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Discours prononcé par Aimé Césaire à Dakar le 6 avril 1966

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  • Quelle est la thèse du Discours sur le colonialisme ?

    Ce texte a pour objectif de dénoncer la soumission physique et morale du colonisé. c'est l'argument principale : la colonisation est une oppression et une déshumanisation. Après la violence, Aimé Césaire résume cela dans une formule choc : « À mon tour de poser une équation : colonisation = chosification. »
  • Qui est l'auteur du Discours sur le colonialisme ?

    Aimé CésaireDiscours sur le colonialisme / Auteur
  • Quelle thèse défend Aimé Césaire dans son discours ?

    Pour défendre sa thèse, Césaire montre d'abord que la colonisation repose sur le mensonge des colons qui prétendent agir pour le bien des peuples qu'ils oppriment et que ce mensonge est relativement récent ; il est pour lui nécessaire d'admettre que l'entreprise coloniale repose sur des motifs économiques et qu'elle
  • C'est un excellent petit livre, qui dénonce avec justesse les rapports entre colonisateurs et colonisés, et résume à lui seul toute la morgue que constituait la colonisation. Brève et éclatante, une énorme claque imparable sur cinquante-deux pages. Ce discours dit tout, et le dit bien.

Gradhiva

Revue d'anthropologie et d'histoire des arts

10 | 2009

Présence

africaine Discours prononcé par Aimé Césaire à Dakar le 6 avril 1966 dans le cadre du Colloque sur l'art dans la vie du peuple qui marqua l'ouverture du Premier Festival mondial des arts nègres (30 mars - 21
avril 1966)

Édition

électronique

URL : http://journals.openedition.org/gradhiva/1604

DOI : 10.4000/gradhiva.1604

ISSN : 1760-849X

Éditeur

Musée du quai Branly Jacques Chirac

Édition

imprimée

Date de publication : 4 novembre 2009

Pagination : 208-215

ISBN : 978-2-35744-012-8

ISSN : 0764-8928

Référence

électronique

Discours prononcé par Aimé Césaire à Dakar le 6 avril 1966

Gradhiva

[En ligne], 10

2009, mis en

ligne le 05 février 2010, consulté le 10 décembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/gradhiva/ 1604
; DOI : https://doi.org/10.4000/gradhiva.1604

© musée du quai Branly

208

DOCUMENTS ET MATÉRIAUX

Monsieur le PrŽsident,

Mesdames, Messieurs,

Je voudrais d"abord vous faire part des hŽsitations que j"ai eues ˆ prendre la parole dans ce colloque. Je ne suis ˆ aucun degrŽ un homme de science, ˆ aucun degrŽ un expert, et j"ai conscience que dans une telle assemblŽe, j"ai beaucoup plus ˆ apprendre qu"ˆ enseigner. Aussi bien vous demanderai-je de ne voir dans cette intervention que la manifestation

du dŽsir que j"ai ˆ vous dire ˆ quel point j"ai ŽtŽ intŽressŽ par vos travaux et de vous soumet-

tre ˆ titre de contribution quelques rŽfl exions qui sont nŽes de mon expŽrience d"homme cain dans la vie du peuple et par le peuple È. Je crois que pour rŽpondre ˆ cette question

rŽpondre et cette question serait celle-ci : Ç Fonction et signifi cation de l"art dans le monde

moderne È. Autrement dit, avant de parler de l"art africain et de sa signifi cation pour l"Afri- que moderne, le mieux m"appara"t de parler de l"art tout court et de sa fonction dans le monde tout court. Pourquoi, dans le monde comme il va, il est apparu essentiel aux organisateurs de ce col- loque, pourquoi il nous appara"t essentiel ˆ nous autres, hommes de culture, de valoriser la

fonction de l"art ? Car enfi n l"art n"est pas toute la culture, il n"en est qu"un aspect. Alors pour-

quoi privilŽgier cet aspect au dŽtriment des autres aspects de la culture ? Je rŽpondrai que c"est

un signe des temps et que si nous avons, d"un propos dŽlibŽrŽ, choisi de privilŽgier l"art, c"est

que nous estimons que jamais comme aujourd"hui le monde n"a eu autant besoin de l"art. Qu"on le veuille ou non, il y a ˆ l"heure actuelle une civilisation Žminente et tentaculaire. C"est la civilisation europŽo-amŽricaine, la civilisation industrielle qui couvre le monde de son rŽseau, et atteint dŽsormais - car il est clair que maintenant, nous sommes entrŽs dans de cette civilisation europŽenne. Ils sont nombreux et Žclatants. Mais, pour comprendre le

r™le de l"art, notre besoin d"art et de poŽsie, c"est plut™t son c™tŽ nŽgatif qu"il faut rappeler.

