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Mythes et héros anciens à Nice
Le patrimoine niçois a été marqué par de nombreuses représentations de héros mythiques, au sens
propre du terme, c'est à dire non pas de personnages historiques grandis après leur mort, mais de
personnalités dont l'existence historique est impossible à démontrer mais dont la présence dans le
paysage mental des populations et l'espace esthétique de la création véhicule un message ou un
sens. Parmi eux, quatre s'imposent : Phaéton, Hercule, Réparate et Catherine Ségurane. Chacun a
fourni un large répertoire, souvent réinterprété à différents moments du passé, en particulier à l'âge
baroque, que nous proposons maintenant de découvrir.HERCULE, LE CIVILISATEUR
On connaît bien le récit des douze travaux d'Hercule. Très tôt, les exégètes (Hésiode, Ovide) comme les
géographes (Strabon, Polybe, Pline) ont cherché à associer ces exploits avec des régions de la Méditerranée.
Souvent, les récits et les interprétations varient mais la trame reste celle-ci. Pour son dixième travail, Hercule
fut chargé par son commanditaire, Eurysthée, de voler les boeufs de Géryon, un roi qui vivait dans l'actuelle
Andalousie, était considéré comme l'homme le plus fort du monde et possédait le plus beau troupeau de
l'Univers. Une fois Géryon vaincu, Hercule ramena le troupeau vers l'Argolide par voie de mer. Faisant escale à
l'embouchure du Rhône, il fut empêché d'aller plus loin par Bergion et Albion, deux fils de Neptune. Venant à
son aide, son père Zeus fit pleuvoir sur les deux géants une pluie de pierres, par laquelle les Anciens
expliquaient le paysage de la plaine de la Crau. Ayant tué des enfants du dieu de la mer, Hercule préféra
poursuivre son périple par voie de terre et se heurta bientôt au mur alors infranchissable des Alpes se jetant
dans la mer. C'est alors qu'il ouvrit, à grands coups de sa massue, la première route transalpine côtière.
Cette combinaison de récits fut oubliée après l'Antiquité et redécouverte aux XVIe et XVIIe siècle. Les érudits
comme les politiques la réemployèrent aussitôt.Parmi les premiers, Pierre Gioffredo (1629-1692) fut celui qui la développa le plus, tout en manifestant la plus
grande prudence sur sa dimension historique. Il l'appliqua en particulier à la toponymie et à la géographie.
Ainsi rappela
-t-il que Monaco devait peut-être son nom à la présence, sur le site, d'un temple dédié à Hercules
Monoikos, Hercule " seul " ; ainsi affirma
-t-il que l'espace maritime que les Anciens appelaient Portus Herculisétait la rade de Villefranche ; ainsi découvrit-il que les montagnes qui, entre Monaco et Villefranche, tombent
abruptement dans la mer au point d'empêcher tout passage s'appelaient les monts Herculéens. Plus tard, on
ajouta même à ce florilège le nom de voie Herculéenne pour le chemin archaïque qui parcourait, pense-t-on, la
côte ligure avant les voies romaines.Les ducs de Savoie successifs du XVIIe siècle usèrent aussi beaucoup du récit d'Hercule, principalement
Charles-Emmanuel Ier (1562-1580-1630) et la régente qui gouverna au nom de Charles-Emmanuel II, Christine
de France (1606-1637-1663). En effet, ouvrant la première route transalpine à travers les gorges de la Roya à
partir de 1616, Charles-Emmanuel Ier se comparait à Hercule. Une grande fête fut donnée au château de Rivoli
en 1645 sur ce thème et un des premiers aménagements du parc de Venaria Reale, près de Turin, fut appelé la
fontaine d'Hercule.Créant une route, enseignant aussi la pêche aux Ligures, Hercule est donc à la fois perçu comme un symbole de
force et de civilisation. Mais justement, qui étaient ces Ligures qu'Hercule rencontra ?PHAETON, GRAND-PERE DES LIGURES
