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La modélisation en sciences à l'école primaire; de l'objet réel à l'objet modélisé; du dessin d'observation au lacoste_christine_M22016_annexes pdf
Qu'est-ce que la modélisation en science ?
La modélisation correspond à l'utilisation de modèles pour illustrer, expliquer et/ou prédire des phénomènes.C'est quoi la modélisation dans le domaine scientifique ?
La modélisation peut se définir de la manière suivante. C'est un processus qui passe par toutes les phases de la démarche scientifique, avec, à partir de l'observation, une conceptualisation du phénomène, une traduction dans un langage (un modèle) et une confrontation du modèle avec de nouvelles observations.Quel est le but de la modélisation ?
La modélisation consiste à mettre au point un ensemble d'équations ou de règles pour décrire un phénomène de façon reproductible et simulable. Le modèle issu de la modélisation sert à prédire le comportement d'un système en fonction de sollicitations connues.- Pourquoi vouloir modéliser ? Réaliser une modélisation signifie avant tout chercher à comprendre ce qui se passe, ne pas se contenter d'une solution empirique. Modéliser un processus, c'est le décrire de manière scientifique, quantitative, par exemple en termes d'équations (physiques, chimiques, etc).
CONTRIBUTION À L"ÉLABORATION
CURRICULAIRE D"UNE ÉDUCATION
SCIENTIFIQUE À L"ÉCOLE PRIMAIRE
MODÉLISATION DES MOMENTS SCOLAIRES À
VISÉE SCIENTIFIQUE
Joël BISAULT
HABILITATION À DIRIGER DES RECHERCHES
MÉMOIRE
Spécialité : sciences humaines et humanitésÉcole normale supérieure de Cachan
Décembre 2011
2HABILITATION À DIRIGER DES RECHERCHES
Spécialité : sciences humaines et humanitésSoutenue le 5 décembre 2011
à l"École normale supérieure de Cachan
parJoël BISAULT
Maître de conférences en 28ème section
IUFM de l"Académie d"Amiens - Université de Picardie Jules Verne Unité mixte de recherche " Sciences Techniques Éducation Formation » (STEF) - École normale supérieure de Cachan - Institut français de l"éducation CONTRIBUTION À L"ÉLABORATION CURRICULAIRE D"UNE ÉDUCATION SCIENTIFIQUE À L"ÉCOLE PRIMAIRE MODÉLISATION DES MOMENTS SCOLAIRES À VISÉESCIENTIFIQUE
Jury de soutenance :
Jean-Paul BERNIÉ, professeur émérite,
Universités Bordeaux II & IV - Laces-DAESL
Michel CAILLOT, professeur émérite,
Université Paris Descartes - EDA
Maryline COQUIDÉ, professeure,
École Normale Supérieure de Lyon- IFÉ - STEF (présidente du jury)Joël LEBEAUME, professeur,
Université Paris Descartes - EDA (rapporteur)
Yves LENOIR, professeur titulaire,
Université de Sherbrooke (Québec) - CRCIE (rapporteur)Jean-Louis MARTINAND, professeur émérite,
École Normale Supérieure de Cachan - STEF (garant)Gérard SENSEVY, professeur,
Université de Bretagne occidentale - CREAD (rapporteur) 3Remerciements
À Jean-Louis Martinand, pour ses apports théoriques précieux, pour ses critiques stimulantes, pour son exigence intellectuelle et pour le temps qu"il m"a consacré, à Joël Lebeaume pour m"avoir encouragé à tenter cette aventure et pour les idées qu"il a initiées, à Maryline Coquidé pour m"avoir aidé à combiner le travail de la fourmi et de l"araignée, à Jean-Paul Bernié, Michel Caillot, Yves Lenoir et Gérard Sensevy de m"avoir fait l"honneur de participer à mon jury, à Éric Bruillard, pour son appui à mes travaux, à tous les membres de l"UMR STEF pour les échanges intellectuels et amicaux, à Catherine Boyer, Catherine Ledrapier et Pierre Degret, pour leur contribution à cette élaboration curriculaire, à mes collègues de l"IUFM sans qui ce travail n"aurait pas été possible et en particulier à André Lavarde qui m"a fait découvrir la didactique des sciences, à Roselyne Le Bourgeois qui m"a ouvert aux sciences humaines, à Catherine Rebiffé qui m"a initié aux subtilités de la langue et à Vincent Fontaine et Didier Mont qui m"ont permis de ne pas oublier la physique, à l"IUFM de l"Académie d"Amiens qui a soutenu mon activité de recherche et qui a pris en charge la reprographie de ce mémoire, à tous les enseignants qui m"ont ouvert la porte de leur classe, à mes amis, à ma famille, et tout spécialement à Florence. 4 CONTRIBUTION À L"ÉLABORATION CURRICULAIRE D"UNE ÉDUCATION SCIENTIFIQUE À L"ÉCOLE PRIMAIRE MODÉLISATION DES MOMENTS SCOLAIRES À VISÉESCIENTIFIQUE
