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Claude Roy Préface in Darius Milhaud



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La représentation de l'orage dans la peinture française de la fin du Au troisième plan la mer est plongée dans l'ombre

ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES EN SCIENCES SOCIALES 2003 N° attribué par la bibliothèque .................................... THÈSE Pour obtenir le grade de DOCTEUR DE L'EHESS Discipline : Histoire et théorie de la musique présentée et soutenue publiquement par Pierre Cortot le 15 mars 2003 105 boulevard Raspail, 75006 Paris Titre : Darius Milhaud et les poètes Directeur de thèse : Madame Françoise Escal, Directrice d'études à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales Jury Monsieur Pierre Brunel, Professeur de littéra ture comparée à la Sorbonne (Paris IV), membre de l'Institut Universitaire de France. Madame Myriam Chimènes, Directeur de Recherche, CNRS, Institut de Recherche sur le patrimoine musical en France. Monsieur Jean Roy, écrivain, musicologue, producteur d'émissions radiophoniques, Président de l'association des Amis de Darius Milhaud.

3 Darius Milhaud et les poètes "Une vie de bonheur qui double la vie vécue et la transpose et la transfigure, comme une musique sur les paroles d'un poème". Jean Cassou (Le centre du monde) à Madeleine Milhaud et à Michèle

4 Remerciements : Ce travail n'aurait pu être mené à son terme sans le soutien constant de Madeleine Milhaud qui a su prod iguer sans re lâche conseils et encouragements, qui m'a o uvert largement ses archives (et m'a permis d'en faire état) et qui a toujours été disponible pour me fair e partager, avec s on humour et sa franchise l égendaires, des souvenirs pr écieux. Qu'elle trouve ici le témoignage de ma reconnaissance et qu'elle sache également que par son amitié bienveillante, el le a su accompagne r avec esprit et discernement toutes mes explorations de l'univers poétique et musical qui lui est cher. Françoise Escal a assumé la lourde tâche de diriger cette thèse. Je la remercie de son accueil bienveillant, de ses conseils et des mots d'encouragements qu'elle a su trouver pour m'aider à surmonter les moments d'incertitude. Son séminaire à l'E.H.E.S.S. a toujours stimulé la recherche intellectuelle et a permis des confrontations enrichissantes. Ses travaux m'ont donné des outils d'analyse irremplaçables. Pierre Brunel, lorsque j'ai été son étudiant, avait déjà suscité le désir d'explorer les rencontres des domaines littéraires et musicaux. Ses travaux et ses livres m'ont permis de prolonger et de donner forme à ces aspir ations . Qu'il trouve ici le témoignage de ma gratitude. Je le remercie d'avoir trouvé la disponibilité pour participer à ce jury. Myriam Chimènes, en m'accueillant dans l'équipe de rédaction du livre sur Milhaud de la Bibliothèque Nationale, m'a permis de faire état de pistes de recherches que ce travail prolonge. Ses travaux m'ont été précieux pour la compréhension d'une époque complexe. Je la remercie d'avoir accepté de participer au jury. Jean Roy, par ses nombreux livres, tout particulièrement ceux qui concernent Darius Milhaud et son époque , a tracé les contour s des travaux qui ont é té mené s depuis à ce propos. Qu'il trouve ici le témoignage de ma reconnaissance pour ses recommandations et pour m'avoir accueilli à une de ses émissions radiophoniques. Je le remercie d'avoir accepté de siéger dans ce jury. Georges Jessula m'a ouvert sans restriction les archives de son beau-père Armand Lunel. Il a relu avec attention les pages qui sont consacrées à l'ami le plus ancien de Darius Milhaud. Qu'il trouve ici le témoignage de mon amicale reconnaissance. Madame Renée Claudel-Nantet m'a reçu avec attention et gentillesse, je la remercie du temps qu'elle m'a consacré et des documents qu'elle m'a communiqués sur l'oeuvre de son père. Je remercie tous les amis qui ont à un moment ou à un autre, pris le temps de relire ce que j'avais écrit et qui m'ont fait bénéficier de leurs précieuses remarques : Anne-Marie Bidaud, Marie-Claude Castagnou, Carlos Escoda, Jean-Pierre Lemaire, Luis Naon. Je remercie également pour leurs conseils et leurs relectures de mes traductions : mon épouse Michèle Cortot (anglais), Sybil Raederscheidt (allemand), Lise Pagès et Eleanora Salvadori (italien). Jacques Schibler est en core présent dans les th èmes développ és ici et l' écho de nos discussions ne s'est pas éteint avec sa disparition. Je reme rcie Frédéric Magniez qui a su avec patience et com pétence m'initier au maniement d'un ordinateur et a toujours trouvé le temps de résoudre les problèmes auxquels j'étais confronté. Je reme rcie enfin tous mes proches de m'avoir permis d e me distra ire des préoccupations quotidiennes pour trouver le temps nécessaire à mes travaux, je les remercie également de leurs encouragements et de leur patience : mon épouse Michèle, mes enfants Anne et Jean-Pierre, Fanny et Frédéric. Je remercie mes parents qui, dans mon Mâconnais natal, ont su m'ouvrir au monde de la littérature et de la musique et qui ont suivi avec intérêt l'élaboration de ce travail. Je reme rcie enfin ma belle-mère qui a co nçu sa maison en Beauj olais pour que je puisse y trouver le calme et la concentration pendant les vacances d'été.

5 Sommaire : 1-Introduction p. 3 2. Poé sie et musique dans l'oeuvre de Milhaud : mystère des résonances, célébration de la parole et du son. p. 21 2.1 Une curiosité toujours en éveil. 2.2Au centre des bouleversements du XX° siècle : confrontation avec la démarche de Pierre Boulez. 2.2.1. Milhaud ou le refus de l'esprit de système. 2.2.2. Boulez/Milhaud , confrontation de deux univers esthétiques. 2.2.2.1. Boulez une pensée en mouvement. 2.2.2.2. Poésie et musique : théorisation d'une démarche. 2.3 Enjeux du débat théorique : défense et illustration d'une pratique artisanale du métier de compositeur au XX° siècle. 2.4 La conférence inédite de Lisbonne en juillet 1940 : " La Poésie et les Musiciens". 2.4.1. Poésie et musique, même vibration du sentiment. 2.4.2. Force du "sentiment poétique", importance du rythme. 2.4.3. Une poésie pour la musique ? 2.5 Réflexions d'un philosophe : rencontre avec Alain. 2.5.1. Poésie et musique : témoignages culturels d'un humanisme moderne. 2.5.2. Perspectives. 2.6. Propos du compositeur sur son oeuvre au seuil de la soixantaine. 2.7 Démarches parallèles d'un poète et d 'un musicien : Ramuz et Milhaud. 2.8. Valéry et la caractérisation du fait poé tique : or ientations de recherche.

6 3. Permanence de l'inspiration romantique p. 61 3.1 Une présence paradoxale. 3.1.1 Les voies parallèles. 3.1.2 Présence paradoxale du Romantisme. 3.1.3 Milhaud, Stravinsky : évolution ou révolution ? 3.1.4 Madame Bovary ou le Romantisme réinventé. 3.2. Le romantisme comme source d'inspiration explicite. 3.2.1 Lamartine, poète romantique : un choix significatif. 3.2.2. Examen de la pa rtition inédite de l'Isolement, piè ce centrale de la première série des "Poètes romantiques". 3.2.2.1 Quelques remarqu es sur la prosodi e, le climat musical. 3.2.2.2 Un hommage inatten du : témoig nage de reconnaissance pour Albéric Magnard. 3.2.2.3 Une poésie de la "détériorati on", expérience de s limites de l'expression, convergences de la critique et de la création. 3.3. Lamartine, Lamennais, Guérin. 3.3.1 De l'intimisme à l'humanisme généreux. 3.3.2 De l'hommage aux Maîtres à la recherche d'un Frère. 3.3.3 Approche de l'univers guérinien. 3.3.4 L'exploitation de l'oeuvre de Guérin par Milhaud. 3.4 L'image pâlie du romantisme Guérinien à travers la figure d'Hippolyte de La Morvonnais. 3.4.1. Eclairage croisé : les deux amis/frères ennemis : Barbey et de La Morvonnais. 3.4.2. Conclusion : Justification du cycle. 3.5. Figures féminines : Le cycle romantique féminin : cohérence du recueil de l'opus 19.

