des hommes en haute montagne, Gautier va à l'essentiel, c'est-à-dire au principe ou à l'essence : la photographie expose d'un coup, sans pittoresque aucun, dans une sorte de fulgurance, de brutalité, de violence et de monstruosité, non seulement le monde chaotique de la montagne - ce paysage - " fou

10 », étrange, étranger, rétif, illisible et

indescriptible à force de désordre et de démesure , mais le photographe et la

photographie eux-mêmes qui y sont profondément sis, c'est-à-dire situés et incorporés.

Aux origines de la photographie d'alpinisme

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Auguste Rosalie Bisson, Ascension du Mont-Blanc, vue stéréoscopique sur plaque de verre albuminée, 1868

Collectionparticulière,Paris.

Voici la petite troupe qui part des Grands-Mulets pour faire tenter à la photographie l'ascension du Mont-Blanc. Pour le coup, nous avons dépassé la zone humaine ; la végétation a disparu ; plus de trace de vie, rien que la neige bizarrement bossuée et dont çà et là quelques roches sombres percent le blanc linceul comme une échine maigre troue le manteau qui la couvre. Comparer à des fourmis en marche les hommes de la caravane conduite par Auguste Balmat serait une similitude assurément trop grandiose. Quelle solitude, quel silence, quelle désolation ! Et par-dessus cela un vide opaque et noir fait de nuages qui rampent au lieu de flotter. Un peu plus haut, la rencontre des glaciers des Bossons et du Taconay produit un épouvantable chaos. Figurez-vous des courants d'une débâcle polaire, arrêtés par quelque obstacle invincible ; les glaces s'amoncellent, rejaillissent les unes par-dessus les autres en bloc, en prismes, en polyèdres, en cristaux de toutes les formes imaginables ; les érosions, les fissures, les fontes partielles écornent, divisent, déforment le tumultueux entassement dont les déhiscences semblent découvrir l'ossuaire des créations primitives. Dans cette fente large et profonde comme un gouffre se hissent les intrépides explorateurs [...], effrayants à voir quoique à peine perceptibles, car l'immensité du tableau dévore les figures, comme si la solitude de la montagne ne voulait pas être violée. Cette vaste photographie, où vingt personnages ne s'aperçoivent pas, n'est qu'un pli de cette mer immobile, plus accidentée et plus houleuse que l'Océan dans ses fureurs. On la voit se continuer par-delà le cadre de la planche sous son écume de neige. Cela donne tout à fait l'impression qu'on éprouve en observant la lune au télescope, lorsque l'ombre tombant de ses montagnes en dessine les anfractuosités sur le fond d'argent de son disque ébauché à demi 11.

6 Le photographe et le spectateur de photographies ne sont pas de purs observateurs

abstraits, séparés et à distance comme pourrait le faire croire illusoirement la comparaison avec la vision de la lune au télescope. Car, celui qui regarde au télescope, si éloigné qu'il soit par rapport à ce qu'il voit, comprend à même sa vision, qu'il participe d'un seul et identique monde. Il comprend qu'il est fait de la même pâte ou de la même matière que lui ; qu'il est en contact vivant avec ce qu'il observe de loin et de très près à la fois

12. Alors, du fait de cette proximité fondamentale ou de cette

solidarité, l'astronome, le photographe et le spectateur de photographie ne sont pas les

simples regardeurs d'une réalité à laquelle ils n'ont pas part. Bien au contraire : ils font

corps avec cette réalité qu'ils voient et qu'ils prennent, en comprenant qu'ils neAux origines de la photographie d'alpinisme

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peuvent la voir et la prendre que parce qu'ils sont d'abord pris en elle, pris dans les

fissures, dans les strates, dans les fragments, dans les anfractuosités, dans les

interstices et dans les plis qui constituent la montagne, et qui transforment l'alpiniste- photographe, le photographe-alpiniste et son spectateur photographique en explorateurs.

Georges Charnaux, Sommet du Mont-Blanc

Collectionparticulière,Paris.