SOMMAIRE
AVANT PROPOS................................................................................................................................................. 7
INTRODUCTION................................................................................................................................................. 8
PREMIÈRE PARTIE : TRAVAUX ET PROBLÈMES.................................................................................. 10
1 UN PARCOURS DE RECHERCHE : DE LA PHYSIQUE EXPÉRIMENTALE À LA
DIDACTIQUE DES SCIENCES....................................................................................................................... 11
1.1 UNE MODÉLISATION DE SYSTÈMES PHYSIQUES COMPLEXES............................................................... 11
1.2 DE LA PHYSIQUE EXPÉRIMENTALE À LA DIDACTIQUE DES SCIENCES...................................................14
2 DES DISPOSITIFS QUI INSTITUTIONNALISENT LA COMMUNICATION SCIENTIFIQUE
ENTRE ÉLÈVES................................................................................................................................................ 16
2.1 LES PRATIQUES DE RECHERCHE EN SCIENCES : D"UNE RÉFÉRENCE IMPLICITE À UNE RÉFÉRENCE
EXPLICITE
.......................................................................................................................................................... 16
2.2 L"ÉCLAIRAGE APPORTÉ PAR LES TRAVAUX D"ÉPISTÉMOLOGIE ET DE SOCIOLOGIE DES SCIENCES....... 18
2.3 LES ACTIVITÉS LANGAGIÈRES DES CHERCHEURS ET LES ACTIVITÉS LANGAGIÈRES SCOLAIRES........... 21
2.4 L"ORGANISATION D"UN " CONGRÈS SCIENTIFIQUE» POUR DES ÉLÈVES DE L"ÉCOLE ÉLÉMENTAIRE..... 23
2.5 L"ORGANISATION D"UN RÉSEAU DE COMMUNICATION ÉLECTRONIQUE ENTRE ÉCOLES....................... 25
2.6 D"UNE ARGUMENTATION FORMELLE À UN ENJEU ARGUMENTATIF...................................................... 28
2.7 L"INTÉRÊT ET LES LIMITES DE LA RÉFÉRENCE AUX PRATIQUES DE RECHERCHE SCIENTIFIQUE............ 33
3 DES MOMENTS DE SCIENCES ET DES QUESTIONS DE LANGAGE......................................... 35
3.1 POURQUOI S"INTÉRESSER AU LANGAGE ET À LA LANGUE EN DIDACTIQUE DES SCIENCES ?................. 35
3.2 DES RELATIONS " MOUVEMENTÉES » ENTRE SCIENCES ET LANGAGE DANS LES PROGRAMMES
SUCCESSIFS DE L
"ÉCOLE PRIMAIRE.................................................................................................................... 37
3.3 UNE ANALYSE DE L"ACTIVITÉ LANGAGIÈRE ÉCRITE OU ORALE EN SCIENCES...................................... 39
3.4 LE CAHIER D"EXPÉRIENCE : UN OBJET LANGAGIER SCOLAIRE COMPLEXE........................................... 46
3.5 LES ENJEUX DU LANGAGE ET DE L"ARGUMENTATION EN SCIENCES ET EN HISTOIRE............................ 48
3.5.1 Expérience et document en sciences et en histoire........................................................................ 48
3.5.2 Enjeux transversaux et enjeux épistémologiques.......................................................................... 51
3.6 L"ARGUMENTATION À LA " CONVERGENCE » DE PLUSIEURS ENJEUX ET TYPES DE PROBLÈMES.......... 52
4 UNE ANALYSE DE L"ACTIVITÉ SCOLAIRE À VISÉE SCIENTIFIQUE..................................... 55
4.1 ACTIVITÉ, ACTION, ACTE ET PRATIQUE............................................................................................... 55
4.2 ACTIVITÉ EXPÉRIMENTALE ET LANGAGIÈRE - ACTIVITÉ EMPIRIQUE ET DIALOGIQUE.......................... 58
4.3 UNE ACTIVITÉ EMPIRIQUE ET DIALOGIQUE POUR ÉTUDIER LE MÉCANISME DE FORMATION DU
BROUILLARD
..................................................................................................................................................... 61