7 3.5.1. Un adieu au monde qui s'écroule, déchirements du compositeur au cours du mois d'août 1914. 3.5.2. Madame Dufrénoy : l'Élégie, forme romantique. 3.5.3. Madame Amable Tastu. 3.5.4. Madame Louise Colet. 3.6. Florilège f éminin : Lucile de Chate aubriand, Eugénie de Guérin, Christina Rossetti. 3.6.1. Les "soeurs". 3.6.2. Milhaud et le choix de la prose. 3.6.3. Lucile de Chateaubriand. 3.6.3.1. Les aléas biographiques. 3.6.3.2. Lucile de Chateaubriand, création de l'auteur des Mémoires d'Outre-Tombe. 3.6.3.3. Figures de Lucile de Chateaubriand au XIX° siècle. 3.6.3.3.1. La vision romantique de Sainte-Beuve. 3.6.3.3.2. La vison paradoxale d'Anatole France. 3.6.3.4. Le recueil de Milhaud, confrontation décalée avec Olivier Messiaen. 3.6.4. Eugénie de Guérin. 3.6.4.1. Un recueil de l'intériorité. 3.6.4.2. Un Cahier inédit ? 3.6.4.3. Les choix de Milhaud. 3.6.4.4. Les avatars du Cahier inédit. 3.6.4.5. La place d' Eugénie de Guérin dans l'his toire littéraire : regards croisés de Xavier de Maistre, de Lamartine et de Sainte-Beuve. 3.6.4.6. Transfiguration par le musicien du texte d'Eugénie de Guérin.

8 3.6.4.7. Les perspectives ouvertes dans la perception du texte. 3.6.5. Accent victorie n à travers le mouvement pr éraphaél ite Christina Rossetti et Alice Meynell. 4. Entre Romantisme et Classicisme : place d'André Gide dans l'inspiration de Milhaud, prolongement de l'idéalisation féminine p. 261 4.1. Découverte de Gide : révélation des amitiés aixoises. 4.2. Milhaud et l'univers gidien. 4.3. Milhaud et La Porte Etroite. 4.4. Milhaud et la composition d'Alissa. 4.4.1. Alissa : Cycle, Suite de mélodies ? 4.4.2. Examen d'Alissa : version de 1931. 4.5. Alissa : version initiale de 1913. 4.6. Conclusion, d'une porte qui se ferme à la porte qui s'ouvre : Le Retour de l'Enfant prodigue. 5. Milhaud dépositaire de la mémoire de Léo Latil p. 323 5.1. Place de Léo dans l'inspiration du compositeur. 5.2. L'énigme du Troisième Quatuor. 5.3. Léo Latil, l'ami jamais remplacé. 5.4. Figure(s) de Léo : images posthumes, identités masquées. 5.4.1. L'image héroïque : Maurice Barrès. 5.4.2. Francis Jammes. 5.4.3. L'image officielle. 5.5. L'oeuvre de Latil. 5.6. À la recherche d'une reconnaissance éditoriale. 5.6.1. François Mauriac. 5.6.2. André Gide. 5.6.3. L'édition de Rio.

9 5.6.3.1. Le choix des textes. 5.6.3.2. L'organisation chronologique. 5.6.3.3. Mention des lieux de composition des différentes pièces de vers. 5.7. Le poème op. 73 de 1921, épilogue d'une collaboration artistique. 6. Milhaud et la découverte de la poésie de Francis Jammes p. 419 6.1. Lectures conjointes : Maeterlinck et Francis Jammes, du Symbolisme au Jammisme. 6.2. Les approches du musicien : découverte aixoise de la poésie de Jammes, amitiés croisées autour de Céline Lagouarde. 6.3. Portrait du poète et complicités entre Léo et Darius. 6.4. Conversion a u Jammisme, ambiguïtés d'une r elation a micale et ferveur poétique. 6.4.1. Rencontres avec le poète. 6.4.2. De l'usage de la critique. 6.4.3. La poésie de Ja mmes, champ d'exploration pour l e compositeur. 6.5. Les premiers recueils inédits. 6.5.1 Le premier recueil de l'opus 1. 6.5.2 Le deuxième recueil de l'opus 1. 6.5.3 Le troisième recueil de l'opus 6. 6.6. La poésie de Jammes et l'exploration de formules inédites. 6.6.1.Variations autour d'une partition perdue. 6.6.2. Quatre voix et six mains. 6.6.3. Le cantique de N.D. de Sarrance : document d'exception pour la recherche d'une expression populaire. 6.7. Production jumelle de l'année 1956. 6.7.1. Permanence du jammisme.

10 6.7.2. Fontaines et Sources ou le chant d'un retour à la vie. 6.7.3 Tristesses ou la déchirure de l'âme. 6.8 La Suite de Quatrains op. 398 (1962). 6.8.1 Pièces de circonstance : Roussel, Monteux. 6.8.2 Des différentes utilisations de la voix. 6.8.3 La suite de Quatrains et l'utilisation de la cadence. 7.Une ouverture au monde : Claudel et la vision "cosmique" de la poésie p. 545 7.1. Connaissance précoce, rencontre décisive. 7.2. Claudel musicien ? Le parallélisme des démarches. 7.3. Les Sept P oèmes extraits de la Connaissance de l'Est, prolégomènes d'une collaboration sans faille. 7.3.1 Une rencontre décisive avec un texte d'exception. 7.3.2. La sensualité du mot. 7.3.3. De la notion de rythme à celle de modulation. 7.3.4. Statut du texte dans Connaissance de l'Est : une "zone indécise" entre prose et poésie. 7.3.5. Les échos d'une cohérence recomposée. 7.4. Conclusion, Claudel, poète nourricier. 8 Une expérience des limites : Verlaine, Rimbaud et Mallarmé p. 613 8.1. Présence paradoxale de Verlaine. 8.2. Présence de Rimbaud. 8.2.1. Une découverte partagée à Rio. 8.2.2. Un Rimbaud claudélien ? 8.2.3. Les deux mélodies de janvier 1918 : Marine et Aube. 8.2.3.1. Marine. 8.2.3.2. Aube. 8.2.4. Adieu et la note édénique.

11 8.3. Présence de Mallarmé. 8.3.1. Attrait des formes brèves. 8.3.2. Le recueil des 8 mélodies de Chansons bas op. 44. 8.3.3. Échos mallarméens dans l'oeuvre de Claudel, un pastiche inattendu. 8.3.4. Petit verso carioca, suite aux Chansons bas. 8.3.5. Deux petits airs. 8.3.6. Les résurgences ultérieures de Mallarmé. 8.4. Conclusion. 9. Armand Lunel : la Provence et la Juda ïté. Complicités conjugales : Madeleine Milhaud et la poésie. p. 723 9.1. Amitié au lycée Mignet, rencontre en poésie. 9.2. Les découvertes de l'adolescence : courses à bicyclette, chasse aux fers et poésie. 9.3.Complicités juvéniles et sentiers de la création conjointe. 9.3.1. Rejet de l'esprit de sérieux. 9.3.2. découvertes de la poésie et rejet des fausses valeurs. 9.3.3. Complicités dans le rythme créatif. 9. 4. Armand Lunel, poète. 9.4.1. deux témoignages de production poétique : Rêve d'orient et Le premier frisson. 9.4.2. Un texte d'exception : Frère Gris. 9.4.3. Célébration du monde d'autrefois : Le Château. 9.4.4. Attachement indéfectible à la nature provençale. 9.5. Le voyage, l'exil e t la déchirure à prop os d'une p artition énigmatique : Rêves. Madeleine Milhaud poète. 9.6. La tradition Judéo-Comtadine : renouvellement et continuité dans les relations poético-musicales des deux amis.