Immersion

7 L'exigence de captation attachée à la photographie d'une part, la nature de l'image

photographique comme quasi perceptive d'autre part, la représentation d'hommes dans une nature hostile enfin, impliquent toutes les trois, et par rapport au réel, non pas la dimension métaphorique ou épiphorique qui est celle de la peinture ou de la littérature, mais une dimension proprement métonymique. Alors que toute peinture suppose, naturellement c'est-à-dire conformément à la logique immanente du médium, un transport et une reconstruction dans un espace qui est entièrement agencé et pensé (et qui est celui de la fiction avec ses propres règles et frontières par lesquelles elle constitue un monde), la photographie procède à la manière d'une immersion et d'une continuation du fait de l'enveloppement de l'appareil enregistreur transporté et porté au sein même de l'espace et du monde corporel auquel il appartient

13. La peinture et la

littérature, introduisent un rapport comparatif avec la réalité ; la photographie, un rapport direct, documentaire, indiciaire et non iconique, de détermination physique par lequel l'image est d'abord et proprement une impression, une reproduction dont

" l'original » est le réel lui-même qui a dû être nécessairement présent. C'est en ce sensAux origines de la photographie d'alpinisme

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que la photographie est un art du prolongement, et à un triple chef : prolongement des choses et des corps matériels et sensibles dont elles sont faites ; prolongement de leur

présence et de leur contact ; émanation de leur être même auquel ils sont

profondément arrimés. C'est en ce sens aussi qu'elle est bien un art de l'exploration du réel qui suppose le transport de l'appareil en tous ses endroits - des plus communs aux plus inaccessibles et aux plus dangereux -, et de tous les points de vue - des plus serrés aux plus larges et aux plus panoramiques.

8 Tel est ainsi le discours secret que nous disent les premières photographies de l'homme

en montagne ; et ce discours est triple parce qu'il porte sur la réalité, sur l'homme et sur leur relation :

9 a) La réalité est beaucoup plus qu'un horizon ou qu'un paysage ; elle n'est pas semblable

à un tableau aux bords bien délimités et envisagés à distance à partir d'un point de

perspective privilégié qui est celui du moi ; elle n'est pas semblable à une scène

construite, aménagée et interprétée - c'est-à-dire adoucie - par la pensée. La réalité est

au contraire un milieu et un environnement extérieurs, objectifs, étranges, foncièrement inhospitaliers.

10 b) En son sein, l'homme n'est pas " un empire dans un empire14 » selon l'expression de

Spinoza. L'homme ne trouble pas l'ordre de la nature parce qu'il est un être naturel comme tous les autres. Il est un être sans privilèges ; et, comme une fourmi, il grimpe, il enjambe, il s'accroche et se hisse.

11 c) De part en part naturalisées alors, la vie de l'homme et celle de son image

photographique dont elle n'est que l'empreinte naturellement advenue par les lois de l'optique et de la chimie, acquièrent les dimensions d'un engagement et d'une aventure. Dans un milieu en effet, et comme le révèle la psychologie contemporaine d'un James J. Gibson par exemple, " chaque point d'observation potentiel est unique » alors que " les points dans l'espace ne sont pas uniques, mais sont équivalents les uns aux autres

15. » C'est cette unicité des points d'observation se connectant les uns aux

autres qui nous oblige à affronter constamment la nouveauté et le changement afin de nous frayer et d'inventer continûment dans le milieu, et de façon toujours précaire, " des chemins de locomotion possibles ». Non seulement ce milieu continue " par-delà le cadre de la planche » photographique et déborde ainsi nos capacités perceptives et cognitives de synthèse et de totalisation, mais il est le lieu même de formes infiniment variées et infiniment mouvantes qui " écornent, divisent, déforment » au point de déborder aussi jusqu'à nos aptitudes à figurer et à imaginer : Le monde naturel illimité ne se contente pas de nous entourer ; il nous enveloppe en son sein, écrit le philosophe américain contemporain, Arnold Berleant. Nous ne sommes pas seulement incapables de faire l'expérience de limites absolues dans la nature ; nous ne pouvons pas même mettre le monde naturel à distance afin de le mesurer et de le juger en toute objectivité [...]. La relation appropriée à la nature est celle qui commande l'admiration - non pas seulement pour la grandeur et la puissance de la nature, mais encore pour son caractère mystérieux, lequel comme pour une oeuvre d'art, fait partie de la poésie essentielle du monde naturel. Ce qui est illimité dans la nature est ce qui, dans son ampleur même, demeure ultimement insaisissable. En percevant l'environnement pour ainsi dire de l'intérieur, non pas en jetant un regard sur lui mais en étant présent en lui, la nature [...] se transforme en un domaine dans lequel nous vivons non pas au titre de spectateurs mais au titre de participants. [...] L'expérience esthétique ne relève pas d'une contemplation désintéressée mais d'un engagement total, d'une immersion sensorielle dans le monde naturel