4.4 ANALYSE DE L"ACTIVITÉ EFFECTIVE D"UN GROUPE D"ÉLÈVES............................................................ 62
4.5 DEUX ÉPISODES DE GLISSEMENT TECHNIQUE...................................................................................... 64
4.6 PRÉGNANCE DES ASPECTS TECHNIQUES DE LA TÂCHE........................................................................ 65
4.7 ACTIVITÉ SCIENTIFIQUE SCOLAIRE ET ACTIVITÉ QUOTIDIENNE........................................................... 66
5 DES OBJECTIVATIONS SCIENTIFIQUES À L"ÉCOLE MATERNELLE..................................... 68
5.1 UN MOMENT DE " DÉCOUVERTE » D"UN OBJET FAMILIER EN MATERNELLE........................................ 68
5.2 ASPIRER UNE PERLE : QUELLE VISÉE POUR LE MAÎTRE ET QUELS PROBLÈMES POUR LES ÉLÈVES ?...... 69
5.3 ÉVOLUTION PROGRESSIVE DES OBJETS ET DES POINTS DE VUE............................................................ 71
55.4 DES VISÉES ET DES RÉFÉRENCES MULTIPLES QUI " CONVERGENT ».................................................... 72
5.5 DES OBJETS INSÉRÉS DANS UN DOUBLE PROCESSUS D"OBJECTIFICATION-OBJECTIVATION.................. 74
5.6 UNE OBJECTIVATION QUI CONDUIT À UNE " MODÉLISATION SCIENTIFIQUE »...................................... 75
5.7 LE RÔLE AMBIGU DE L"ACTIVITÉ LANGAGIÈRE DANS CE MOMENT SCOLAIRE...................................... 78
5.8 QUELLES CONSTRUCTIONS EFFECTIVES À L"ISSUE DE CE MOMENT ?.................................................. 81
6 DES MOMENTS ET DES OBJETS SCOLAIRES À VISÉE SCIENTIFIQUE ................................. 83
6.1 ÉDUCATION SCIENTIFIQUE À L"ÉCOLE PRIMAIRE ET MOMENTS SCOLAIRES......................................... 83
6.2 DU QUOTIDIEN AU SCIENTIFIQUE........................................................................................................ 84
6.3 UN POINT DE VUE SCIENTIFIQUE SUR DES OBJETS FAMILIERS.............................................................. 86
6.4 DES MOMENTS EN RUPTURE AVEC D"AUTRES MOMENTS..................................................................... 86
6.5 MATÉRIEL ET LANGAGIER DANS LES MOMENTS SCOLAIRES À VISÉE SCIENTIFIQUE............................. 88
6.6 ANALYSE DES MOMENTS SCOLAIRES COPRODUITS PAR LES ENSEIGNANTS ET LEURS ÉLÈVES............. 90
6.7 PRÉGNANCE DES OBJETS MATÉRIELS DANS LES MOMENTS " PRÉPARÉS » PAR LES ENSEIGNANTS....... 91
6.8 DE L"OBJET QUOTIDIEN À L"OBJET D"INVESTIGATION SCIENTIFIQUE...................................................92
6.9 LA CONSTRUCTION D"UN OBJET D"INVESTIGATION SCIENTIFIQUE SCOLAIRE...................................... 95
6.10 DES OBJETS MATÉRIELS ET SINGULIERS AUX OBJETS GÉNÉRIQUES ET THÉORIQUES............................ 97
6.11 UN DOUBLE ENJEU COGNITIF............................................................................................................ 100
6.12 QUELLES RÉFÉRENCES POUR LES MOMENTS SCOLAIRES DE SCIENCES ?............................................ 101
6.13 DE L"OBJET SCOLAIRE À L"OBJECTIVATION SCIENTIFIQUE................................................................ 102
6.14 DES OBJETS SCOLAIRES ET DES OBJECTIVATIONS MULTIPLES........................................................... 105
7 DES PISTES POUR PENSER LA PROFESSIONNALITÉ DES PROFESSEURS D"ÉCOLE ...... 107
7.1 DE LA POLYVALENCE À UNE SPÉCIALITÉ........................................................................................... 107
7.2 DES MOMENTS SCOLAIRES VUS À TRAVERS LES PRÉPARATIONS D"ENSEIGNANTS............................. 111
7.2.1 Des moments scolaires " en devenir » ........................................................................................ 111
7.2.2 Diversité des écrits utilisés par les enseignants.......................................................................... 112
7.2.3 Des logiques et des choix contrastés selon les enseignants ........................................................ 115
7.2.4 Des écrits professionnels " très organisés » ............................................................................... 117