12 10 Les engagemen ts : une oeuvre en prise av ec son temps. À la découverte de l'oeuvre de Jean Cassou. p. 809 10.1. Un texte "inspirant" : le recueil des 33 sonnets écrits au secret. 10.2. Milhaud et les engagements humanistes de l'entre-deux guerres. 10.3. Milhaud, compagnon de route du mouvement social des années trente. 10.4. Construction d'un nouveau rapport avec le public populaire, les démarches parallèles de Paul Hindemith et de Darius Milhaud. 10.4.1. Les remises en cause de l'après-guerre. 10.4.2. Abolition des hiérarchies dans le domaine musical. 10.4.3. La prise en compte des évolutions de la technologie. 10.4.4. Un nouveau rapport avec le public. 10.5. Les trente trois sonnets composés au secret ou la poésie comme révolte. 10.5.1. Itinéraire d'un résistant. 10.5.2. Le choix de la forme du sonnet. 10.5.3. La poésie, lien vivant avec le monde. 10.5.4. Lecture de peintres et de musiciens. 10.6. Les trente trois sonnets et l'hommage de Milhaud. 10.6.1. Une partition singulière pour un recueil singulier. 10.6.2. Retrouvailles après guerre. 11. Conclusion. p. 929 11. 1. Jean Cocteau ou les vertus d'une amitié sans faille. 11.2. Trois moments poétiques. 12. Annexes p. 957 13. Bibliographie p. 975

13 1. Introduction La compagnie des poètes a été constante dans la longue vie créatrice de Darius Milhaud. L'ampleur du catalogue en témoigne. On y rencontre plus d'une centaine de noms de poètes, poètes contemporains, poètes du passé et poètes d'horizons géographiques et culturels très div ers. Mai s la connaissance de ces multiples fréquentations a quelque chose de paradoxal. En effet, l'oeuvre immense d'un compositeur qui a abordé tous les genres n'a trop souvent é té envisagée que de façon partie lle et sélective. Les programmes de concerts, les ouvrages grand public ne retiennent habituellement qu'une période très restrei nte, en l'occurrence les années vingt et, communément, le musicien n'est associé qu'avec quelques poètes emblématiques de ces années phares, tout particulièrement Jean Cocteau en s'appuyant sur "sa fausse réputation de bateleur1". Seules, les compositions liées aux révolutions poétiques de ce que l'on a appelé "les années folles" sont exaltées en oubliant que l'essentie l du trav ail musical concerne des écrivains qui ont marqué sa jeunesse et qui ont conditionné, de près ou de loin, tous les choix ultérieurs, y compris bien sûr ceux qui paraissent les plus provocateurs. Remarquons déjà que le Surréalisme, en tant que mouvement, est absent de ces choix, à l'exception notable de Robert Desnos qui fréquente Milhaud un peu plu s tard, dans les années trente. Dans cette étude, il ne s'agit pas d'ignorer l'importance des années cruciales qui ont suivi la guerre dans l'histoire culturelle du vingtième siècle, bien au contraire, mais il s'agit d'essayer d'abord de faire le lien entre les années de formation d'avant 1914 et les réalisations d'une maturité précoce qui sont immédiatement entrées en résonance avec une histoire bouleversée par le premier c onflit mond ial. Milhaud, réformé à cause de sa santé précaire, a été durablement marqué par "la catastrophe de 14-18"2. En insistant sur les conséquences dramatiques de 1 André Fraigneau, Cocteau par lui-même, Pa ris, éditions du Se uil, coll. "écrivains de toujours, 1957, p. 108 2 Jorge Semprun, L'écriture ou la vie, Paris, N. R. F., Gallimard, 1994, p. 188

14 ces quatre a nnées d'horreur, Jorge Semprun, rétrospective ment, en remarque le poids encore sous-estimé : Nulle étude d'ensemble n'a encore dressé, me semble-t-il, l'inventaire des désastres spirituels provoqués par cette guerre-là. Pour ne rien dire des désastres politiques3. À défa ut d'étude d'ensemble , on peut néanmoins essaye r de comprendre comment les arti stes, et tou t particulièrement Milhaud, ont perçu le s transformations de la sensibilité et comment leurs oe uvres en ont été pénétrées. Milhaud pourrait aiséme nt souscrire aux termes e mployés par Fernand Léger, futur collaborateur du musicien, qui, du fond des tranchées, explique à un ami de l'arrière qu'une page était irrémédiablement tournée : Je suis sûr que cette guerre-là m'aura appris à vivre. Je crois que je ne gaspillerai plus de minutes comme je l'ai fait des mois entiers parce que je verrai les choses dans leur " valeur », leur valeur vraie, absolue, nom de Dieu ! Je connais la valeur de chaque objet, tu entends, Louis, mon ami ? Je sais ce que c'est que du pain, du bois, des chaussettes, etc. Le sais-tu toi ? Non, tu ne peux pas savoir cela car tu n'as pas fait la guerre. Sais-tu ce que c'est que de sentir la peur te prendre à plein corps et t'arracher d'un abri sûr, pour te foutre dehors à la mort comme un imbécile ? Non, tu ne peux savoir cela, tu n'as pas fait la guerre. Toi, tu vas rester un homme " d'avant la guerre » et ce sera ta punition, Louis, mon vieil ami, et moi malgré mes 34 ans, malgré ma vie déjà commencée comme mon oeuvre et que cette tragédie a cassées en deux. Je suis tout de même encore assez jeune, assez vivant pour être, moi aussi, si le Dieu de ma mère me le permet, pour être, tu entends, pour être de la grande génération d'après la guerre !4 Milhaud a lui aussi pri s consc ience qu'un e époque avait pris fin et qu'une aventure nouvelle l'attendait, mais cette conscience d'être de "la génération d'après la guerre" ne suppose pas une table rase de tout ce qui la précède. Même si Milhaud signe sa présence dans le tableau de Picabia L'oeil cacodylate 3 ibid. 4 Lettre de Fernand Léger à Louis Poughon du 12 avril 1915 in Fernand Léger, Une correspondance de guerre, Le s Cahiers d u musée national d'art mode rne, Hors -série/Archives, Centre Georges Pompidou, 1997, p. 35

15 de la fameuse formule "Je suis dada5 depuis 1892", il ne s'agit pas pour lui de détruire, de renier ce qu'il a été et de brûler ses admirations de jeunesse. Bien au contrair e, renve rsant les idées reçues, Milha ud "dont l'originalité débridée a fait scandale", peut reprendre à son compte "l'audacieuse assertion" citée par Roland-Manuel, selon laquel le "tout ce qui n'est pas tradition est plagiat"6. La f ormule peu t sembler contradict oire et gratuit e, mais le producteur de la célèbre émission radiophonique Plaisir de la musique précise qu'il n'entend pas par tradition la perpétuation de recettes éprouvées : Ta tradition à toi est trop haute et trop généreuse pour se borner à l'horizon des " coteaux modérés » où se complaît un académisme étriqué et stérile. Ta tradition, née, comme toi, sur le rivage de la Méditerranée, remonte de Paul Claudel, maître des grandes orgues du verbe, à ce troubadour marseillais du grand siècle - j'entends le XIII°, pour qui " la strophe sans musique est un moulin sans eau ». C'est assez dire que ta lignée spirituelle et sensible est marquée de ce signe d'élection que le lyrisme définit d'un seul mot7. Milhaud arrive à un moment où le rapport de la parole et du son est problématique dans la mesure où les normes qui avaient permis la rencontre entre poètes et musiciens ont déjà volé en éclats dans les quelques années qui ont précédé le déclenchement de la guerre. Gabriel Fauré représente cette génération qui voit s'écrouler à la fin de sa vie un équilibre et une harmonie qui ont caractérisé un moment artistique privilégié : Il y a dans l'histoire des périodes émouvantes où l'on voit la poésie et la musique fraterniser l'une avec l'autre comme par l'effet d'une soudaine conspiration. Moments heureux et en quelque sorte uniques pour les pays qui les ont vécus ! Les poètes semblent écrire pour les musiciens, les musiques de leur côté, se coulent si exactement dans les poèmes qu'elles semblent nées pour leur faire l'offrande de leur lyrisme et de leur ardeur ; il arrive même - tant l'harmonie préétablie est impérieuse - que plusieurs musiciens se rencontrent dans 5 puisque le surnom affectueux de Milhaud a été Da, mais très souvent dans sa jeunesse ses amis s'adressaient à lui en commençant leurs lettres par un retentissant : "Mon Dada" (en particulier Léo Latil ou Armand Latil). 6 in Jean Roy, Darius Milhaud, co ll. "Musiciens d e tous les temps ", Paris, éditi ons Seghers, 1968, p. 165 7 ibid.