pensŽe qui lui a permis de vaincre et de dominer la nature. Mais il est arrivŽ ˆ notre conquŽ-

devenu le prisonnier et la victime des concepts et des catŽgories qu"il avait inventŽs pour apprŽhender le monde. Mieux, avec la pensŽe europŽenne moderne (je dis bien moderne car

l"Europe n"a pas toujours ŽtŽ ce qu"elle est) est nŽ un processus nouveau, celui que certains

penseurs ont appelŽ un processus de rŽifi cation, c"est-ˆ-dire de chosifi cation du monde.

De quoi s"agit-il ? Il s"agit de la substitution ˆ la totalitŽ dialectique qu"est le monde, de la

209Discours prononcŽ par AimŽ CŽsaire ˆ Dakar le 6 avril 1966

d"abstractions homogŽnŽisŽes et dissociŽes reprŽsentant un abrŽgŽ du monde, commode,

sans doute, mais correspondant ˆ un appauvrissement et ˆ un succŽdanŽ du monde. Les consŽquences, vous les connaissez, c"est l"apparition du monde mŽcanisŽ, du monde de l"ef- fi cience, mais aussi du monde o l"homme devient chose lui-mme, du monde o le temps naturellement sur l"apparition d"un univers inhumain sur la trajectoire duquel se trouvent le mŽpris, la guerre, l"exploitation de l"homme par l"homme. C"est cela, cette invasion du monde

et de l"homme par les choses, c"est ce processus de rŽifi cation du monde installŽ par la culture

europŽenne dans la sociŽtŽ, qui explique que le besoin d"art et de poŽsie soit aujourd"hui un

besoin vŽritablement vital, dans le sens o on dit que l"art est vital pour l"homme. en effet, au contraire de la pensŽe conceptuelle, au contraire de l"idŽologie, que l"art et la

poŽsie rŽtablissent la dialectique de l"homme et du monde. Par l"art, le monde rŽifi Ž rede-

vient le monde humain, le monde des rŽalitŽs vivantes, le monde de la communication et de la participation. D"une collection de choses, la poŽsie est jeunesse. Elle est cette force

veilleux en la replaant dans la totalitŽ originelle. Si bien que sauver la poŽsie, sauver l"art,

c"est en dŽfi nitive sauver l"homme moderne en personnalisant et en revitalisant la nature. Si on avait besoin d"une preuve, je dirais qu"il n"est que de constater que jamais le besoin

poŽtique ne se fait autant sentir, que jamais l"homme ne s"accorde, ne s"accroche ˆ la poŽsie

ques pleines de bruit et de fureur qui s"appellent la guerre, que cette guerre soit chaude ou

froide, prŽcisŽment au sortir de ces Žpoques o la non-communication et la chosifi cation se

sont exacerbŽes ˆ un degrŽ proprement intolŽrable. Et, ici, je pense au surrŽalisme europŽen

poŽtique dit de la nŽgritude. Mes chers amis, je dois vous dire tout de suite qu"aucun mot ne m"irrite davantage que le

mot Ç nŽgritude È - je n"aime pas du tout ce mot-lˆ, mais puisqu"on l"a employŽ et puisqu"on

l"a tellement attaquŽ, je crois vraiment que ce serait manquer de courage que d"avoir l"air

d"abandonner cette notion. Je n"aime pas du tout le mot Ç nŽgritude È et je dois vous dire que

cela m"irrite toujours lorsque, dans les confŽrences internationales o il y a des anglophones et francophones, on introduit cette notion qui m"appara"t comme une notion de division. La