7.3 UNE CATÉGORISATION DES MODES DE PILOTAGE EN MATERNELLE...................................................119
7.4 UNE GRANDE DIVERSITÉ DE LOGIQUES DE MISE EN OEUVRE PAR LES ENSEIGNANTS........................... 122
7.5 L"IMPORTANCE DES " OBJETS » DANS LES PRATIQUES EFFECTIVES...................................................124
7.6 PRÉGNANCE DU " VOCABULAIRE SCIENTIFIQUE »............................................................................. 125
7.7 DES PISTES POUR (RE)PENSER LA PROFESSIONNALITÉ DES ENSEIGNANTS DU PRIMAIRE.................... 125
DEUXIÈME PARTIE : CONTRIBUTION À L"ÉLABORATION CURRICULAIRE D"UNEÉDUCATION SCIENTIFIQUE À L"ÉCOLE PRIMAIRE.......................................................................... 128
8 LES PRÉMICES D"UNE ÉDUCATION SCIENTIFIQUE À L"ÉCOLE PRIMAIRE .................... 129
8.1 UN CURRICULUM TIRAILLÉ ENTRE LOGIQUE DISCIPLINAIRE ET SPÉCIFICITÉS DE L"ÉCOLE PRIMAIRE. 129
8.2 UNE COMPOSITION CURRICULAIRE SOUS INFLUENCES MULTIPLES.................................................... 130
9 OBJET, SIGNE, MÉDIATION ET OBJECTIVATION..................................................................... 131
9.1 INTRODUCTION................................................................................................................................. 131
9.2 LA DOUBLE " SIGNIFICATION » DES OBJETS SCIENTIFIQUES SCOLAIRES........................................... 132
9.3 RAPPORT D"OBJET, MÉDIATION ET OBJECTIVATION.......................................................................... 134
9.4 OBJECTIVATION, OBJET ET DÉCOUPAGE DU MONDE.......................................................................... 135
9.5 DES OBJETS PERÇUS AUX OBJETS CONÇUS........................................................................................ 136
9.6 INSTRUMENT, MÉDIATION, RAPPORTS HUMAINS, SOCIAUX ET BIOLOGIQUES..................................... 139
9.7 SIGNE ET OBJET DANS LA SÉMIOTIQUE DE PEIRCE............................................................................. 140
9.8 UN CADRE SÉMIOTIQUE POUR ANALYSER LES MOMENTS SCOLAIRES................................................ 143
9.9 SIGNE, SIGNIFICATION ET SENS......................................................................................................... 146
9.10 NOS SIGNIFICATIONS DU TERME " OBJET » ....................................................................................... 146
10 UNE MODÉLISATION DES MOMENTS SCOLAIRES À VISÉE SCIENTIFIQUE .................... 149
10.1 UN MODÈLE CURRICULAIRE POUR L"ÉDUCATION SCIENTIFIQUE À L"ÉCOLE PRIMAIRE...................... 149
10.2 UNE DUALITÉ OBJECTIFICATION-OBJECTIVATION............................................................................. 151
10.3 DES OBJETS APPRÉHENDABLES À L"INTERFACE DE DEUX TYPES DE CONSTRUCTIONS....................... 154
10.4 L"OBJECTIFICATION COMME SUPERPOSITION DE PLUSIEURS CONSTRUCTIONS HUMAINES................. 157
10.5 L"OBJECTIFICATION COMME CRISTALLISATION D"UNE PENSÉE HUMAINE......................................... 158
10.6 DES MOMENTS POUR CONSTRUIRE UNE OEUVRE COLLECTIVE ET POUR SE CONSTRUIRE..................... 159
610.7 DES MOMENTS DANS UN RÉSEAU CURRICULAIRE ET EXTRA CURRICULAIRE COMPLEXE.................... 162
10.8 UNE CONSTRUCTION INCOMPLÈTE, FLOUE, ET INCERTAINE............................................................... 166
11 RÉFÉRENCES ET BIBLIOGRAPHIE................................................................................................ 168
12 PUBLICATIONS ET COMMUNICATIONS SCIENTIFIQUES ...................................................... 177
13 ANNEXE : UNE ANALYSE SÉMIOTIQUE D"UN MOMENT SCOLAIRE................................... 183
7Avant propos
