[PDF] De Chénier à Baudelaire panorama critique





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Agrégation de lettres modernes 2018 : Chénier - Bibliographie

07-Feb-2018 André Chénier. Le Jeu de paume Hymne



Un regard sur lesthétique dAndré Chénier

Mots clé: A. Chénier poésie française



Corrigé du bac L Français (1ère) 2015 - Métropole

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Note sur la poésie française au XVIIIe siècle

La poésie du XVIIIe siècle français à l'exception de l'œuvre d'André Chénier novateur qu'André Chénier se raccroche aux poètes antiques comme.



De Chénier à Baudelaire panorama critique

Beuve Alfred de Vigny « avaient ressuscité la poésie française



Corrigé du bac L Français (1ère) 2015 - Métropole

confirmation des difficultés du voyage (suggérées dans le premier quatrain mer // flots Du Bellay Antiquités de Rome



andre chenier and the latin loue elegy; a study in neo-classicism

Latin elegists and the French poet has never before been undertaken. Only André Chénier's poetry his frequent references to the 'Emblèmes antiques'.



Lhistoire éditoriale de loeuvre dAndré Chénier (1762-1794) ou L

16-Jan-2018 recherche français ou étrangers des laboratoires publics ou privés. L'histoire éditoriale de l'oeuvre d'André Chénier.



ANDRE CHENIER AND THE LATIN LOUE ELEGY; A STUDY IN

Latin elegists and the French poet has never before been undertaken. Only André Chénier's poetry his frequent references to the 'Emblèmes antiques'.



Imitation inventrice et harpe éolienne chez André Chénier : une

25-Jul-2013 La lecture des textes poétiques et critiques d'André Chénier a de quoi ... S'il appelle la poésie du présent à « faire des vers antiques » ...

ŒUVRES DE G. E. CLANCIER

POESIE

Le

Paysan Céleste, Ed. Robert Laffant (épuisé). Journal Parlé, Ed. René Rougerie, Limoges (épuisé). Terre Secrète, Ed. Pierre Seghers (épuisé). Vrai Visage, Ed. Pierre Seghers (épuisé). Une Voix, Ed. Gallimard. Evidences, Ed. Mercure de France.

ROMANS

Quadrille

sur la tour, Ed. Mercure de France. Secours au Spectateur, Ed. Robert Laffont. Dernière Heure, Ed. Gallimard. Le Pain Noir, Ed. Robert Laffont. * Le Pain Noir. ** La Fabrique du Roi. *** Les Drapeaux de la Ville. **** La Dernière Saison.

ESSAIS

André

Frénaud, Poètes d"Aujourd"hui, Ed. Pierre Seghers. Panorama critique de la Poésie Française de Rimbaud au Surréalisme, Ed. Pierre Seghers. Retrouver ce titre sur Numilog.com

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Dans la même collection " LA POESIE FRANÇAISE » ont été publiés : Troubadours et Trouvères par France Igly, La Poésie du Passé par Paul Eluard, De .!iimbaud au Surréalisme par Georges-Emmanuel Clancier, Les Nouveaux Poètes français par Jean Rousselot.

TOUS DROITS

DE REPRODUCTION, D"ADAPTATION ET DE TRADUCTION RÉSERVÉS

POUR TOUS

PAYS.

1963 ÉDITIONS SEGHERS, PARIS

IMPRIMÉ

EN FRANCE

Printed in

France Retrouver ce titre sur Numilog.com

AVANT-PROPOS

u

NE révolution du langage marque la poésie française moderne. Cette révolution, Rimbaud l"apporta, qui rêvait de changer la vie, comme Marx de transformer le monde, ou plus tard Freud de libérer l"homme de ses pièges inté- rieurs. Toutefois, cette révolution du langage poétique, fomentée par l"auteur des Illuminations, n"aurait pas été possible sans le tâtonnant mais vaste élan lyrique du Romantisme.

Avec

Rimbaud intervient la notion d"expérience poé- tique, qu"il faut entendre dans un double sens à la fois parallèle à celui d"expérience - d"aventure - intérieure délibérée, et à celui de l"expérience scientifique qui va dominer la seconde moitié du XIX. siècle comme notre propre temps. Pour mener à bien une telle expérience, Rimbaud et les " horribles travailleurs » qu"il appelait, ont d"une part disposé de la matière considéràble, du trésor d"images, de rythmes, de visions amassé par Chénier, par Lamartine, par Vigny, par Nerval, par Borel, par Hugo, par Baude- laire, etc..., d"autre part ils ont été éclairés aussi bien par les tentatives que par les échecs de ces mêmes poètes. C"est dire que la poésie contemporaine a une dette bien plus essentielle qu"on ne feint en général de le croirà envers le Romantisme français. C"est avant tout, une dette du langage : en somme, une dette du sang, qui touche à l"être même de la poésie. C"est aussi parfois une dette de reprît (Je pense par exemple à l"écho de certaines atti- tudes des " Petits Romantiques » dans l"éthique sur- réaliste). On a trop tendance à dédaigner cela, et à ne considérer que la seule influence du Romantisme Anglais Retrouver ce titre sur Numilog.com

et du Romantisme Allemand : c"est oublier qu"en poésie un mot, une image, un rythme, un chant, bref un langage, sont aussi contagieux (sinon plus) qu"une idée. Autrement dit, par exemple : Hugo, Sainte-Beuve, O"Neddy, Aloysius Bertrand ont eu, j"en suis persuadé, plus d"influence sur la poésie baudelairienne que l"œuvre et l"esthétique de Poe.

Ainsi,

un premier panorama des temps modernes de la poésie me semble-t-il aller de Chénier à Baudelaire ; un second, de Rimbaud au Surréalisme. Chénier et Baude- laire : l"un et l"autre se situent à la charnière de deux époques, de deux tendances de la poésie. Le premier, à la charnière de la tradition classique et du romantisme, de l"Antiquité et de la poésie nouvelle, de l"Ancien Régime et de la République ; le second, à la charnière, d"une part du Romantisme tel que Lamartine, Vigny, Hugo, Sainte- Beuve, Nerval et les " Petits Romantiques » l"ont accompli, du classicisme aussi d"un Racine qu"il a retrouvé dans la musique, la tension du langage, la passion hautaine, d"autre part de ce que lui-même appelle la modernité : ce sens du nouveau, du monde inquiétant et fascinant des villes, des foules, de la beauté particulière, éphémère, irrem- plaçable des êtres, des choses et des jours. De Chénier assassiné, s"éloignant du seuil des anciens temps, et qui sur des pensers nouveaux faisait des vers anciens, à Baudelaire, sous les chaînes éternelles tourné vers le futur, et tirant des " fusées » de sens et de sons nouveaux, une grande diversité, malgré la commune éti- quette " romantique », règne sinon dans l"esprit, du moins dans l"expression, le chant, la couleur des œuvres qui jalonnent le demi-siècle. Si des masses d"impuretés entachent nombre de ces volumes de vers, il vaut cependant la peine d"aller chercher, au-delà de ces erreurs, de ces fautes ou de ces faiblesses, les strophes, les fragments qui continuent à briller et à luire d"un juste éclat pour le cœur, l"âme ou le songe. C"est à une telle recherche que je me suis efforcé au cours de ce livre. Il s"étend sur un peu plus d"un siècle : approximativement de la nais- sance de Chénier (1762) - afin de situer le mouvement poétique en France au moment où le jeune André va décou- vrir sa vocation - à la mort de Baudelaire (1867). Certes, Retrouver ce titre sur Numilog.com

Hugo le géant débordera ce cadre par sa longévité - celle de son œuvre comme celle de sa vie - et Leconte de Lisle, présent dans ce panorama critique, ne mourra qu"en 1894 ; mais, en fait, les poètes dont les premières œuvres nais- sent après " Les Fleurs du Mal > ne figurent pas dans ces pages ; ils me semblent appartenir, que leur voix en témoigne ou non, à la seconde époque de la poésie fran- çaise moderne. Il

nous faut revenir sur le cas Hugo. En effet, son œuvre (même en s"en tenant, comme il en va ici, à ses seuls livres de poèmes) est vi vaste, si diverse, si vivante dans ses métamorphoses, qu"elle justifierait à elle seule un " pano- rama » dans cet ensemble. Il y eut un Hugo pré-roman- tique, un Hugo romantique, un Hugo pré-symboliste, un Hugo pré-surréaliste (entre autres)). Son œuvre, par sa complexité poétique, échappe en fait à tout essai de clas- sification : si on la trouve ici présentée avec le Roman- tisme, ce sera pour marquer plus sa source que son delta.