nŽgritude est ce qu"elle est, elle a ses qualitŽs, elle a ses dŽfauts, mais au moment o on la

vilipende, o on la dŽnature, je voudrais quand mme que l"on fasse rŽfl exion sur ce qu"Žtait

comme spontanŽment, tellement elle rŽpondait ˆ un besoin. Bien sžr, ˆ l"heure actuelle, les

jeunes peuvent faire autre chose, mais, croyez-moi, ils ne pourraient pas faire autre chose ˆ l"heure actuelle si, ˆ un certain moment, entre 1930 et 1940, il n"y avait pas eu des hommes qui avaient pris le risque de mettre sur pied ce mouvement dit de la nŽgritude. Ce mouve-

ment de la nŽgritude tellement attaquŽ, et tellement dŽfi gurŽ, il ne faut pas oublier le r™le

comme celle que Saint-John Perse a prononcŽe lorsqu"il a reu le prix Nobel, quand il a Žcrit

ceci : Ç Quand la mythologie s"effondre, c"est dans la poŽsie que trouve refuge le divin. Peut-

tre mme son relais et jusque dans l"ordre social et l"immŽdiat humain, quand la porteuse

poŽtique que s"allume encore la haute passion des peuples en qute de clartŽ. È Si la nŽgri-

tude a bien mŽritŽ de l"Afrique, c"est que prŽcisŽment, dans l"Žtendue de l"abomination et de

210

DOCUMENTS ET MATÉRIAUX

Cette notion de la nŽgritude, on s"est demandŽ si ce n"Žtait pas un racisme. Je crois que

les textes sont lˆ. Il suffi t de les lire et n"importe quel lecteur de bonne foi s"apercevra que,

si la nŽgritude est un enracinement particulier, la nŽgritude est Žgalement dŽpassement et

Žpanouissement dans l"universel.

Pour en revenir ˆ mon propos, je dirai, ˆ propos de la nŽgritude, que, dans la perspective

L"homme noir n"Žtait plus apprŽhendŽ par l"homme blanc qu"ˆ travers le prix d"une dŽfor-

mation, de stŽrŽotypes, car c"est toujours de stŽrŽotypes que vivent les prŽjugŽs. Et c"est cela

ou du Juif ; la substitution ˆ l"autre de la caricature de l"autre, une caricature ˆ laquelle on

donne valeur d"absolu. L"apparition de la littŽrature de la nŽgritude et de la poŽsie de la nŽgritude n"a produit un tel choc que parce qu"elles ont dŽrangŽ l"image que l"homme blanc

se faisait de l"homme noir, qu"elles ont marquŽ avec ses qualitŽs, avec ses dŽfauts, donc avec

sa charge d"homme, dans le monde des abstractions et des stŽrŽotypes que l"homme blanc Et c"est bien cela, je crois, le service que la nŽgritude a rendu au monde. C"Žtait par lˆ

contribuer ˆ l"Ždifi cation d"un vŽritable humanisme, de l"humanisme universel, car enfi n il

n"y a pas d"humanisme s"il n"est pas universel, et il n"y a pas d"humanisme sans dialogue, et il ne peut y avoir de dialogue entre un homme et une caricature. En restituant l"homme noir dans sa stature humaine, dans sa dimension humaine, pour

que la littŽrature de la nŽgritude a ŽtŽ une littŽrature de combat, une littŽrature de choc et

c"est lˆ son honneur ; une machine de guerre contre le colonialisme et le racisme, et c"est lˆ sa justifi cation. Mais ce n"est lˆ qu"un aspect de la nŽgritude, son aspect nŽgatif. Si nous avons tellement haï le colonialisme, si nous l"avons tellement combattu, c"est sans doute parce que nous avions conscience qu"il nous mutilait, qu"il nous humiliait, qu"il nous

sŽparait de nous-mmes et que cette sŽparation Žtait intolŽrable : mais c"est aussi parce que

nous savions qu"elle nous sŽparait du monde, qu"elle nous sŽparait de l"homme, de tous les ne me laisserais pas dŽsorienter par ses cris, ses revendications, ses malŽdictions. Ses cris, ses revendications, je ne les dŽfi nirais que comme une postulation, irritŽe sans doute, une postulation impatiente, mais en tout cas une postulation de fraternitŽ.