Ce mémoire s"appuie sur des travaux de recherche menés depuis une quinzaine d"années dans le domaine de la didactique des sciences au sein du laboratoire LIREST puis de l"unité mixte de recherche " STEF » de l"école normale supérieure de Cachan. La première partie est une reprise de certains travaux empiriques parfois anciens dont je propose une relecture à la lumière de mon orientation de recherche actuelle : l"analyse didactique curriculaire desprémices d"éducation scientifique à l"école primaire. Cette partie contient des extraits de
publications présentés dans des encadrés. Chaque publication est mentionnée par un numéro
d"ordre (textes 1 à 69) qui renvoie à la liste de l"ensemble des publications etcommunications présente à la fin de ce mémoire. La deuxième partie de ce mémoire, plus
théorique, propose une contribution à l"élaboration curriculaire d"une éducation scientifique
à l"école primaire à partir de travaux plus récents dont certains ne sont pas encore publiés.
" La façade d"une maison n"appartient pas à celui qui la possède mais à celui qui la regarde. »Lao Tseu
8Introduction
En choisissant de parler " d"éducation scientifique » et non " d"enseignement des sciences »,
nous voulons pointer trois types de problèmes.En premier lieu, la définition de l"entité " sciences » est loin d"être évidente à l"école
primaire. On ne peut évidemment pas confondre ce domaine avec certaines pratiquesextérieures au système éducatif, les pratiques de recherche par exemple, même si ces
pratiques sont des références fortes. On ne peut pas non plus l"identifier aux disciplines
scientifiques telles qu"elles existent à l"université ou dans l"enseignement secondaire. On ne peut pas donc penser les sciences à l"école primaire en projetant les logiques didactiquesdisciplinaires qui peuvent être pertinentes à d"autres niveaux de la scolarité. En particulier, il
faut prendre en compte la différenciation progressive des disciplines qui n"est pas achevée à la
fin de l"école primaire. Cette difficulté de délimitation de ce domaine apparait bien au travers
des dénominations fluctuantes que l"on peut relever dans différents textes officiels actuels ou
plus anciens : activités d"éveil scientifique, découverte du monde, initiation scientifique et
technique, sciences et technologie, sciences expérimentales et technologie.... Il est clair queces différentes appellations ne privilégient pas les mêmes finalités ou les mêmes références et
qu"elles n"ont pas les mêmes extensions.En second lieu, il n"existe pas à l"école primaire " d"enseignants de sciences » et la visée
scientifique est une visée éducative parmi bien d"autres que les professeurs d"école prennent
diversement en charge - parfois très peu comme l"ont montré certaines enquêtes. Les
pratiques scolaires qui peuvent contribuer à une éducation scientifique doivent donc être
pensées dans leur articulation avec d"autres domaines d"apprentissage. Par exemple, dans unepratique scolaire à visée scientifique, tout écrit n"est pas simplement un écrit scientifique
scolaire c"est aussi un moyen de construire (ou réinvestir) des compétences dans le domainede la langue. De la même façon, toute " activité scientifique » dans la classe engage des
modes de fonctionnement pédagogique ou des compétences qui peuvent intervenir dans d"autres moments scolaires, avec le même enseignant.En dernier lieu, depuis de nombreuses années, les programmes de l"école primaire ne se
réduisent pas à des programmes de " contenus ». Dans le domaine scientifique comme dansd"autres domaines, ils sont largement définis à partir des activités éducatives qui peuvent être
mises en oeuvre dans les classes. Pour ces différentes raisons, il nous paraît plus approprié de
parler d"éducation scientifique plutôt que d"enseignement des sciences.Les programmes qui doivent orienter les activités scolaires laissent de fait une grande liberté
aux enseignants : la " liberté de la méthode » est explicitement rappelée dans les derniers
textes de 2008. Dans ces conditions, on peut se poser plusieurs questions : - quels sont les choix réalisés par ces enseignants parmi des références et des enjeuxéducatifs multiples ?