Dans le grand mystère des récits originels, Phaéton occupe pour notre région une autre place. Là encore, le
récit est connu : fils d'Hélios, le Soleil, Phaéton obtient de son père de conduire le char qui porte l'astre. Mais,
inexpérimenté, effrayé par les animaux du Zodiaque, il manque de mettre le feu à la Terre et trouble la course
des astres. Pour éviter une catastrophe, Zeus le foudroie et le corps de Phaéton tombe dans l'Erida
n, identifiécomme le Pô. Ses filles (ou ses soeurs) et son fils, Ligur, se mettent à la recherche du corps pour lui rendre les
honneurs funèbres. Eplorées, les jeunes filles se changent en peupliers. Quant à Ligur, après avoir enseveli son
père, il appelle les peuples qu'il gouvernait en Grèce auprès de lui, et ils s'établissent dans un large triangle
entre le Pô, l'embouchure du Rhône et la côte toscane, transformant le nom de l'ancêtre fondateur en nom de
leur peuple.Cette tradition gréco-romaine n'était sans doute pas connue des Ligures eux-mêmes, dont on sait d'ailleurs peu
de choses. Grâce à sa redécouverte par les érudits, elle fut en tout cas reprise au XVIIe siècle par deux des plus
grandes familles de la noblesse locale, les Grimaldi et les Lascaris. L'une comme l'autre sont d'origine ligure
au sens étroit du terme, même si les premiers ont largement essaimé à Monaco, Cagnes, Antibes et Beuil et si
les seconds ont perdu au XIIIe siècle l'essentiel de leur fief initial, le comté de Vintimille. En fa
isantreprésenter au plafond de leurs palais (château Grimaldi à Cagnes et palais Lascaris à Nice) La chute de
Phaéton, dans la logique baroque de l'exaltation de la gloire des ancêtres rejaillissant sur les vivants, les
Grimaldi et les Lascaris affirment
l'antiquité de leur lignage. Ils se posent en descendants du père fondateur,le mythique Ligur, et des grands dieux olympiens qui, par la filiation Hélios(Apollon)-Phaéton-Ligur, les
distinguent du commun des mortels et justifient les privilèges nobles.REPARATE, MESSAGERE DE L'ORIENT
La cathédrale et le diocèse de Nice ont consacré la jeune Réparate comme leur protectrice. Cependant,
comme pour nombre de martyrs des premiers siècle, l'existence même de la jeune fille n'est pas assurée.
Selon la tradition, c'est vers 250 qu'elle aurait été martyrisée en Palestine, à Césarée. Pour permettre à son
corps d'échapper à la profanation, sa famille l'aurait alors disposé sur une barque qui, hâlée par des anges,
serait venue s'échouer sur le rivage de Nice, donnant le sens religieux du toponyme baie des Anges. Mais si la
tradition est assurée, l'Histoire est plus complexe.Nombre d'autres lieux, en Méditerranée, ont choisi sainte Réparate pour protectrice : elle était la titulaire de
la première cathédrale de Flor ence, jusqu'en 1412, ainsi que d'une église baptismale de Lucca ; la patronnedes villes d'Atri (Abruzzes, province de Teramo), Casoli (Abruzzes, province de Chieti), Terra del Sole (Emilie-
Romagne, province de Forlì), des diocèses de Teramo et Pesco Sanni ta (Campanie, province de Benevento), enItalie ; de Begur, en Catalogne et d'un couvent non loin de là, à Cinc-Claus (L'Escala) ; une baie lui est dédiée,
près de Santa -Teresa-di-Gallura (Sardaigne) ; son nom se retrouve dans les villages de Santa-Reparata-di-Balagna et de Santa
-Reparata-di-Moriani, en Corse, et au Puy-Sainte-Réparade, en Provence occidentale. Dansle comté de Nice même, le village de La Bollène-Vésubie en a fait aussi la titulaire de son église paroissiale et
sa protectrice.Son nom apparaît pour la première fois dans le Martyrologe de Bède le Vénérable, au IXe siècle, et sa légende
dorée sera reprise et amplifiée jusqu'au XVIe siècle dans les différents ouvrages de même nature.