Mon

ambition n"a pas été d"ajouter un nouveau volume d"histoire littéraire à tant d"ouvrages d"érudition, à tant de " manuels » qui ont parfaitement tracé l"évolution du mouvement romantique français : de sa naissance, de son épanouissement, de ses conséquences. Dans cette étude et cette anthologie, la part de l"histoire littéraire sera réduite au minimum, à quelques jalons sans doute indispensables pour saisir la courbe, les tendances, la vie de la poésie fran- çaise pendant cent années, et à un plan dont le seul but est de tracer des " avenues » destinées à faciliter la lecture. Ce plan sera le suivant : une première partie dressera la situation de la poésie française (un désert avec çà et là quelques oasis) de la naissance de Chénier à la publication posthume de ses poèmes. La seconde partie groupera les poètes romantiques de Marceline Desbordes-Valmore à Nerval ; une troisième sera consacrée aux grands esprits malhabiles qu"on réunit souvent sous l"appellation de " Petits Romantiques > ; viendra ensuite le " Panorama Hugo » ; puis " Du Romantisme au Parnasse » ; enfin, cime isolée, comme l"était la chaîne aux mille pics de l"œuvre hugolienne - mais préparée, annoncée par les ten- Retrouver ce titre sur Numilog.com

tatives des " Petits Romantiques » - l"œuvre de Baude- laire occupera la dernière partie. Non, l"ambition de ce livre n"est point d"ordre historique ni savant, mais proprement poétique. Je veux dire que ce dont j"ai rêvé, c"est de recréer (partiellement) une poésie, de lui faire retrouver la jeunesse qu"elle ne cessait de porter, mais que nous ne savions pas toujours reconnaître en elle. Naguère, Le Corbusier intitula l"un de ses meilleurs essais : " Quand les Cathédrales étaient blanches », entendant par là que nous ne savions plus voir nos cathédrales sous la patine du temps et la grisaille de l"habitude, sous le voile du respect comme sous la taie de l"indifférence. L"archi- tecte nous invitait à redécouvrir la jeunesse prodigieuse des monuments anciens, leur audace, leur nouveauté, leur force. Au nom de ces hardiesses perdues, et grâce à lui retrou- vées, Le Corbusier nous engageait à projeter dans notre propre temps, dans l"architecture d"aujourd"hui et de demain, la leçon et la force d"invention dont témoignaient les églises du passé. Plus simplement encore, nous voyons Paris, par la rénovation de ses façades, refleurir d"une jeune beauté que la poussière accumulée des siècles cachait à nos yeux attristés ou las. De même, je voudrais que ce livre aidât si possible à faire resurgir à nos regards la poésie romantique comme une blanche cathédrale (pas à la Viollet-Le Duc !), comme une ville vivante, dans la jeunesse et la clarté de son élan, dans la nouveauté de ses images, de sa musique, de son chant ; ou tout au moins à la défaire des scories, des pous- sières, des parcelles mortes qu"inscrivit en elle une mode éphémère et pour nous vaine ou ridicule ; à la délivrer également des linceuls dont l"ont enveloppée aussi bien le ressassement de leçons sans génie que le mépris, la mau- vaise foi, le dédain facile, l"injustice de " délicats » offus- qués par les fautes de goût, les excès, la démesure roman- tique, en particulier chez Hugo. On relèvera sans doute encore beaucoup de " faiblesses » dans maints vers cités : c"est qu"il faut beaucoup de talents incertains ou avortés pour que surgisse ensuite un chef-d"oeuvre : ainsi des poètes mineurs qui annoncent Chénier, Lamartine ou Hugo ; ainsi encore des " petits romantiques » qu"on avait bien légère- ment relégués dans l"oubli - au nom des " classiques » du Romantisme, je veux dire des " quatre Grands » : Hugo, Lamartine, Vigny, Musset, étudiés dans les classes - et Retrouver ce titre sur Numilog.com

Dieux ! avec quel transport je reconnus sa tour, Son moulin, sa cascade, et les prés d"alentour ! Ce ruisseau dont mes jeux tyrannisaient les ondes, Rebelles comme moi, comme moi vagabondes ; Ce jardin, ce verger dont ma furtive main Cueillait les fruits amers, plus doux par le larcin ; Et l"humble presbytère, et l"église sans faste, Et cet étroit réduit que j"avais cru si vaste, Où, fuyant le bâton de l"aveugle au long bras, Je me glissais sans bruit, et ne respirais pas ; Et jusqu"à cette niche, où ma frayeur secrète A l"œil de l"ennemi dérobait ma retraite, Où sur le sein d"Eglé, qui partageait ma peur, Un précoce plaisir faisait battre mon coeur !

Pour faire battre

à nouveau le cœur de la poésie, il faudra certes d"autres musiques, d"autres images que les ronrons et les clichés très habiles de l"abbé.

On

trouve généralement chez nous de l"énergie par accès ; des vertus de tempérament qui n"ont point de suite ; des éclairs d"esprit qui s"éteignent dans la nuit de l"indolence ; une médio- crité passive qui ne nous laisse déployer ni de grands talents, ni de grands vices ; lin sentiment de mollesse, accru par le dégoût des obstacles et par l"amour du repos ; un défaut de mémoire et une langueur d"imagination qui peuvent venir de la faiblesse de nos organes... Ainsi Nicolas-Germain Léonard (1) peignait-il la charmante indolence des gens des îles, dont il était, cette même indolence que leur reprochait plus tard Baudelaire pour y opposer, en contraste exceptionnel, la vigueur de pensée et d"art qu"il croyait trouver chez Leconte de Lisle. Léonard et Parny, tous deux marqués par cette nonchalance exotique, auront été sans doute les deux seuls, parmi tous les faiseurs de vers du siècle de Voltaire, à se montrer çà et là, malgré l"accoutrement et les fards de leur langage, vraiment poètes, et comme les timides annonciateurs de Chénier puis de Lamartine. Ainsi Léonard écrit, non sans un sens de la mélodie du verbe :

1.

Né à la Guadeloupe en 1744. Mort en 1/9.1. Œuvres : Idylles morales (1766) ; Idylles et Poèmes Champêtres (1775) ; Lettre sur un voyage aux Antilles (1783). Retrouver ce titre sur Numilog.com

0 mes vers ! préférez les plus affreux déserts. Je veux, au fond des bois, égarer ma pensée. C"est là que mon amante est partout retracée. Souvent je crois l"entendre, et ce n"est qu"un ruisseau Qui baigne en murmurant les bords de son rivage. Souvent je crois la voir, et ce n"est qu"un rameau Dont les vents agitent l"ombrage. Assis sur un rocher et plus morne que lui J"invoque dans mon infortune Les astres de la nuit, et le ciel, et la lune... Ils sont sourds, et mon cœur ne trouve point d"appui. Doux entretiens de ma maîtresse Hélas ! qu"êtes-vous devenus ? Une mère... un tyran l"arrache à ma tendresse ! 0 nymphes de ces bois, vos attraits sont perdus ! Et vous qu"embellissait sa vue enchanteresse, Tombez, arbres, tombez ! Vous ne la verrez plus.

C"est à

Léonard encore que Lamartine devait emprunter, un demi-siècle plus tard, l"un de ses vers devenus fameux :

Je demande

Doris à tout ce que je vois... Un seul être me manque et tout est dépeuplé.

Lamartine

s"est contenté de changer le : " me manque » en " vous manque ». Rendons à Léonard... Du

dix-huitième siècle, Parny (1) a l"élégance, la rhétorique, le libertinage ; mais il y joint une grâce, une sensibilité et une sensualité vraies qui plus d"une fois accèdent à la poésie. Celle- ci, on la trouve surtout dans les poèmes en prose des " Chan- sons Madécasses », car dans ses vers Parny demeure plus pri- sonnier du langage apprêté à la mode du temps. Sainte-Beuve remarquait justement que, si Parny appartint en fait à la fin du siècle de Louis XV, il n"en occupait pas moins une place impor- tante dans la littérature des premières années du siècle nouveau, ainsi qu"en témoignait l"admiration de Lamartine pour l"auteur des " Poésies érotiques » (" Tu nourrissais ma langueur soli- taire », écrivait-il à l"adresse de Parny).

en

1753 à Saint-Paul, Ile de Bourbon (La Réunion). Mort à Paris en 1814. OEuvres : Poésies érotiques (1778) ; Chansons Madécasses (1787) ; La guerre des dieux anciens et modernes (1799); Œuvres complètes (1808). Retrouver ce titre sur Numilog.com

Evariste de Forges, vicomte de Parny, après ses études à l"Ecole Militaire à Paris, repartit en 1777 pour son île natale. Là, il tomba amoureux d"une jeune créole qu"il devait bientôt célébrer dans ses élégies sous le nom d"Eléonore. Il l"aima toute sa vie, semble-t-il. En 1778, à son retour à Paris, il publia son premier livre : " Poésies érotiques » à la gloire d"Eléonore qu"il avait compromise et que son père lui interdit d"épouser.