Et j"en arrive ˆ l"objet mme de ce colloque, le sens et la signifi cation de l"art dans l"Afri-

que d"aujourd"hui. On peut l"affi rmer sans crainte, jamais l"Afrique n"a eu autant besoin de l"art. Jamais elle n"a eu autant besoin de son art, de son propre art. Cela est vrai bien sžr pour les raisons

gŽnŽrales que j"Žvoquais tout ˆ l"heure et qui sont valables pour le monde entier. Mais il

de dire cela pour que l"on comprenne ˆ quel point l"Afrique est menacŽe. MenacŽe ˆ cause de l"impact de la civilisation industrielle. MenacŽe par le dynamisme interne de l"Europe et de l"AmŽrique. On me dira : pourquoi parler de menace, puisqu"il n"y a pas de prŽsence euro- pŽenne en Afrique, puisque le colonialisme a disparu et que l"Afrique est indŽpendante ? Malheureusement, l"Afrique ne s"en tirera pas ˆ si bon compte. Bien sžr, la colonisation, le colonialisme offraient le cadre rvŽ pour que cet impact puisse agir dans les conditions

211d"effi cacitŽ optima. Mais ce n"est pas parce que le colonialisme a disparu que le danger de

dŽsintŽgration de la culture africaine a disparu. Le danger est lˆ et tout y concourt, avec ou sans les EuropŽens : le dŽveloppement politique, la scolarisation plus poussŽe, l"ensei- gnement, l"urbanisation, l"insertion du monde africain dans le rŽseau des relations mon- diales, et j"en passe. Bref, au moment o l"Afrique na"t vŽritablement au monde, elle risque comme jamais de mourir ˆ elle-mme. Cela signifi e qu"il faut s"ouvrir au monde avec les yeux grands ouverts sur le pŽril et qu"en tout cas le bouclier d"une indŽpendance qui ne serait que politique, d"une indŽpendance politique qui ne serait pas assortie et complŽtŽe

par une indŽpendance culturelle, serait en dŽfi nitive le plus illusoire des boucliers et la plus

fallacieuse des garanties. L"histoire est toujours dangereuse. Le monde de l"histoire, c"est le monde du risque, mais

c"est ˆ nous qu"il appartient ˆ chaque moment d"Žtablir et de rŽajuster la hiŽrarchie des

pŽrils. Je dis qu"ˆ l"heure actuelle le pŽril pour l"Afrique, ce n"est pas le refus du monde extŽ-

rieur, ce n"est pas le refus d"ouverture, ce n"est pas le chauvinisme, ce n"est pas le racisme noir, c"est bien au contraire l"oubli d"elle-mme, c"est l"acculturation et la dŽpersonnalisation. Pour en revenir ˆ mon propos du dŽbut, je dirai que le danger pour l"Afrique c"est d"entrer

ˆ son tour dans la rŽifi cation. Et, cette fois, la rŽifi cation ne jouera pas dans les relations avec

l"autre. Dans le cas de l"Afrique, et c"est le comble du drame, la rŽifi cation jouera dans les relations de l"Afrique avec elle-mme. Si l"on n"y prend garde, l"Afrique risque de ne plus se voir que par les yeux des autres et de jeter sur elle-mme un regard pŽtrifi ant. Je ne voudrais pas que l"on croie ˆ une vue arbitraire. Je n"en veux pour preuve que la

discussion qui s"est instaurŽe hier ˆ la Commission des arts entre les Žminents spŽcialis-

tes venus d"Europe et d"AmŽrique : M. Goldwater, M. Laude, Michel Leiris. Au cours de ces discussions, M. Goldwater, parlant de l"infl uence de l"art africain sur l"art occidental, nous

a dit qu"en rŽalitŽ le mot Ç infl uence È Žtait impropre, qu"il n"y a pas eu d"infl uence ˆ propre-

moment donnŽ de l"histoire de l"art occidental l"art africain, rencontrŽ par hasard, a servi de