A Nice existe une église Sainte-Réparate au moins depuis le XIe siècle. Au milieu du XVIe siècle, cette église
devient cathédrale par transfert du siège épiscopal depuis l'ancien édifice de la colline du Château. Aucun
élément ne nous permet d'y attester la tradition et même le grand historien qu'est Pierre Gioffredo ne
mentionne pas dans son Histoire des Alpes maritimes (XVIIe) la sainte parmi les premiers évangélisateurs de
Nice, malgré l'existence de cet édifice et le rôle qu'il joua, selon certains, dans la découverte des reliques de
la sainte à l'abbaye de Sai nt-Pons et leur transfert dans la cathédrale. Toujours est-il que depuis le XVIIejusqu'au XIXe, l'iconographie de Réparate n'a cessé de s'accroître. La question qui demeure est celle du sens :
probablement faut-il voir dans la figure de Réparate, arrivée à Nice par la mer, la figure emblématique d'une
religion née à des centaines de kilomètres de notre ville et des dizaines de personnes -soldats, voyageurs,
marchands- qui, par la même voie, l'ont apportée sur nos rivages. Notons d'ailleurs que ce schéma s'applique
aussi à Monaco, avec sainte Dévote, à Saint-Tropez avec son saint éponyme et aux Saintes-Maries-de-la-Mer.
CATHERINE SEGURANE, LA RESISTANTE
L'Antiquité primitive ou tardive n'est pas seule à offrir des héros et des mythes à Nice. Au milieu du
XVIesiècle, la violence et la sauvagerie du siège que les Français et les Turcs alliés firent subir à Nice engendra
aussi une figure héroïque, Catherine Ségurane. Selon la tradition, le 15 août 1543, alors que les assaillants
s'apprêtent à entrer dans la ville par la brèche ouverte au bastion Sincaire, une Niçoise surgit, abat le porte-
étendard turc et s'empare de son drapeau, ce qui provoque la panique dans les rangs attaquants. Diverses
versions plus ou moins paillardes complèteront au fil du temps cette première histoire.Le problème scientifique que pose l'existence de Catherine Ségurane et son geste de résistance est clairement
lié au fait que les deux textes sur lesquels se fonde l'ensemble de la connaissance du siège, celui de Jean
Badat, témoin oculaire, et celui du président Lambert, haut personnage de la cour de Savoie contemporain des
faits ignorent absolument l'épisode. Ce n'est qu'en 1608, sous la plume d'Honoré Pastorelli, qu'apparaît
l'épisode, encore que l'héroïne du fait reste anonyme, conn ue sous le seul sobriquet peu flatteur de " donnaMaufacha ", la femme mal faite. Soixante ans plus tard, Pierre Gioffredo évoque lui aussi la " donna Maufacha "
et " la tradition commune ", déjà en place en son temps. Dès lors, la légende de Catherine Ségurane ne cessa
de s'enrichir, de son nom, de son métier (bugadièra, ou lavandière), de ses exploits. La ville de Nice fit placer
son buste sur la porte Pairolière puis dans la salle des délibérations de son conseil. Au XIXe siècle, Louis
Andreoli lui consacra une poésie épique (1810) et Jean-Baptiste Toselli une tragédie (1878). Son " portrait " fut
peint (1823) par Paul-Emile Barberi et Hercule Trachel. En 1923 enfin un monument lui fut élevé par
souscription publique sur le lieu présumé de ses exploits.L'existence de Catherine Ségurane, si elle n'est pas prouvée, est plausible. Badat, Lambert, Pastorelli, Giovio
rapportent par exemple qu'à l'occasion de cet assaut, plusieurs enseignes ennemies furent prises tant aux
mercenaires italiens des Français qu'a ux Turcs (entre une et cinq, selon les sources). Le geste de Ségurane neserait donc pas incongru. Il ne demeure qu'une certitude : ce personnage incarne la formidable résistance
populaire des Niçois à deux des plus puissantes armées de ce temps, résistance unique en Europe occidentale à
l'époque, et comme tel demeure le symbole de cette vertu à travers les âges jusqu'à nos jours.