PROJETS DE SOLITUDE

Fuyons ces tristes lieux,

ô maîtresse adorée ! Nous perdons en espoir la moitié de nos jours, Et la crainte importune y trouble nos amours. Non loin de ce rivage est une île ignorée, Interdite aux vaisseaux et d"écueils entourée. Un zéphyr éternel y rafraîchit les airs. Libre et nouvelle encor, la prodigue nature Embellit de ses dons ce point de l"univers : Des ruisseaux argentés roulent sur la verdure, Et vont en serpentant se perdre au sein des mers ; Une main secourable y reproduit sans cesse L"ananas parfumé des plus douces odeurs ; Et l"oranger touffu, courbé sous sa richesse, Se couvre en même temps et de fruits et de fleurs. Que nous faut-il de plus ? Cette île fortunée Semble par la nature aux amants destinée. L"Océan la resserre, et deux fois en un jour De cet asile étroit on achève le tour. Là, je ne craindrai plus un père inexorable. C"est là qu"en liberté tu pourras être aimable, Et couronner l"amant qui t"a donné son cœur. Vous coulerez alors, mes paisibles journées, Par les nœuds du plaisir l"une à l"autre enchaînées : Laissez-moi peu de gloire et beaucoup de bonheur. Viens ; la nuit est obscure et le ciel sans nuage ; D"un éternel adieu saluons ce rivage, Où par toi seule encor mes pas sont retenus. Je vois à l"horizon l"étoile de Vénus : Vénus dirigera notre course incertaine. Eole exprès pour nous vient d"enchaîner les vents, Sur les flots aplanis Zéphyre souffle à peine. Viens ; l"Amour jusqu"au port conduira deux amants.

Déjà le

romantisme s"annonce dans la sincérité qui redonne vie au langage de cour. J"ai cherché dans l"absence un remède à mes maux, Retrouver ce titre sur Numilog.com

s"écrie le jeune Parny, et Lamartine plus tard aimera se répéter ce vers, et ceux-ci encore :

Je suis

mort au plaisir, et mort à la tendresse. Hélas ! j"ai trop aimé ; dans mon cœur épuisé Le sentiment ne peut renaître.

Le poète

du Lac dira à son tour : J"ai trop vu, trop senti, trop aimé, dans ma vie... ou bien : La moitié de leurs jours, hélas ! est consumée Dans l"abandon des biens réels... alors que Parny déjà écrivait :

Nous perdons en

espoir la moitié de nos jours. Oui, le tendre libertin prépare la poésie romantique lui qui avouait : Ne me console point, ma tristesse m"est chère, ou

qui notait cette pensée mélancolique dans sa simple mé- lodie : Ainsi le sourire s"efface ; Ainsi meurt, sans laisser de trace, Le chant d"un oiseau dans les bois.

Dans ses

" Chansons Madécasses », Parny se montre à la fois plus " littéraire » et plus novateur : plus " littéraire », parce que ce n"est plus ses propres sentiments qu"il chante, plus nova- teur parce qu"il s"y essaye à la liberté du poème en prose.

Nahandove, ô

belle Nahandove ! l"oiseau nocturne a commen- cé ses cris, la pleine lune brille sur ma tête, et la rosée naissante humecte mes cheveux. Voici l"heure : qui peut t"arrêter, Nahan- dove, ô belle Nahandove ? Le lit de feuilles est préparé; je l"ai parfumé de fleurs et d"herbes odoriférantes, il est digne de tes charmes, Nahandove, ô belle Nahandove ! Elle vient. J"ai reconnu la respiration précipitée que donne une marche rapide, j"entends le froissement du pagne qui l"en- veloppe : c"est elle, c"est Nahandove, la belle Nahandove ! Reprends haleine, ma jeune amie ; repose-toi sur mes genoux. Retrouver ce titre sur Numilog.com

Que ton regard est enchanteur, que le mouvement de ton sein est vif et délicieux sous la main qui le presse ! Tu souris, Nahan- dove, ô belle Nahandove ! Tes baisers pénètrent jusqu"à l"âme ; tes caresses brûlent tous mes sens : arrête, ou je vais mourir. Meurt-on de volupté, Nahan- dove, ô belle Nahandove ?

Le plaisir

passe comme un éclair ; ta douce haleine s"affaiblit, tes yeux humides se referment, ta tête se penche mollement, et tes transports s"éteignent dans la langueur. Jamais tu ne fus si belle, Nahandove, ô belle Nahandove !

Parny

affirmait avoir recueilli près du peuple malgache ces " chansons ». En fait, trop d" " exotisme » vient affadir ces proses pourtant généreuses, comme en témoignent ces deux au- tres " chansons » où le poète dénonce l"esclavage organisé par les Blancs :

Une mère traînait sur le rivage sa fille unique, pour la vendre aux blancs. 0

ma mère ! ton sein m"a portée ; je suis le premier fruit de tes amours : qu"ai-je fait pour mériter l"esclavage ? J"ai soulagé ta vieillesse ; pour toi j"ai cultivé la terre; pour toi j"ai cueilli des fruits ; pour toi j"ai fait la guerre aux poissons du fleuve ; je t"ai garantie de la froidure ; je t"ai portée, durant la chaleur, sous des ombrages parfumés ; je veillais sur ton sommeil, et j"écartais de ton visage les insectes importuns. 0 ma mère, que deviendras-tu sans moi ? L"argent que tu vas recevoir ne te donnera pas une autre fille ; tu périras dans la misère, et ma plus grande douleur sera de ne pouvoir te secourir. 0 ma mère 1 ne vends point ta fille unique. Prières infructueuses ! elle fut vendue, chargée de fers, con- duite sur le vaisseau ; et elle quitta pour jamais la chère et douce patrie.

Méfiez-vous des blancs, habitants

du rivage. Du temps de nos pères, des blancs descendirent dans cette île ; on leur dit : Voilà des terres ; que vos femmes les cultivent. Soyez justes, soyez bons, et devenez nos frères. Les blancs promirent, et ce- pendant ils faisaient des retranchements. Un fort menaçant s"éleva ; le tonnerre fut renfermé dans des bouches d"airain ; leurs prêtres voulurent nous donner un Dieu que nous ne con- naissons pas ; ils parlèrent enfin d"obéissance et d"esclavage : plutôt la mort ! Le carnage fut long et terrible ; mais malgré la foudre qu"ils vomissaient, et qui écrasait des armées entières, ils furent tous exterminés. Méfiez-vous des blancs. Retrouver ce titre sur Numilog.com

DEUX SOURCES DU ROMANTISME

ANDRÉ

CHÉNIER

0 jeunesse rapide ! ô songe d"un moment ! »

Alors

que les caractères révolutionnaires de notre époque donnent un regain d"intérêt à la vie et à l"attitude politique d"André Chénier, il semble que l"œuvre proprement poétique de l"auteur de l"Hermès n"obtienne auprès des lettres modernes qu"un crédit relatif. Je crains précisément que les passions partisanes suscitées par la politique de Chénier, après avoir exalté sa gloire, ne la desservent maintenant, et qu"on ne soit trop enclin à penser, à tort, que Chénier s"étant opposé à un monde social nouveau, son œuvre de même s"oppose à l"univers poétique mis à jour par les plus grands des poètes modernes. Si Marcel Arland affirme encore, dans son anthologie de la poésie française : " (Chénier) est la grâce même, qu"il assemble deux mots, qu"il ébauche une image, qu"il esquisse un mouve- ment, c"est un poète, presque aussi naturellement poète que Mozart est musicien ou peintre Raphaël », un tel éloge se fait rare, et c"est bien plutôt l"oubli, quand ce n"est pas le dédain, qui règne autour de Chénier parmi les nouvelles générations littéraires. Tristan Tzara, dans son étude sur " Le Surréalisme et l"après- guerre », remarque : " Il est intéressant de noter que, pendant la Révolution, aucune œuvre poétique importante - doit-on excepter celle d"André Chénier ? - ne vit le jour. » Dans le numéro 25 de la revue " Les Temps Modernes », M. Etiemble prenant parti pour la politique de Chénier et l"honneur de celui-ci, ne montre plus que mépris lorsqu"il aborde ses poè- mes : " Quant à ses élégies, bucoliques et autres fadaises, il en connaissait l"imposture ». Dans son essai : " Qui est cet hom- me ? » Pierre Emmanuel parlant de Valéry note : " Je le trouvais

1.