- selon quels principes organisateurs conçoivent-ils des pratiques scolaires à visée
scientifique ? - comment ces pratiques articulent-elles les exigences épistémologiques propres aux sciences et les spécificités de l"école primaire ? -quels sont les appuis et les obstacles qui peuvent conditionner leur mise en oeuvre ? 9 - peut-on imaginer d"autres pratiques possibles ? Ce sont quelques unes des questions qui orientent mon travail de recherche actuel, et que jevais développer dans la suite de ce mémoire en m"appuyant à la fois sur des travaux orientés
par cette problématique et sur des travaux plus anciens pour lesquels cette problématique actuelle permet de porter un regard nouveau. Nous aborderons les questions curriculaires àpartir de plusieurs points de vue complémentaires qui concernent différents niveaux du
curriculum : curriculums prescrits, curriculums construits, curriculums effectifs, curriculums possibles... 10PREMIÈRE PARTIE : TRAVAUX ET PROBLÈMES
111 Un parcours de recherche : de la physique
expérimentale à la didactique des sciences1.1 Une modélisation de systèmes physiques complexes
Texte 10
Mes premiers travaux de recherche ont été menés en physique de la matière condensée au
laboratoire LPMTM de l"Université Paris XIII. Ils ont porté sur l"étude du branchement
sphérolitique dans la cristallisation du sélénium (10). Ces recherches m"ont amené à observer
en microscopie optique et électronique (MEB et MET) et à modéliser des entités poly
cristallines complexes (sphérolites) présentant un enchevêtrement cristallin dont la continuité
dépend de l"échelle d"observation (existence de joints et sous-joints de grains). Nous avonsmontré que l"organisation de cette structure à différentes échelles (microscopique,
mésoscopique et macroscopique) résulte de la compétition entre plusieurs mécanismes
physiques antagonistes ; certains de ces mécanismes (multiplication des cristaux par homo-épitaxie, polygonisation dynamique...) sont spécifiques au matériau considéré (sélénium)
alors que d"autres mécanismes (limitation des dimensions des cristaux par les rencontres entrecristaux adjacents par exemple) sont beaucoup plus généraux. Les modèles élaborés sur la
récurrence d"une unité constitutive - le cristal sphérolitique - rendent compte de la grande
diversité des formes de cristallisation observées tant sur un plan qualitatif que quantitatif, en
particulier de l"existence de plusieurs modes morphologiques pouvant coexister pour les mêmes conditions expérimentales. Les systèmes physiques étudiés dans ces travaux n"ont a priori rien en commun avec lessystèmes humains sur lesquels portent mes travaux actuels (moments scolaires à visée
scientifique). Pourtant un regard rétrospectif sur ces travaux de physique expérimentale fait apparaître certains éléments communs : - une très grande complexité qui exclut une approche purement analytique, - un caractère à la fois continu et discontinu, - une organisation à différentes échelles (microscopique, mésoscopique et macroscopique), - une forte intrication des problèmes génériques et spécifiques, - l"indétermination partielle des formes observées par rapports aux conditions externes imposées au système. Les points de vue de recherche présentent aussi quelques points communs : - approche essentiellement phénoménologique qui renonce à expliquer certains mécanismes ultimes et qui aboutit à la construction de modèles,- attitude réservée à l"égard de certaines positions théoriques largement partagées par la
communauté scientifique et recours à des travaux parfois très anciens.Même si les moments scolaires à visée scientifique et les cristaux sphérolitiques se situent
dans des mondes différents, nous avons porté sur ces entités un regard parfois assez semblable
et qui est au départ un regard de physicien. Nous présentons ci-dessous quelques extraits d"une publication sur la cristallisation dusélénium pour donner un aperçu d"ensemble des entités étudiées, des différentes échelles