16.Aux origines de la photographie d'alpinisme

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Bisson frères, Ascension du Mont-Blanc, la crevasse

Collectionparticulière,Paris.

12 L'esthétique de la photographie de l'homme en haute montagne est ainsi celle d'une

conscience profondément incarnée donnant à voir et à sentir " le mélange de la conscience avec le monde, son engagement dans un corps », son immersion dans un milieu, " sa co-existence avec les autres

17. » Elle est entée sur le sentiment d'une

participation au monde et d'une attention directe ou immédiate à lui. Elle repose sur le sentiment de sublime tel que le texte de Gautier l'exprime constamment et tel que Kant

l'a expliqué dans la Critique de la faculté de juger18. Ce sentiment est fait d'émerveillement

pour les puissances et la grandeur immaîtrisables de la nature dépassant les forces tant cognitives que pragmatiques de l'homme. Il est donc plaisant et douloureux à la fois -

" délicieux » selon le mot de Burke qui a précédé Kant dans l'analyse du sublime19 - fait

d'inquiétude et d'admiration pour celui qui se mesure et se confronte au " tumultueux entassement » en lequel consiste la montagne.

Aux origines de la photographie d'alpinisme

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Anonyme, La Montagne, novembre 1933

Occasion

13 Sans doute les images photographiques de l'homme en haute montagne nousmontrent-elles avec une singulière évidence notre engagement à l'intérieur d'une" nature qui ne se laisse pas encadrer20 ». Sans doute nous font-elles sentir avec une

grande acuité la fragilité des hommes immergés dans le monde : les hommes qu'elles donnent à voir et ceux qui les donnent à voir, unis dans une même aventure. Sans doute nous mettent-elles plus que tout autre " au coeur du réel

21 » selon l'expression de

Walter Benjamin, au sein de sa trame et du grouillement des infinis détails qui le constituent - ce que Walter Benjamin appelait " l'inconscient de la vue » dont le défoulement satisfait certes notre curiosité, mais produit également une véritable souffrance du voir.

14 Pour que cette triple manifestation puisse s'accomplir définitivement cependant, pour

que se montre radicalement cette tierce précarité (celle des alpinistes, celle du photographe nécessairement alpiniste, celle de l'image photographique elle-même et de son regardeur) en un processus véritablement aventureux c'est-à-dire imprévisible, il faut que l'immersion photographique fasse une expérience encore plus profonde. Il faut qu'elle fasse l'expérience de l'espace comme profondeur justement, mais une profondeur qui n'est pas celle de la perspective géométrique objective, parce qu'elle est celle, tout à fait subjective celle-là, de l'espace vécu. Or, ce qui rend possible cette seconde profondeur est à la fois, la photographie instantanée et la miniaturisation de l'appareil photographique permettant, partout et toujours, toutes les prises, tous les gros plans, toutes les plongées, tous cadrages et tous les décadrages, c'est-à-dire toute

cette liberté entière du regard au plus près des mouvements du corps, de la tête et deAux origines de la photographie d'alpinisme

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l'oeil humains. À l'esthétique de l'immersion, s'ajoute ainsi une " esthétique de l'occasion

22 » engendrant non seulement l'exploration du monde en quelque endroit de

la terre où l'on se trouve (et des plus périlleux), mais une représentation

continuellement éveillée, sur ses gardes, en alerte et qui guette l'instant présent, l'accident qui tombe à l'improviste, le réel pris sur le vif ou l'événement contingent. Anonyme, Le Pas du chat, face sud de la Meije, début XXe siècle

Muséedauphinois,Grenoble.