Né à Constantinople, le 29 octobre 1762. Guillotiné à Paris, le 25 juillet 1794. Œuvres complètes, publiées par Henri de Latouche, Paris (1819) ; Œuvres complètes, Gallimard, Bibliothèque de la Pléïade. Consulter : Gérard Walter : André Chénier, son milieu et son temps (1947), Edit. Robert Laffont; André Chénier, par Jean-Marie Gerbault, Edit. Seghers : Ecrivains d"hier et d"aujourd"hui. Retrouver ce titre sur Numilog.com

inutile et charmant ; tout proche, malgré sa philosophie du Chénier de la Jeune Tarentine. » Nous voici loin de l"hommage qu"en 1802 Chateaubriand rendait au génie mélancolique de Chénier, de cette déclaration que faisait Hugo à dix-sept ans : " Vous trouverez dans André Chénier la manière franche et large des anciens, (...) partout l"empreinte de cette sensibilité profonde sans laquelle il n"est point de génie, et qui est peut-être le génie elle-même », de l"attachement d"un Musset, d"un Sainte-Beuve qui avouait à pro- pos de ses propres " Poésies de Joseph Delorme » : " Joseph appartenait, d"esprit et de cœur, à cette jeune école de poésie qu"André Chénier légua au xixe siècle du pied de l"échafaud. » Il est vrai que Baudelaire ne partageait guère cet enthou- siasme ; il écrivait, après avoir déclaré que Victor Hugo, Sainte- Beuve, Alfred de Vigny " avaient ressuscité la poésie française, morte depuis Corneille » : " car André Chénier, avec sa molle antiquité à la Louis XVI, n"était pas un symptôme de rénova- tion assez vigoureuse ». C"était oublier que, sans Chénier pré- cisément, sans l"édition posthume de ses poèmes par Henri de Latouche en 1819, Lamartine, Hugo, Sainte-Beuve, Vigny n"auraient probablement pu faire entendre le chant nouveau du lyrisme français, dont ils avaient trouvé la source dans les vers du poète assassiné. Si un auteur a ressuscité la poésie fran- çaise, bel et bien morte, en effet, dans le fatras des discours ou des fadaises rimées du XVIIIe siècle, cet auteur, malgré ses fai- blesses, ses mollesses, sa " molle antiquité à la Louis XVI », c"est André Chénier, poète, oui, parfois comme " Mozart est musi- cien ».

Le fleuve qui

s"étend dans les vallons humides Roule pour toi des vers doux, sonores, liquides. Des vers, s"ouvrant en foule aux regards du soleil, Sont ce peuple de fleurs au calice vermeil, Et les monts, en torrents qui blanchissent leurs cimes, Lancent des vers brillants dans le fond des abîmes.

C"en

est fini de l"ascendance grecque, homérique de Chénier, simple légende nous disent les érudits. Il faut chercher ailleurs qu"en un Olympe ancestral les sources d"une poésie où se reflé- taient les âges révolus et leur sérénité, en même temps que les premières inquiétudes de l"homme moderne. Mais Chénier croyait à son hérédité hellène, et cette croyance, il faut continuer de compter avec elle, car elle a marqué l"esprit et les rêves du poète, elle lui a fait vivre comme une fervente exigence ce qui, chez ses contemporains, n"était qu"une mode : celle de l"Antiquité. La nostalgie plus ou moins consciente, plus ou moins avouée, d"un " autre monde » - souvent confondu avec celui de l"en- Retrouver ce titre sur Numilog.com

fance - qui hante presque tous les poètes, a pu se métamorpho- ser chez le jeune André en une rêverie familière sur un âge d"or qu"aurait connu l"Antiquité, âge d"or dont le poète pensait être le lointain dépositaire et qu"il avait pour devoir, songeait-il, de recréer dans ses vers. Je ne veux pas faire de cet empiriste anti-religieux que fut l"auteur de l"Hermès un idéaliste; je ne veux pas non plus oublier que sa poésie doit plus au travail minutieux, à la re- cherche, à l"érudition qu"à l"élan naïf de la sensibilité, mais seulement indiquer cette résonance de " paradis perdu » qui me semble donner à plusieurs de ses poèmes, sous leur éclat, sous leur réussite, sous leurs emprunts même à cent chefs-d"œu- vre, leur charme le plus authentique, leur plus subtile musique. Au-delà d"une simple prédilection littéraire un profond atta- chement de l"âme à ce qu"elle pouvait croire sa lointaine et spirituelle patrie se révèle ainsi dans l"œuvre de Chénier. Son œuvre poétique, Chénier l"écrivit à peu près entièrement entre sa vingtième et sa trentième année. Elle ne représente qu"une parcelle de ce qu"il projetait de faire, et bien des poèmes n"y sont eux-mêmes qu"à l"état de fragments. Sans doute la mort tragique et prématurée du poète est-elle la première cause de cet inachèvement ; mais il faut voir encore que l"indolence de Chénier, sa fantaisie, sa sensibilité prompte à s"émouvoir pour des sujets très divers, l"ont souvent incité à entreprendre maints poèmes, puis à les quitter, à les reprendre, sans parvenir à les mener jusqu"à leur fin. L"œuvre de Chénier, d"une part, est le fruit d"un labeur consi- dérable qui va de la connaissance approfondie des lettres anti- ques jusqu"à leur imitation, leur traduction, voire leur pastiche, et qui implique une étude des langues, notamment des rapports entre rythmes poétiques grecs, latins et français, ou de la musi- calité propre à chaque idiome, d"autre part cette œuvre doit son mouvement, sa jeunesse, son émotion, en un mot sa vie, à une sensibilité et une sensualité assez rebelles aux disciplines. Cette dualité peut expliquer le succès d"une telle œuvre auprès d"écrivains aussi différents les uns des autres que les Roman- tiques et les Parnassiens : ceux-ci s"attachant à la réussite objec- tive, ceux-là à l"émotion subjective du poète. Si les Bucoliques furent au début les exercices de style d"un poète-traducteur, laissant apparaître, presque à chaque vers, la présence d"Homère, celle aussi d"Alcée, d"Anacréon, de Sappho, de Callimaque, de Catulle, de Théocrite ou bien encore de Tibulle, de Properce, de Virgile, d"Ovide, d"Horace ; si elles suivirent, souvent de très près, telle ou telle épigramme des Analecta de Brunck, livre de chevet de Chénier, elles ne tardè- rent pas à laisser sourdre, de place en place, le chant d"un monde harmonieux dans son bonheur comme dans ses peines. Un peuple charmant et fier d"éphèbes, de nymphes, de dieux Retrouver ce titre sur Numilog.com

Quand tous quatre, muets, sous un maître inhumain, Jadis au châtiment nous présentions la main ; Et mon frère et Le Brun, les Muses elles-même ; De Pange, fugitif de ces neuf sœurs qu"il aime ; Voilà le cercle entier qui, le soir quelquefois, A des vers, non sans peine obtenus de ma voix, Prête une oreille amie et cependant sévère. Puissé-je ainsi toujours dans cette troupe chère Me revoir, chaque fois que mes avides yeux Auront porté longtemps mes pas de lieux en lieux, Amant des nouveautés compagnes du voyage ; Courant partout, partout cherchant à mon passage Quelque ange aux yeux divins qui veuille me charmer, Qui m"écoute et qui m"aime ou qui se laisse aimer.

On décèlera

davantage d"imitation et d"attitude littéraire dans un autre sentiment que Chénier se plaît à illustrer : l"amour de la nature. Pourtant, là encore, le parti pris n"étouffe pas tou- jours le jaillissement; si Chénier a vu les champs, les bois, les fleuves, les montagnes de l"œil complaisant du voyageur esthète, s"il a parcouru la Suisse en disciple de Rousseau, il n"a pas oublié son enfance campagnarde, et il a su peindre, tantôt avec éclat, tantôt avec finesse, les paysages sauvages des monts, les douceurs de la Seine, la mélancolie de Versailles ; il a su rendre présentes la mer ou la lumière dans leur éclat originel. Qui aime la nature doit aimer la solitude ; ces notes de Ché- nier en font foi : " Je chéris la solitude, je cherche, en traver- sant les sommets les plus escarpés, à descendre au milieu d"eux dans une vallée bien solitaire, bien belle, arrosée de brillantes cascades, qui n"ait d"autres habitants que des oiseaux si peu faits à voir des hommes qu"ils n"en redoutent pas l"approche ; où je puisse croire qu"aucun homme n"a pénétré avant moi... ». Ce tableau, pré-romantique et pénétré des goûts de Jean-Jacques, ne traduit pas seulement une attitude d"artiste. Le thème de la solitude résonne sourdement tout au long des écrits de Chénier, et bien des motifs concourent à faire de ce poète, pourtant épris de la vie, un isolé : sa sensibilité, sa complexion maladive, son défaut de fortune et sa fierté, son ironie, son sens impérieux de la vertu et de l"indépendance, autant de causes qui font de Chénier, d"abord au sein des plaisirs d"une société à son déclin, puis dans le combat révolutionnaire, un homme seul. Cet appel de la solitude suscite chez lui tantôt des chants mélancoliques qui viennent contraster avec ceux du plaisir amoureux, tantôt une prise de conscience désabusée qui le dis- tinguera à la fois de ses adversaires et de ses compagnons à l avènement de la République, tantôt des cris de désespoir quand, par exemple, à Londres, humilié, il songe au suicide. Liée au sentiment de solitude, l"image de la mort hante la Retrouver ce titre sur Numilog.com