catalyseur ˆ l"art occidental. Et cela est vrai. M. Laude a prŽcisŽ et il a montrŽ en particulier

si Picasso a contestŽ l"art occidental c"est ˆ l"intŽrieur et non en dehors de l"art occidental. La

question que je pose est celle-ci : est-ce que cela est vrai pour la majoritŽ des artistes afri-

cains contemporains ? Quand, ŽduquŽs par l"Europe et formŽs dans les Žcoles europŽennes,

ils contestent, et c"est le droit, quand ils contestent l"art africain traditionnel, le contestent-

ils ˆ l"intŽrieur de l"africanitŽ ou en dehors de l"africanitŽ ? La rŽponse est malheureusement

nŽgative et M. Fagg a raison de dire que si l"art africain traditionnel a fi ni, a cessŽ d"tre ˆ

l"heure actuelle le catalyseur de l"art occidental, il n"a pas encore commencŽ ˆ tre le cataly-

seur de l"art africain contemporain. Voilˆ, n"est-il pas vrai, une remarque qui va loin et qui est signifi cative des dangers que courent ˆ l"heure actuelle l"homme d"Afrique, la culture de l"Afrique, l"art africain. M. Bastide l"a dit : ne viendra-t-il pas un moment o il n"y aura plus d"art africain et o il n"y aura plus qu"un art semblable ˆ tous les autres arts du monde, avec cette seule diffŽ-

rence - mais absolument secondaire, insignifi ante, nŽgligeable - qu"il aura ŽtŽ fait par des

Africains et non par des EuropŽens ou des AmŽricains ? Nul d"entre nous bien sžr ici n"est dans les secrets de l"histoire et nul ne peut donner de rŽponse ˆ l"interrogation angoissŽe de M. Bastide. Tout ce que nous pouvons dire, nous, hommes d"Afrique, nous, hommes de ce colloque, nous, hommes de culture, est que nous ne considŽrons pas comme souhaitable et comme

un idŽal ˆ rechercher la substitution ˆ l"art africain d"un art, les uns diront laudativement

universel, les autres diront pŽjorativement cosmopolite, en tout cas non spŽcifi que, fait par les Africains.Discours prononcŽ par AimŽ CŽsaire ˆ Dakar le 6 avril 1966 212

DOCUMENTS ET MATÉRIAUX

Ici, j"entends l"objection d"AndrŽ Malraux, qui nous dira et nous a dit : mille regrets, les

nŽcessaire. On nous a dit : essayons de retrouver l"‰me africaine qui conut les masques : ˆ

travers elle, nous atteindrons le peuple africain. Je n"en crois rien. C"est AndrŽ Malraux qui

parle : Ç Ce qui a fait jadis les masques comme ce qui a fait jadis les cathŽdrales est ˆ jamais

ne s"agit pas de refaire les masques, pas plus que pour l"Europe il ne peut s"agir de refaire les cathŽdrales. Mais alors, me dira-t-on, que faut-il faire pour assurer ˆ l"art africain - et non pas ˆ l"art des Africains - une survie et une vitalitŽ nouvelles dans un monde moderne pour lequel il n"a pas ŽtŽ fait et dont tous les ŽlŽments conspirent ˆ sa disparition ? C"est lˆ pour nous une question essentielle. Cette survie et cette vitalitŽ nouvelles sont- elles possibles ou sont-elles seulement envisageables ? Ë cet Žgard, je suis, tout comme M. Bastide, beaucoup moins pessimiste qu"AndrŽ Malraux. Plus exactement, je ne dirai pas que je suis optimiste, je dirai que la partie n"est pas jouŽe et qu"il dŽpend de nous, de nous tous, qu"elle soit gagnŽe. Je crois que, lorsqu"on parle des chances de survie de l"art africain, l"erreur est de poser compte, ce n"est pas l"art, c"est d"abord l"artiste, donc l"homme. En Afrique, l"art n"a jamais

ŽtŽ savoir-faire technique, car il n"a jamais ŽtŽ copie du rŽel, copie de l"objet ou copie de ce

qu"il est convenu d"appeler le rŽel. Cela est vrai pour le meilleur de l"art europŽen moderne,

mais cela a toujours ŽtŽ vrai pour l"art africain. Dans le cas africain, il s"agit pour l"homme

de recomposer la nature selon un rythme profondŽment senti et vŽcu, pour lui impo- ser une valeur et une signifi cation pour animer l"objet, le vivifi er et en faire symbole et mŽtalangage.