15 Emmêlant ces deux esthétiques, les photographies d'alpinisme de la fin du XIXe et du

début du XXe siècles produisent des images où le spectateur se trouve comme happé par un espace qui n'est plus un espace unique, objectif, homogène, fermé, mais un espace perçu, vécu et temporellement ouvert. Or cet espace n'est pas un simple contenant " se contentant de nous entourer » ainsi que le disait Berleant. Comme celui que nous percevons avec notre corps propre - qui n'est pas, notons-le, comme une chose dans l'espace dans la mesure où c'est le corps percevant qui fait apparaître l'espace -, l'espace de l'image est véritablement un processus de spatialisation : " une fondation d'espace » selon la forte expression de Merleau-Ponty dans Le Visible et l'invisible23. L'espace qui s'ouvre devant le regardeur n'est pas simplement extérieur, étalé, où les objets se juxtaposent les uns par rapport aux autres ; il est comme l'espace corporel dont la dimension principale n'est ni la hauteur, ni la largeur, mais la profondeur dans la mesure où " les choses ne sont pas des êtres plats, mais des êtres en profondeur, inaccessible à un sujet de survol

24 » :

L'espace corporel - écrit Merleau-Ponty - enveloppe ses parties au lieu de les

déployer parce qu'il est l'obscurité de la salle nécessaire à la clarté du spectacle, le

fond de sommeil ou la réserve de puissance vague sur lesquels se détachent le geste et son but, la zone de non-être devant laquelle peuvent apparaître des êtres précis, des figures et des points

25.Aux origines de la photographie d'alpinisme

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Loulou Boulaz, Raymond Lambert dans la ssure Lambert, Petit Dru, août 1936

18,5x14,5cm,inRaymondLambert,À l'assaut des 4000,Genève,1953.

16 Alors, ce qui est donné à voir, c'est bien cet enveloppement qui est le mouvement de

notre être charnel, le lieu qui rend visible et qui est lui-même invisible, le fond qui rend possible le " parcours temporel » par lequel les choses se dévoilent et se cachent, sont vues puis délaissées, " glissent l'une dans l'autre et s'intègrent

26 » dans ce qui est bien

une épaisseur et ce que Merleau-Ponty appelle aussi une " voluminosité

27 ». La visibilité

photographique est celle d'une voluminosité. Cette voluminosité est donnée à voir par l'image du corps de l'alpiniste aux prises avec la paroi et qui cherche son passage. Elle est aussi donnée - comme redoublée et comme mise en abyme - par l'image elle-même qui suit ce corps et qui, parce qu'elle est elle-même engagée dans la même voie, possède elle-même un corps ; un corps qui s'agrippe lui aussi et qui effectue l'acte d'une prise.

Interrogation

17 Si le photographe n'est pas étranger à la scène qu'il capte, lui aussi est soumis à la

pesanteur, au vertige, à la peur, à l'effort musculaire, au froid et au grand vent qui balaye son visage. Comme un reporter de guerre qui aurait à combattre hors de la tranchée

28, le photographe-alpiniste est attaché au réel comme à sa corde ; et sa

distance est sans recul si l'on peut dire. Ce qu'il nous communique alors, ce n'est plus la belle contemplation sereine de la peinture classique où la véhémence et même la

brutalité du réel sont transfigurées, c'est-à-dire exhaussées à un niveau supérieur où

les dangers n'existent plus, où la lumière a triomphé de l'ombre, la forme du désordre, l'idéal de la réalité, l'éternité du temps

29. Ce qu'il nous communique, c'est la fragilité

même de l'image reposant sur celle de l'homme qui l'a prise et sur celle de l'homme quiAux origines de la photographie d'alpinisme

Focales, 2 | 201810

est pris ; c'est cette relativité, cette contingence, auxquelles elle est soumise et qu'elle a un temps suspendues, non pour s'en garder pure, mais pour les maintenir en elle parce qu'elle possède la force de les soutenir

30. Alors, à l'opposé de nos contemporaines

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