16 l'illustration d'un même poème, qu'ils commentent chacun selon son humeur et sa température affective ; et comme Mignon a inspiré Schumann, Franz Liszt et Hugo Wolf, ainsi certains poèmes de Verlaine sollicitent parallèlement les musiques de Debussy et de Fauré. Cette conjonction privilégiée s'est produite deux fois dans l'histoire de la musique : d'abord à l'époque du Romantisme allemand et ensuite en France, à partir de 18708. Si Milhaud a toujours proclamé son admiration pour un musicien qui a su garder "intactes, la même jeunesse, la même tendresse, mais plus pures, plus dépouillées ", il observe que les épigones de Fauré , "à l'ex ception de Charles Koechlin, furent tous les champions de cet art impressionniste dont le dernier mot [lui] paraît avoir été dit depuis longtemps"9. La conscie nce d'avoir à travailler sur u ne nouvelle conception qu'implique le renouvellement des formes suppose la recherche de nouvelles définitions qui concernent aussi b ien la musiq ue que la poésie. Cette interrogation a traversé tout le XX° siècle, elle va, évidemment bien au-delà de la musique et concerne toutes le s catégori es artistiques. Car le travail créateur de Milhaud est inséparable des contacts permanents qu'il a nourris avec d'autres artistes, qu'ils soient ses collègues musiciens, les peintres, les poètes, etc. C'est ce qui frappe tous les observateurs de cette période : Je voudrais saluer la présence des peintres et des poètes qui ont participé à la vie intellectuelle de ces années 20. En quête de nouveauté, les plus aud acieux, les plus originaux, ont croisé les musiciens sur leur chemin. Comment, par exemple, ne pas citer Paul Claudel, pourtant très éloigné de l'esprit des Six, qui a inspiré aussi bien Arthur Honegger que Darius Milhaud ?10 Cette effervescence artistique conduit à s'interroger sur les lignes de force qui ont guidé Milhaud et l'ont conduit à explorer des voies dont, parfois, le développement est retardé ou abandonné. Chez lui, r ien de linéaire qui suivrait une progression univoque, mais une sûreté dans l'audace qui révèle 8 Vladimir Jankélévitch, Gabriel Fauré et ses mélodies, Paris, éditions Plon, 1939, p. 1 9 Darius Milhaud, Hommage à Gabriel Fauré, in Notes sur la musique, p. 116

17 "un être pui ssant, devant qui les obstacles scolastiques n'ont qu'à céder"11. Le r apport de la voix et du son va mê me jusqu'à remettre en question la notion même de musique. Remarquons avec Betsy Jolas, future élève du compositeur , qu'il f ut le premier à tenter, en 1916, da ns les Choéphores de tirer parti des qualités sonores et musicales de la voix parlée : Milhaud assimile ici très justement la voix parlée aux sonorités courtes des instruments de percussion à son indéterminé qui lui sont associés. D'où un effet de sauvagerie primitive, peut-être un peu évident, néanmoins saisissant. En abattant les barrières qui le séparaient du parler, le musicien a ouvert toutes grandes les portes de l'expression. On comprend alors que la frontière entre le son et le bruit est remise en question12 et qu'à la suite de Berio, qui succède à Milhaud comme professeur à Mill s College, on puiss e s'interroger sur la pos sibili té même d'une quelconque identification des caractéristiques de la poésie ou de la musique : Chercher à définir la musique -qui, de toute façon, n'est pas un objet mais un processus- c'est un peu comme essayer de définir la poésie : il s'agit donc d'une tentative heureusement impossible, vu la futilité qu'il y a à vouloir tracer les limites qui séparent la musique de ce qui n'est plus la musique, entre poésie et non-poésie. Avec la différence toutefois qu'en poésie la distinction, implicite entre langue et littérature, entre langue parlée et langue écrite rend plus aisée la définition d'une telle limite. Peut-être la musique est-elle proprement ceci : la recherche d'une frontière perpétuellement reculée.[...] La musique est tout ce que l'on écoute avec l'intention d'écouter de la musique13. On s'interrogera donc dans un premier temps sur la façon dont le musicien a abordé la poésie dan s son tra vail musical en conf rontant sa prat ique avec 10 Claude Samuel, Le group e des Six, un accident ? in Honegger-Milhaud, musique et esthétique, Actes du colloque international tenu à la Sorbonne en novembre 1992 réunis et édités par Mafred Kelkel, Librairie J. Vrin, Paris, p. 31 11 Paul Collaer, Darius Milhaud, Genève-Paris, éditions Slatkine, 1982, p. 68 12 Milhaud n'est bien sûr pas le seul à se poser ces questions à ce moment là, pensons à Russolo dans le mouvement futuriste italien , à Satie dans Parade, et bien sûr à Varèse. 13 Luciano Berio, Entre tiens avec Rossana Dalmonte, traduit et présenté pa r Marti n Kaltenecker, Paris, éditions Jean-Claude Lattès, première édition en italien en 1981, 1983, p. 21

18 celle de certains de ses collègues compositeurs. Ses écrits permettront de mettre en perspecti ve quelq ues aspects théoriques d'une pratiqu e de la composition qui tire sa substance d'une culture extrêmement étendue. Enfin l'exploitation d'une conférence inédite14 où Milhaud parle explicitement des rapports de la musique avec la poésie sera l'occasion de réfléchir sur la place essentielle des poètes dans l'univers créatif du compositeur aixois. La plupart du temps, le travail sur les textes poétiques n'a pas été l'objet de commandes, mais il a été le résultat d'un choix libre et répondant toujours à une nécessité intérieure. Les décisions du compositeur sont, par elles-mêmes, déjà une indication précieuse aussi bien par le nom des poètes retenus que par celui des écrivains absents de cet immense catalogue. Les évolutions du compositeur ont toujours été acc ompagnées d 'un travail parallèl e sur des textes. Il serait par là même outrecuidant de vouloir être exhaustif dans la perspective qui a été la nôtre, et r estent encor e de n ombreuses voies à explorer. Des choix se sont imposés d'eux-mêmes et des sacrifices ont été nécessaires pour donner à cette étude un cadre c ohérent. Il s'agit d'accompagner le lecteur dans une musi que fait e de contrastes, d'oppositions, mais qui, paradoxalement, relève d'une profonde unité d'inspiration soulignée tant par Paul Collaer que par Jean Roy, celle du "chant" : La mélodie est la raison d'être de la musique de Milhaud. C'est en elle que s'opère la transmutation d'un poème, d'un sentiment, d'un paysage. C'est elle qui, traduisant ce qu'il y a en eux d'essentiel, les rend vivants, universels. La musique de Darius Milhaud est d'abord un chant15. Si le l yrisme, au sens propre, e st au cen tre de l'inspir ation de Milhaud, la poésie peut représ enter un des p rismes, choisis par Milhaud lui-même, à travers lequel il peut sembler fructueux de " lire" un e oeuvre protéifor me, rétive aux simplificat ions hâtives . On pe ut espérer y dé couvrir des 14 cf. annexe 15 Jean Roy, Darius Milhaud, op. cité, p. 48