d"observation et d"analyse ainsi que les principaux résultats quantitatifs rendant compte des évolutions morphologiques en fonction des températures de cristallisation et des deux modes de cette cristallisation. 12Extraits du texte 10
13 141.2 De la physique expérimentale à la didactique des sciences
Texte 34
Après mon élection sur un poste de maître de conférences à l"IUFM de l"Académie d"Amiens
en 1993 (28 ème section), j"ai réorienté progressivement mon activité de recherche vers des questions d"éducation et de formation tout en maintenant mon rattachement à ma section de CNU d"origine. Mes premiers travaux en éducation ont porté sur la formation des enseignants du premier degré avec la publication d"un ouvrage sur le mémoire professionnel (texte 68).J"ai intégré en 1996 le laboratoire LIREST de l"École Normale Supérieure de Cachan devenu
depuis l"Unité Mixte de Recherche " Sciences Techniques, Éducation, Formation » (UMR STEF) en recentrant mes recherches sur la didactique des sciences. La première contributionscientifique en didactique s"est appuyée sur une enquête réalisée auprès d"un échantillon de
83 professeurs d"école stagiaires de deuxième année du centre IUFM de Beauvais. L"enquête
menée à partir d"un questionnaire écrit constitué d"une vingtaine de questions ouvertes a porté
sur la " vision générale des sciences et de leur enseignement », " la pratique personnelle dans
le domaine de l"enseignement scientifique » et " l"impact de la formation reçue à l"IUFDM »
(texte 34) : cette enquête a montré un décalage important entre les activités déclarées et les
activités effectivement réalisées (extrait ci-dessous). Le passage de la physique expérimentale
aux recherches en éducation m"a amené à m"intéresser aux aspects sociaux de la recherche, en
particulier à tout ce qu"on peut regrouper sous le terme générique de " communication
scientifique » (De la Véga, 20001). Dans le domaine de l"éducation scientifique, ce point de
vue épistémologique m"a conduit à penser les sciences moins en termes de savoirs qu"en termes de " pratiques » (texte 32) suivant en cela l"orientation définie par Martinand avec le concept de " pratique sociale de référence » (Martinand, 1986 2).Extrait du texte 34
Vision sur les sciences et leur enseignement
Les stagiaires estiment que l"enseignement des sciences à l"école élémentaire vise la formation
de l"esprit ou l"acquisition de méthodes plutôt que la construction de connaissances scientifiques. La
priorité accordée au processus (chercher), à la finalité (comprendre le monde) ou aux moyens
d"investigation (expériences) par rapport au produit (connaissance construite) se retrouve aussi bien
pour l"activité des scientifiques que pour celle des élèves. Les moyens pédagogiques sont envisagés à
la fois en termes d"activités spécifiques (essentiellement des expériences) et aussi en types
d"apprentissage à mettre en oeuvre (apprentissage actif, centration sur l"élève...).La vision générale sur l"enseignement des sciences à l"école élémentaire qui émerge de ce
questionnaire semble assez pertinente. Elle reflète bien les tendances actuelles de l"enseignement
scientifique à l"école primaire, telles quelles apparaissent par exemple dans les dernières instructions
officielles de 1995. Ce résultat somme toute assez rassurant pour des étudiants en fin de formation à
l"IUFM doit cependant être nuancé au niveau de la mise en oeuvre effective car cette vision ne se
traduit pas complètement dans les faits. Un décalage est perceptible entre les activités décrites en
termes généraux et les activités réellement conduites à l"école.1 DE LA VEGA, J.-F. (2000). La communication scientifique à l"épreuve de l"Internet. Villeurbanne : presses de
l"ENSSIB.2 MARTINAND, J.-L. (1986). Connaître et transformer la matière. Berne : Peter Lang.