poésie de Chénier. Souvent, elle ne prend nulle couleur effrayan- te, dans sa tristesse gardant une secrète sérénité. A ce propos, une fois encore on touche à la rencontre qui s"est faite si fré- quemment, dans l"œuvre de Chénier, entre les mythes littérai- res et sa vie intérieure : dans sa lecture des Analecta de Brunck, le jeune poète prenait plaisir à traduire les épigrammes funé- raires ; en outre, son temps connaissait la mode des tombeaux, mais ce qui, chez d"autres, restait prétexte à de vaines fictions, le poète de Néère, de la Jeune Tarentine, de la Jeune Captive, de tant d"autres vers où perce le pressentiment d"une mort prématurée, le recréait avec l"émotion d"une expérience per- sonnelle.

ELEGIE,

A SES AMIS

Aujourd"hui

qu"au tombeau je suis prêt à descendre, Mes amis, dans vos mains je dépose ma cendre. Je ne veux point, couvert d"un funèbre linceul, Que les pontifes saints autour de mon cerceuil, Appelés aux accents de l"airain lent et sombre, De leur chant lamentable accompagnent mon ombre, Et sous des murs sacrés aillent ensevelir Ma vie, et ma dépouille, et tout mon souvenir. Eh ! qui peut sans horreur à ses heures dernières Se voir au loin périr dans des mémoires chères ? L"espoir que des amis pleureront notre sort Charme l"instant suprême et console la mort. Vous-mêmes choisirez à mes jeunes reliques Quelque bord fréquenté des pénates rustiques, Des regards d"un beau ciel doucement animé, Des fleurs et de l"ombrage, et tout ce que j"aimai. C"est là, près d"une eau pure, au coin d"un bois tranquille, Qu"à mes mânes éteints je demande un asile : Afin que votre ami soit présent à vos yeux, Afin qu"au voyageur amené dans ces lieux, La pierre, par vos mains de ma fortune instruite, Raconte en ce tombeau quel malheureux habite ; Quels maux ont abrégé ses rapides instants ; Qu"il fut bon, qu"il aima, qu"il dût vivre longtemps. Oh ! le meurtre jamais n"a souillé mon courage. Ma bouche du mensonge ignora le langage, Et jamais, prodiguant un serment faux et vain, Ne trahit le secret recélé dans mon sein. Nul forfait odieux, nul remords implacable Ne déchire mon âme inquiète et coupable. Vos regrets la verront pure et digne de pleurs ; Oui, vous plaindrez sans doute en mes longues douleurs Et ce brillant midi qu"annonçait mon aurore, Retrouver ce titre sur Numilog.com

Et ces fruits dans leur germe éteints avant d"éclore, Que mes naissantes fleurs auront en vain promis. Oui, je vais vivre encore au sein de mes amis. Souvent à vos festins qu"éyaya ma jeunesse, Au milieu des éclats d"une vive allégresse, Frappés d"un souvenir, hélas ! amer et doux, Sans doute vous direz : " Que n"est-il avec nous 1 »

Je

meurs. Avant le soir j"ai fini ma journée. A peine ouverte au jour, ma rose s"est fanée. La vie eut bien pour moi de volages douceurs ; Je les goûtais à peine, et voilà que je meurs. Mais, oh ! que mollement reposera ma cendre, Si parfois un penchant impérieux et tendre Vous guidant vers la tombe où je suis endormi, Vos yeux en s"approchant pensent voir leur ami 1 Si vos chants de mes feux vont redisant l"histoire ; Si vos discours flatteurs, tout pleins de ma mémoire, Inspirent à vos fils, qui ne m"ont point connu, L"ennui de naître à peine et de m"avoir perdu. Qu"à votre belle vie ainsi ma mort obtienne Tout l"âge, tous les biens dérobés à la mienne ; Que jamais les douleurs, par de cruels combats, N"allument dans vos flancs un pénible trépas ; Que la joie en vos cœurs ignore les alarmes ; Que les peines d"autrui causent seules vos larmes ; Que vos heureux destins, les délices du ciel, Coulent toujours trempés d"ambroisie et de miel, Et non sans quelque amour paisible et mutuelle. Et quand la mort viendra, qu"une amante fidèle, Près de vous désolée, en accusant les Dieux Pleure, et veuille vous suivre, et vous ferme les yeux.

L"amour de

l"amour, l"amitié, la nature, la solitude, la mort, telles sont les sources affectives des " Bucoliques », des " Elé- gies ». Mais il est encore d"autres aspects de l"œuvre fragmen- taire, quoique aux vastes ambitions, qu"écrivit ou que rêva Ché- nier : notamment, d"une part son souci de didactisme, d"autre part ce que nous appellerions aujourd"hui son engagement. La soif de découverte et de recensement des connaissances humaines propre aux contemporains et aux disciples des Ency- clopédistes s"allie chez Chénier à son admiration des littératures antiques. " Je veux être l"Homère des modernes », dit-il dans l"Hermès (1). Il pense y parvenir en consacrant une épopée :

1.

Raymond Queneau qui, lui aussi, avec Joyce, veut être, selon une dérision douloureuse, " l"Homère des modernes », ne se réfère-t-il pas, Retrouver ce titre sur Numilog.com

" L"Amérique », à la géographie du globe, une autre : " l"Her- mès », à la genèse de l"univers, des sociétés, des religions. De ces projets d"épopées André Chénier ne nous a laissé que des ébauches, parmi lesquelles on relèvera de beaux fragments de poésie cosmique et des tableaux inspirés par l"histoire, qui ne manquent ni de couleur, ni de relief, ni de mouvement.

Salut,

ô belle nuit, étincelante et sombre, Consacrée au repos, ô silence de l"ombre Qui n"entends que la voix de mes vers, et les cris De la rive aréneuse où se brise Thétis. Muse, Muse nocturne, apporte-moi ma lyre. Comme un fier météore, en ton brûlant délire, Lance-toi dans l"espace ; et pour franchir les airs, Prends les ailes des vents, les ailes des éclairs, Les bonds de la comète aux longs cheveux de flamme. Mes vers impatients élancés de mon âme Veulent parler aux Dieux, et volent où reluit L"enthousiasme errant, fils de la belle nuit. Accours, grande nature, ô mère du génie. Accours, reine du monde, éternelle Uranie, Soit que tes pas divins sur l"astre du Lion Ou sur les triples feux du superbe Orion Marchent, ou soit qu"au loin, fugitive emportée, Tu suives les détours de la voie argentée, Soleils amoncelés dans le céleste azur Où le peuple a cru voir les traces d"un lait pur ; Descends, non, porte-moi sur ta route brûlante ; Que je m"élève au ciel comme une flamme ardente. Déjà ce corps pesant se détache de moi. Adieu, tombeau de chair, je ne suis plus à toi. Terre, fuis sous mes pas. L"éther où le ciel nage M"aspire. Je parcours l"océan sans rivage. Plus de nuit. Je n"ai plus d"un globe opaque et dur Entre le jour et moi l"impénétrable mur. Plus de nuit, et mon œil et se perd et se mêle Dans les torrents profonds de lumière éternelle. Me voici sur les feux que le langage humain Nomme Cassiopée et l"Ourse et le Dauphin. Maintenant la Couronne autour de moi s"embrase. Ici l"Aigle et le Cygne et la Lyre et Pégase. Et voici que plus loin le Serpent tortueux

dans sa Petite

Cosmogonie Portative à cet Hermès de Chénier, lorsqu il fait déclarer à son propre Hermès : On parle des bleuets et de la marguerite alors pourquoi pas de la pechblende pourquoi ? On parle au front des yeux du nez-de la bouche alors pourquoi pas de chromosomes pourquoi ? Retrouver ce titre sur Numilog.com

Noue autour de mes pas ses anneaux lumineux. Féconde immensité, les esprits magnanimes Aiment à se plonger dans tes vivants abîmes ; Abîmes de clartés, où, libre de ses fers, L"homme siège au conseil qui créa l"univers ; Où l"âme remontant à sa grande origine Sent qu"elle est une part de l"essence divine.