Senghor.

Si cela est vrai, on comprend le double Žchec auquel nous assistons souvent : l"Žchec des

europŽens. Mais aussi l"Žchec esthŽtique des artistes africains qui se mettent ˆ copier du

nous a parlŽ M. Bastide et qui, pendant un certain temps, pendant une certaine pŽriode

ashantis. Il est clair que ces tentatives ne peuvent qu"Žchouer, car elles sont prŽcisŽment ˆ

contre-sens de l"art africain. L"art africain n"est pas copie. Il n"est jamais copie, fžt-ce de soi-

mme, il n"est jamais reproduction, rŽpŽtition, reduplication, mais au contraire inspiration,

c"est-ˆ-dire agression de l"objet, investissement de l"objet par l"homme qui a assez de force intŽrieure pour le transformer en une forme de totale communication (et non pas cette forme de communication appauvrie que constitue le langage). L"art africain, comme tout grand art, me dira-t-on, en tout cas plus que tout autre, et depuis si longtemps si ce n"est depuis toujours, est d"abord dans l"homme, dans l"Žmotion de l"homme transmise aux choses par l"homme et sa sociŽtŽ. C"est la raison pour laquelle on ne c"est-ˆ-dire en dŽfi nitive du sort de l"Afrique elle-mme. L"art africain de demain vaudra ce que vaudront l"Afrique de demain et l"Africain de

demain. Si l"homme africain s"appauvrit, s"il s"Žtiole, s"il se coupe de ses racines, s"il se prive

213Discours prononcŽ par AimŽ CŽsaire ˆ Dakar le 6 avril 1966

de ses sucs nourriciers, s"il se coupe de ses rŽserves millŽnaires, s"il devient le voyageur sans

de masse, s"il se dŽbarrasse de ses lŽgendes, de sa sagesse, de sa culture propre, ou bien tout

assurance historique ou s"il ne la retrouve pas, rien n"y fera malgrŽ les festivals, malgrŽ les

cain s"Žtiolera, s"appauvrira et dispara"tra. Si, au contraire, l"homme africain conserve et prŽserve sa vitalitŽ, son assurance, sa pour s"isoler ou pour bouder, mais au contraire pour accueillir le monde, alors l"art africain continuera. Bien sžr, il aura ŽvoluŽ, et mieux. Il se sera transformŽ, mais c"est tant mieux, comme se transforme d"Žpoque en Žpoque le contenu des rves et de l"imagination de l"humanitŽ. Mais cette Žvolution mme et cette mutation seront le signe que l"art africain sera vivant et bien vivant. Aussi bien est-ce en nos mains, en nos mains ˆ tous et non pas seulement entre les mains des hommes de culture, car la sŽparation est absolument artifi cielle, c"est entre nos mains ˆ tous que se trouve l"avenir de l"art africain. C"est pourquoi, aux hommes d"ƒtat africains qui nous disent : Messieurs les artistes africains, travaillez ˆ sauver l"art africain, nous rŽpondons : Hommes d"Afrique et vous d"abord, politiques africains, parce que c"est vous qui tes les plus responsables, faites-nous de la bonne politique africaine, fai- tes-nous une bonne Afrique, faites-nous une Afrique o il y a encore des raisons d"espŽrer,

des moyens de s"accomplir, des raisons d"tre fi ers, refaites ˆ l"Afrique une dignitŽ et une

santŽ, et l"art africain sera sauvŽ 1.

Double page suivante

Old landline exchange, Post Offi ce, Lubumbashi, RŽpublique DŽmocratique du Congo, 2007 © Guy Tillim. Avec la

permission de Extraspazio, Rome & Michael Stevenson, Cape Town.

1. Source :

Aimé Césaire,

pour regarder le siècle en face, sous la direction de

A. Thebia-Melsan,

Paris, Maisonneuve

et Larose, 2000 :

20-26.

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