19 perspectives, des éclairages qu'une approche univoque et spécialisée (qui a aussi son prix et peut para ître indispens able) pour rait occulter. Cette tentative oblige à balayer la totalité de la péri ode cr éatrice et contraint à aborder des époques va riées et des domaines littéraires qui dépassent la seule production répertoriée comme "poétique". La précoci té de l'éveil artistique d u composite ur a fait que littératu re et musique tiennent une place équivalente pendant toutes ses années de formation. Pendant quelque temps, Darius Milhaud envisage même de mener parallèlement des études de musique et d es études d e lettres. Le milieu provincial aixois du début du siècle ne prédisposait pas a priori à entretenir un commerce très actif avec la création littéraire ou musicale dont les cercles parisiens avaient la quasi-exclusivité. On peut être étonné de l' ouverture d'esprit dont témoignent les goûts du jeune Milhaud. De même, l'attirance pour des text es choisis en dehors des sentiers battus, témoigne d e façon précoce d'une sensibi lité exacerbée qui fait fi des modes et des conformismes. Chaque composition révè le une facette d'une personnalité extrêmement complexe et les écrivains retenus méritent toujours un examen attentif dans la mesure où ils permettent la connaissance d'un artiste somme toute très pudi que . À ce prop os, l'on peut tirer parti des r emarque s de Charles Koechlin, un compositeur qu'il a profondément aimé : Je continue, pour ma part, à croire que de beaux vers valent mieux, même pour la musique, que de mauvais. Et tous les compositeurs de Lieds (sic), Schumann, Schubert, Gounod, de Castillon, Duparc, Fauré, Debussy furent de cet avis ; et Massenet lui-même (qui parfois choisit assez mal ses poésies) a su trouver de jolis vers d'Armand Silvestre)16. Mais Milhaud ne se contente pas, dans ses rapports avec les poètes, de s'inscrire dans une tradition, aussi prestigieuse soit-elle. Il oblige à s'interroger sur le rappor t codifié poésie-musique dans ce que la tradition fran çaise appelle la mélodie. Du même cou p, il fait éclater le s genres répertori és et

20 ouvre des persp ectives nouve lles où la présence d'un poète permet de légitimer les essais les plus audacieux. Cette approche multiple ne se referme jamais sur une formule éprouvée, mais met en question le sens même que la musique peut prêter au langage. Rien de cérébral chez lui - au sens péjoratif du terme - mai s un rapport charnel avec la langue et le désir de se l'approprier avec des incursions épisodiques dans des domaines linguistiques étrangers. Les hasards de la biographie (l'exil, les rencontres) ont permis à un compositeur qui revendiquait hautement sa latinité, d'exprimer à travers le chant les tragédies qui ont ensanglanté l'histoire du vingtième siècle - sans oublier que l'enracinement provençal ou national est pour lui la condition de l'expression universelle. La poésie semble donc occuper une place de choix dans le processus créateur de Milhaud : preuve en est l'amitié profonde que le compositeur a su faire naître entre lui et les poètes les plus importants de son temps - amitié qui savait toujours allier l'estime pour l'artiste et l'affection pour l'homme. De nombreux inédits (poèmes mis en musique, correspondances diverses, textes autobiographiques...) permettent de tracer quelques pistes dans un domaine qui reste pour une bonne part encore inexploré. 16 Lettre de Charles Koechlin à Louis Agettant, du 10 novembre 1902, in C. Koechlin, Correspondance, La revue musicale, Triple numéro, N° 348-49-50, éditions Richard Masse, 1982, 164 pages

21 2. Poésie et musique dans l'oeuv re de Milhaud : mystère d es résonances, célébration de la parole et du son. 2.1. Une curiosité toujours en éveil Chez Milhaud, la rencontre avec les poètes n'a rien d'une approche qui serait le terme d'une démarche cérébrale, théor ique et systématique. Et pourtant la présence de référence s poétiques dans le vaste c atalogue du compositeur accompagne constamment les fluctuations de sa cré ation artistique. Milhaud s'est toujours défendu de la sécheresse du pur théoricien et rappelle à tout propos qu'il est "musicien-artisan". Si les rapports entre la musique et la poésie s ont au ce ntre d'un e intense réflexi on théorique q ui concerne aussi bien les poètes que les musi ciens, Milhaud semble délibérément se tenir à l'écart de ce qu'il tient pour polémiques stériles et arguties futiles. Chez lui , le texte poétique est un objet consubstant iel à l'oeuvre et si c'est bien souvent dans son entourage affectif le plus proche qu'il faut rechercher l'origine de telle ou telle dilection, la création musicale qu'en tire l'artiste répond toujours à une nécessité intime. L'aléa biographique révèle un travail intérieur où domine la pulsion impérieuse de ce, qu'à défaut d'autre mot, il faut bien nommer l'inspiration. Cela ne veut p as di re, bien sûr, que Milhaud, à propos de textes poétiques, se soit lancé dans l a composition musicale sa ns principe, sans réflexion, sans recherche crit ique. Mais il n e s'agira jamais pour lui de l'élaboration avouée d'un système abouti et définitif qui est toujours, dans son cas, synonyme de limitation ; bien au contraire la curiosité insatiable du compositeur suppose une attent ion toujours en éveil, une capacité à s'enthousiasmer pour tout ce qui lui semble correspondre à l'exploitation des développements inventifs d'une oeuvre en perpétuel devenir. Milhaud avait horreur des appauvrissements engendrés par les injonctions dogmatiques. En affirmant "ce que je ne pui s concevoir, c 'est que l' on s'enfer me dans u n

22 système comme dans une prison"1, il nous fait découvrir un esprit tel que Montaigne en trace le portrait dans le Livre III de ses Essais : Il n'y a point de fin en nos inquisitions ; notre fin est en l'autre monde. C'est signe de raccourcissement d'esprit quand il se contente, ou de lasseté. Nul esprit généreux ne s'arreste en soy : il prétend tousjours et va outre ses forces ; il a des eslans au delà de ses effects ; s'il ne s'avance et ne se presse et ne s'accule et ne se choque, il n'est vif qu'à demy ; ses poursuites sont sans terme, et sans forme ; son aliment c'est admiration, chasse, ambiguïté2. C'est donc la présence des poètes eux-mêmes dans l'oeuvre musicale protéiforme de l'auteur de Christophe Colomb qu i pourra seul e permettre d'envisager la manière dont Milhaud a contribué, selon un mode qui lui est propre, à résoudre l'éternel problème posé par la confrontation de la musique et de la poésie. 2.2. Au centre des bouleversements d u XX° siècl e : confrontation avec la démarche de Pierre Boulez 2.2.1 Milhaud ou le refus de l'esprit de système Milhaud a certes écrit de nombreux articles théoriques et critiques, il a donné d'innombrables conférences, répondu à de multiples questionnements, sa pensée est vive, incisive, brillante, sa culture immense dans tous les domaines de la création artistique, mais on serait bien en peine d'identifier un seul texte dans lequel il élabore un système où il se proposerait de se tracer un programme qui rendrait possibl e l'exploita tion du fait poétique. Sur ce point, il est catég orique da ns ses affir mations sans appel : "Je n'ai pas d'esthétique, de philosophie de théorie. J'aime écrire de la musique3". Cette affirmation pr ovocatrice place délibérément M ilhaud dans une position marginale au XX° siècle. Accompagnant l'effondrement du système tonal, les musiciens majeurs de ce siècle, d'Alban Berg et Edgard Varèse à Luciano Berio et Philip pe Manoury, ten tent d'ac compagner leur démarche 1 Darius Milhaud, Notes sur la musique, Essais et chroniques, Textes réunis et présentés par Jeremy Drake, p.157, "la composition musicale (1941)" 2 Michel de Montaigne, Les Essais, Livre III, Chapitre XIII, p.1155, ed. Samuel de Sacy, Le Club Français du Livre, 1962. 3 Darius Milhaud, Notes sur la musique, ouvrage cité, p.159.

23 créatrice d'une conscience aig uë, explicite, de s enjeux théoriques que suppose la conquête des "terrae incognitae" esthétiques. Milhaud, lui, semble vouloir ignorer tout ce qui s'interposerait entre l'émotion et son expression musicale. Par là, on l'a vu, il relève e xplicitement d'une famille d'ar tistes-artisans dont la figure la plus représentative est sans conteste Jean Sébastien Bach : Il (c'est-à-dire Jean Sébastien Bach) se voyait comme un artisan consciencieux, appliqué à satisfaire les clients qui lui passaient commande, qu'il s'agisse d'une sonate, d'une cantate ou d'une messe4. Il serait bien réducteur de s 'en tenir à cet te image provocatrice qui ferait du compositeur aixois un naïf inconscient des évolutions du métier et ignorant les problèmes posés par la création musicale dans le climat de crise qui boulevers e tout notre XX° siècle. Ses déc larations pr ennent facilemen t alors valeur de manifeste et ne peuvent se comprendre que dans le vif débat qui confronte les approches contradictoires du problème. Soit dit en passant, Milhaud, aussi bien en tant que critique qu'en tant que pédagogue, n'ignorait rien de la musique de son temps et a manifesté sa vie durant une curiosité très vive pour tous les domaines de la création artistique. Sa "naïveté", si naïveté il y a, est une arme de polémiste au service de l'affirmation maintes fois renouvelée de l'exigence expressive dans l'oeuvre musicale. 2.2.2. Boulez/Milhaud : confrontation de deux univers esthétiques Pierre Boulez, personna lité majeure de la cr éation musicale dans la deuxième moitié du XX° siècle, paraît, dans sa démarche créatrice, symboliser précisément le type d'artiste dans lequel Milhaud ne se reconnaîtrait pas. Il ne s'agit pas de vouloir comparer deux univers que tout sépare, mais à partir du moment où Boulez revend ique lui-même le rap port à la poésie comme fil directeur de sa démarche créatrice, la confrontation de leurs deux approches du même problème e st riche d'enseigneme nt pour tent er de démêler un débat toujours ouvert. Au-delà des repères chronologiques qui séparent des