L"Invention », où Chénier nous a légué son art poétique, est liée à " l"Hermès » et à " l"Amérique ». Ce fervent imitateur des anciens semble parfois s"y morigéner lui-même lorsqu"il écrit, par exemple : " ... et qu"elle (la Muse) n"aille pas De Virgile et d"Homère épier tous les pas ». " L"Invention » prône l"union des sciences et des arts, et définit les devoirs et les pouvoirs du poète. On connaît le vers manifeste, bien des fois cité : " Sur des pensers nouveaux faisons des vers antiques », premier pas, en quelque sorte, de la poésie moderne, le second étant risqué par les Romantiques, auxquels il suffirait d"un chan- gement d"épithète pour pouvoir déclarer : " Sur des pensers nouveaux faisons des vers nouveaux ». Citons encore, parmi les ouvrages didactiques - ou du moins les projets d"ouvrages - de Chénier : le poème de " La Répu- blique des Lettres », où se mêlent une satire pertinente des mœurs littéraires du XVIIIe siècle et les confidences de l"auteur sur son art. Et, parmi les fragments épiques, les vers de " Suzanne », où le poète voulait imiter à la fois le " Cantique des Cantiques » et le " Paradis Perdu » de Milton. La mode de l"engagement littéraire n"est pas nouvelle ; le mot peut-être est nouveau, le fait non. La période pré-révolutionnaire et révolutionnaire de la France au XVIIIe siècle en témoigne. Chénier fut l"un de ces premiers poètes " engagés », et si à partir de 1790 il devint ce polémiste dont les Jacobins devaient faire tomber la tête, il fut dès sa prime jeunesse acquis aux idées de liberté qui ébranlaient le siècle, et les exprima dans ses poèmes et dans ses proses. Partisan, Chénier usera de la poésie, de la satire, de la cri- tique, du discours, du journalisme. Ce que son goût, ce que son écriture avaient de nonchalant et de tendre fera place alors à une émotion, à une âpreté, à une colère empreintes de vraie grandeur. Poète étroitement lié à son temps, André suit les préoccupa- tions sociales de celui-ci. " Le Contrat Social », " L"Esprit des Lois » ont exercé sur lui une influence marquante. Et les grands hommes de l"antiquité, s"ils ont été pour lui des modèles en tant que poètes, l"ont été également en tant que citoyens. Pour lui, Retrouver ce titre sur Numilog.com

la vertu ne peut se séparer du génie : le poète doit avoir toujours en vue le salut public. Au début de 1787, Cliénier écrit : " La Liberté » et " l"Hymne à la Justice », ses premiers poèmes où se fassent jour des consi- dérations sociales. Si " La Liberté » prend encore pour cadre une Grèce lointaine dans l"espace et dans le temps où le poète a coutume de placer une sorte de paradis terrestre, " l"Hymne à la Justice » évoque avec force la misère contemporaine de la France, et fait entendre un chant de révolte contre le régime responsable de cette misère. Au troisième chant de l" " Hermès », Chénier expose ses idées politiques et affirme, dans des vers très proches des idées de Montesquieu, son horreur de la tyran- nie. Ainsi l"amour de Chénier pour la liberté, les vœux qu"il forme pour l"avènement de la République, ne se démentent pas, et, dans des fragments consacrés à l" " Histoire du Pouvoir Royal en Europe », à l" " Histoire du Christianisme », à " l"Es- pagne et les Superstitions », il ne cesse de faire la critique de la monarchie absolue et de droit divin, il voue les bastilles à la colère du peuple, il combat les superstitions. En un mot, avant la Révolution Chénier est, sans aucun doute, révolutionnaire. A la chute de l"ancien régime, il adhère d"ail- leurs d"enthousiasme au monde nouveau. Comment, parti de là, passera-t-il plus tard aux yeux des Jacobins pour un contre- révolutionnaire qu"il faut abattre ? Dans le bouleversement révolutionnaire, ce n"est pas tant à une certaine fraction de la bourgeoisie et de la noblesse, comme l"a soutenu l"un de ses biographes, M. Gérard Walter, qu"à lui- même que Chénier est demeuré fidèle ; et c"est cette fidélité à ses croyances et à ses sentiments les plus chers qui a fait de lui l"adversaire, puis la victime de la Terreur. Chénier, avant comme après 1789, rêvait d"harmonie sociale. Montesquieu, Rousseau, les poètes antiques, avaient développé chez lui la haine des tyrans, le désir d"un ordre fondé sur des lois justes pour tous, et par tous choisies, et par tous respectées. Cet âge d"or poétique qu"il recherchait dans ses " Bucoliques », il l"attendait aussi dans le domaine politique. Il n"était pas si naïf qu"il ne comprît que la révolution ne pouvait se faire sans de graves secousses, mais il ne voulait absolument pas admettre ce qu"un Marat, par exemple, proclamait : à savoir qu"il faut une terrible somme de violence pour parvenir à briser l"inertie des sociétés, lorsqu"il s"écriait : " Mais si l"Assemblée Nationale fit jamais quelque chose digne d"éloge, rendons grâces aux fu- reurs de la populace des faubourgs de Paris. Sans les têtes abat- tues de Launay et de Flesselles, de Berthier et de Foulon, aurions- nous aujourd"hui une Déclaration des droits de l"homme ? » Chénier avait écrit, dans une note de travail destinée à l"Her- mès : " Quand un peuple a des mœurs, des usages, des préjugés, le législateur ne doit point les heurter de front : il armerait le Retrouver ce titre sur Numilog.com

peuple contre lui. Il doit en inspirer d"autres. Il doit les détruire sans les combattre. » Ce qui s"oppose exactement à la pensée de Marat et de ses amis. Dans le même Hermès, se révoltant contre la tyrannie des monarques, il écrivait ce vers : " Sous une loi de sang un peuple est sanguinaire ». Cette note et ce vers suffisent à expliquer l"attitude de Chénier 9 de 1790 à sa mort. La note exprime clairement la sagesse et la patience qu"il souhaitait trouver chez le législateur nouveau ; quant au vers qu"il appliquait à l"ancien régime, il pourra encore en tirer un réquisitoire contre la Terreur. Chénier se voulut toujours jalousement indépendant, à l"instar d"un Cicéron dont il dit qu" " il ne se fit jamais ni le sectateur ni le chef d"aucun autre parti que le bien public. » Cette solitude dont je parlais à propos de ses poèmes élégiaques, on la re- trouve très marquée dans ses vers et dans ses articles de combat. Chénier est un homme seul qui vit, qui lutte, qui meurt pour ce qu"il croit, passionnément, être le bien. " Et si le bien existe, il doit seul exister », a-t-il écrit dans l"Hermès encore. Chénier a pu se tromper dans ses jugements politiques, ja- mais, du moins, il n"a pensé ni voulu servir ses intérêts ni les privilèges d"une coterie ou d"une classe. Haïssant la violence des révolutionnaires les plus actifs, réprouvant la lâcheté d"un grand nombre de modérés, méprisant ces têtes vides de l"aristocratie qui tombaient autour de lui, de jour en jour il s"est enfoncé dans une amère fierté qui donne leur ton dominant à ses der- nières œuvres.

Peuple

1 ne croyons pas que tout nous soit permis. Craignez vos courtisans avides, 0 peuple souverain 1 A votre oreille admis Cent orateurs bourreaux se nomment vos amis. Ils soufflent des feux homicides. Aux pieds de notre orgueil prostituant les droits, Nos passions par eux deviennent lois. La pensée est livrée à leurs lâches tortures. Partout cherchant des trahisons, A nos soupçons jaloux, aux haines, aux parjures, Ils vont forgeant d"exécrables pâtures. Leurs feuilles, noires de poisons, Sont autant de gibets affamés de carnage. Ils attisent de rang en rang La proscription et l"outrage. Chaque jour dans l"arène ils déchirent le flanc D"hommes, que nous livrons à la fureur des bêtes. Ils nous vendent leur mort. Ils emplissent de sang Les coupes qu"ils nous tiennent prêtes. Retrouver ce titre sur Numilog.com

Après son : " Ode au Jeu de Paume », dans laquelle il com- munie avec l"élan populaire, en stigmatisant toutefois les pré- mices de la Terreur, Chénier passe vite à l"opposition. Sa lyre jusqu"alors vouée aux grâces, aux musiques en sourdine, aux couleurs chatoyantes, se fait acerbe, violente, ironique, dans # l" " Hymne aux Suisses de Chateauvieux » :

Ces

héros, que jadis sur les bancs des galères Assit un arrêt outrageant, Et qui n"ont égorgé que très peu de nos frères, Et volé que très peu d"argent...

et

dans les " Iambes », elle ricane, cingle ; elle atteint une fer- meté tragique dans 1" " Ode à Charlotte Corday », et ne retrouve ses tendresses oubliées que pour chanter, avec une grâce mé- lancolique, un dernier amour, plus tard, en prison : " La Jeune Captive ».