15 Décalage entre activités déclarées et activités réaliséesL"expérience est l"activité jugée essentielle pour les scientifiques comme pour les élèves, mais
elle est peu pratiquée par les stagiaires. Au contraire la fabrication d"objets qui n"apparaît dans aucune
réponse sur les activités à mettre en oeuvre est très fréquente dans les réponses concernant les activités
réellement menées. Ce glissement entre expérience et fabrication ne s"explique pas par les raisons
invoquées (manque de matériel, problèmes d"organisation) qui devraient toucher autant les activités de
fabrication que les activités expérimentales. Il pourrait s"interpréter par une confusion entre sciences et
technologie, confusion d"autant plus facile à faire que ces domaines sont étroitement imbriqués à
l"école élémentaire. Cette interprétation pourrait être confirmée par le fait que les réponses des
stagiaires ne mettent guère en évidence le rapport entre les activités expérimentales et les concepts
scientifiques. L"importance accordée aux aspects méthodologiques ne cache-t-elle pas une conception
de l"expérience complètement isolée de son contexte scientifique ? Il est permis de supposer que le
terme " expérience » recouvre en fait une activité à finalité scientifique peu définie.
Indépendamment des représentations des stagiaires sur les sciences, il est indéniable que les
activités menées réellement en classe sont largement influencées par les pratiques habituelles des
classes d"accueil. La réalité du terrain ne conduirait-elle pas à abandonner quelque peu les intentions
généreuses affirmées par ailleurs ? En effet, l"analyse des réponses montre que les activités de
fabrication citées semblent relativement modestes. Le recours à des activités de fabrication peut donc
aussi s"interpréter comme une solution de facilité qui ne serait pas forcément en rapport avec les
représentations du stagiaire sur l"enseignement scientifique. Décalage entre stagiaire - apprenant et stagiaire - enseignantSur un autre registre, le point de vue du stagiaire sur sa propre formation scientifique à
l"IUFM est assez différent de celui qu"il a sur l"enseignement à l"école. Par exemple, l"importance
accordée aux contenus dans la formation semble une réponse très significative dans la mesure où ces
contenus apparaissent très secondaires dans les réponses concernant les enfants. On peut bien sûr
analyser ce décalage comme un souci louable d"avoir un certain recul sur les contenus enseignés afin
d"envisager leur transposition didactique dans des conditions satisfaisantes. Mais alors, pourquoi le
problème de la maîtrise des contenus apparaît-il aussi peu dans les difficultés rencontrées ? On peut
donc soupçonner un besoin de se rassurer dans une discipline jugée difficile d"accès. Ceci semble
particulièrement vrai pour la physique qui apparaît comme un véritable " épouvantail » auprès de la
plupart des futurs professeurs d"école qui n"en ont qu"un souvenir lointain et souvent désagréable.
162 Des dispositifs qui institutionnalisent la communication
scientifique entre élèvesTextes 9, 12, 13, 25, 32, 42
Dans une série de travaux réalisés entre 1996 et 2004, nous avons transposé certains aspects
des pratiques scientifiques dans la conception, la mise en oeuvre et l"évaluation de plusieursdispositifs didactiques. Ces différents dispositifs ont institutionnalisé la communication et
l"écriture scientifique dans des activités réalisées de façon collaborative par un ensemble
d"élèves regroupant plusieurs écoles élémentaires. Nous allons reprendre dans ce chapitre
quelques résultats issus de ces travaux et discuter de façon plus générale des problèmes
soulevés par l"utilisation de cette référence dans le cadre de l"école primaire.2.1 Les pratiques de recherche en sciences : d"une référence
implicite à une référence expliciteDepuis de nombreuses années, la référence aux pratiques des scientifiques est présente à des
degrés divers dans les différents curriculums prescrits ou effectifs. Dès les débuts de
quotesdbs_dbs33.pdfusesText_39[PDF] exploitation le petit chaperon rouge
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