24 musiciens n'appartenant pas à la même génération, les positions sont suffisamment affirmées et emblématiques pour nourrir une controverse qui a le mérite de poser les problèmes fondamentaux. En effet, la collaboration des deux domaines artistiques relevant de la parole et du son a nourri des débats extrêmement vifs ; elle a susci té des prises d e posi tion tranchées ; elle suppose enfin que soit définie, de facto, la cohérence d'esthétiques souvent diamétralement opposées : La recherche sans fin de solutions pour la confrontation et la fusion de la parole et du chant ne trouvera sans doute jamais (sauf dans le chant popu laire) une solution moderne absolument idéale. Bel canto ? Chant "wagnérien" ? Boris Godounov, Stravinsky ? Lulu ? Pelléas ?5 2.2.2.1. Boulez, une pensée en mouvement. Les relations entre poésie et musique ont fait l'objet de la part de Pierre Boulez d'une attent ion toute particulière. Ses r éflexions suive nt ou accompagnent l'oeuvre tout entier. I l serait réducteur et i ntellectuel lement malhonnête de penser que le fondateur du Domaine Musical campe sur des positions définitives. Sa p ensée, certes rigoureuse, offre t outes les fluctuations de celui pour qui le texte poétique admiré et choisi éveille les capacités de création. Dans un entretien récent, le compositeur se défend de ne voir dans l'utilisation de la poésie par le musicien qu'un jeu formel : Ce que l'on peut prendre dans la littérature ou dans la peinture, c'est ce que l'on peut transposer. Si vous faites un emprunt littéral, cela ne marchera jamais car les catégories de la littérature, comme celles de la peinture, sont des catégories complètement différentes de la perception. Il faut savoir "abstraire", de la littérature ou de la peinture6. André Velter rappelle que l'entreprise de Boulez "tente d'inscrire à sa place la musique du présent"7 : 4 Michel Tournier, Léonard et Jean-Sébastien, p. 256, in Célébrations, Essais, Mercure de France, 1999, 348 pages 5 André Boucourechliev, Debussy ou la révolution subtile, p. 79, coll. "Les chemins de la musique", édit. Fayard, 1998, 125 pages 6 "Entretien avec Pierre Bou lez" par Omer Co rlaix, propos recueil lis le 13 mai 1998, revue Accents, N° 6, sept.-déc. 1998, p.3 7 André Velter, "Pierre Boulez, son poète et son peintre", Le Monde, 16 XI 1989

25 Il n'est pas juste, de laisser la musique improviser son évolution, loin derrière les autres moyens d'expression ; il faut lui donner la chance de s'intégrer aussi totalement que possible dans la conscience actuelle, dans l'effort global d'aujourd'hui8. C'est à la lumière de ce s deux pr éoccupations (principe de la transposition et réflexion théorique dans le sillage du mouvement intellectuel moderne) qu'il faut comprendre un cheminement dont l'exemplarité offre des points de référence précieux pour cerner le problème complexe des relations poésie/musique que Milhaud envisage d'un tou t autre point de vue. N'oublions pas que Boulez lui-même affirme : D'une certaine manière, plus on est évident, plus on est obscur. [...] Plus vous voulez souligner, rendre évidente une idée, et plus vous créez en fait, de nouvelles connotations en ajoutant des niveaux de compréhension et de langage. C'est pourquoi les choses les plus évidentes peuvent parfois devenir les plus obscures9. 2.2.2.2. Poésie et musique : théorisation d'une démarche. Célestin Deliège observe qu e chez l'auteur de Poésie pour pouvoir, l'expérience de composition a été accompagnée de sa théorie généralement exposée dans un artic le10. Da ns l'article Son et v erbe11, Bou lez pose les principes qui le conduisent à nourrir sa création musicale de l'oeuvre de Char, de Mi chaux, de Mallarmé ou de Cummi ngs. Il observe tout d'abord que le parallélisme entre l'évolution de la mu sique et celle de la poésie n'est pas évident, même si "les grands courants poétiques ont une forte résonance sur le plan esthétique de la musique." Il distingue deux sortes d'influence qu'il matérialise en faisant référence à différents types d'écrivains qui constituent des couples12 : Mall armé/Rimbaud et Joyce/Kafka. En effet il oppos e "les 8 ibid. 9 "Entretien avec Pierre Boulez" par Omer Corlaix, article cité. 10 Pierre Boulez, Par volonté e t par hasard, ent retiens a vec Célestin De liège, co ll. Tel Quel, éditions du Seuil, 1975, 161 pages. 11 Pierre Boulez in Relevés d'apprenti, p.57, article paru en 1958, coll. Tel Quel, éditions du Seuil, 1966, 386 pages 12 au sens où l'on peut parler de couples de for ce dans le domain e des sciences physiques par exemple

26 influences précises, dirigées" 13 et "les influences plus diffuses, par osmose" 14. Il ne s'agit pas pour lui de choisir un poème pour en faire "le point de départ d'une ornementation qui tissera ses arabesques autour de lui" 15, il s 'agit bi en plutôt de faire en sorte que le poè me devienne "source d'irrigation de (sa) musique"16. Ainsi l'on peut comprendre que le choix de la poésie de René Char dans Le Marteau sans Maître est l'occasion pour le jeune compositeur de s'interroger su r les prob lèmes posés par la perception du temps musical : Si un texte est trop abondant, le temps devient tellement distendu que la musique n'a plus aucune raison d'être par rapport au temps. Au contraire dans la poésie de Char, où le temps est extrêmement concentré, la musique non pas détend ce temps, mais a la possibilité de se greffer dessus. Ce poème ne rejette pas la musique, mais l'appelle, au contraire17. Boulez développe une analyse dont la cohérence peut se retrouver tout au long de textes théoriques qui jalonnent sa carrière de créateur. Préalablement à toute approche du texte verbal, il suppose que le travail du compositeur n'est possible qu' à la condition que le text e écrit soit lu ou entend u par l'auditeur : Si vous voulez "comprendre" le texte, alors lisez-le ! ou qu'on vous le parle : il n'y aura pas de meilleure solution18. La "greffe" musicale, pour re prendre la terminologie de Bou lez vise autre chose qu'une vague correspondance entre verbe et musique, "le chant n'est pas pouvoir de diction agr andi, il est tran smutation e t, avouons-le, écartèlement du poème" 19. C'est à Antonin Artaud que Boulez prête le don prophétique d'opérer "la fusion du son et du mot", en laissant percevoir dans 13 Mallarmé, Joyce 14 Rimbaud, Kafka, remarquons à ce propos que Boulezle 13 mai 1998 déclare qu'il ne pense pas sa perception de la poésie "sur le mode des influences" (revue Accents, article cité) 15 Son et Verbe, article cité, p.58 16 Son et Verbe, ibid. 17 Par volonté et par hasard, entretiens avec Célestin Deliège, p.54 18 Son et Verbe, article cité, p.61