L"épi

naissant mûrit de la faux respecté ; Sans crainte du pressoir, le pampre tout l"été Boit les doux présents de l"aurore ; Et moi, comme lui belle, et jeune comme lui, Quoi que l"heure présente ait de trouble et d"ennui, Je ne veux point mourir encore.

Qu"un

stoïque aux yeux secs vole embrasser la mort : Moi je pleure et j"espère. Au noir souffle du nord Je plie et relève ma tête. S"il est des jours amers, il en est de si doux 1 Hélas 1 quel miel jamais n"a laissé de dégoûts ? Quelle mer n"a point de tempête ?

L"illusion féconde

habite dans mon sein. D"une prison sur moi les murs pèsent en vain, J"ai les ailes de l"espérance. Echappée aux réseaux de l"oiseleur cruel, Plus vive, plus heureuse, aux campagnes du ciel Philomèle chante et s"élance.

Est-ce

à moi de mourir ? Tranquille je m"endors Et tranquille je veille ; et ma veille aux remords Ni mon sommeil ne sont en proie. Ma bienvenue au jour me rit dans tous les yeux ; Sur des fronts abattus, mon aspect dans ces lieux Ranime presque de la joie.

Mon beau voyage encore

est si loin de sa fin 1 Je pars, et des ormeaux qui bordent le chemin Retrouver ce titre sur Numilog.com

de mollesse, mais il me paraît bien sévère. Si Chénier, peu de temps après Watteau, Boucher ou Fragonard, a pu se plaire à tracer d"agréables tableaux aux grâces quelquefois complai- santes, pourquoi nous en plaindre ? Il a le sens des couleurs, de la lumière - il peignait, d"ailleurs - il a aussi celui du mou- vement, celui encore des mobiles harmonies du langage, et si parfois l"on peut employer, à propos de son œuvre, le mot de charme, dans son sens aimable et faible, il convient aussi, plus d"une fois, de prendre ce mot dans son sens le plus haut, le plus fort, lorsque Chénier parvient par une musique du langage aussi pure que celle de Racine à une véritable et sereine incantation. Enfin, n"oublions pas l"ampleur des ambitions poétiques de Chénier, l"étendue ni la souplesse de son chant qui, lié long- temps à une voix voluptueuse, sut devenir le cri âpre et tragique des Odes et des Iambes. Sa vie et son œuvre sont à la charnière de deux mondes. S"il est vrai que ses vers sont à la source de la grande lignée roman- tique, il est vrai également que, les lire, c"est entendre Racine et Malherbe et Corneille et Ronsard. Dans cette rencontre en un seul homme, en une seule œuvre, de plusieurs courants profonds de la poésie française, résident la grandeur et aussi la faiblesse de Chénier. Sa grandeur, qui tient à la richesse, à l"extrême variété des horizons qu"il indique ou qu"il évoque ; sa faiblesse, lorsque son accent, écho de trop de voix, ne parvient pas à affirmer, dans le concert qu"il sou- tient, la singularité qui le fonde et le justifie. Retrouver ce titre sur Numilog.com

CHATEAUBRIAND 1 ou " l"Enchanteur »

Dans

ses Mémoires d"Outre-Tombe, l"auteur de René note, non sans satisfaction : " J"ai écrit longtemps en vers avant d"écrire en prose : M. de Fontanes prétendait que j"avais reçu les deux instruments. » Monsieur de Fontanes avait tort. En vers, Cha- teaubriand n"est rien ; en prose il est un grand poète, le père du Romantisme français. Les tourments, les plaintes, les orages de René, son héros favori, feront entendre longtemps leurs échos dans les poèmes de Lamartine, de Hugo, de Vigny et dans les proses de Maurice de Guérin ; certaine musique solennelle et voluptueuse jusqu"en son amertume, certaines couleurs de pour- pre et d"or au seuil de la nuit résonneront et luiront dans l"œu- vre de Raudelaire ; l"enchantement des ténèbres et l"envoûtement d"une langue nombreuse se reconnaîtra dans les Chants de Mal- doror ; enfin, de nos jours, ne trouve-t-on pas comme des ré- surgences de la poésie tantôt d"une mélancolie charmeuse, tan- tôt d"une majesté violente, de " René » ou des " Mémoires », dans maintes pages de Barrès, de Mauriac et de Montherlant, de Breton, d"Aragon ou de Malraux, et plus récemment de Gracq et de Mandiargues. Avec Jean-Jacques pour aîné et maître, avec Chénier pour frère inconnu, Chateaubriand sauve l"honneur poétique du siècle finissant auquel il appartient par sa jeunesse et place sous le signe d"une poésie souveraine dont la magie naît des épreuves, de la solitude, de l"exil même à la fois dénoncés et complaisam- ment chantés, le siècle nouveau où tous les poètes, pendant quarante ou cinquante ans, se sentiront et se proclameront fils de René. Lui-même dit magnifiquement et romantiquement sa double appartenance temporelle : " Je me suis rencontré entre les deux siècles comme au confluent de deux fleuves ; j"ai plongé dans leurs eaux troublées, m"éloignant à regret du vieux

1.

Né à Saint-Malo le 4 septembre 1768. Mort à Paris le 4 juillet 1848. OEuvres : Le génie du Christianisme (1802); Les Martyrs (1809); Vie de Rancé (1844); Mémoires d"Outre-Tombe. Consulter : Chateaubriand par Michel Rolida (Edit. Julliard, 1949) ; Chateaubriand ou le Poète face d l"histoire par Manuel de Diéguez (Plon, 1963). Retrouver ce titre sur Numilog.com

rivage où j"étais né, et nageant avec espérance vers la rive in- connue où vont aborder les générations nouvelles. » D"Atala comme de René, on peut dire que ce sont moins des romans que des poèmes; de même, maintes pages des " Mémoi- res d"Outre-Tombe » se referment sur elles-mêmes, sur leur lyrisme et leur magie verbale comme autant de poèmes en prose. René, voilà sans doute en France le premier héros du Roman- tisme. Lui-même, qui devait avoir tant de fils, ne manque pas de pères rêveurs ou désenchantés comme Jean-Jacques, ou de frères ténébreux et théâtraux comme Byron, désespérés comme le Werther de Gœthe, lyriques comme Ossian. Chateaubriand ne s"en défend pas : " C"est Jean-Jacques Rousseau, affirme-t-il, qui introduisit le premier parmi nous ces rêveries si désastreuses et si coupables. En s"isolant des hommes, en s"abandonnant à ses songes, il a fait croire à une foule de jeunes gens qu"il est beau de se jeter dans le vague de la vie. Le roman de Werther a déve- loppé depuis ce germe de poison. » René nous confie : " J"ai coûté la vie à ma mère en venant au monde », de même Rousseau dans les " Confessions » : " Je naquis infirme et malade ; je coûtai la vie à ma mère, et ma naissance fut le premier de mes malheurs ». Et Chateaubriand dans les " Mémoires » : " Il n"y a pas de jour où, rêvant à ce que j"ai été, je ne revoie en pensée le rocher sur lequel je suis né, la chambre où ma mère m"infligea la vie... » Le décor de landes, de bruyères, de pierres anciennes, s"il transpose celui de la Bretagne, c"est aussi, dans son romantisme, celui des chants ossianiques : " Sur les monts de la Calédonie, le dernier Barde qu"on ait ouï dans ces déserts me chanta les poèmes dont un héros consolait jadis sa vieillesse. Nous étions assis sur quatre pierres rongées de mousse ; un torrent coulait à nos pieds ; le chevreuil paissait à quelque distance parmi les dé- bris d"une tour, et le vent des mers sifflait sur la bruyère de Cona. Maintenant la religion chrétienne, fille aussi des hautes montagnes, a placé des croix sur les monuments des héros de Morven, et touché la harpe de David, au bord du même torrent où Ossian fit gémir la sienne. » Voilà pour les ancêtres ou les frères de René ; pour ses des- cendants, les aveux d"obédience ne manquent pas. Le 21 octo- bre 1809, Lamartine (il a 19 ans) écrit : " Je passai la soirée bien tristement, et je me mis avant de me coucher à lire René au coin du feu. Jamais je n"ai pu le lire sans pleurer... » Sainte-Beuve, le 25 mai 1820 : " J"ai lu René et j"ai frémi (...); pour moi, je m"y suis reconnu tout entier. » Maurice de Gué- rin : " Il y a des livres qu"il ne faut plus lire. J"ai choisi pour relire René un jour des plus désenchantés de ma vie, où mon cœur me semblait mort, un jour de la plus aride sécheresse, pour essayer tout le pouvoir de ce livre sur une âme, et j"ai connu qu"il était grand. Cette lecture a détrempé mon âme Retrouver ce titre sur Numilog.com