27 la lecture des textes "comment faire gicler le phonème, lorsque le mot n'en peut plus, en b ref, "comment organis er le dél ire"20. Par là, il légit ime une démarche de créateur qui propose le prisme de sa composition pour explorer les ressource s du texte poétique : "De plus en plus, j'imagine que pour le créer efficace, il faut considérer le délire et, oui, l'organiser" 21. Interrogé par Célestin Deli ège sur la genès e et la cohérence de son oeuvre à propos de Pli selon Pli, Boulez insiste sur la rigueur d'une démarche qui le condui t à s'in spirer de Char, de M ichaux , de Mallarmé. Le chapitre consacré à Cummings ist der Dichter l'amène à souligner que la cohérence de son entreprise est une progression dans sa démarche esthétique : Il y a une fidélité à soi-même qui est indispensable. Il ne faut pas se figer sur des fidélités qui deviennent des fidélités académiques, mais si l'on veut progresser22, il est utile de ne pas oublier ce qu'on a fait23. Revenant sur ce qui l'a intéressé dans l'oeuvre de Mallarmé, il rappelle que chez Char comme chez Michaux, "la préoccupation formelle, le rangement des mots, leur cohésion, le ur sonorité en ta nt que telle n'est pas une préoccupation fondamentale"24. Ce qui le séduit au contraire chez Mallarmé, "c'est l'extraordinai re densité formelle de ses poèmes"25. À p artir de cet intérêt, le compositeur dégage une procédure d'une grande rigueur théorique qui explique l'oeuvre en la situant dans une démarche globale : Ce qui m'a intéressé, c'est de trouver un équivalent musical, poétique et formel à sa poésie. C'est pourquoi j'ai choisi de Mallarmé des formes très strictes26, pour leur donner une greffe qui soit prolifération de la musique à partir d'une forme aussi stricte ; cela m'a permis de transcrire en musique 19 ibid., p.59 20 ibid.,, p.62 21 ibid. 22 c'est nous qui soulignons 23 Par volonté et par hasard, entretiens avec Célestin Deliège, op. cité, p.158 24 ibid., p.121 25 ibid. 26 en l'occurrence des sonnets

28 des formes auxquelles je n'avais jamais pensé, issues des formes littéraires qu'il a employées lui-même27. Les convergences sont de trois types. La première est définie comme "convergence poétique", Boulez parle là de plan émotionnel, expliquant que son choix de textes relève de cette convergence toute simple. Elle joue sur certaines équivalences de sonor ités et fait correspondre par exemple à l a notion de vitre " des sons t rès longs, très tendu s qui font part ie de cette espèce d'univers non pas figé, mais extraordinairement "vitrifié". La seconde de ces convergences regarde la construction du poème lui-même. Le sonnet suppose l'adoption d'un "modèle" très rigide dans la répartition des rimes. Le compositeur établit un code ri goureux lui faisant chois ir une org anisation sonore précise pour une rime masculine ou féminine. "Pour une autre rime masculine ou féminine, (il) e mploie u n type de structure voisin, mais en variant. Au fur et à mesure, ces "improvisations" s ont une anal yse de la structure du sonnet, mais d'une façon de plus en plus détaillée, de plus en plus profonde." Les trois morceaux portant les titres resp ectifs d'Improvisations I, II, III, corre spondent à trois explorations concer nant d'abord la nature strophique du sonnet, puis la ligne, le vers lui-même, enfin la structure du vers déterminé pa r sa plac e dans le sonne t. La troisième convergence étudie les rapports numériques. Le compositeur prend l'exemple d'un sonnet construit avec des octosyllabes et insiste sur le fait que dans la deuxième Improvisation, "le chant est en même temps syllabiq ue et mélismatique autour d'une note donnée, la structure repose sur le chiffre huit : c'e st-à-dire que tous l es évènements importants, très a udibles, se rapportant à l'énonciation du vers lui-même ont le chiffre huit comme base, parce que les sonorités de départ sont au nombre de huit." Le compositeur peut parler alors "d'osmose complète, depuis la poétique elle-même jusqu'au choix des nombres du poème fait par Mallarmé." Cette osmose est si totale qu'elle suppose "une transformation complète si profonde qu'elle (l)'a obligé 27 Par volonté et par hasard, ouvrage cité, p.122

29 à fair e une oeuvre et un e forme complète ment originales." L e poème devient alors selon une f ormule d'Henri Mi chaux "cen tre et absence de musique" 28. L'exploration de l'oeuvre de Cummings dans Cummings ist der Dichter sera l'occasion pour le compositeur de continuer cette étude en soulignant que si "Mallarmé mettait les mots d'une façon nouvelle, essayant de trouver une jonction syntaxique différente, Cummings rentre dans le vocabulaire lui-même, et, dans certains poèmes spécialement, il a un merveilleux usage des doubles sens, des ambiguïtés de mot à mot." Le compositeur, fidèle à sa ligne de conduite, ne cherche pas à faire de "transcription littérale des découvertes de Cummings , (mais se propose) de déc ouvrir une trans cription de son univers dans le (sien). Ces poèmes (l)'on t beaucoup aidé à retrouver une certaine fraîcheur" 29. Un an à p eine apr ès la mort de Milhaud, Boulez propose donc à la création musicale une révolution qui lui permette d'aborder le futur, en se déchargeant de tout le poids inutile qu'un passé encombrant fait peser sur elle. Il s'appuie pour justifier cette rupture sur une réflexion théorique où le rapport du son et du verbe occupe une place importante, comme on l'a vu. Il tire parti, en particulier, du déve loppement des sciences humaines, tout particulièrement de la linguistique, à partir de s années soixante. Ce qui lui permet de conclure ainsi ses entretiens avec Célestin Deliège : Dans d'autres domaines, comme les domaines scientifiques par exemple, on pense selon d'autres principes, selon d'autres directions. Il est impossible de ne pas le faire aussi en musique. La linguistique a fait des progrès énormes, le vocabulaire musical n'a pas fait de progrès comparables. C'est maintenant ou jamais de se décharger la mémoire de beaucoup de choses et de progresser, mais sur une base théorique solide30.Il y a actuellement une activité un peu désordonnée, pas toujours très intéressante. Quand on veut éviter l'histoire, on l'ignore parce qu'on ne l'a jamais connue : il 28 toutes les citations concernant Mallarmé et Pli selon Pli sont empruntées au chapitre XIV de Par volonté e t par hasard, e ntretiens a vec Célestin Deliège intitulé "Nouvelles convergences avec la poésie", p.121, ouvrage cité. 29 ibid, p. 127 30 c'est nous qui soulignons

30 y a beaucoup d'autodidactes, mais des autodidactes de hasard. Ce que je désire maintenant, c'est que tout le monde soit autodidacte par volonté31. L'appel de Boulez est donc à double effet : d'un côté, faire table rase d'une tradition sclérosante, pour ne pas dire débilitante, d'un autre côté bâtir (ou rebâtir) sur ces décombres en se servant tout particulièrement de l'apport scientifique de la ling uistique. Délibérément la démarche créatri ce se veut consciente de son processus, rép ondant à d es exigen ces très rigoureuses pour être en accord avec les évolutions intellectuelles et scientifiqu es de l'époque. La densité et la concentration que suppose une telle approche du fait musical classe Boulez dans la lignée des compositeurs rares dont l'oeuvre est scrupule usement pesée. Webern en préfigure la lignée au début de ce siècle. Sa démarche suppose une rigueur telle que Stravinski l'a comparée à celle d'un "secret polisseur de diamants"32. 31 Par volonté et par hasard, entretiens avec Célestin Deliège p.159 et 160 32 cité par Antoine Goléa, L'aventure de la musique au XX°, p.21Le Point, LVIII, Mulhouse, 1961, 48 pages

31 2.3. Enjeux du débat théorique : déf ense et illustration d'une pratique "artisanale" du métier de compositeur au XX° siècle. L'influence prépondérante de l'école sérielle sur la composition musicale dans la deuxième moitié du XX° siècle s'est donc trouvée renforcée par les correspondances soulignées par Boulez entre les développements des sciences humaines (tout particulièrement de la linguistique) et une nouvelle manière d'envisager l a création artistique. Les développements du dernier demi-siècle amènent néanmoin s à s'interroger sur la légitimité d'une exploration du fait musical par le détour de la linguist ique. En effet, nombreuses ont été les tentatives théoriques pour suivre dans le domaine des sons les pistes ouv ertes par l'étude scien tifique du l angage, et plus largement de la sémiologie. C' est par e xemple le propos de Nicolas Ruwet lorsqu'il déclare en janvier 1965 : [...] Je traiterai la musique comme un système sémiotique, partageant un certain nombre de tr aits communs -tel que l'existence d'une syntaxe - avec le langage et d'autres systèmes de signes. Je laisserai complètement de côté l'aspect proprement esthétique, et notamment la question de savoir si l'esthétique peut se réduire à une sémiotique33. La recherche qui avait pu ê tre considér ée comme prometteuse e t novatrice est sujette à un réexamen critique. Tout particulièrement lorsque a été mise en évidence l'irréductibilité du fait musical au fait linguistique. Robert Casati et Jérôme Dokic utilisen t pour la musique l e concept de "quasi-syntaxe" en insistant sur tout ce qui sépare la musique d'un véritable langage. Ils concluent ainsi un article récent : Tout ce qui est structuré et a des capacités représentationnelles n'est pas un langage. Du fait que la musique est structurée et qu'elle a ces capacités, il ne s'ensuit pas qu'elle soit de nature linguistique. Et plusieurs 33 Nicolas Ruwet : Langage, musique, poésie, coll. Poétique, Seuil, 1972, in "Méthodes d'analyse en musicologie", p.100

32 indices nous invitent à la considérer comme étant tout à fait irréductible à un phénomène linguistique34. Les perspectives de recherches qui ont traversé tout ce siècle débouchent donc paradoxal ement sur la célébration du fait musical dans sa spé cificité mystérieuse et féconde. La levée d es présup posés que supposaient des explorations parallèles entre domain es irréductibles rend à la pratique de Milhaud toute sa fraîche ur et sa modernit é sans p rétention moderniste. L'examen attentif de la démarche de Boulez propose a posteriori les raisons qui conduise nt à s'interroger sur l'origina lité d e l'auteur des Choéphores. Comment légitimer cet univers esthétique protéiforme qui met en avant la notion de plaisir musical ? Comment répondre au sourire sarcastique de Stockhausen lors de sa visite dans l'appartement californien de Mills ?35 Et si justement Milhaud permettait de renouer un fil culturel que la tragédie de la Seconde guerre Mondiale avait cassé en Europe ? Un fil que la pratique de l'enseignement a maintenu présent dans l'Amérique de l'exil, et réinstallé dans l'Europe bouleversée d'Après-Guerre ? En effet si Stravinsky a pu parler d e l'eau d'un diamant pour caractériser l'oeuvre de Webern, assuré ment le musicien aixois pr ivilégie l'élément fluide et se détourne du minéral rare et compact. Aucune barrière ne résist e à la poussée, calme ou i mpétueu se, d'un e inspiration toujours renouvelée où affleurent les échos d'une immense culture (musicale, littéraire, picturale ...). Le volumineux catalogue s'explique tout simplement par le fait que la musiqu e, pour l e compositeur de La Créati on du Monde, est consubstantielle à sa perception du monde, qu'elle est le mond e lui-même dans les échos complexes éveillés en lui. Claude Roy en donne l'impression la plus vive et la plus juste en écrivant : 34 Roberto Casati, Jérôme Dokic, La musique est-elle un langage ?, p. 135, in Musique, rationalité, langage. L'harmonie : du monde au matériau (comité de rédaction : Soulez Antonia, Schmitz Françoi s, Sebestik Jan) Cahiers de philosophie du langage , n° 3, L'Harmattan, 1998, 202 pages 35 Stockhausen est charmant, gentil, séduisant. Il m'amusa beauco up lorsqu'il feuilleta la partition de mon Quatuor avec piano que je venais de recevoir de mon éditeur, car malgré sa gentillesse, il ne put s'empêcher de

33 Toujours la musique courait, murmurait, coulait, glissait, musique qu'il capturait sur une table de bridge boulevard de Clichy, ou sur les genoux dans le train, ou sur la tablette de plastique d'un avion de ligne, ou dans sa chambre d'hôtel à New York ou Jérusalem36. Ned Rorem en 1951 a été lui aussi frappé par cet environnement musical qui allait de pair avec une capacité d'accueil exceptionnelle : "Il passe sa vie dans une chaise roulante chromée. Mais sa voix est musique en elle-même. Étant le plus important des "Six", il est le moins "maître" de chacun d'eux. [...] Il aime la jeunesse et vit pour la musique, et quand il me dit de bonnes choses sur mon travail, j'oublie tout ce que quiconque a jamais dit37. Ce bain de musique inséparable de l'image qu'on peut se faire de Milhaud, transforme quelque peu la pe rception préalable du pr oblème posé par l'omniprésence de la poésie tout au long de la vie créatrice du musicien. En effet il ne s'agit pas pour lui de vouloir accompagner, harmoniser, un texte poétique, il s'agit très pr écisément de le concevoir musical ement, d'en prendre connaissance dans le processus créateur au mome nt où les mots supposent la musique et où la musique suppose les mots. C'est un peu ce que Romain Rolland laisse entendre lorsque, dans son étude sur Haendel, il évoque l'exemple de Mattheson : "(Il) était trop musicien pour asservir la musique à la parole. Il cherchait à les unir, en sauvegardant leur indépendance à toutes deux, mais en donnant le pas à l'âme sur le corps, à la mélodie sur la parole38. dire : " C'est drôle qu'on fasse encore de la musique comme ça ! ". Ma Vie Heureuse, ouvrage cité, p.276 36 Claude Roy, Préface in Darius Milhaud, Entr etiens avec Claude Rostand(1952), réédition 1992 chez Belfond, p.7 37 His life is spent in a chromium wheelchair. But his voice is music itself. Being the most significant of "Les Six", he is less "maître" than any of them. [...] He loves youth and lives for music, and when he tells me good things about my work I forget what anyone else ever said. Ned Rorem, The Paris Diary, Da Capo Press New York 1998, p. 63, décembre 1951, 399 pages 38 Romain Rolland, Haendel, p. 36, éd. Albin Michel, 1951, 315 pages

34 Si Milh aud n'a jamais développé méthodiquement une théorie qui lu i permette d'exploiter les possibilités d'un système mariant poésie et musique, il n'en r este pas moins, e t cela permet de n uancer quel que peu les affirmations précédentes, qu'appar aissent ça et là dans ses écrits, des indications précieuses, même si ell es sont fragmentaires, à propos des relations mystérieuses entre les sons et les mots. Jeremy Drake se pose la question de savoir si Mil haud est le genre de composit eur "qui n'a pas la tournure d'esprit pour fa ire des recherches théoriqu es, des expé riences pratiques ? " Et il répond à juste titre : Le portrait que l'on peut faire d'un Milhaud empirique, composant au seul gré des mouvements de son inspiration, est un portrait flou et imparfait. Bien qu'il soit vrai que chez Milhaud, avec l'humilité de l'artisan, il y avait tout de même bien plus, car Milhaud s'est révélé -pendant un temps du moins- un théoricien et expérimentateur unique dans sa génération, et même durant toute sa vie il possédait cette curiosité de l'homme ouvert sur le monde qui l'entoure, et qui réagit avec ce monde pour faire partie de ce monde39. Il s'agir a donc de réunir les élé ments qui pe rmettent d e dégager la cohérence d'une démarche, tout en sachant que Milhaud respirait la musique et que ce tte qualité revendiquée de mus icien exclut, par princ ipe, toute attitude dogmatique. "Chaque oeuvre appelle un style spécial, qui doit garder sous ses aspe cts différe nts la personnalité inta cte et authentique de son auteur40". Son appel à la postérité est simple, il repose sur l'amour du métier et l'évidence mélodique : J'aime écrire de la musique. Je le fais toujours avec amour sinon je ne le fais pas. [...] Un compositeur doit TOUT FAIRE avec application, avec toutes les possibilités de la technique contemporaine dont il dispose, pour qu'après une vie de labeur, il puisse espérer voir demeurer des oeuvres dont la ligne mélodique pourra rester dans les mémoires, puisque la 39 Jeremy Drake Le langa ge musical dans les oe uvres dramatiques de Mil haud, in Honegger - Milhaud, Musique et esthétique, Ac tes du colloque de novem bre 1992 à la Sorbonne, ed. J. Vrin 1994 40 Darius Milhaud, Notes sur la musique, Esais et chroniques, Textes réunis et présentés par Jeremy Drake, p.158, La compquotesdbs_dbs48.pdfusesText_48

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