comme une pluie d"orage. » George Sand : " Il me semble que René, c"était moi. » Et Théophile Gautier à propos de Chateau- briand disait qu"il avait " inventé la mélancolie et la passion moderne ». Lorsque Lamartine écrit : " Et moi, je suis semblable à la feuille flétrie, " Emportez-moi comme elle, orageux aquilons ! » il répond à René et à sa fameuse invocation : " Levez-vous vite, orages désirés qui devez emporter René dans les espaces d"une autre vie ! » - invocation qui, elle, reprenait celle d"Ossian : " Levez-vous, ô vents orageux d"Erin (...), puissé-je mourir au milieu de la tempête, enlevé dans un nuage par les fantômes irrités des morts ! » Combien Sainte-Beuve avait raison d"affir- mer : " Les poètes modernes ont commencé par mettre les pieds dans les vestiges de Monsieur de Chateaubriand. » D"ail- leurs cette façon de marcher sur ses traces, si elle flattait sans doute le vicomte, l"irritait aussi quelque peu. Il allait jusqu"à écrire en 1837 : " Si René n"existait pas, je ne l"écrirais plus ; s"il m"était possible de le détruire, je le détruirais : il a infesté l"esprit d"une partie de la jeunesse, effet que je n"avais pu pré- voir, car j"avais au contraire voulu la corriger. Une famille de Renés-poètes et de Renés-prosateurs a pullulé ; on n"a plus en- tendu bourdonner que des phrases lamentables et décousues... » Mais ce revirement, dont la sincérité peut paraître contes- table, ne pouvait effacer ce portrait du parfait romantique qu"avait donné Chateaubriand lorsque " ce siècle avait deux ans », ni arrêter la contagion de ce mal de vivre auquel l"auteur du " Génie du Christianisme » avait donné ses lettres de no- blesse : " Plus les peuples avancent en civilisation plus cet état du vague des passions augmente (...) On est détrompé sans avoir joui ; il reste encore des désirs, et l"on n"a plus d"illusions. L"imagination est riche, abondante et merveilleuse, l"existence pauvre, sèche et désenchantée. On habite, avec un cœur plein, un monde vide ; et sans avoir usé de rien, on est désabusé de tout ». Ce mal de vivre, Chateaubriand, tout en le peignant dans " René », en le parant des charmes incomparables d"une poésie hautaine et mélancolique, prétendait en fait le combattre (là encore il sera permis de douter de sa sincérité, comme trente- cinq ans plus tard lorsqu"il condamnera son œuvre) : " L"auteur y combat (dans " René ») en outre le travers particulier des jeunes gens du siècle, le travers qui mène directement au sui- cide. » On l"a vu, Chateaubriand rendit plus insidieux, plus fatal encore ce poison. Il le confondit avec les philtres, les sortilèges, les parfums et les musiques de sa prose. De telle sorte que c"est de deux prosateurs de génie, Rousseau et Chateau- briand, que les poètes romantiques en France allaient tirer une grande part de leurs thèmes, de leur univers mélancolique et harmonieux, de la fluidité, de la souplesse de la langue, et Retrouver ce titre sur Numilog.com

aussi une part non moins considérable de leurs défauts, en par- ticulier cette complaisance à gémir, cette littérature des chants désespérés. Comme le remarquait perfidement Sainte-Beuve à propos de Chateaubriand : " Quand on se plaît à encadrer si glorieusement son ennui, il ne saurait être incurable. » Quoiqu"il en soit, cette blessure savamment entretenue, ce sentiment de l"exil perpétuel, de la solitude, ce goût des amours impossibles ou maudites, ce penchant pour tout ce qui se défait dans les êtres et dans la nature, cet éloge des automnes de la forêt ou du cœur, cette mélancolie cultivée sans fin qui devien- dra le spleen des " Fleurs du Mal », cette nostalgie du passé alliée au sens de la modernité que nous retrouverons chez Bau- delaire, cette plongée dans la foule des grandes métropoles nou- velles (" Inconnu, je me mêlais à la foule : vaste désert d"hom- mes » - ce pourrait être là une ligne du poème en prose du " Spleen de Paris » intitulé " Les Foules »), bref cette magie des sons et des images, de leurs correspondances qui nous séduit encore dans le rêve et le poème romantiques, Chateaubriand l"a, sinon inventée, du moins magnifiquement amplifiée et imposée. Si bien que nous croyons percevoir souvent son propre génie veillant aux côtés de chaque poète romantique, comme lui- même disait, avec quel don de la phrase envoûtante : " Souvent aux rayons de cet astre qui alimente les rêveurs, j"ai cru voir le Génie des souvenirs, assis tout pensif à mes côtés. » Les pages qui suivent, extraites de " René », ne constituent-elles pas autant de poèmes en prose souvent tellement plus beaux, plus réellement chargés de poésie que certains des vers qui repren- dront par la suite ces thèmes et ces images de la nostalgie, bien propres à hanter les âmes sensibles au seuil d"un monde redou- table dans sa nouveauté ?

Je

vois encore le mélange majestueux des eaux et des bois de cette antique abbaye où je pensai dérober ma vie aux caprices du sort ; j"erre encore au déclin du jour dans ces cloîtres reten- tissants et solitaires. Lorsque la lune éclairait à demi les piliers des arcades, et dessinait leur ombre sur le mur opposé, je m"ar- rêtais à contempler la croix qui marquait le champ de la mort, et les longues herbes qui croissaient entre les pierres des tom- bes. 0 hommes qui ayant vécu loin du monde avez passé du silence de la vie au silence de la mort, de quel dégoût de la terre vos tombeaux ne remplissaient-ils point mon cœur 1

Quelquefois

une haute colonne se montrait seule debout, dans un désert, comme une grande pensée s"élève, par intervalles, dans une âme que le temps et le malheur ont dévastée. Retrouver ce titre sur Numilog.com

Quand le soir était venu, reprenant le chemin de ma retraite, je m"arrêtais sur les ponts, pour voir se coucher le soleil. L"astre, enflammant les vapeurs de la cité, semblait osciller lentement dans un fluide d"or, comme le pendule de l"horloge des siècles. Je me retirais ensuite avec la nuit, à travers un labyrinthe de rues solitaires. En regardant les lumières qui brillaient dans les demeures des hommes, je me transportais par la pensée au milieu des scènes de douleur et de joie qu"elles éclairaient ; et je son- geais que sous tant de toits habités, je n"avais pas un ami. Au milieu de mes réflexions, l"heure venait de frapper à coups me- surés dans la tour de la cathédrale gothique ; elle allait se répétant sur tous les tons et à toutes les distances d"église en église. Hélas 1 chaque heure dans la société ouvre un tombeau, et fait couler des larmes. Cette vie, qui m"avait d"abord enchanté, ne tarda pas à me devenir insupportable. Je me fatiguai de la répétition des mêmes scènes et des mêmes idées. Je me mis à sonder mon cœur, à me demander ce que je désirais. Je ne le savais pas ; mais je crus tout à coup que les bois me seraient délicieux. Me voilà soudain résolu d"achever, dans un exil champêtre, une carrière à peine commencée, et dans laquelle j"avais déjà dévoré des siècles. J"embrassai ce projet avec l"ardeur que je mets à tous mes desseins ; je partis précipitamment pour m"ensevelir dans une chaumière, comme j"étais parti autrefois pour faire le tour du monde. On m"accuse d"avoir des goûts inconstants, de ne pouvoir jouir longtemps de la même chimère, d"être la proie d"une ima- gination qui se hâte d"arriver au fond de mes plaisirs, comme si elle était accablée de leur durée ; on m"accuse de passer tou- jours le but que je puis atteindre : hélas 1 je cherche seulement un bien inconnu, dont l"instinct me poursuit. Est-ce ma faute, si je trouve partout des bornes, si ce qui est fini n"a pour moi aucune valeur ? Cependant je sens que j"aime la monotonie des sentiments de la vie, et si j"avais encore la folie de croire au bonheur, je le chercherais dans l"habitude.

Mais

comment exprimer cette foule de sensations fugitives, que j"éprouvais dans mes promenades ? Les sons que rendent les passions dans le vide d"un cœur solitaire, ressemblent au murmure que les vents et les eaux font entendre dans le silence d"un désert : on en jouit, mais on ne peut les peindre. L"automne me surprit au milieu de ces incertitudes : f entrai avec ravissement quotesdbs_dbs48.pdfusesText_48

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